séléctionnez une date pour un autre éphéméride

Ce ne sont pas toujours les adversaires les plus prestigieux qui donnent le plus de fil à retordre. L'ASSE 1974-75 en sait quelque chose...


La feuille de Match
Mercredi 19 mars 1975 - Coupe d' Europe des Clubs Champions - Stade Geoffroy-Guichard
Quart de finale retour: ASSE 2-0 Ruch Chorzow
Spectateurs: 37.903 - Arbitre: M. Petri (Hongrie)

Buteurs: Janvion (3e) et H. Revelli (84e sp)

ASSE: Curkovic - Janvion (Merchadier 73e), Piazza, Lopez, Farison - Larqué, Bathenay, Synaeghel - P. Revelli (Sarramagna 86e), Triantafilos, H. Revelli. Entraîneur: Robert Herbin
Chorzow: Czaja - Bajger, Ostafinski, Wyrobek (Malcher 81e), Drzewiecki - Kopicera, Maszczyk, Bula - Bon, Marx (Benigier 64e), Chojnacki. Entraîneur: Michal Vican

Le contexte du match
Tout auréolés de leur retentissant exploit du tour précèdent contre Hajduk Split, les Verts se présentent au printemps 1975 en pleine confiance sur la pelouse du champion de Pologne, Ruch Chorzow. Ils ont eu le temps de fêter dignement leur nouveau héros, "Tintin" (Yves Triantafilos), élément décisif de leur victoire contre Split.

Chorzow est un adversaire moins prestigieux et certains voient déjà les Verts en demi-finales. Seulement, à l'heure de jeu du match aller, les Stéphanois sont menés 3-0. Tout de suite, les ardeurs sont calmées et l'euphorie croate semble bien loin.
Fort heureusement, grâce à Jean-Michel Larqué toujours et Triantafilos encore, le score n'est plus que de 3-2 à l'issue de ce match et les Polonais ont véritablement la sensation d'avoir laissé filer leur chance. Car ce sont désormais les Stéphanois qui se retrouvent en position de force. Un seul but de retard à remonter dans leur Chaudron...

A l'aller, Chojnacki centre pour Maszczyk qui ouvre la marque

Toutefois, personne ne peut s'empêcher de garder en mémoire les inquiétants balbutiements de l'équipe stéphanoise en début de partie, le renouvellement de telles erreurs serait cette fois fatal, d'autant que les Polonais auront eu 15 jours pour se préparer, et mettre au point, dans un championnat qui aura recommencé, une condition physique bien trop juste. Comme le rappelle Robert Herbin: "Méfiance quand même..."

En attendant ce match retour, il faut souligner la mise en place d'un calendrier protégé pour les Stéphanois. En effet, en France, on a enfin compris que l'aventure de Saint-Étienne mérite d'être prise en considération.
Le Groupement des Clubs Professionnels qui n'avait pas pensé un seul instant, au moment de l'élaboration de son calendrier, qu'un club français puisse aller si loin en Coupe d'Europe, est contraint de décaler les matches de championnat de Saint-Étienne. L'ASSE est enfin protégée. Et le dimanche, alors qu'on joue dans toute la France, les Verts se préparent.


Gérard Farison, surveillé de près par Marian Ostafinski

Un week-end sans football à Saint-Étienne. Un dimanche studieux. Comme si le temps s'était arrêté. Pas tout à fait du recueillement, mais quand même une sorte de gravité calme et tranquille. L'immense vaisseau du stade Geoffroy-Guichard est vide. Il somnole doucement sous le ciel bas et gris, prêt à affronter la tempête de mercredi. Quand ses entrailles se gonfleront de la passion torride de toute une ville qui espère et qui croit. Quand la clameur montera dans la nuit. Quand l'ASSE se retrouvera face à son destin et aux Polonais du Ruch Chorzow.

Neige et froid sur Saint-Étienne en ce 19 mars 1975.
La nuit précédente, une centaine d'ouvriers ont déblayé 15 cm de neige. Mais dans la journée, les flocons tombant dru sont venus former une moquette blanche sous les pieds des joueurs.
Le speaker de service s'est adressé aux 38.000 spectateurs, dans des termes de mobilisation générale: "Ce soir, Saint-Etienne, c'est la France et la France, c'est vous !".

En tout cas, l'ombre du Légia de Varsovie plane sur le stade Geoffroy-Guichard. En 1969, cette équipe polonaise s'était imposée 2-1 à Varsovie et 1-0 en terre forézienne, effaçant d'un coup l'exploit du tour précédent face à Munich. La même neige, le même public-record, la même ambiance, le même contexte de qualification, autant de similitudes pas très rassurantes. Mais les joueurs stéphanois ne sont pas des gens superstitieux. Ils connaissent leur force et les déboires de leurs aînés ne font que les renforcer dans leur détermination.


Les 11 Verts à l'assaut de la forteresse polonaise

Les faits du match
Saint-Étienne aborde ce match sur les nerfs. Un seul but suffit pour se qualifier. Les Verts ont la tête comme des machines à calculer: 1-0, 3-1, 4-1, etc... En effet, les buts à l'extérieur comptent double, en cas d'égalité sur les deux matches.
Aussitôt après l'engagement sifflé par l'arbitre hongrois M. Sandor Petri, les Verts s'installent dans le camp polonais.

L'ambiance est indescriptible.

Deux offensives stéphanoises dans les deux premières minutes sont brisées par la défense polonaise qui paraît aborder le match avec sérénité. Trois minutes après le coup d'envoi, c'est tout le stade qui se remet à cracher des chiffres. Patrick Revelli s'échappe sur son aile. Kopicera le stoppe sèchement mais irrégulièrement. C'est un coup-franc que Larqué tire parfaitement à la hauteur du point de pénalty. Pressé, Ostafinski dégage faiblement de la tête. Janvion, très offensif, est en embuscade à 10 mètres des buts. Il réceptionne et n'hésite pas. Sa frappe est sèche, et la balle pénètre au ras du poteau. Czaja, le gardien polonais, n'a pas bougé.
1-0, Saint-Étienne est demi-finaliste !


Gérard Janvion ouvre la marque après 3 minutes seulement 

Tout est fini, ou plutôt tout commence. Il reste 87 minutes à jouer...
Va naître en effet, à partir de cet instant, une hantise permanente, la crainte d'encaisser le but qui pourrait tout remettre en question.
Cependant, la tactique stépanoise n'est pas modifiée pour autant. On joue l'attaque pour obtenir un avantage d'un deuxième but quasi-irréversible.
Pendant une demi-heure, la défense polonaise va souffrir aussi intensément que sa rivale lors du match aller, mais en dépit d'occasions multiples, Triantafilos, Patrick Revelli ou Osvaldo Piazza échouent de justesse.
Toutefois, la tendance s'inverse et les 20 dernières minutes de la mi-temps sont pénibles pour les Verts. Ivan Curkovic se doit de sortir le grand jeu. Marx sur coup-franc et Maszczyk se montrent dangereux mais la pause survient sur un score justifié.

A l'entracte donc, Robby passe les consignes: "N'ayez pas peur de vos responsabilités. Mettez-vous à l'abri, un but ce n'est pas suffisant." En fait, c'est la pause-tactique. Herbin n'a que faire des calculateurs. Il insiste: "L'attaque, c'est votre chance" Puis, il passe l'équipe en revue, ligne par ligne.

A Janvion et Farison, il conseille: "N'hésitez pas à monter. Venez en soutien de vos partenaires. Ne soyez pas paralysés par vos adversaires"
A Piazza, il recommande: "Pousse en contre-attaque, Osvaldo"
A Bathenay: "Quand Osvaldo sera devant, prends sa place"
A Larqué et Synaeghel: "Tâchez de vous mettre en position de tir et tentez votre chance. Il neige, le terrain n'est pas bon et leur gardien n'est pas sûr" 
Aux deux Revelli: "Écartez le jeu et servez-vous de la tête de Tintin"

L'arbitre les rappelle au devoir. Les crampons martèlent le sol du vestiaire. Herbin a encore ce mot: "Je sais que vous ferez la différence".


Curkovic et Janvion font le ménage dans l'espace aérien stéphanois

Le premier quart d'heure de la seconde mi-temps est une répétition de la première. Les Verts attaquent sous tous les angles.
Un coup-franc de Gérard Farison, un tir de 25 mètres de Dominique Bathenay, un bolide de Jean-Michel Larqué à la 55e contraignent Czaja à des envolées spectaculaires.
Le suspense est à son comble dans les tribunes. Il atteint son paroxysme lorsque les Polonais, puisant dans leurs ressources morales et physiques, s'organisent en milieu de terrain et commencent à poser des problèmes à la défense stéphanoise.

Pendant 20 bonnes minutes, profitant d'une certaine baisse de régime des Verts, ils rappellent enfin l'équipe du match aller. Benigier, qui a remplacé Marx, puis Kopicera contré in extremis par Janvion, sont à la conclusion d'attaques bien orchestrées et vivement menées. Néanmoins, la défense stéphanoise où Piazza, Farison et Lopez jouent un match de dimension internationale, ne se laisse pas surprendre et les minutes s'écoulent avec une lenteur exaspérante.

Pourtant, comme l'a dit Robby à la mi-temps, Saint-Étienne va faire la différence... mais en fin de match seulement. Tintin pénètre en force dans la surface et deux adversaires, surgis dans son dos, l'abattent. L'arbitre n'a pas d'hésitation. Il avertit Drzewiecki, montre le point de pénalty et reçoit en échange, tout le poids de la colère des Polonais. Deux fois Hervé Revelli pose le ballon et deux fois Maszczyk puis Ostafinski écartent Revelli et repoussent le ballon. C'est le carton jaune à trois reprises, en trois minutes, pour trois joueurs différents.

Hervé Revelli a enfin le champ libre, mais rendu fébrile, il manque un peu sa frappe de balle. Celle-ci va quand même se ficher dans la lucarne. De justesse. Czaja a plongé du bon côté mais ne peut pas aller chercher un tel ballon. 2-0. C'est le printemps pour l'ASSE.


Hervé Revelli double la mise en toute fin de match.
Cette fois, la messe est dite

La finale de la C1 1974-75 se jouera au Parc des Princes alors le public scande: "L'ASSE à Paris !"

Le Saviez-Vous ?
- C'est le 28e match européen de l'ASSE et le tout premier quart de finale disputé par l'ASSE au niveau continental. Si les Verts se qualifieront cette fois-ci ainsi que l'année suivante (face au Dynamo Kiev), cette étape constituera le terminus en 1977, en 1980 et en 1981...

- Pour en arriver là, les Polonais de Chorzow avaient du se débarrasser de Hvidovre (Norvège) en 16e et du Fenerbahce (Turquie) en 8e de finale.

- C'est le Bayern Munich, tenant du titre, qui s'imposera dans cette compétition, la remportant ainsi pour la seconde fois consécutive. Après avoir disposé de l'ASSE en demi-finale (0-0 puis 2-0), les Bavarois décrochent une victoire aisée 2-0 en finale face à Leeds (buts de Roth et Müller). Le Bayern remportera même un troisième titre européen consécutif l'année suivante, une histoire malheureusement bien connue...

- L'ouverture du score de la 3e minute est le second but inscrit par Gérard Janvion sur la scène européenne, après celui marqué face à Atvidabergs en Coupe Intertoto 1971. Le défenseur antillais, auteur de 15 buts sous le maillot vert, récidivera 5 ans plus tard en inscrivant le dernier but d'une fessée 7-0 infligée aux Finlandais du Kuopion Palloseura en Coupe de l'UEFA.

- Plusieurs joueurs du Ruch Chorzow évolueront en France lors des saisons suivantes: on retrouvera notamment Zygmunt Maszczyk à Valenciennes, Romuald Chojnacki à Angoulême puis Cherbourg et Bronek Bula à Rouen puis Arras.

- Étrange club du Ruch Chorzow, loin d'être le plus connu du championnat polonais mais qui vient pourtant de décrocher son 11e titre l'année précédente (il en décrochera un 12e en fin de saison) et sa 3e Coupe nationale. Bien qu'étant la meilleure de son pays, cette formation ne compte qu'un seul international ayant décroché la 3e place lors de la Coupe du Monde 1974 à l'été précédent: Zygmunt Maszczyk. Le club silésien n'ira jamais plus haut que ce quart de finale de C1 dans toute son histoire.


Buteur à l'aller, Triantafilos convoite le ballon de Czaja (photo l'Équipe)

Sources
- Coupes d'Europe Story, les Verts (57-81) - RTL
- La fabuleuse histoire de Saint-Etienne: Gérard le Scour-Patrick Mahé-Robert Nataf
- Verts passion: Christophe Barge et Laurent Tranier
- L'épopée 74-75 : ASSE
- Blog Up and Down