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ASSE et Liverpool, acte 1: Prélude à l'apocalypse...


La feuille de match
Mercredi 2 mars 1977 - Coupe d'Europe des Clubs Champions - Stade Geoffroy-Guichard
1/4 Finale aller: ASSE 1-0 Liverpool
Spectateurs: 37.549 - Arbitre: M. Karoly Palotaï (Hongrie)

Buteur: Bathenay (78e)

ASSE : Curkovic - Janvion, Piazza, Lopez, Farison - Larqué, Santini, Bathenay, Synaeghel - Rocheteau, P.Revelli. Entraîneur: Robert Herbin
Liverpool : Clemence - Jones, Hughes, Thompson, Neale - Mc Dermott, Callaghan, Case, Kennedy - Heighway, Toshack (Johnson 81e). Entraîneur: Bob Paisley

Les faits du match
A l'aube du tirage des quarts de finale de cette C1, mis à part le Dynamo Dresde et Zürich, qui d'ailleurs s'affronteront, il ne reste que des gros: Le Bayern Munich bien sûr, le Dynamo Kiev, Bruges, Mönchengladbach, l'ASSE et le FC Liverpool, tenant de la Coupe UEFA.
Les joueurs de Liverpool, les Reds comme on les appelle, seront donc les prochains hôtes des Verts, avec à leur tête, Kevin Keegan, qui vient de recevoir le ''Onze d'Or''. Petit, musculeux, c'est lui qui orchestre le jeu de son équipe. Sa chevelure ample, bouclée et travaillée lui  donne des airs de chanteur pop.

Mais, en ce 2 mars 1977, celui que l'on surnomme "King Kevin" ou "Mighty Mouse" boîte bas... Keegan forfait ? La rumeur gonfle et remplit d'espoir Geoffroy-Guichard. En costume 2 pièces, Keegan sort des vestiaires de son équipe 45 minutes avant le match, et va directement s'acheter un hot dog et un gobelet de bière.
Devançant toutes les questions, Kevin explique: "Non, je ne joue pas, ce n'est pas possible. Je ne veux pas prendre de risque, car mon élongation à la cuisse n'est pas guérie. J'ai effectué un denier test ce matin: négatif. Cela dit, rendez-vous sur le terrain d'Anfield Road dans 15 jours"
C'est donc Terry Mc Dermott qui le remplace et enfile le numéro 7.

ImageJean-Michel Larqué et Emlyn Hughes, deux capitaines ambitieux

L'arbitre du match ? Un certain M. Palotaï, celui-là même qui arbitrait la finale de Glasgow...
Quant à l'ASSE, elle se présente dans une composition pour le moins inhabituelle: il n'y a pas d'avant-centre. Dominique Rocheteau (qui porte pourtant un bandage blanc autour de son genou gauche) et Patrick Revelli se tiennent à l'attaque.

L'Ange Vert va rentrer tête baissée dans cette partie et en faire voir de toutes les couleurs à son adversaire direct du jour, le Gallois Joey Jones. En effet, le coup de sifflet de l'arbitre hongrois libére l'énergie des Verts, contenue et montée jusqu'à son point maximum dans des vestiaires transformés en cage aux fauves. Une première et timide tentative de Case et la balle revient dans les pieds des Stéphanois qui se jettent sur elle comme sur une proie. Rocheteau, sur l'aile droite, commençe un numéro de dribbles sautillants et Jones, son garde du corps, doit pour la première fois laisser s'enfuir l'Ange Vert qui déborde et centre.

Rocheteau ne laisse aucun répit à ses rouges adversaires du soir

Toutefois, la disposition tactique des Verts avec deux attaquants seulement en position d'ailiers, facilite le travail des arrières centraux anglais dans l'axe de leur but puisque ni Jean-Michel Larqué, ni Jacques Santini, n'occupent l'axe offensif.
Ce qui n'aurait pu être qu'un simple flottement se transforme, par la suite, en une lacune grave, car aucun de ces deux joueurs ne prennent l'initiative de fixer les arrières centraux, qui profitent logiquement de cette liberté inespérée pour venir en surnombre au milieu de terrain.
Thompson en administre d'ailleurs la meilleure preuve quand, à la 10e minute, il se retrouve seul à hauteur du deuxième poteau pour reprendre un centre de Case. Sa reprise passe de peu à gauche.

Hormis ces 10 premières minutes à l'avantage des Verts, la défense anglaise s'organise tranquillement autour d'Emlyn Hughes et le jeu se stabilise dès que les joueurs anglais comprennent tout le parti qu'ils peuvent tirer du déséquilibre tactique de leur adversaire. Les Stéphanois ne sont guère dangereux, c'est une succession de passes latérales. L'ASSE fait du surplace.
Même Osvaldo Piazza, peut-être impressionné par la réputation de son adversaire direct, n'est pas à son avantage: John Toshack, le ''monument'' gallois lui souffle tous les ballons de la tête.
Lopez n'est pas au mieux non plus, perdant totalement ses marques au moment de sa relance. Quant à Santini et Larqué, ils font carrément doublon.

Il ne reste à Patrick Revelli et Dominique Rocheteau que de maigres munitions distribuées avec parcimonie, mais dont ils savent tirer à chaque fois, le meilleur. En 45 minutes, Ray Clemence, le gardien des Reds, voit rouge à deux reprises: à la suite d'un tir de P. Revelli (13e) puis d'un autre de Farison à la suite d'une bonne combinaison Rocheteau-Synaeghel (40e).
On a en revanche l'occasion d'apprécier l'habileté des Anglais, grâce à l'activité de Kennedy et Callaghan, de même que la classe de l'ailier irlandais Steve Heighway que Janvion musèle toutefois à merveille.

Bref, une mi-temps pour rien... comme le regrettera plus tard Robert Herbin.

Les Anglais reviennent sur la pelouse pour un second acte bien différent

La deuxième est heureusement beaucoup plus emballante, le meilleur Saint-Étienne se montre enfin: celui de la solidarité, du don de soi, du courage.
La foule de Geoffroy-Guichard le sent immédiatement et la clameur qui s'était peu à peu éteinte repart avec une nouvelle force pour souligner le pressing des Verts qui hissent le ballon aux quatre coins du terrain.
C'est encore une fois Osvaldo Piazza qui allume la mèche par ses montées ravageuses, alors que Rocheteau et Revelli secouent Neal et Jones qui semblent chaque fois à la limite de la rupture.

Pourtant, le temps s'écoule et la digue des maillots rouges repoussent régulièrement les vagues déferlantes de la marée verte.
Une reprise de la tête de P. Revelli au-dessus de la barre, marque la fin du pressing désespéré des Stéphanois. A la 71e, un souffle glacé fige le stade: Heighway, sur la droite, échappe à Lopez, devançe la sortie d'Ivan Curkovic et tire... sur le poteau.
La sonnette d'alarme: 73e minute: encore un départ de Heighway mais cette fois, Janvion intervient à temps. La prochaine fois, ce sera la sanction !

Alors Piazza se fait violence, trop même car dans sa volonté, sa rage de précipiter les choses, il se cogne sur un mur de joueurs anglais. C'est alors qu'il a un geste déplacé sur Callaghan, dont il mesure immédiatement la gravité. Il tombe à genoux, comme s'il voulait se faire pardonner.
L'arbitre reste bien sûr de marbre et sort un carton jaune, le deuxième cette saison en C1, synonyme pour l'Argentin, de suspension pour le match retour.

C'est alors qu'on ne s'y attend plus que surgit Dominique Bathenay, le joueur qui émerge toujours quand les autres faiblissent, pour marquer de l'extérieur du pied gauche à la 78e minute à la suite d'un corner de Larqué et d'une première reprise manquée de Janvion. C'est le but tant attendu qui soulève Geoffroy-Guichard et fait rugir les populaires. Celles-ci entonnent par bravade la Marseillaise.
Les Anglais ne recolleront pas au score.

ImageBathenay, buteur serein, anticipant son chef d'oeuvre du match retour

A la sortie des vestiaires, John Toshack tient un discours qui en dit long: "Pauvre Saint-Étienne, je ne vois pas comment ces Verts pourront nous empêcher de nous qualifier à Anfield Road dans 15 jours... c'est 'in the pocket' !".
Bob Paisley, le manager général de l'équipe anglaise, se permet même de surenchérir sur les propos du Gallois et d'afficher une parfaite confiance pour le match retour: "Sur ce que j'ai vu ce soir, je peux affirmer que Saint-Étienne ne marquera pas un seul but chez nous le 16 mars. Pour le reste, le public sera là pour nous pousser vers les buts adverses et assurer notre qualification. Aujourd'hui les supporters stéphanois ont été bruyants pendant le premier quart d'heure puis se sont éteints progressivement."

1-0: juste ce qu'il faut d'espoir...

Best of des déclarations d'avant-match de Roger Rocher, s'adressant à son parterre d'invités et notamment:
- à Antoine Pinay, président du Conseil Général: "Ca fait partie des exploits des Verts que d'avoir attiré le Président Pinay au stade Geoffroy-Guichard. Vous êtes l'homme qui savez donner confiance, et c'est précisément de confiance dont nous avons besoin. J'aimerais que le stylo que je vous offre, serve à deux choses: à écrire vos mémoires et à rédiger à l'intention de votre successeur au Conseil Général, une recommandation: Qu'il pense à l'ASSE".

- à Edouard Rochet, président de l'OL: "Je souhaite que votre club prenne la meilleure place possible en championnat, cette saison, afin que l'on continue de disputer la Coupe d'Europe dans le Lyonnais".

- aux clubs amateurs: "C'est à tous les clubs amateurs, qui travaillent patiemment et obscurément, que je dédie cette journée. Si les clubs d'élite progressent, c'est d'ailleurs parce qu'ils ont pris conscience de la nécessité du travail et de la formation. Ce soir, tous nos joueurs, sauf nos deux étrangers, ont été formés à Saint-Étienne, à partir de 16 ans".

- à M. Dubanchet, 1er adjoint au maire, qui vient alors au stade pour la première fois: "Même si vous n'y connaissez pas grand-chose, il suffit, dans un match de Coupe d'Europe, de regarder et d'écouter"

- à la Coupe d'Europe: "C'est aujourd'hui notre 44e match de Coupe européenne. A Liverpool, ce sera le 45e. C'est un nombre impair, car il y a eu une finale... Si nous voulons en revenir à un pair, il faudra une autre finale ! Il faut respecter la Coupe d'Europe, car elle est la plus belle du monde"

- à la presse: "Ca va vous surprendre, mais c'est à vous que je pense aujourd'hui, à vos efforts d'imagination et de créativité pour parler, d'une façon toujours nouvelle, de Saint-Étienne. Je salue tout ce que nos résultats ont permis d'éclosion et d'édition. Je me félicite par exemple que notre vieil hebdomadaire familier France Football, ait pu passer du noir à la couleur..."

M. Palotaï a fort à faire pour tenir les 22 engagés acteurs du match

Bonus "Pour le plaisir"
Le célèbre producteur des émissions littéraires d'Antenne 2, Bernard Pivot, est l'un des 37.549 spectateurs du match ASSE-Liverpool. Il confie ses impressions à France Football:

"Il est bien vrai que les chevaux-légers de Herbin ne caracolaient pas devant l'Anglais comme ils l'avaient fait face au Russe (note de Poteaux Carrés: Dynamo Kiev), au Hollandais (ndpc: PSV) ou au Bulgare (ndpc: CSKA Sofia).
Ce soir-là, ils jouaient au football comme d'autres au ping-pong: à la poussette.

Il est vrai aussi que c'est pêcher contre l'esprit que de dégarnir l'attaque sur son terrain et, en mettant côte à côte les capitaines Larqué et Santini, de gonfler l'Etat-Major. Il est encore vrai que si les joueurs piétinaient, le public, lui, pour la première fois en Coupe d'Europe, doutait, doutant d'abord de lui-même, incertain tout à coup des bienfaits de ses clameurs qui décrurent au fil de la première mi-temps pour renaître, après le but de Bathenay, dans une Marseillaise de soulagement. Il n'est pas contestable non plus que les une-deux sont la plus jolie façon de compter sur un terrain de football, à condition toutefois de pousser de temps en temps jusqu'à trois, troisième coup qui indique toujours l'ouverture, du rideau ou du chemin des filets.

Alors, déçu ? Pas du tout !

Et je maintiens ce qu'avant le match j'ai répondu au Président Rocher qui me demandait si j'étais venu à Saint-Étienne pour y faire une émission: " Non, comme chaque fois, pour le plaisir."
Car on ne prend pas son plaisir au football uniquement dans l'espoir de victoires tonitruantes, dans la communion de soirées triomphales.

L'effort, l'application, l'obstination - vertus stéphanoises de mercredi soir - pour être moins spectaculaires que la domination, l'éclat, la réussite, sont tout autant dignes d'attention et d'intérêt. S'y ajoutait même la curiosité perverse, de savoir comment une équipe un peu minée par le pouvoir, le temps et le Championnat, réagirait devant l'insolente santé habillée de rouge des costauds de Liverpool.
Sur un terrain, l'excitation de l'esprit procure autant de joie que l'excitation des yeux. Et finalement, l'entêtement l'a emporté sur l'équipe qui pratiquait le meilleur jeu de tête.

Est-ce moral ? Il n'y a pas de morale en football, il n'y a que du plaisir. Qui, pour de la morale, sauterait dans un avion, après avoir intrigué sans scrupules pour obtenir un billet payant donnant accès à la moquette verte du très célèbre M. Geoffroy Guichard ? Qui, pour de la morale, se talerait les fesses à une méchante place derrière un grillage (Tribune Henri Point, travée 3, numéro 48) et, après une nuit de commentaires ressassés et de prophéties pour Liverpool, reviendrait à Paris, la voix nouée, ivre de sommeil ?

Décidément, le football c'est le pied !"

Bernard Pivot (Article de France-Football du 08/03/77)


Patrick Revelli harangue la foule après le but de Bathenay

Le Saviez-vous ?
- Une pluie de micros se déverse sur Saint-Étienne à l'occasion de ce match: Europe 1 et RMC y consacrent la quasi-totalité de leurs émissions de la journée. Yves Mourousi, qui présente le journal de 13H sur TF1 à Saint-Étienne, remettra d'ailleurs à Antoine Pinay, l'écharpe verte qui lui avait servi à "nouer" la fin de son émission.

- Les services de police stéphanois seront quelque peu surmenés dans les heures qui suivent la victoire des Verts. Les pickpockets de la ville se montreront en effet particulièrement actifs tant au stade qu'aux alentours.

- Un jeune supporter de Liverpool en transit à Lyon avant le match, se fracturera le crâne en faisant une chute de 5 mètres, et devra être conduit en réanimation à l'Hôpital Edouard Herriot.

- John Toshack ! Cet arrogant Gallois deviendra par la suite un entraîneur reconnu qui posera même ses valises à Saint-Étienne en 2000 en remplacement de Robert Nouzaret... avant de filer à l'anglaise du jour au lendemain quelques mois plus tard, laissant des notes de frais considérables et le club dans une terrible situation sportive.

- Le match retour compte parmi les plus grands moments de l'Épopée des Verts. Qui l'emportera dans l'étouffante ambiance d'Anfield Road ? Pour le savoir, rendez-vous le 16 mars 1977


Les 11 héroïques acteurs de ce match aller

Sources
Coupes d'Europe Story 57-81 - RTL
Mondial n°2
Onze n°15
France Football n°1613
Blog Up and Down