Historien de l'ASSE et conservateur du musée des Verts, Philippe Gastal nous a livré sa réaction à l'annonce de la disparition de l'ancien attaquant stéphanois Bernard Lacombe.


"Je suis très triste ce soir parce que, contrairement à ce que l'on peut penser, Bernard Lacombe avait gardé des amitiés fortes avec beaucoup de Stéphanois et beaucoup d'anciens joueurs de l'AS Saint-Étienne. Je pense en particulier ce soir à Jacques Santini, à Dominique Rocheteau, à Osvaldo Piazza, à Christian Sarramagna qui étaient restés très proches de lui. C'était une amitié de longue date.

Bernard s’est engagé avec l’ASSE l'été 1978, ça a été conclu d'ailleurs pendant la Coupe du Monde, puisque Roger Rocher était le dirigeant français présent en Argentine. Il l'a annoncé alors que Bernard était en Argentine. L'OL était confronté à de gros problèmes financiers. Et à partir de là, Bernard a signé à l'AS Saint-Étienne. Contrairement à ce qu'on peut penser également, c'était quelque part un rêve pour lui parce que l’épopée des Verts l’avait fait rêver. Et donc, il était très fier de rejoindre l'effectif de Robert Herbin.

Il a eu beaucoup de malheurs durant cette saison. Des malheurs sur un plan personnel, familial [notamment le décès de son père, d'un cousin proche avec le quel il avait été élevé, la grossesse très difficile de sa femme, ndp2]. Et donc des amitiés très fortes parce qu'il était d'autant plus aidé par ses copains de l'époque. Certains le connaissaient déjà depuis certaines années. Ils avaient partagé des joies sous le maillot de l'équipe de France. Et à partir des moments difficiles qu'il traversait sur un plan personnel, l'amitié était d'autant plus forte avec certains joueurs stéphanois. Je pense en particulier à Jacquot et à Osvaldo. On peut dire que tous les joueurs stéphanois se sont resserrés autour de lui.

Mais Bernard a surmonté ses épreuves en portant fièrement le maillot vert. Et il a été un buteur reconnu déjà depuis plusieurs années sur un plan national puisqu'il portait le maillot de l'équipe de France. Et il a été à la hauteur sous le maillot vert puisqu'il marque 14 buts en championnat et 4 buts en Coupe de France. Donc 18 buts pour 37 matchs officiels, un très bon ratio. Je pense en particulier à des buts qui me reviennent en mémoire. En particulier celui contre Lyon lors d’un derby remporté 3-0. Je me remémore aussi son pénalty victorieux (1-0) contre Marseille.

On s'est vu un très grand nombre de fois et on a partagé des moments extraordinaires avec Dominique et Osvaldo en particulier sur les 15 dernières années avec des repas en commun. J’ai eu la chance de côtoyer beaucoup de joueurs depuis plus de 40 ans. Presque 50 maintenant... Bernard était certainement l'un des joueurs qui avait le plus de mémoire. Il était capable de te raconter, bien sûr ses buts stéphanois sous le maillot vert mais pratiquement tous les buts de sa carrière alors qu’il est deuxième meilleur buteur de l’histoire du championnat de France (255 pions) derrière Delio Onnis (299), Hervé Revelli (216) étant le troisième. Bernard était capable de te raconter pratiquement tous ses buts. Dans quelles circonstances il avait marqué. Qui lui avait fait la passe. Où ça s'était passé : aux 5 mètres 50. Aux 16 mètres. Il avait vraiment une mémoire incroyable !

A chaque fois que nous allions à Gerland, le plus souvent avec Georges Bereta, Bernard nous recevait. D'ailleurs le soir où nous avons été agressés avec Georges, nous avions vu Bernard juste avant. Comme avant chaque match à Gerland, avec Fleury Di Nallo. Bernard nous recevait toujours d'une façon très courtoise, en souvenir des bons moments passés à Geoffroy-Guichard. Je  n'oublie pas que pour les obsèques de Georges, Bernard était présent à l’Etrat. Pour lui le mot d'amitié était quelque chose de très fort. Il avait une reconnaissance pour les anciens. Il avait cette éducation, cette valeur très forte d'amitié qui revenait souvent dans ses propos, dans ses paroles. C'était quelqu'un de fidèle.

On le savait souffrant, c'est une désolation ce soir. Et la grande tristesse du côté de l'Olympique Lyonnais. Il a marqué à jamais l'histoire de ce club. Evidemment Bernard a marqué à jamais l'histoire de Lyon. Quand on parle de football à Lyon, il est certainement celui qui caractérise, qui symbolise le plus l'histoire de Lyon sur les 50 dernières années tant il a marqué l'histoire de ce club. Mais je pense que son année à Saint-Etienne restera toujours au fond de son cœur parce qu'il avait vécu une saison très dense sur un plan personnel et professionnel en portant les couleurs stéphanoises.

Il est venu d'ailleurs novembre 2023 quand nous avons célébré les 90 ans de l'histoire de l’AS Saint-Etienne. Il était déjà un peu affaibli et était accompagné par un ami à lui, un passionné de cartes. Bernard jouait beaucoup aux cartes comme Jacquot Santini. Je le revois encore dans le bureau du musée des Verts avec Aimé Jacquet et Hervé Revelli. On avait là trois géants du football français, qui ont profondément marqué l'histoire du football français. Et deux des meilleurs buteurs de l'histoire du championnat de France. 

Bernard s'est inscrit dans la longévité à Bordeaux, ce n’est pas rien. Je pense à Aimé, qui doit être très triste ce soir. Il a été son avant-centre pendant la belle période bordelaise. Au-delà du football stéphanois, c'est le football français qui est en deuil ce soir. Je pense également à Michel Platini qui me parlait régulièrement de Bernard. C'était vraiment un homme très attachant. Quand on passait une soirée avec lui, il racontait énormément d'histoires. Avec sa mémoire extraordinaire, on l'écoutait et on partageait sa passion pour le football.

Sur le plan du jeu, Bernard était un vrai renard des surfaces. Il était un peu comme l’Allemand Gerd Müller. Il était à l’affût de tout ballon qui passait dans la surface. Bernard avait un vrai sens du placement. C’était l’avant-centre type, celui que tu souhaites avoir dans ton effectif. Avec lui, tu savais que tout ballon qui traînait dans la surface avant de bonnes chances de finir au fond des filets. Bernard avait ce sens inné du but. Comme Hervé Revelli, Delio Onnis. Ces gars étaient des chasseurs de but, savaient à l’instinct où le ballon allait passer. Bernard avait l’instinct du Buteur avec un grand B."

Merci à Philippe pour sa disponibilité