Avant de retrouver l'ASSE ce dimanche au Stade de l'Aube lors de la 14e journée de L1, Laurent Batlles est revenu pour Poteaux Carrés sur ses vertes années.  Dans ce premier volet de l'entretien, l'entraîneur de l'ESTAC replonge dans ses années de joueur.


Quelques mois après ton arrivée à Sainté, Galette nous avait confié : « Je n'avais aucun doute sur sa capacité à nous apporter ce qu'il nous a apporté car il a une chose de plus que certains : il est passionné par son métier, passionné par le jeu. » Comment est née cette passion et comment l’as-tu cultivée ?

J’ai été depuis tout petit sur les terrains car mon père était éducateur et entraîneur. Ça m’a permis de baigner très tôt dans ce milieu-là. Au fil des années, au fur et à mesure des expériences que je vivais, j’essayais de comprendre ce que mon père faisait. Après je l’ai eu comme entraîneur. J’ai observé ce qu’il faisait avec ses équipes. J’ai cultivé de la sorte ma passion pour le football, j’étais aussi passionné par ce qui se passait ailleurs. Tout ce que me demandaient mes entraîneurs, j’essayais d’en prendre beaucoup. J’étais jeune mais déjà de temps en temps j’essayais de comprendre pourquoi ils faisaient certains exercices. J’étais beaucoup dans le questionnement.

Ton paternel a officié au TFC et t'a entraîné là-bas.

Au départ il était dans la région toulousaine où il avait un petit club. Après il a été au TFC en 17 ans, nationaux, en 19 ans nationaux et après il est parti, il a été adjoint d’Alain Giresse à un moment donné. Après il s'en est allé à Sochaux en tant que recruteur, Jean-Luc Ruty l’a un peu emmené dans les valises. Moi j’ai commencé à 17 ans à jouer en pro donc je n’ai pas eu trop longtemps mon père comme entraîneur, juste un an ou deux.

Après avoir écumé les petits clubs (Toulouse, Bordeaux, Rennes, Bastia, Marseille), c’est seulement à l’aube de tes 35 ans que tu as rejoint en 2010 le plus grand club de France. Pourquoi t’as attendu si longtemps de rejoindre les Verts ?

(Rires) Tu sais que juste avant que je signe à l’OM en 2004, je devais venir à Saint-Etienne. Je crois que les Verts venaient de remonter en Ligue 1. À l’époque mon conseiller en patrimoine était Patrice Lestage, qui malheureusement est décédé depuis [de la maladie de Charcot, à l’âge de 49 ans, ndp2]. Il connaissait bien Sainté car il avait été formé chez les Verts et avait été champion de France avec les Verts en 1981. Je me souviens que je lui avais demandé où je devais habiter. Ça a failli se faire mais ça ne s’est pas fait pour des raisons que j’ignore. J’avais pourtant donné une réponse positive à mes agents, à Jean-Pierre Bernès.

Avant de faire notre bonheur, tu as été notre adversaire. Quand tu jouais contre Sainté, t’étais viril mais pas toujours correct. Tu vois à quoi je fais allusion ?

Je pense que tu évoques ce match dans le Chaudron avec les Girondins. Au départ je ne jouais pas trop à Bordeaux, ce jour-là j’ai joué. J’avais pris un carton jaune et j’en ai pris un deuxième. Mais sur cette action, Jean-Guy Wallemme me pousse dans le dos et ça me touche la main. L’arbitre estime que je fais exprès alors que ce n’est pas du tout le cas. Mais bon ça a toujours été des gros matches à Geoffroy, tous les joueurs quels qu’ils soient aiment jouer là-bas.



Je pensais à ce match mais surtout à deux autres rencontres avec les Violets où tu as pris un rouge direct. Le premier, c’était en 1996 et en D2, t’avais découpé Samba Ndiaye au Stadium.



Le second, c’était aussi à Toulouse, mais 11 ans plus tard pour un tacle sur Geoffrey Dernis.



Ah je ne m’en souvenais pas ! Mais maintenant que tu m’en parles… C’est vrai que c’est bizarre d’avoir pris trois rouges contre les Verts ! (rires)

Ta carrière ne se réduit pas à ça, dieu merci ! Tous les supporters stéphanois gardent de très bons souvenirs de tes deux saisons sous le maillot vert.Toi aussi je présume !

J’ai vécu une fin de carrière rêvée ! Tu le sais autant que moi, je suis arrivé dans un club qui était malgré tout en difficulté. Cela faisait deux ou trois ans que ça vivotait aux alentours de la 17e place. Quand Christophe m’appelle pour me dire : « Est-ce que Saint-Etienne, ça t’intéresse ? » Je lui « oui bien sûr ! » mais on avait quand même des doutes. Je sortais d’une saison compliquée à Grenoble et repartir dans un fonctionnement de maintien, ce n’est jamais facile à faire. Avec le recul, je lui ai dit « allez, on tente le coup ! » Il y avait d’autres anciens qui arrivaient pour gérer un peu le club.

Pour moi ça a été rêvé. J’ai passé deux superbes années. La première, on finit à la 10e place, la seconde on termine 7e. Cela lance un peu le projet que Christophe avait avec des joueurs qui arrivent, avec des résultats… La première saison on aurait pu finir un peu plus haut car à la dernière minute le PSG égalise dans les arrêts de jeu [sur un péno d'un certain Mathieu Bodmer, ndp2], sans ça on aurait été 7e ou 8e. La seconde saison, on a été à la bagarre jusqu’au bout pour l’Europe. J’ai vécu des grands moments au sein du club, j’ai vécu de grands moments avec les supporters.

J’ai vécu des grands moments aussi dans ma vie à Saint-Etienne. J’ai de véritables amis, ça fait plus de dix ans que je suis là-bas. C’était franchement pour moi quelque chose de rêvé. Je ne pense pas que j’aurais pu faire une année supplémentaire car j’allais sur mes 37 ans et c’était compliqué dans la tête aussi. Je pense qu’à un moment donné il fallait arrêter. Finir comme ça, dans ce club-là, avec ces supporters-là, c’était extraordinaire.

Le bilan statistique de tes deux vertes années de joueur : 75 matches dont 39 titularisations, 8 buts et 6 passes décisives. T’as assuré « papy » ! Y’a un pion qui t’a marqué en particulier ?

Celui que j’ai mis contre l’OM à Geoffroy ma première saison. On ne savait pas trop où se situer. On avait gagné des matches mais on en perdait, on avait des résultats en dents de scie, ce n’était pas linéaire et assez compliqué. On est mené 1-0 par une belle équipe de Marseille qui a d’ailleurs fini deuxième cette saison-là derrière Lille. Je marque suite à une jolie combinaison entre Dimi et Blaise, qui me met un centre parfait. Je me souviens bien de ce but, j’ai cru que la tribune allait nous tomber dessus. Il y avait une ambiance énorme.



C’était ton premier but en Vert dans le Chaudron mais tu avais déjà trouvé le chemin des filets dans un stade que tu connaissais très bien.

Oui, j’avais marqué de la tête contre Toulouse au Stadium sur un centre impeccable d’Albin Ebondo, avec qui j'avais d'ailleurs joué plusieurs saisons au Tef.



T’as de ses nouvelles au fait ? Il avait arrêté sa carrière en 2012 à la surprise générale puis caressé l’espoir un peu fou de la reprendre après plus de cinq ans d'arrêt. Tu lui avais d’ailleurs permis de faire la prépa estivale de la réserve, en 2017 et en 2018.

Oui, Albin voulait se relancer, il souhaitait rejouer donc on lui a filé un coup de main. Mais depuis je n’ai plus trop de nouvelles.

Revenons à ton pion contre l’OM. Quels souvenirs gardes-tu de Dimitri Payet et Blaise Matuidi ? Tu les as bien cornaqués ?

C’étaient à l’époque deux joueurs en devenir, qui avaient connu des difficultés à Saint-Etienne avec des histoires un peu bizarres. Quand on est arrivé, ce sont des joueurs qui se sont vraiment mis au diapason de l’équipe. Ils ont trouvé leur place et aussi de la cohérence dans leur jeu. Ils étaient influents dans beaucoup de choses. J’ai passé de bons moment avec eux. Que ce soit avec Blaise, que j’ai eu au téléphone il n’y a pas longtemps, mais aussi avec Dimi que j’ai un peu moins, je suis à chaque fois heureux de les revoir.

Blaise t’avait rendu un bel hommage il y a cinq ans dans son autobiographie "Au bout de mes rêves" : « Conscients de la nécessité d'apporter de l'expérience au groupe, la direction et le coach avaient misé sur des valeurs sures de la L1 avec Laurent Batlles, Sylvain Marchal, Albin Ebondo et Carlos Bocanegra. Nous avons tout de suite ressenti les bienfaits de cette stratégie, avec un effectif mieux équilibré et bien plus serein. Celui qui a eu le plus d'impact, c'est indéniablement Laurent Batlles. A 35 ans, il connaissait par cœur le championnat et s'est très vite imposé comme l'un des principaux leaders de l'équipe. Aussi réfléchi sur le terrain que dans la vie, il savait comment motiver les troupes et créer de la solidarité. »

C’est sympa ce que dit Blaise. Tu sais, quand Christophe m’a appelé la première fois, il m’a dit : « Ecoute Laurent, je suis à Saint-Etienne, ils m’ont confirmé dans mon poste. Est-ce que tu veux venir m’aider ? » Je lui ai dit que c’était avec plaisir. Moi je l’avais connu à Bastia en tant qu’adjoint. Au départ, quand je suis venu, je suis arrivé dans cette optique, celle de l’aider à construire une équipe, à aider les jeunes joueurs à comprendre ce qu’ils devaient faire. L’idée, c’était vraiment de construire un groupe tout en essayant de gagner ta place. Quand t’es compétiteur et je l’ai toujours été, t’as envie de jouer, t’as envie de gagner ta place, t’as envie d’être titulaire.

Mais j’étais venu pour aider Christophe à faire grandir un effectif. Il y avait de la qualité, il fallait juste que certains en prennent conscience et se mettent au travail aussi. De fil en anguille j’ai fait comprendre à des Dimi, des Blaise ou d’autres qu’il fallait travailler, que l’assiduité à l’entraînement était importante. Que tout le travail aussi en dehors, la récupération invisible, tout ce qui se passait, c’était très important. Au fur et à mesure des matches et des résultats, ils ont pris conscience de certaines choses. Ça leur a permis ensuite de pouvoir partir.

Sur une passe de Manu Rivière consécutive à une longue relance de Bayal Sall, tu as également marqué contre l’AS Monaco de Stéphane Ruffier et Pierre-Emerick Aubameyang, qui ont rejoint les Verts l’année suivante. Aubame et toi aviez brillé à Annecy contre l’ETG : il t'avait fait marquer et tu lui avais rendu la pareille. Ruff et lui sont-ils les coéquipiers stéphanois qui t’ont le plus impressionné ?

La première année, Dimi et Blaise c’était quand même fort. Il y avait aussi Josuha Gulavogui qui a pris une envergure intéressante au milieu de terrain. La deuxième année, on a eu la chance aussi d’avoir des joueurs très importants comme Ruff bien sûr. Aubame au début a eu un peu de mal mais après il est devenu de plus en plus important. Mais il y a quand même un joueur qui m’a vraiment impressionné, c’était Kurt. Quand il a rejoint le groupe pro il était vraiment très jeune mais on avait l’impression qu’il jouait déjà depuis un moment.

Beaucoup de joueurs ont été importants, je pense notamment à Fabien Lemoine et Jérémy Clément. Il y a pas mal de joueurs qui ont montré beaucoup de belles choses. Mais le plus important, c’est que la qualité individuelle de chacun tirait le collectif vers le haut. C’est ce que Christophe a su garder par la suite. Les performances individuelles de chacun permettaient à l’équipe de s’exprimer et de performer. Je me souviens par exemple de Baky Sako qui faisait de très belles choses. Beaucoup de monde a réussi à grandir dans cette façon de voir les choses.

Baky t’avait d’ailleurs fait une passe dé lors d’une belle victoire contre Rennes. Max Gradel en a fait de même lorsque que tu as marqué l’unique but de la victoire contre le VAFC de Renaud Cohade.Tu l’avais bien pris sous ton aile le petit poulet !

Quand Max est arrivé d’Angleterre, au début, ça n’a pas été facile pour lui. J’ai eu de très, très belles relations avec lui. J’ai essayé de lui faire comprendre certaines choses par rapport à ses qualités. Par la suite il a grandi. C’était un joueur très intéressant pour nous et pour le club.

Ton père avait soufflé son nom à Christophe Galtier ?

Oui, avec Thierry Laurey. Mon père était allé avec Thierry voir jouer Max qui jouait à Leeds à l’époque. Mon père m’avait dit que Max était un joueur déroutant. Après il fallait qu’il comprenne que de temps en temps il devait jouer avec les autres mais il avait de grosses qualités. C’était une bonne recrue, il a beaucoup apporté à l’équipe.

Il fait en effet partie de ceux qui ont enflammé le Chaudron. Geoffroy-Guichard, c’est la plus grosse ambiance que t’auras connue dans ta carrière ?

Oui, avec le Vélodrome. Ce sont deux stades où tu vis des choses très fortes. J’ai bien aimé aussi l’ambiance de Lescure, à l’époque beaucoup de monde venait au stade supporter les Girondins. C’est vrai que Geoffroy-Guichard c’est particulier. J’y ai vécu des moments très forts, ça vibre. Est-ce que c’est lié aussi au fait que j’étais en fin de carrière, que les supporters sont proches du terrain. Le stade est fantastique quand il est plein, quand tu portes ce maillot vert et que tu as la chance de vivre des grands moments. Moi j’ai vécu deux ans où même s’il y avait des travaux, il y avait quand même du monde. J’ai vraiment vécu de grands moments à Geoffroy.

Tu as également vécu un grand moment en banlieue.

Ah, ce 100e derby ! Enorme. On m’avait dit « tu vas voir, le derby c’est vraiment particulier ». Mais tu ne te rends pas compte de ce que ça représente au départ. C’est une fois que tu l’as vécu que tu réalises ce que ça représente. Quand tu vis le derby, l’engouement la semaine… C’est sans équivalent. Tu vois, j’ai vécu des PSG-OM très particuliers, notamment quand on est allé avec Marseille à Paris avec Fiorèse et tout ça. Il y avait de l’animosité mais le derby c’est encore autre chose. Le derby, c’est vraiment un match à part. C’était vraiment savoureux de gagner ce 100e derby. On a été acculé une heure ou une heure et quart. Et il y ce coup franc obtenu par Loïc et transformé magistralement par Dimi. C’était magique ! On n’était pas favoris, on avait des choses à se prouver. Vivre ça, l’accueil par les supporters à notre retour à l’Etrat… C’est inoubliable !

Mon dernier match a aussi été un moment fort en émotions, parce que toute ma famille était là. J’ai pu communier une dernière fois avec le public de Geoffroy-Guichard. Les supporters stéphanois, c’est quelque chose ! Même à l’extérieur, il y a toujours du monde. J’ai adoré cette ferveur. C’est pour ça que c’est important de leur rendre sur le terrain cette passion. Cette façon de voir les choses a toujours été très importante pour moi. Au fur et à mesure que tu joues dans cette équipe-là, que tu t’investis dans le local, tu te rends compte de ce que tous les gens vivent. Aujourd’hui mes amis sont supporters de Saint-Etienne. Ils l’étaient avant que j’arrive et bien sûr ils le sont encore. Il faut s’imprégner de ça pour se rendre compte ce que ça représente d’être supporter des Verts. C'est très fort.

À ton arrivée à Sainté, tu avais exprimé le souhait de remporter un trophée avec Sainté car tu n’en avais jamais eu dans ta longue et belle carrière. T’as raccroché les crampons en 2012 et c’est l’année suivante que l’ASSE a remporté la Coupe de la Ligue. Ça te laisse des regrets ?

Non, ce n’est pas un regret. C’est sûr que ça aurait été l’apothéose de boucler ma carrière de joueur en soulevant un trophée. Mais la fin de carrière que j’ai vécue à Saint-Etienne m’a suffi en fait. Ce que j’ai vécu là-bas, pour moi comme pour ma famille... Il n’y a pas eu de fausse note. C’est beau de finir sa carrière à Saint-Etienne. Comme Coco venait à Saint-Etienne, Valenciennes m’a demandé si je voulais faire le chemin inverse. Beaucoup de clubs de Ligue 2 m’ont sollicité aussi mais ça ne me disait rien. Arles-Avignon également m’avait contacté à un moment donné. Je voulais finir comme j’ai fini. Je ne voulais pas repartir dans un chantier ; Sainté, c’était la fin rêvée, je n’avais pas envie de jouer ailleurs. Et j’ai eu la chance de pouvoir entamer dans la foulée ma reconversion à l'ASSE. 

 

Merci à Laurent pour sa disponibilité