À la pause café de mon nouveau taf, l'autre jour, on parlait de destinations de vacances. Ça a lancé des Dubaï, des Canaries, du Portugal, du Vietnam... Alors forcément, tout le monde s'est bien foutu de ma gueule quand j'ai dit que mes prochaines vacances c'était un weekend de foot en Allemagne pour aller voir du championnat féminin et de la D3. L'avantage c'est que si j'étais parti dans une destination exotique faite d'eau noire et de sable cristallin (ou l'inverse je sais plus), d'une j'aurais plus une thune, de deux j'aurais pas pu venir vous partager à quel point mes collègues avaient tort.
SG EINTRACHT FRANKFURT FRAUEN - FC BAYERN MÜNCHEN FRAUEN
Quand on arrive en Allemagne en train depuis la France, il y a toujours ces petits détails pour se réacclimater en douceur. Le sens de circulation a changé quand on est rentrés en Alsace, la vitesse décroît, les quais sont beaucoup plus ouverts au public... Mais surtout, l'arrivée dans un pays où les pouvoirs publics respectent beaucoup plus le football de club. À peine descendu sur le quai du noeud central des métros de Francfort, la station Hauptwache, on se retrouve en effet nez à nez avec des légendes de l'Eintracht jusqu'aux années 2010 environ dont notamment Jürgen Grabowski, considéré comme le meilleur joueur de l'histoire des
Adler. De quoi poser l'ambiance dès le départ, même si ce soir on va plutôt se poser chez mon pote N. (toujours le même) pour voir la fin du pitoyable match du HSV contre Braunschweig et découvrir le quartier de Bornheim, un coin étudiant et pas trop cher (pour selon) de Francfort.
C'est seulement le lendemain qu'on se lance accompagnés de la copine de N. dans le S-Bahn plein à craquer. Direction le
Waldstadion ("stade de la forêt") de l'Eintracht Frankfurt, un nom qui ne ment pas sur la marchandise puisqu'il émerge d'entre les arbres après une marche d'une dizaine de minutes où l'on croisera notamment une belle fresque honorant des ultras disparus, des stands de bouffe et de nombreux stickers des différents groupes locaux, amis (notamment le Chemie Leipzig) et visiteurs d'un soir. Ce chemin bordé d'arbres a des airs de carte postale au printemps, mais avec la configuration des lieux je me dis qu'il a dû voir passer des moments plus chaotiques.
Plus on se rapproche et plus une pensée en apparence absurde s'immisce dans mon esprit: le Waldstadion n'a rien d'impressionnant. De l'extérieur, dominé par les arbres, les projos, l'étrange tour ornée du logo du club et les nombreux avions qui préparent leur atterrissage pas très loin, ce stade de presque 60.000 places paraît tout rabougri comme si tout le poids de son naming merdique ("Deutsche Bank Park", pitié) s'affaissait sur lui. Le cafouillage au niveau des entrées, qui nous bloque une dizaine de minutes, n'arrange rien à la perception.
Une fois à l'intérieur, cependant, les choses paraissent bien différentes. On est idéalement placés au beau milieu du 2ème anneau de la tribune latérale Jürgen-Grabowski (encore lui) avec une pente juste assez prononcée pour assurer une visibilité optimale même avec des tribunes pas très proches du terrain. Écran géant (un peu caché par une poutrelle d'ailleurs, pendant tout le match je ne vais que deviner le compteur) au centre du terrain comme en NBA, toiture de tribune tout en toile et en câbles, le Waldstadion est clairement un stade ultramoderne fignolé dans le moindre détail... Néanmoins, je n'ai pas l'impression d'avoir une réaction allergique, en tout cas une autre que celle due au pollen, comme ces stades qui rappellent le Cochonou Stadium peuvent en provoquer. Si l'ambiance est beaucoup plus familiale, détendue (fans du Bayern et de l'Eintracht se côtoient tranquillement dans ma tribune) et féminisée pour ce match, elle n'en est pas moins populaire car les tarifs restent abordables: 15€ pour notre place qui en vaudrait peut-être 150 chez les mecs !
Il faut en effet rappeler qu'aujourd'hui on ne va pas voir la bande à Nkounkou, enfin s'il est encore accepté dans l'équipe avec son intelligence de jeu digne du Baloo en peau de léopard qui servait de mascotte au kebab de la veille, mais leurs homologues féminines pour un match excessivement important: les deuxièmes contre les premières, Munich comptant 6 points d'avance sur leurs hôtes du jour au coup d'envoi. Une défaite et le titre de
Frauen-Bundesliga 2025 est presque mathématiquement dans la poche pour le Bayern, une victoire et les
Adler pourraient se prendre à rêver d'une folle remontée. Un peu plus de 30 000 personnes se sont déplacées pour ce match, une affluence qui m'impressionne mais que N. trouve décevante : il faut dire que son club du HSV venait tout juste de remplir les 57 000 places du
Volksparkstadion pour le derby du Nord contre Brême, là aussi chez les filles. Et en D2. On est un pays de foot ou on ne l'est pas.
À notre gauche, la célèbre
Nordwestkurve, siège des ultras de Francfort réputés parmi les meilleurs d'Europe, n'est aujourd'hui ouverte que dans sa partie basse. Quelques drapeaux flottent timidement, on sent que les habitués manquent à l'appel puisque l'on entend principalement le parcage munichois, pourtant très clairsemé mais composé de gens motivés qui ont pensé à ramener de bons tambours. Hâte de voir tout ça se mettre en place alors que le coup d'envoi est donné après un hommage à Doris Fitschen, ex-internationale allemande récemment décédée qui a remporté plusieurs trophées avec son pays et son club du 1. FFC Frankfurt, un monument du foot féminin allemand absorbé depuis 2020 dans l'Eintracht.
Francfort attaque pied au plancher, les joueuses veulent mettre le pied sur le ballon, leurs adversaires semblent plutôt vouloir mettre le pied sur elles. La DC de Francfort Jella Veit sort ainsi sur blessure dès la deuxième minute ! Ça n'intimide pas les francfortoises, organisées dans un 4-4-2 losange assez vivant, qui lancent des incursions intéressantes mais avec trop d'approximations techniques pour espérer aller au bout. Comme dans un remake de cette scène d'Indiana Jones avec le virtuose du sabre face au gros cainri avec son pistolet les munichoises attendent tranquillement les contres pour montrer toute leur expérience, ça paye rapidement à la 12ème minute. Sur un long ballon dans le dos de la défense, l'ailière gauche Bühl réalise un joli crochet puis sert la 9 Schüller, qui n'a plus qu'à pousser au fond:
Eintracht 0 - 1 Bayern. Un bon petit pourcentage des gens se lève dans la tribune Jürgen Grabowski (pas moi, la dernière fois que j'ai apprécié le Bayern c'est quand Altintop et Luca Toni jouaient donc autant dire que ça date) qui applaudit dans son intégralité une joueuse du Bayern qui semble s'être fait mal sur le but, plutôt fair-play.
Alors qu'on entendait surtout les visiteurs, le kop local commence enfin à se réveiller avec des écharpes agitées façon "aléaléaléoh". À son image, l'Eintracht repart dans ce match avec d'autant plus de volonté de marquer et y parvient presque quelques minutes plus tard. La 10 Ayomi est lancée à 40m et ne voit pas la joueuse lancée sur sa gauche, à la grande déception de tout le stade, mais celle-ci finit finit néanmoins par être trouvée aux 6 mètres, son enchaînement amorti poitrine-reprise rase tout juste le poteau. La tribune Grabowski reprend un petit "Frankfurt [clap-clap-clap] Frankfurt" et des sifflets envers les joueuses du Bayern pour marquer le coup, mais Schüller manque bien de rétorquer de nouveau avec une frappe sur le poteau suivant un énième ballon mal négocié dans le dos de la défense francfortoise.
On connaît ce genre de physionomie qui craint, les munichoises ont clairement plus d'expérience et le font savoir. Elles sont de plus portées par un kop certes petit, mais bruyant et surtout très constant qui enchaîne les chants assez simples avec une aisance qui fait plaisir aux oreilles. On approche de la 30ème minute et ils lancent un chant un peu plus original, à l'air tendu, qui finit par un puissant
"die Bayern, die Bayern, die Bayern !". C'est le moment parfait pour l'expérimentée n°10 danoise du Bayern Harder de montrer qu'elle est better, faster et stronger avec un excellent déboulé sur le côté gauche, ça cafouille un peu dans la surface et l'inévitable finit par se produire avec une reprise de Klara Bühl à bout portant qui termine au fond... Sauf que non tout va bien, le but est annulé. Sauf que si en fait il finit par être accordé, va comprendre.
Eintracht 0 - 2 Bayern, il est clair chez tout le monde que les bavaroises viennent de tuer le match mais ça n'empêche pas le kop francfortois de repartir de plus belle, on voit un bon petit noyau d'une cinquantaine de personnes sauter sur la gauche et ils demandent clairement à ma tribune de les accompagner... Mais ça reste trop désynchronisé, trop timide, ça manque de percussions, exactement à l'image des attaques de leur équipe. Bon, gardons tout de même à l'esprit que c'est déjà très impressionnant pour du foot féminin, le jour où on aura ça à Sainté on pourra déjà être fiers.
Sur la fin de la mi-temps c'est morne plaine à part la pression sur l'arbitre qui s'accumule, puis d'un coup on entend un énorme roulement de basses. Les supps de Francfort ont enfin pu sortir leurs tambours, voire carrément ramener un sound system pour rendre hommage à Sven Väth ? Raté, c'est juste un avion qui passe au-dessus du stade. Le score en restera là à la pause malgré les efforts des munichoises (un excellent double arrêt de la gardienne du SGE les prive du 0-3) comme des francfortoises (qui trouvent le moyen de rater coup sur coup un contre rapide et une action construite en 15 secondes, c'est fatigant). L'occasion de se dégourdir les jambes, d'aller chercher une autre bière et d'observer les nombreux sticks qui ornent les sièges de la Grabowski: même si c'est pas de manière groupée, il y a des ultras ou sympathisants qui sont venus soutenir les filles aujourd'hui.
Celui avec le cochon de Darmstadt passé au broyeur est un peu gore, mais perso j'adore
La Nordwestkurve ne s'est pas dégonflée pour la reprise, au contraire: ils ont sorti une pelletée de drapeaux blanc et noir comme animation pour soutenir leurs joueuses. Ça n'aura malheureusement aucun effet contre l'efficacité clinique du Bayern puisque Harder, clairement la meilleure joueuse sur le terrain, claque le troisième à la 48ème d'une reprise dans la surface tout en simplicité.
Eintracht 0 - 3 Bayern, clairement le match devient secondaire et ça libère quelque part le kop francfortois qui reprend le dessus en lançant l'hymne du club, pas mal repris par ma tribune. Ils enchaînent avec un chant "épelé", assez courant en Allemagne, des initiales S.G.E. Bon leur catalogue n'est certes pas très varié vu qu'il avait déjà été repris en première mi-temps, mais quand ça veut ça pousse pas trop mal ! Ça souligne même un temps fort des joueuses de l'Eintracht qui cadrent ce qui semble être leur premier tir à la 57ème sur une double occase joliment bloquée par la gardienne Mahmutovic. Celle-ci sera la joueuse mise en lumière dans cette seconde mi-temps où le Bayern se contente de gérer, sans faire injure à son homologue qui n'a pas fait de vraie cagade il y a clairement une classe d'écart entre les deux en termes d'aura. Crochets, frappes de loin, tirs à bout portant, Mahmutovic bloque tout et finit par écœurer complètement le Waldstadion.
Le kop du Bayern continue lui sans interruption avec un chant sur l'air de "siamo tutti antifascisti", puis à ma grande surprise l'air de "Saint-Étienne encore et toujours" ! Bon ils ont que des vocalises et pas de paroles, mais ça suffit à donner le sourire. Après un dernier "tous ensemble, tous ensemble" des bavarois qui rappellent à N. et moi des souvenirs rigolos d'Anvers, le match se finit avec des applaudissements sincères des fans des deux camps. Malgré la lourde défaite presque synonyme de titre pour leurs adversaires du jour les joueuses viennent communier avec le public, il faut dire qu'elles n'ont pas démérité.
En bon touriste affamé je prends quelques photos, des frites (très salées mais pas mauvaises) et un briquet aux couleurs de l'Eintracht en guise de souvenir, puis on repart sur le chemin du tram pour une quinzaine de minutes. Drôle de trajet puisqu'on croisera un gars qui brandit fièrement l'écharpe d'un club complètement inconnu (le SV Teutonia Köppern, même pas pu trouver dans quelle division ils jouent) en menant un groupe d'une vingtaine de fans de l'Eintracht, un espace techno en plein air qui semble appartenir au club pour les après-match et des tyroliennes perchées à une quinzaine de mètres de hauteur empruntées par les gamins du parc d'acrobranche d'à côté. Sans oublier bien sûr d'autres fresques sympa.
Oui, j'avais oublié de dire qu'ils sont TRÈS fiers d'avoir remporté la coupe nationale
L'attente dans le tram (qui met du temps à décoller, mais au moins y'a pas autant de foule qu'avec le S-Bahn) est un peu pénible mais la récompense est vite au bout quand on peut s'allonger dans l'herbe des quais de Sachsenhäuser, le quartier festif le plus connu de Francfort, visiter le centre-ville et rentrer tranquillement pour jouer aux cartes et se reposer pour le lendemain. Car oui, c'est très loin d'être fini.
SV WALDHOF MANNHEIM - TSV 1860 MÜNCHEN
Le réveil à 8h30 pique un peu pour ce qui est censé être une période de vacances, mais c'est nécessaire pour avoir le temps de déjeuner avant de filer dans le train direction Mannheim pour un peu plus d'une heure de trajet. Aujourd'hui je suis seulement accompagné de N. qui a fait ses études là-bas, mais il se trouve que je connaissais déjà la ville par une autre pote: aucune surprise donc en entendant qu'on va laisser nos sacs "vers le
Türkische Viertel [quartier turc]", en arpentant le quadrillage parfaitement millimétré du centre-ville où les plaques de rue sont remplacées par des assemblages "lettre-chiffre" comme à la bataille navale, en sentant l'étonnante mais délicieuse odeur de chocolat qui inonde les rues près du port ou surtout en voyant dans la gare centrale un énorme vitrail représentant le logo des
Adler, pas ceux d'hier mais l'équipe de hockey sur glace de la ville.
Car si Mannheim brille en hockey ou encore en handball avec les Rhein-Neckar Löwen, côté foot le SV Waldhof (nom repris de celui d'un quartier au nord de la ville) est clairement à la peine. Le club fondé en 1907 est englué depuis plusieurs années en 3. Liga, une division où la concurrence est féroce et d'où ceux qui chutent ne remontent parfois plus jamais, alors que d'après N. son niveau sportif aussi bien qu'en termes de suivi est plus digne de la D2. Le club a en effet performé en Bundesliga et en 2. Buli dans les années 80 et 90 mais a ensuite connu une longue traversée du désert de l'amateurisme entre barrages ratés, problèmes de licence et supporters trop explosifs comme on le verra vite et comme en atteste le barrage perdu sur tapis vert en 2018 contre Ürdingen. Remontés en 2019, les
Buwen (qu'on pourrait traduire par "les gars") ont d'abord connu quelques bonnes saisons avant de se maintenir de justesse l'an passé ; cette saison s'inscrit malheureusement sous les mêmes auspices puisqu'ils se retrouvent au coup d'envoi 16èmes et donc premiers non relégables, à égalité de points avec la réserve de Hanovre 17ème. Oui en Allemagne les réserves peuvent jouer dans une D3 où l'accession est si difficile que même un champion de D4 peut rater la montée, c'est vraiment complètement con et c'est au moins un point où on peut être contents du système français.
Un mot également sur les adversaires du jour, peut-être un peu plus connus: le TSV 1860 est l'autre club de Munich, bien moins avantagé par le destin que son rival éternel du Bayern mais générant malgré tout une passion intacte. Si le Waldhof mériterait d'être en D2, pour 1860 (ou
Achtzehn-Sechzig en allemand) la plupart des gens indiqueraient plus probablement la D1 même si le club ne l'a connue que pendant 20 de ses très nombreuses années d'existence, la dernière fois en 2004. Niveau joueurs célèbres c'est un club qui a quand même vu passer Rudi Völler, Abedi Pelé, les frères Bender, Kevin Volland, Davor Šuker...
La seule fois que j'ai rencontré des supporters de
Sechzig, c'était pendant une réunion de famille (la leur, pas la mienne même de très loin) incroyablement bizarre où tout le monde était complètement arraché. Forcément j'ai donc très hâte de recroiser la route de ce club et de ses fans, un peu moins de croiser la route des flics qui sont absolument partout en centre-ville, à la gare et près du stade. Le match a en effet été classé à risque important puisque les ultras de 1860 sont potes avec ceux de Kaiserslautern, l'énorme rival du Waldhof comme nous le rappelle dans le tram une écharpe
"Scheiß Kaiserslautern" avec une énorme merde fumante au centre, incongru mais bien marrant. Pourtant, plus on se rapproche, plus le réflexe français d'avoir peur au moindre geste du moindre keuf s'estompe: on sent en effet un gros professionalisme dans la gestion du déplacement et si les effectifs sont aussi nombreux, ça semble être pour pouvoir intervenir très rapidement sans gros matériel (bon, y'a quand même un canon à eau dans un coin au cas où) plus que pour jouer les cowboys. La plupart des supporters sont même venus en train depuis Munich, ce qui semblerait complètement fou en France.
Entre les enjeux sportifs et de tribunes, il y a quelque chose de magnifiquement méchant dans l'air. Le Carl-Benz Stadion se trouve à deux pas du Technoseum (musée de la technique, que je recommande absolument à quiconque a un peu de temps devant lui à Mannheim), dans le quartier cossu d'Oststadt, mais c'est impossible de trancher plus que ça avec son environnement à part peut-être en sélectionnant Loïs Diony en Équipe de France. Tout autour de ce stade à l'anglaise aux tribunes de tôle sommaire et de béton, avec des petites fenêtres sur le haut, pue le foot populaire défouloir comme on l'aime. Forcément les contrôles à l'entrée sont un peu plus poussés qu'hier, mais rien de bien scandaleux.
Bière et saucisse en main on tente d'accéder à nos places (là aussi à 15€, dans le secteur le moins cher du stade cette fois-ci) dans le bloc H, l'angle de la tribune debout qui touche le kop, mais l'accès est fait un peu n'importe comment. Bah c'est pas grave, on va juste aller en bloc M dans l'autre angle de la tribune Est Otto-Siffling, de toute façon personne contrôle. L'intérieur du stade est tout aussi fidèle à ce côté authentique que la boutique officielle du club revendique jusque dans leurs écharpes "Working Class Football" (et franchement qu'ils ne s'en privent pas, c'est pas des conneries). Le mélange d'odeur de weed, de bière, d'orage et de peinture emprisonnée dans le béton est tellement reconnaissable à la première seconde que faire plus d'envolées lyriques là-dessus, ça serait justement lui faire injure. C'est le foot populaire, celui qui m'a fait tomber amoureux de GG, vous le connaissez, je le connais, il est là.
"Pour toujours blanc et bleu", petite animation très sympa des supps de 1860
En plus, la configuration du stade fait qu'on entre dans la tribune en faisant face au parcage visiteurs de... 4000 personnes. Quatre mille. Pas la capacité, le vrai remplissage (en tout cas d'après la télé, mais à l'œil on estime au moins 2500 pélos dans la Westtribüne ce qui est déjà extraordinaire). Pour un match de D3 chez un relégable, alors que Sechzig n'a plus rien à jouer. D'accord, je comprends mieux pourquoi les allemands mettent ce club dans leur Bundesliga "All-Stars".
Les munichois ont à cœur de faire le plus de bruit, mais ils n'auront pas la tâche facile parce que le kop de Mannheim est aussi en forme. Divers groupes tels que les Ultras Mannheim, les Maddogs ou le plus récent NWA (pour
Neckarstadt-West Asozial, mais la référence évidente au groupe de rap se retrouve jusque dans la police d'écriture) s'unissent sous un sympathique tifo dans le secteur central de la Otto-Siffling Tribüne avant de brandir leurs drapeaux respectifs. Les joueurs entrent à peine sur la pelouse que le match est déjà bien entamé en tribunes puisque les fans de Sechzig répondent avec un gros cavese, une grecque et même quelques pots de fumée.
Côté Mannheim ça entonne à fond l'hymne du club (après que la sono du stade diffuse les premières notes de Met Her at the Love Parade, parce que pourquoi pas), les seulement 15 000 et quelques supporters présents donneraient presque l'impression d'être deux fois plus nombreux. Une fois le coup d'envoi donné le Waldhof en 3-5-2 attaque à fond, ils bouffent les visiteurs et auraient pu ouvrir le score avec un bon crochet suivi d'une frappe à l'extérieur de la surface mais c'est contré. Les 20 premières minutes sont irrespirables pour les munichois qui semblent ne pas avoir plus d'ambition que de chercher un nul tranquille.
Le "shalalalala Waldhof Mannheim" du kop sur notre gauche dure une éternité. 1860 se remet doucement dans le match avec une première occase franche autour de la 20ème malgré une possible faute sur un Buwe, de toute façon ça passe à côté. Le kop lance alors un sympathique appel-réponse à trois secteurs avec le nôtre et la tribune latérale côté Nord (même si dans les faits c'est surtout l'autre extrémité de l'angle debout) où tour à tour ça gueule "S", "V", "W", nous on joue le rôle du S madafack. Petite provoc du secteur munichois à laquelle ma tribune répond par un
"Sechzig, hier ist Waldhof" ("1860, ici c'est le Waldhof").
Arrive alors la 41ème minute et le kop lance, malgré lui, un chant prémonitoire. Un chant magnifique en plus, apparemment unique en Allemagne, sur un air tout simple de "allez alleeeez", qui rend un hommage très réel (on le sait que trop bien en tant que supporters de Sainté) à la difficulté que ça peut être de soutenir des clubs en galère. Pour la peine, voici les paroles:
Ooh SVW, wie Heroin
(Oh le SVW, comme l'héroïne)
Ich will weg von die doch kann mich nicht entzie'n
(J'aimerais couper les ponts avec toi mais je n'y arrive pas)
Es ist ein Kampf, es tut so weh
(C'est un combat, ça fait si mal)
Doch wenn der Schutz sitzt ist die Welt wieder ok
(Mais quand la frappe finit au fond, le monde est à nouveau supportable)
Dans une ironie cruelle, les dieux du foot dans leur casemate très loin sous terre appuient à ce moment précis sur le bouton "concéder penalty stupide" normalement réservé à Pétrot ou Batubinsika. Le milieu Jacobsen transforme d'un contre-pied parfait et peut célébrer avec le kop visiteurs tandis que dans la Otto-Siffling, le cauchemar commence:
Waldhof 0 - 1 TSV 1860. La mi-temps arrive après une balle de 0-2 bien captée par le gardien local, on passe aux chiottes dans une atmosphère des mauvais jours.
La seconde période reprend sur un faux rythme, cette fois-ci les munichois attaquent dans notre sens. Mannheim semble sonné et a de plus en plus de mal à déployer son jeu, jusqu'à commettre l'irréparable: 60ème minute, le gardien de Mannheim sort de manière inexplicable sur la gauche de sa surface et est alors pris d'un bug cérébral digne de Mathieu Dreyer juste devant Abiama. Celui-ci centre tranquillement pour son compère de l'attaque Hobsch qui place sa tête dans le but vide malgré le retour de deux défenseurs mannheimois.
Waldhof 0 - 2 TSV 1860, c'est stupéfiant de bêtise, même à Sainté j'ai jamais vu un truc pareil. Quelques personnes commencent à quitter le stade, sentant qu'il est déjà trop tard pour cette équipe au mental de pain d'épice.
Alors que je guette le coup d'envoi de Sainté-Brest, l'ambiance commence à devenir électrique. Le kop du Waldhof s'impatiente avec un "Waldhof schieß ein Tor" sur l'air de aléaléaléoh pendant que les joueurs de Munich, probablement eux-mêmes stupéfaits de gagner 2-0 en ayant si peu forcé, perdent un maximum de temps en s'allongeant sur la pelouse. L'arbitre tombe dans le panneau et c'est logiquement que les "Schiri Aschloch" (on se passera de la traduction) se multiplient. Notons aussi une banderole
"Verbandsstrafen abschaffen !" (annulons les sanctions de la fédé !) dans le kop munichois, en lien avec un mouvement pour une plus grande liberté dans les stades vis-à-vis de la pyrotechnie. Il s'agit en fait d'un mouvement à part entière avec un site Internet (
https://verbandsstrafen-abschaffen.de) et un programme de revendications précis qui a reçu, chose inimaginable en France, le soutien de nombreux clubs principalement en troisième et quatrième division mais avec quand même l'Union Berlin au milieu !
Le SVW ne démérite pas et entame un nouveau temps fort avec plusieurs situations où il manque juste un petit quelque chose à chaque fois, on connaît que trop bien ces matches où rien ne va jamais aller correctement et on connaît aussi la sentence. 82ème minute, le piston droit entrant cherche à s'illustrer par des dribbles dans son camp et perd le ballon stupidement, 1860 récupère et lâche une petite frappe qui finit au fond malgré l'angle très fermé, encore une cagade défensive qui ne pardonne pas.
Waldhof 0 - 3 TSV 1860, on entend un gars lâcher un énorme coup de rage dans la vitre du haut de la tribune quelques mètres derrière nous, ça se comprend.
Les joueurs du SVW se foutent de la gueule de leurs supps les plus fidèles
L'ambiance devient carrément insupportable à la fin de cette parodie de football. Le kop local, qui a pourtant plus que fait son taf toute la rencontre, a baissé tous les drapeaux et se terre dans le mutisme. On n'entend plus que les fans de Sechzig qui ne se gênent pas pour faire le plus de bruit possible, sauter, danser et surtout provoquer les mannheimois avec un
"Hier ist TSV" et des blagues sur la probable descente du SVW. Le goal de Mannheim attaque alors une nouvelle montagne d'imbécilité puisqu'il tire droit dans la tête de son défenseur sur une sortie mal négociée digne des bugs de FIFA 01, le rebond manque tout juste de terminer au fond ce qui aurait sans aucun doute fait exploser le stade. La vitre du fond retentit à nouveau mais le score en restera là, les joueurs de Mannheim se font logiquement insulter lorsqu'ils viennent saluer le kop et le capo parlemente véhemment avec les quelques courageux qui sont venus à sa rencontre. D'autant plus énervant que les munichois font la fête, à raison.
À la buvette où de nombreux supporters viennent rendre leurs chopes ou reprendre une autre Eichbaum (la bière locale qui est aussi le sponsor maillot principal, eh oui pas de loi Évin en Allemagne) pour tenter de supporter cette défaite honteuse, un suisse complètement cuit me tape sur l'épaule par compassion en répétant
"Es tut mir Leid". Je serais bien resté parler plus longtemps avec son pote fan de Sainté (on est partout !) mais il faut aller choper le train, s'éloigner du stade, des flics, des fans de 1860 qui croisent notre flux sans aucun heurt, de cette peine qu'on commence à partager un peu même en temps qu'observateurs extérieurs qui ne le sont plus tant que ça vu les circonstances. On a au moins le temps de passer voir la
Wasserturm (l'un des monuments emblématiques de la ville) et le quartier turc pour ramener des excellents baklavacı du Paşa aux collègues (ces ingrats) et manger un excellent döner du Selman en vitesse devant une belle synagogue.
Mais la gare réserve une dernière surprise: les munichois doivent bien rentrer chez eux ! Leur train est annoncé au même quai que celui vers Paris, ce qui donne l'occasion de les voir chanter pour leur club et au détriment du SVW, de réaliser que le TGV pour Paris n'arrivera jamais sur cette voie vu le retard, de guetter les annonces au micro, de stresser, de courir jusqu'au panneau d'affichage central, de maudire cette gare centrale si mal organisée (il n'y a AUCUN système d'affichage qui regroupe tous les trains à part dans le hall, heureusement que c'était pas ma première fois là-bas) et de courir dans le sens inverse parce que le TGV est juste arrivé sur le quai d'en face.
Ainsi s'achève un excellent weekend de football outre-Rhin, plein de belles actions (un peu), de passion (beaucoup) et de frustration (trop). Le Waldhof est évidemment un gros coup de cœur et j'espère vraiment qu'ils vont se maintenir, mais même si ça avait moins ce côté poisseux et tendu qu'on adore gros respect aussi aux fans de Francfort et du Bayern venus en nombre pour donner de la voix dans un match qui, en France, n'attirerait sûrement pas grand-monde. C'est ça la beauté du football populaire, au sens large, sous toutes ses formes.