Friteuse a écrit : ↑04 oct. 2024, 23:33
Kreuzigue a écrit : ↑04 oct. 2024, 16:53 Il avait cité en exemple un membre de l'insupportable groupe pop Duran Duran
Eh je m'insurge, c'est une super chanson de soirée de début d'automne The Chauffeur
Ah la musique, chacun la sienne et des souvenirs pour chacun. Personnellement Duran Duran j'ai jamais pu. Je trouvais qu'à la base c'était un pénible clone des cultissimes Japan -Nick Rhodes, les premières années, tu avais l'impression qu'il sortait d'un concours de sosies de David Sylvian. Bons, les 2 groupes étaient constitués de prolos banlieusards avec des posters de Bowie et Ferry dans leurs chambres mais dans ce classico de la ligue 1 des garçons coiffeurs, les types de Japan étaient bien plus aventureux/ambitieux sur le plan musical. Il y a d'ailleurs une très belle anecdote à ce sujet, quand un Duran va voir Richard Barbieri et Mick Karn de Japan en studio. Il leur file une demo sur cassette en leur demandant s'ils pouvaient produire le premier album du Duran Duran.
Vous comprenez, on est de fans de Birmingham, on serait super honorés. Peu après il croise Barbieri par hasard dans la rue à Londres et, lui demande "alors, la cassette ? Vous avez écouté???" et Barbieri, très gentil, répond un peu embarrassé, "oui mais tu sais nous on est très occupés en ce moment, on doit vraiment se concentrer sur notre carrière, on a la pression de Virgin, pour nous c'est maintenant ou jamais, etc..." OK, fair enough. 2 semaines passent et le Duran croise Mick Karn un soir dans un de ces clubs à la mode durant l'absurde feu de paille "néo-romantique"(Blitz, Zanzibar, Billy's bar...), une étiquette qui a sans doute fait imploser Japan juste après le décollage, tant ses membres la détestait (La même chose, la même année est arrivée à leurs cousins écossais The Associates.) En tout cas le bassiste de Japan, quand il voit le Duran dans le bar à la mode, il est un peu fuyant et beaucoup moins sympa que Barbieri... "aah, ouais, votre demo, là..." Le Duran: "oui t'inquiète, on a compris, Richard m'a expliqué, vous avez pas le temps.." Karn: "HEIN??? Mais si on a le temps, c'est juste que, votre demo, on trouve que c'est de la merde."
Par rapport à cette mondialisation du foot que je n'ai pas évoqué même si c'est un phénomène majeur, tu as raison, je ne peux qu'approuver tes propos. Des gamins partout sur la planète avec le maillot de Man U de Ronaldo (official ou fake du marché), c'est pour le moins insolite. Les maillots du Real floqués M'Bappé vendus partout dans le monde par camions dans les jours qui ont suivi l'annonce de son arrivée à Madrid... ce n'est plus Villa espérant un jour vendre ses maillots dans le centre commercial de Wolverhampton, c''est carrément un peu effrayant. C'est donc ça que le foot est devenu, une usine à vendre des maillots? Mais avant les footeux, des gamins du monde entier portaient déjà des maillots de Michael Jordan... Puis de Lebron James. Mais, parmi tous les cool kids arborant le maillot numéro 23 des Cavaliers de Cleveland, plutôt que celui des Bulls, combien étaient fans de Lebron et combien était fans des Cavs ? La réponse ne ferait pas plaisir au proprio de l'équipe de basket de Cleveland. Bien des acheteurs -y compris ceux en Amérique où la géographie est une science occulte- n'auraient sans doute pas pu placer Cleveland sur une carte. Par contre, les royalties touchées sur chaque maillot de Lebron vendu, je suis persuadé que ça a rapporté une somme d'argent colossale au propriétaire des Cavs -et c'est bien ça qui compte. J'en remets donc une couche sur l'importance de l'influence des sports US sur le foot européen et en premier lieu sur ses "marques" et "supermarques". Parlons maillots floqués.
Je l'affirme haut et fort, plus que l'arrêt Bosman, ce sont les noms sur les maillots qui ont tout changé dans le football européen. Ces noms, ces "flocages officiels", ça vient d'Amérique du Nord et ce n'est pas du tout anodin. Là-bas c'est apparu progressivement dans les années 1960, dans tous les sports majeurs. Il y a eu de la résistance, particulièrement dans le baseball qui a toujours été le plus vieillot des sports US -et qui le revendique même avec une certaine fierté, un peu à l'image du cricket en Angleterre. Le baseball refuse encore le salary cap en 2024. Et les joueurs de baseball des Yankees de New York n'ont toujours pas leurs noms sur leurs maillots. Le club est une institution et estime qu'il est une marque tellement forte que les joueurs, y compris les stars, passent derrière lui. La star, c'est la casquette bleu marine estampillée du logo NY. La marque, toujours la marque.
Les noms dans le dos, c'est quand même très vite devenu la norme outre-Atlantique, disons à partir de 1970-75, dans l'autre club de baseball newyorkais comme partout ailleurs sur le continent. Dans toutes les "ligue majeures". Et ça a été un coup de génie permettant de générer encore plus de chiffre d'affaire en... modifiant le rapport entre le fan/consommateur et le spectacle qu'on lui propose. Mettre son nom dans le dos d'un joueur c'est mettre l'accent sur son individualité et donc sa personnalité... Et si l'on considère qu'une super league c'est du "sport spectacle" et qu'effectivement dans les major leagues MLB, NFL, NBA, NHL c'est du très haut niveau mais le sport est uniquement là pour se mettre au service de l'industrie du divertissement, alors une équipe n'est plus seulement un collectif avec un esprit de corps et des objectifs communs (
"être champions" "gagner le match" "bien figurer" "ne pas être trop ridicule" "satisfaire nos fans/clients", "redonner un peu d'optimisme à inconnuvert", etc), une équipe devient une troupe d'acteurs/performers professionnels engagée dans un grand feuilleton annuel de plusieurs dizaines d'épisodes plus les épisodes bonus (séries)
[les saisons à rallonge pour faire du fric et éviter les surprises sur le long terme, à la fin, c'est aussi une invention de là-bas]
La super league c'est donc plus que du sport, c'est un feuilleton télévisé sur les grands networks, avec des personnages récurrents. Dans la lutte pour le temps de cerveau disponible des honnêtes citoyens, elle joue dans la même cour que Duran Duran, les grosses daubes d'Hollywood ou Netflix. On connait les visages des joueurs, on en parle partout sur internet, avant, pendant, après la diffusion des rencontres. On connait leurs stats perso aussi, elles deviennent primordiales... Tiens donc, serait-on jugé individuellement maintenant, comme un acteur sur une scène? Mettre un nom dans le dos du joueur c'est TRANSFORMER un joueur en personnage de série -un personnage unique. Certains des personnages, de par leurs performances (=stats) et/ou leurs personnalités deviennent des stars. Bien sûr, avant les noms sur les maillots, il y avait déjà des stars, et bien sûr chaque fan avait déjà ses préférences dans l'effectif de son équipe chérie. Mais maintenant, tu peux non seulement prouver ta loyauté de fan/client en achetant le maillot de ton club préféré mais en plus tu peux assumer ton petit cœur de midinette et acheter le maillot de ton personnage préféré dans la série, euh pardon celui de ton joueur préféré. Wow. Et je peux te dire une chose, porter le maillot merengue du sympathique Kylian dans la rue en plein été, c'est bien plus facile à assumer que de porter le pardessus long de Thomas Shelby dans Peaky Blinders.
Try both and get back to me.
OK, mais les noms sur les maillots ça existe en Europe depuis un moment et au moins au début, j'ai pas l'impression que ça ait changé grand chose, quoi.
OK là, il faut que tu me fasses confiance parce que ma théorie passe par une longue tirade alambiquée -vraiment longue- qu'on sait pas trop où je veux en venir.
Bear with me, honey.)
Bien sûr, les noms sur les maillots, ça a été un processus, ça n'a pas bouleversé la donne du jour au lendemain. Mais en Amérique non plus ça n'avait pas changé la donne du jour au lendemain. Pourtant là-bas, le merchandising, c'est une vieille histoire. Tu sais, l'année des débuts de l'ASSE professionnelle (1933) on peut déjà trouver dans les grands magasins du centre-ville de Montréal des maillots des 2 équipes professionnelles de hockey de la ville. Pas seulement des maillots, mais aussi des pulls ou des anoraks avec l'écusson brodé, des bonnets, des écharpes, des fanions... Alors que la grande dépression est commencée et que les gens sont fauchés, les dits magasins font des pubs géantes dans les journaux pour présenter "les produits officiels" des clubs de hockey. On peut supposer qu'il y avait de la demande -ou bien qu'on voulait être certain de la créer.
Les noms qui apparaissent sur les maillots petit à petit dans les années 60 dans les major leagues, c'est déjà un moyen d'exploiter encore plus un filon bien connu en valorisant les acteurs, sans pour autant les payer tellement plus, surtout au début. Et ça prend, peu à peu. Couverture extensive dans les medias, des matches tous les jours à la télé, starisation progressive des joueurs, pas seulement des meilleurs, qui s'invitent dans le quotidien des gens. On en arrive à des histoires bizarres 20 ans plus tard. Par exemple un gamin de 11 ans qui vit quelque part sur le continent nord-américain et qui réclame à ses parents à table le maillot d'une franchise installée à l'autre bout du pays.
Pas n'importe quel maillot. Il veut un maillot de cette équipe mais dans les faits il veut surtout un maillot d'un joueur de cette équipe -un Suédois nommé Thomas Gradin. Le gamin aime bien les sportifs suédois: le skieur Stenmark, le cycliste Prim.. Quelques mois plus tard il y aura aussi le tennisman Wilander. Mais là, il veut un maillot du hockeyeur Gradin, un vrai maillot hein, un maillot de type ©®TM, noir avec le flocage jaune officiel, number 23 dans le dos et sur les épaules, tout ça, pour mettre à l'entraînement de hockey.. Consternation du père qui lui dit en substance qu'il y a une équipe en ville, qu'elle est mythique et qu'elle a des beaux maillots à vendre. Alors c'est quoi cette idée saugrenue de vouloir un maillot de ce Gradin palichon... Il est aussi excitant à regarder jouer qu'une étagère à monter soi-même et il a toujours l'air de vouloir s'excuser quand il marque un but... Et puis il est membre de cette équipe de nuls à 5000 bornes d'ici, il neige même pas là-bas et ils jouent avec des maillots horribles à faire peur, non mais à quoi ça rime de vouloir ça pour Noël? Tu veux pas le remier album de Duran Duran, plutôt ?
La consternation du père fait vite place à la consternation des parents. La maman s'est rendue au centre-ville pour se renseigner dans un magasin officiel ("
official merchandise superstore") qui vend des "produits" de toutes les "franchises" des "major leagues". L'équipe n'est pas très populaire dans le secteur. Y'a pas la taille. Et le maillot il est vraiment moche, il y a une sorte de grand V fluo sur le devant, de loin on dirait le bec d'un toucan ou peut-être un triangle maléfique. Il faut commander le maillot -et le flocage jaune, sauf que c'est pas un flocage, ce sont des chiffres et des lettres cousues. Comme sur les maillots des pros. Donc c'est plus cher. L'employé a sorti son classeur, il n'est pas surpris par la démarche, c'est bientôt les fêtes, il a des demandes de maillots personnalisés pour tout un tas de joueurs de la super league -de tout un tas d'équipes. Il peut avoir le maillot en 8-10 jours. Total hors-taxe 117 dollars, environ 400 euros de maintenant. Oui oui, 400 euros de maintenant. La maman manque de s'étrangler et dit qu'elle va réfléchir. Le soir les parents sermonnent le gamin: Cette super league à la noix est devenue complètement folle, le prix des places à l'aréna( nommé "le Forum") qui monte en flèche et maintenant 117 dollars pour un maillot qui t'ira plus dans 2 ans, non mais au secours on va pas les encourager et cette grande endive de Thomas Gradin elle est payée pour porter ce torchon, pas toi, donc
toi, quand tu gagneras tes sous, tu t'achèteras le maillot que tu voudras. D'ici là, c'est
nein.
Le gamin n'aura donc pas le maillot à Noël. Par contre, au printemps d'après, la maman en revenant de K-Mart lui fera une belle surprise. K-Mart en Amérique à l'époque c'était un peu Kiabi, un peu Action,un peu LaFoirfouille; un peu Mistigriff. Le genre de chaine de magasins qui plait aux parents, radins ou non. K-Mart a des lots de produits officiels de la super league à chaque fin de saison. La solderie de vêtements des major leagues, ça marche toujours du feu de dieu. Dans un de ces lots la mère a dégoté... Un maillot de Thomas Gradin, dans une taille qui correspond à du 16 ans. Sans doute un invendu de la Côte Ouest. Ah, évidemment ce n'est pas le maillot noir officiel de l'équipe, c'est un maillot réplica, pas en tissu technique et le nom et les numéros sont imprimés, pas cousus. En plus c'est un "2ème maillot" jaune, donc encore plus moche -l'énorme V devant ressemble au bec d'un toucan greffé à un canari. Ignoble. Mais qu'importe, le gamin est ravi. La mère aussi est contente. Comme il y avait un petit trou d'environ 2cm sur un côté (facilement réparable) elle a eu un rabais supplémentaire de 30%. On est passé d'un budget de 117 dollars à, probablement, moins de 11 dollars 70.
Happy ending.
La morale de cette histoire qui tu l'as compris m'est arrivée à moi, (bon, j'étais le gamin, pas le vendeur avec le classeur, je ne suis pas
si vieux) c'est que dans ces années-là, 1981, 1982 des centaines de milliers de kids en Amérique du Nord ont dû demander à leurs parents le maillot de hockey, de football US, de basket ou la chemise de baseball de leur joueur favori -
non pas celle de leur équipe favorite. Et que, selon les parents, ils ont eu ze real thing ou un replica des mois après... Mais les demandes ont toutes été satisfaites d'une manière ou d'une autre. Après, ces gamins ont grandi et les Nord-Américains adultes, c'est bien connu, restent de grands enfants -donc dans les années qui suivirent, le chiffre d'affaires du merchandising -personnalisé ou non- des franchises des sports "majeurs" a pris des proportions incroyables. Parce qu'au bout d'un moment, les acteurs du sport-spectacle ne sont plus de simples sportifs bien payés, ils sont devenus les concurrents directs des acteurs d'Hollywood, des acteurs des sitcoms ou des rock-stars. En 1985, on se battait pour pouvoir acheter la première Air Jordan. Autour de 90, 91, à Chicago, on agressait à mains armées dans la rue des personnes pour leur prendre leur blouson (de type
Starter Jacket) des Bulls de Chicago en édition limitée, celui de Michael Jordan. Le joueur a lui-même demandé au club-marque d'arrêter les "éditions limitées".
25-30 ans après l'apparition des noms sur le maillots, le sport US n'était plus vraiment du sport, il était devenu une branche de l'industrie du divertissement. Dis-moi au fait, ça fait combien de temps maintenant, les noms sur les maillots des joueurs de foot en Europe ?