Olaf a écrit :Cette situation est quand même étrange. A vue de nez, je dirais que 90% des gens que je croise sont mécontents, et pas qu'un peu. S'il y en a 15% qui se mobilisent, c'est vraiment le grand bout.
Il y a un tel découragement que les gens ne se bougent même plus.
Même sensation, mais je vais essayer de proposer quelques explications, qui ne s'opposent pas, à ce constat.
D'abord, la
résignation.
Contrairement à ce que dit baggio, Macron n'est pas arrivé là tout seul : son élection résulte principalement d'une campagne médiatique largement en sa faveur, et en défaveur de ses opposants crédibles. Ainsi que des déboires judiciaires de Fillon, qui sans cela aurait terminé devant Macron à coup sûr.
Il ne suscitait qu'une très faible adhésion dans la population, et son électorat était le plus dépolitisé de tous ("on vote Macron parce qu'il est jeune, qu'il passe bien à la télé, qu'il a l'air plus modéré que les autres"). Pourtant, le système a réussi à l'imposer en touchant les gens les moins politisés par le matraquage médiatique, tout en s'acharnant sur les affaires de Fillon, en exagérant l'extrémisme de Mélenchon et en profitant simplement de la médiocrité de Le Pen pour finir. Le but de toute cette campagne était d'arriver à un second tour Macron-Le Pen pour s'assurer de la victoire du poulain de l'intelligentsia. Macron a donc fini par être élu par défaut, sur une ligne libérale-progressiste qui est pourtant extrêmement minoritaire au sens de la population !
Tout l'électorat réellement politisé et bien ancré à droite comme à gauche s'est senti impuissant face à la force de cette machine politico-médiatique qu'il n'avait pas vu venir. Et cette impuissance se ressent encore aujourd'hui. Les gens ont de moins en moins l'impression d'être dans une démocratie et se disent que de toute façon, ça ne sert à rien de lutter. Je dirais vraiment que beaucoup se sont sentis arnaqués (dans le respect des règles institutionnelles les plus élémentaires, c'est le pire !), et que cette élection leur a ôté l'envie de se battre.
On critique Trump, parfois à juste titre, mais il est la preuve que la démocratie américaine a mieux fonctionné que la nôtre, car malgré leurs médias tout aussi partisans, le sentiment réel d'une grande partie du peuple s'est exprimé dans les urnes. Chez nous, ils ont réussi à disperser très intelligemment ce ressentiment populaire et à faire en sorte qu'il ne se traduise pas concrètement, même si des éléments extérieurs ont aussi aidé à cela (la nullité de MLP comme je le disais, mais aussi le système électoral français qui favorise cette dispersion de la colère à travers de nombreux candidats, contrairement au système américain).
Ensuite,
la ligne et la cohérence de Macron.
Notre Jupiter est très intelligent en ce sens qu'il arrive, grâce à un jeu d'équilibriste perpétuel, à empiéter sur un espace politique qui va de la gauche modérée à la droite modérée (c'est à dire une grande partie de la classe politique et 95% de la presse), rendant impossible une opposition crédible venant de cet espace là. Du coup, il ne reste plus que Mélenchon et Le Pen, à la limite Wauquiez, vus comme des extrémistes ou au moins des excessifs, pour s'opposer sérieusement à lui.
Ajoutons à cela que Macron suit parfaitement la ligne qu'il a présenté depuis le début. Il n'y a aucune surprise, donc pourquoi se plaindre ?
Les gens de gauche se sont sentis légitimes pour se révolter contre Hollande car ils les avaient trahis, avec ses discours contre la finance qui se sont révélés une farce. Mais quelle légitimité pour protester contre un type qui a été élu démocratiquement et qui fait exactement ce qu'il a dit qu'il ferait ? De plus, la quasi totalité de cet électorat de gauche a voté pour lui ou du moins pas contre lui au deuxième tour, donc c'est d'autant plus difficile de se révolter dans ces conditions.
L'esprit qui prédomine, là encore, est celui de la résignation : "le système nous a entubés mais on savait très bien dès le début à quoi ressemblerait ce mandat, à quoi bon protester contre quelque chose qui était annoncé d'avance ? on s'est faits avoir mais c'est comme ça". Les révoltes se forgent dans des espoirs déchus, la peur ou l'injustice, mais rarement contre des centristes élus dans les règles qui font précisément ce qu'ils ont promis...
Enfin,
la division.
Olaf, tu dis que 90% des gens sont mécontents. C'est vrai, mais mécontents de quoi ? Tout le monde est mécontent pour des raisons différentes. Contrairement au fantasme de Philippot, tu ne verras jamais les classes populaires qui votent FN manifester avec la FI ou Nuit Debout, quand bien même ils seraient d'accord sur 80% des sujets socio-économiques et institutionnels.
La seule façon de créer un mouvement populaire dangereux pour le pouvoir serait d'éviter de trop le politiser sur les questions sensibles (sociétales notamment), un peu sur le modèle du M5S en Italie par exemple.