Quarante ans jour pour jour après sa première apparition dans l'élite (1-1 contre le PSG au Parc des Princes), Laurent Paganelli reste le joueur le plus précoce à avoir débuté en L1 (15 ans, 10 mois et 5 jours). Dans la dernière édition de la Pravda Mag, l'ancien attaquant stéphanois poursuit la thérapie qu'il avait débutée il y a trois ans et demi dans France Football. Extraits.

"Je faisais parfois des entraînements, pour combler le groupe pro. Les mecs, ils te pourrissaient. “Replace-toi”, “perds pas le ballon”... C'était dur. Tu avais Robby. Pas un mot, et puis toc, il te disait un truc. Oh, ça te résonnait pendant une semaine. Ça a été mon traumatisme pendant deux ans. Moi, je ne savais pas qu'on n'avait pas le droit de perdre le ballon. Pour moi, le foot, c'était la prise de risques, la liberté, l'insouciance. J'étais assez indiscipliné. À 15 ans, tu n'es pas structuré. L'entraîneur veut te mettre dans un système, oui. Mais le jeune, il s'en bat les cacahuètes. Il veut jouer comme il veut. L'insouciance, c'est une force, mais on finit par la perdre. On t'apprend que c'est un travail. C'est normal. Mais à 15 ans, c'est trop tôt. Moi, je ne rêvais que de jeu, des filets qui tremblent, de faire des petits ponts. Et à un moment donné, j'ai eu l'angoisse d'aller sur un terrain..

(...)

En 1980-1981, j'étais en pleine euphorie. On était en tête de D 1 et en Coupe d'Europe, on écrase Hambourg 5-0 et 1-0. Je marque. Michel Hidalgo appelle Herbin. Il veut me prendre en équipe de France pour un match aux Pays-Bas, mais Robby dit niet, que c'est trop tôt, sans m'en parler. Et puis il y a Ipswich, et là on en prend quatre. C'est le tournant pour moi. Platoche dit : “Ils ont joué avec des pros, nous avec des gosses.” Platini, c'était un coéquipier cool avec les jeunes, il donnait pas mal de conseils. Mais ses paroles résonnaient. Et ça a été fini pour moi. Il restait huit journées de Championnat, je n'ai plus joué un match. On a été champions, mais, moi, je n'étais plus dans l'équipe. Je suis passé de l'euphorie au coup de bambou total.

(...)

Robby ne m'a plus parlé, plus un mot. Ça fait trente-sept ans, j'attends toujours une explication. Je n'avais que 18 ans. Mais je n'ai plus jamais été le même joueur. Attention, c'est aussi mon problème. Je n'avais pas un caractère assez fort pour relever ce défi-là. Et je comprends l'entraîneur, il veut te mettre dans le dur pour que tu grandisses. Mais il doit aussi sentir si tu as du mal à gérer cette phase-là. J'adore Robby, c'était un grand entraîneur. Mais il était en fin de carrière. Il n'avait plus l'envie de faire ce travail-là avec les jeunes. Quinze ans avant, il m'aurait emmené au mont Olympe... Et personne n'a été là pour prendre le relais, me redonner confiance, m'apprendre à traverser ça...

(...)

Ma carrière, je l'ai perdue psychologiquement. J'ai fait des conneries. J'allais au ciné, je mangeais des glaces. J'avais une dent cariée, je n'allais pas chez le dentiste. Ça, ça ne peut plus exister. Franchement, si j'échouais aujourd'hui, ce serait de ma faute, à 100 %. J'ai la chance de toujours vivre de ma passion. Mais des regrets, il y en a. Surtout celui de ne pas avoir fait la Coupe du monde en 1982 ou 1986. Avoir raté des rendez-vous avec ces gars-là, Giresse, Battiston, Bats, Rocheteau, Zimako, tout ça, ça fait mal. Est-ce qu'on aurait gagné à Séville avec moi ? Oh, tu es con, on n'aurait pas passé le premier tour... Mais ça fait quand même plaisir de parler de tout ça. Je n'irai pas voir mon psychiatre ce soir..."