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Talentueux meneur de jeu, buteur rare mais précieux, infatigable vainqueur, guerrier aguerri et véritable tête de lard, Lubomir Moravcik était tout celà à la fois.
Portrait du Slovaque le plus adoré de Geoffroy-Guichard, icône de l'ASSE des années 90...


Débuts à l'Est
Lubomir Moravcik voit le jour le 22 juin 1965 dans ce qui était encore à l’époque la Tchécoslovaquie. Dans son enfance, Lubo pratique plusieurs sports collectifs: le football bien sûr, mais aussi le hockey sur glace, sport national dans ce pays d'Europe centrale. Découvert par Milan Lesicky (qui dira de lui que c'est "un joueur comme on en repère 1 sur 10 000"), il choisit finalement le ballon rond et signe sa première licence au Plastika Nitra, le club de la petite cité ouvrière d’où il est originaire et dont son père Jan, a longtemps porté le maillot. Le club est habitué à faire l’ascenseur entre la première et la deuxième division du championnat tchécoslovaque. Lubomir, grâce à sa technique sans faille et à sa vision éclairée du jeu, devient rapidement un élément-clé de son équipe. Les plus grands clubs du pays, dont le Sparta Prague, le convoitent, d’autant qu’il fait ses premiers pas en sélection nationale dès 1987.


Moravcik au FC Nitra en 1989

En 1990, Moravcik a 25 ans et il est devenu l’une des valeurs montantes en Tchécoslovaquie. Il en est récompensé par une sélection pour la Coupe du Monde, qui se déroule en Italie. Au sein de l’équipe nationale, il évolue aux côtés de joueurs comme Nemecek, Kubik, Skuhravy, le futur Vert Milan Luhovy ou encore le futur entraîneur de l'ASSE, Ivan Hasek. Pendant ce "Mondiale", Lubo est titulaire à chaque match sur le flanc gauche du milieu de terrain. La Tchécoslovaquie ne plie en poules que devant l’Italie (0-2) mais se qualifie pour les 8e de finales. Son numéro 11 crève l’écran et le Costa Rica balayé 4-1 en huitièmes de finales, la sélection tchécoslovaque se heurte à la redoutable Mannschaft en quart.
La sélection allemande est à l'époque une implacable briseuse de rêve et les coéquipiers de Moravcik sont éliminés 1-0, ce dernier terminant même la compétition assez bizarrement puisqu’il se fait expulser pour un geste d’énervement: il projette sa chaussure en l’air après avoir glissé !


Lubo à la lutte avec Paul Gascoigne lors
d'Angleterre-Tchécoslovaquie au Mondial 90

De ce match et de cette fin de parcours en queue de poisson, Lubo garde une souvenir amer: "Contre l'Allemagne, l’arbitre Helmut Kohl n'a pas été très clair. Comment un arbitre autrichien pouvait-il officier lors d’un match entre la Tchécoslovaquie, qui avait éliminé l’Autriche en poule, et l’Allemagne, sa cousine germaine ? Littbarski m’avait marché sur l’arrière de la chaussure et je l’ai perdue. J’étais énervé qu’il ne signale rien. J'ai jeté la chaussure et il m'a expulsé. J’ai fait une bêtise mais l’arbitre fut arrogant tout au long de la partie. On aurait dit qu’il fallait absolument que l’Allemagne passe"

Heureusement, Moravcik refera vite parler de lui, de manière bien plus positive...


Lubo à l'ASSE de 1990 à 1997, une carrière longue et prolifique

La période verte
L’AS Saint-Étienne avait flairé la bonne affaire avant même que commence le "Mondiale". En effet, les dirigeants des Verts ont déjà obtenu un accord de principe avec le stratège de Nitra, qu'ils ont mis en concurrence avec l'argentin Fabian Vasquez. Avant que le génie tchécoslovaque ne soit vraiment inaccessible, l'affaire est entendue pour 6 à 7 MF: "Dans les jours qui ont précédé la rencontre face à l'Allemagne, j'ai rencontré Bernard Bosquier et André Laurent, le président de l’ASSE. J'ai signé un contrat de quatre ans en faveur des Verts."
Selon Lubo, Bosquier n'a pas eu besoin de lui parler argent: il lui a suffi de lui dire que Sainté avait joué une finale de Coupe d'Europe et compté dans ses rangs un certain Platini, son idole. Près de 8 clubs, d'Arsenal à Dortmund en passant par les Glasgow Rangers ou Parme, le voulaient. C'est l'ASSE qui l'aura.


Moravcik echappe à Manuel Amoros lors du derby
remporté 3-0 par l'ASSE en 1994 (photo l'Équipe)

A l’été 1990, Moravcik débarque donc dans le Forez. Il portera le maillot vert jusqu’en 1996, durant 6 saisons. Les supporters stéphanois découvrent alors un joueur exceptionnel: Lubo est non seulement un meneur de jeu doué et inspiré, mais en plus son caractère bien trempé fait de lui un leader naturel du groupe.
Un caractère que l’un de ses futurs entraîneurs (à Bastia), un certain Frédéric Antonetti, décrit ainsi: "Moi, lorsque je prends quelqu’un, je préfère qu’il ait de la personnalité. Après, les joueurs de caractère, il faut les gérer bien sûr. Des gars comme Lubo Moravcik, quels accrochages j’ai eus avec eux ! Mais il existe un respect mutuel".

Pour autant Lubo tarde à faire l’unanimité à l’ASSE. Ses six premiers mois sont décevants au vu de l'investissement consenti pour le recruter et cela coûte sa place à Bernard Bosquier, l'homme qui l'a recruté. Mais passé l'hiver, début 1991, Moravcik s’affirme comme le joueur-référence de l’équipe, l’animateur de jeu. C’est dans ce rôle-là qu’il évolue durant ses 6 saisons vertes, parfois secondé par un autre milieu offensif (notamment Fabrice Mège puis Gérald Passi). En France, Moravcik suscite assez rapidement l’intérêt de quelques clubs ambitieux. Auxerre est sur les rangs (Guy Roux dit un jour de lui dans France Football qu’il est un artiste), mais c’est surtout le Marseille de Tapie, alors en haut de l’affiche, qui multiplie les propositions sonnantes et trébuchantes.


La joie de Lubo après son but face à Marseille (Coupe de France 1993)

Pourtant, Moravcik, qui est devenu slovaque après la séparation en deux de la Tchécoslovaquie le 1er janvier 1993, reste fidèle au maillot Vert et les supporters foréziens ne lui en sont qu’encore plus reconnaissants. Un jour, sur le mur bordant le terrain d’entraînement, un supporter anonyme tague tout haut ce que beaucoup pensent tout bas: "Lubo, on t’aime, on t’adore, ne pars pas, tu es magique". La réponse de l’enfant de Nitra est donnée sur le terrain. Après un but contre Nantes, il court devant la tribune de presse et embrasse l’écusson du club sur son maillot. Il ne partira pas: "J'ai reçu une offre de Marseille, Tapie m'avait choisi. Mais quand j'ai vu l'inscription sur le mur du terrain d'entraînement, ça m'a beaucoup touché, m'a beaucoup influencé dans mon attitude envers le club et j'ai même envisagé y finir ma carrière. C'est la raison pour laquelle j'ai prolongé mon contrat. Je sentais que les supporters me soutenaient. Je ne voulais pas les décevoir. Le public a été très important dans ma décision. Ils ont montré que le club et les joueurs qui le composent étaient très importants à leurs yeux."


Lubomir lors de sa dernière saison à l'ASSE (1995-1996)

Moravcik est attaché à l’ASSE mais aussi à la ville de Saint-Etienne. Vivant à Terrenoire, qui lui rappelle sa Slovaquie natale qu'il n'avait jamais voulu quitter pour aller jouer en Tchéquie, il se sent bien dans la préfecture de la Loire et son fils Matus y voit même le jour. Malheureusement, les espoirs de construction d’un grand club à Saint-Etienne, dont Moravcik aurait dû être l’un des piliers, sont déçus. Malgré une 7e place en championnat en 1993, malgré une demi-finale de Coupe de France perdue contre Nantes la même année, malgré les arrivées de joueurs comme Laurent Blanc et Roland Wohlfarth pour renforcer l’équipe, les Verts ne prendront jamais vraiment leur envol.
Pire, en 1996, le club, en difficulté financièrement et miné par des conflits internes, est relégué en deuxième division. L’heure du départ a sonné pour Lubo. En 212 matches en Vert, il aura marqué à 35 reprises et fait marquer bien plus encore.

La vie après l'ASSE
Moravcik prend alors la direction de l’Ile de Beauté et du club de Bastia qui se propose de récupérer quelques matelots du navire vert en perdition (Moravcik, Perez, Moreau, Swierczewski). Il porte durant deux saisons les couleurs corses (1996-1998), faisant toujours partie des valeurs sûres du championnat de France. Mais côtoyer Frédéric Antonetti n'est pas facile quand on a le caractère de Lubo. Le Corse ne compte plus les accrochages avec son meneur de jeu slovaque: "La pire, c'était après une défaite de Bastia à Bordeaux en 1998. Durant le débriefing qui avait suivi, je l'avais vraiment secoué et il n'avait pas aimé. Je lui étais rentré un peu dedans, le ton était monté et il était parti de la réunion ! Ça avait été très, très chaud ! Ce n'était pas facile, car c'était le meilleur joueur du club. Il s'est absenté ensuite pendant plus d'un mois, car il était vexé. Il voulait même arrêter le foot. Comme je ne suis pas rancunier, il est revenu pour un match contre Monaco: on avait gagné 1-0 avec une équipe diminuée et il avait été extraordinaire. On est resté en bons termes et, chaque fois qu'on se croise, on en rigole. En effet, si je ne lui étais pas rentré dedans ce jour-là, il aurait stoppé sa carrière, car il ne trouvait plus de motivation. Au lieu de cela, il a joué jusqu'à trente-sept ans !"


Sous le maillot bastiais en 1997

Après un intermède de quelques mois dans le club allemand de Duisbourg, où il ne s’adapte pas vraiment, Moravcik signe au Celtic Glasgow. Il y rejoint l’un des entraîneurs qui auront beaucoup compté dans sa carrière, le Slovaque Joszef Venglos. C’est en Ecosse, au crépuscule de sa carrière, que Lubo va retrouver le très haut niveau: il participe à la Ligue des Champions (réussissant notamment un match énorme contre la Juventus Turin de Del Piero et Trezeguet) et se construit un palmarès non négligeable en remportant tous les titres possibles au pays du Chardon (Championnat, Coupe de la Ligue et Coupe d'Ecosse).

Surtout, comme dans tous les clubs où il était passé précédemment, Moravcik gagne le respect des fidèles supporters du Celtic et termine sa carrière sous le maillot rayé vert et blanc en 2002 à presque 37 ans. On peut bien sûr citer son passage éclair dans le club japonais de JEF United Ichihara, mais il choisit finalement de s’arrêter après 7 petits matches seulement.


En 4 saisons écossaises, Lubo s'impose comme une icône du Celtic Glasgow

Lubo rentre ensuite en Slovaquie, s’occupant pendant quelques temps des sélections nationales de jeunes pour le compte de la fédération slovaque de football. Il devient ensuite président du petit club omnisports de Ruzomberok, plus connu pour sa section féminine de basket-ball que pour son équipe masculine de football. Après avoir passé ses diplômes d’entraîneur, Moravcik entraîne brièvement le club slovaque du FC Vion Zlaté Moravce en 2008 puis part voyager dans toute l’Europe en tant qu'agent FIFA pour étudier le jeu et les joueurs dans les différents championnats européens.
En 2013, il déclare viser à terme le poste de sélectionneur de l'équipe nationale slovaque: "J’ai le diplôme d’agent de joueurs, j’ai aussi mes diplômes d’entraîneur. J’aimerais bien accéder à ce poste. J’ai joué 13 ans en sélection. Beaucoup de nos joueurs évoluent à l’étranger et je connais leurs attentes, pour avoir été dans cette situation aussi"

En parallèle de ses fonctions d'agent de joueur, il devient en 2014 député de la municipatité de Nitra, qu'il aura finalement toujours porté dans son coeur.


Lubomir est indissociable de sa ville d'origine, Nitra

Épilogue
Pour les supporters stéphanois, Lubo restera dans l’Histoire du club comme l’un des joueurs les plus talentueux jamais vus en Vert. Ses actions les plus remarquables demeurent dans les mémoires: son dribble pivotant pour servir Passi contre Marseille en Coupe de France 93, sa frappe de 20 mètres du gauche contre Nîmes après s’être joué de ses adversaires et avoir remonté la moitié du terrain, son doublé en amical contre le Milan AC, sa volée contre Caen lors d’un 5-0, sa frappe croisée du droit contre Nantes... La liste est longue !

Lubomir Moravcik a incontestablement laissé son empreinte à l’AS Saint-Étienne. Une empreinte tellement indélébile qu'à l'occasion des 80 ans du club en 2013, il est nommé ambassadeur à vie du club: "Le Celtic de Glasgow m’avait témoigné sa reconnaissance en me faisant entrer dans son Hall of Fame mais j’avais réussi le triplé avec eux en 2001. Avec Saint-Étienne, je n’ai rien gagné. J'ai été un peu surpris d’être nommé ambassadeur, de me trouver au côté de tous ces joueurs qui ont gagné tant de titres. Ça m’a montré l’estime que me porte le club. J’ai vécu de bons moments sous le maillot vert, trois bonnes saisons, trois plus compliquées. Malgré tout, les gens ont gardé une image positive de moi"


Un but fabuleux marqué par Lubo face au Havre en 1996

Palmarès
Champion d’Écosse: 2001 et 2002 (Celtic Glasgow)
Coupe d’Écosse: 2001 (Celtic Glasgow)
Coupe de la League d’Écosse 2000 et 2001 (Celtic Glasgow)
Meilleur joueur étranger du championnat de France: 1993 (titre décerné par le journal France Football)
42 sélections pour la Tchécoslovaquie (jusqu’au 31/12/1992)
Quart de finaliste de la Coupe du Monde 1990 avec la Tchécoslovaquie
38 sélections pour la Slovaquie (à partir du 01/01/1993)


Moravcik donne le coup d'envoi du match ASSE-Nice (2-1) en 2006

Source: Sur la route des Verts - Thierry Clémenceau