Guillou se remémore un match de fou

28/10/2023
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Dans le podcast Les matches de ma vie with Darren Tulett, Patrick Guillou est revenu ce mois d'octobre sur la fameuse victoire des Verts contre le Red Star au Stade de France. Extraits.

"Comme j’étais bercé par le football allemand, longtemps je n’avais pas beaucoup d’anicroches (sic) avec le football français. Sauf qu’à Fribourg, il y a une famille qui vient de Roanne. Ce sont des fous furieux de l’ASSE. Dès qu’il y avait match dans l’Est de la France (Metz, Mulhouse, Sochaux, Strasbourg), on allait voir jouer Saint-Etienne (…) Je rêvais de jouer à Saint-Etienne. A 13 ou 14 ans, je rencontre cette famille et je suis drainé sur Saint-Etienne. Ils m’amènent et je ne comprends pas pourquoi, tout de suite ça matche, tout de suite ça flashe et je me prends au jeu. On se retrouve à faire une demi-finale à Geoffroy-Guichard contre le Montpellier de Cantona et Valderrama. Après il y avait Toulon, des 0-0, des matches de pipes à Geoffroy-Guichard. On n’était pas beaucoup ou on était beaucoup. La pluie, le froid, le brouillard pour venir voir les matches à Geoffroy-Guichard. Ensuite les matches dans le kop. Moi j’ai eu cette chance-là. J’ai eu trois chances : avoir été supporter de Saint-Etienne, avoir joué pour Saint-Etienne, et surtout à la fin d’avoir été capitaine de Saint-Etienne avec tout ce que ça représentait pour moi dans mon cheminement personnel.

Bien sûr je suis monté avec Rennes et avec Sochaux mais la saveur particulière c’est aussi avec Saint-Etienne. J’aurais pu choisir les matches du titre, j’aurais pu choisir le match de la montée, j’aurais pu choisir plein de matches où on déroulait notre football mais j’ai choisi le match du Red Star parce qu’il est vraiment particulier. Il faut souligner le côté visionnaire de Jean-Claude Bras, le président du Red Star. Il se dit : « il fait faire plaisir à notre public, aux Parisiens qui aiment Saint-Etienne. » Il a l’idée de génie de faire le match au Stade de France. J’ai 29 ans et je me dis « purée, je vais jouer dans le stade où la France est devenue championne du monde moins d’un an auparavant. Bien sûr, ils n’ont ouvert que deux anneaux sur les trois, on n’allait pas faire 80 000 non plus, mais on fait le record en Ligue qui tient encore toujours aujourd’hui [48 010 spectateurs, ndp2].

On joue en semaine. Il y a un chanteur qui m’accompagne tout au long de mon parcours de vie, c’est Renaud. Et encore un petit clin d’œil, c’est Renaud qui va donner le coup d’envoi avec son blouson en cuir. Ce match est gigantesque, c’est la 7e victoire d’affilée qu’on fait sur la phase retour. [la 6e en fait, la 7e interviendra 10 jours plus tard contre Lille à Geoffroy-Guichard, ndp2]. On est quasiment sûr de monter. L’avant-match est ubuesque. Gérard Soler avec le président Bompard décident de nous envoyer là où l’Italie avait fait son camp de base pendant la Coupe du Monde 98. On est à Chantilly, c’est un truc de fou. On prépare le match tranquille peinard, on sait qu’on est un rouleau compresseur et qu’il ne peut pas nous arriver grand-chose. Ça se passe bien, toujours la même mécanique, toujours le même train-train quotidien. On part de Chantilly pour venir au Stade de France.

Il n’y avait pas encore les Mario Kart, les PlayStation. Je ne sais pas s’il y avait déjà des téléphones… Si, il y en avait déjà quelques-uns. On est au fond, on discute, on est une bande de potes. On est dans le monde pro mais il y avait une ambiance de monde amateur. On va au Stade de France, on est content d’y aller. On part en colo. Sauf qu’on est au fond du car et il y en a qui dit « ça sent le brûlé. » On ne s’inquiète pas plus, ça peut être l’embrayage ou un truc comme ça, une voiture qui a freiné. Trente secondes après il y en a un autre qui dit : « c’est quand même bizarre, ça sent le brûlé. Une minute après : « C’est normal qu’il y ait des flammes ? » On est en plein sur l’autoroute A1 et le bus est en flammes ! On a mis le feu avant le match.

Là on se dit : « Putain, mais merde, comment on va faire ? » Et puis encore une fois Gérard Soler a une idée géniale. Comme il y avait 48 000, il y allait forcément avoir des supporters de Saint-Etienne qui allaient au stade. Le signe de reconnaissance, c’était quand même les écharpes. C’est typiquement allemand ou typiquement anglais, on sort les écharpes de la voiture pour montrer son sentiment d’identification, d’appartenance à une communauté. Le coach est parti en premier avec la première voiture de supporters. On est tous sortis du bus. Le staff – ce n’était pas le staff d’aujourd’hui où ils sont 25 et plus nombreux que les joueurs – arrête les voitures et dit « vous allez au stade ? Oui ? Et bien vous amenez nos joueurs. Les supporters se disaient : « Mais attends, c’est quoi ce truc de dingue ? »

C’est un truc de fou. On se dit, c’est super sympa. Sauf que quand t’arrive au stade avec ton sac et les supporters, on nous dit : « Vous allez où ? » « Ben on va jouer au foot ! » « Mais vous êtes qui ? » « Ben on est les joueurs ! » « Vous êtes sûrs de rentrer ? » « On ne sait pas mais on va voir. » Tout ça dans l’avant-match fait que c’est un souvenir de dingos ! On a pu convaincre les gars de la sécurité qu’on était les joueurs. Je pense que c’était moins restrictif que ça ne l’est aujourd’hui. Mais c’était vraiment un cas de force majeure.

Mais ça ne s’arrête pas là. Renaud donne le coup d’envoi. Il y a un mec interviewé avec un survet’ du Red Star, il pleure qu’il ne jouera pas cette rencontre parce qu’il est blessé alors que le mec personne ne le connait, c’est un mec comme Rémi Gaillard qui est venu se mettre comme ça. « Je suis vraiment triste ce soir, je ne peux pas jouer contre Kader Ferhaoui, on s’est connu à Montpellier. » Personne ne le connaît. Cette histoire a coûté pendant quelques semaines le poste de commentateur à l’homme de terrain d’Eurosport.  

Derrière il y a un but monumental de Lucien Mettomo. Un but de folie ! Il prend le ballon, il contrôle, il met une place de 25 mètres pleine lucarne. 48000 donc voilà ! Encore une fois, coup de chapeau à Jean-Claude Bras qui nous avait permis de jouer en vert, parce que ça ce n’est pas donné à tout le monde. Le président qui recevait, son équipe joue en vert normalement mais ce match-là elle a joué en rouge. Derrière, on a déjà fait nos 3 changements quand Jérôme Alonzo se pète la cheville. On lui dit « tu prends un Doliprane et tu continues ». L’action suivante, il a failli tomber dans les pommes, fracture de la cheville. On a Patrick Revelles qui rentre dans les buts. On réussit à gagner 2-1. Ce match, c’est de la folie.

Pour moi, pour ceux qui l’ont vécu… C’est ça la plus grande fierté ! La plus grande fierté, c’est qu’aujourd’hui on a un groupe WhatsApp de ce groupe de Saint-Etienne de ces années-là. 20 ans ou 30 ans après, il est encore actif, on se parle. Ce groupe a vécu quelque chose de fort. On prend plaisir à se retrouver sans trop faire l’impression d’être vieux guerriers, soldats sur le retour. Ça, tu ne peux que le vivre dans un sport co, partager avec d’autres cette expérience-là. C’était tout simplement génial. Je crois que c’est Zola qui disait ou Camus, c’est Camus qui disait ça : « Tout ce que je sais de la vie, je le dois au football.»* Je ne veux pas le plagier mais en tout cas, dans mon cheminement, dans la construction d’homme, le football m’a apporté plus qu’il ne m’a pris."

Dans son dossier "Les grandes phrases du sport", La Pravda a rappelé en mai 2021 que l'écrivain n'a pas exactement déclaré ça.

"L'auteur de "La Peste" et de "L'Étranger" offre à France Football une chronique déjà parue dans le Bulletin du RUA (Racing universitaire algérois), en 1953. Le natif de Mondovi, en Algérie, y raconte notamment son passé de gardien de but et conclut : « Car, après beaucoup d'années où le monde m'a offert beaucoup de spectacles, ce que, finalement, je sais de plus sûr sur la morale et les obligations des hommes, c'est au sport que je le dois, c'est au RUA que je l'ai appris. » La fin de la phrase sert de titre au papier, avec une légère modification cependant : « football » a remplacé « sport ». Un raccourci du titreur de l'époque sûrement... Enlevez la nuance « de plus sûr » et la référence au RUA, et vous obtenez alors la citation 1000 fois reprise depuis : « Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois ».

Un an et demi plus tard, en mai 1959, dans l'émission télé Gros plan, Albert Camus répétera plus ou moins la même sentence : « Vraiment, le peu de morale que je sais, je l'ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. » À l'époque, Camus met en scène son adaptation des Possédés de Dostoïevski au théâtre Antoine et, dans l'interview, il ajoute : « Pour moi, je n'ai connu que dans le sport d'équipe, au temps de ma jeunesse, cette sensation puissante d'espoir et de solidarité qui accompagne les longues journées d'entraînement jusqu'au jour du match victorieux ou perdu. »"

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