Jérôme Latta a publié ce soir une très bonne chronique dans Le Monde. Extraits.

"Quelques milliers de manifestants ont protesté contre la volonté du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, de dissoudre les deux principaux groupes ultras locaux, Magic Fans et Green Angels. Fondés respectivement en 1991 et 1992, ils figurent parmi les cinq groupes visés en France, mais sont les seuls convoqués devant la nouvelle Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives, mardi 1er avril. 

Ils sont accusés de violences par le ministère, sans plus de précisions. L’échantillon attire l’attention, puisqu’il inclut aussi l’importante Brigade Loire (FC Nantes), le groupuscule Légion X (Paris FC), les Offenders (RC Strasbourg) affiliés à l’extrême droite identitaire… mais pas les groupes Bad Gones, Mezza Lyon ou Lyon 1950, qui naviguent dans les mêmes eaux et ont multiplié les exactions ces dernières années.

Cette sélection arbitraire ainsi que l’amalgame entre hooliganisme et mouvement ultra suggèrent une volonté de punir pour l’exemple, sans presque aucun garde-fou judiciaire ni chances d’améliorer la situation. En effet, la démarche n’a de sens que dans le contexte de surenchère sécuritaire et de course à l’investiture présidentielle qui prévaut au sein du parti Les Républicains.

L’expérience montre que les dissolutions sont inefficaces pour faire baisser les violences de franges généralement minoritaires au sein des ultras, mais Bruno Retailleau y voit une occasion politique à saisir. Elles sont une vieille antienne de la Place Beauvau. « Stigmatiser les supporteurs de football pour se faire une notoriété, c’est une grande tradition des ministres de l’intérieur », a rappelé le député (Vienne, non-inscrit) Sacha Houlié, coauteur, en 2020, d’un rapport sur le supportérisme qui dénonçait le tout-répressif.

Confrontée à un hooliganisme endémique dans les années 1990, l’Allemagne avait lancé une démarche globale réunissant pouvoirs publics et sportifs, forces de l’ordre, clubs, chercheurs, associations et travailleurs sociaux. Dialogue, prévention, désescalade policière : aujourd’hui, les stades sont remplis, et des dizaines de milliers de fans suivent leur équipe favorite à travers le pays chaque week-end.

En France, où le hooliganisme a toujours été marginal, le sport n’est pas considéré comme un fait social et culturel justifiant des politiques sérieuses. Les pouvoirs publics optent pour la conflictualité, quitte à ignorer la diversité et la complexité du « supportérisme ». Les autorités s’en tiennent à la doctrine mêlant restrictions de libertés et punitions collectives, et procèdent par interdictions administratives de stade et de déplacement, fermetures de tribunes et huis clos, sans traquer individuellement les auteurs de violences. Elles traitent les supporteurs en sous-citoyens, cobayes du durcissement sécuritaire.

Alors que le football professionnel français traverse une crise d’ampleur, le moment est malvenu. Débarrasser les stades des ultras, formidables agents d’ambiance, c’est dégrader le spectacle et déprécier le produit, nuire aux recettes de billetterie et ajouter des problèmes de sécurité en se privant d’interlocuteurs.

Les dirigeants des clubs connaissent la valeur symbolique et économique d’un stade où règne la ferveur. La Ligue 1 n’est pas la Premier League anglaise et, hormis le PSG, elle ne peut se passer des publics populaires pour remplir ses tribunes. A Geoffroy-Guichard, les ultras et le public familial cohabitent pour le bénéfice de tous.

On peut dissoudre des groupes ultras, pas le phénomène ultra, et un gouvernement ne devrait éluder ni les problèmes qu’il pose ni ses demandes légitimes. Sauf, bien sûr, s’il s’agit aussi d’éliminer l’un des rares contre-pouvoirs à la financiarisation et autres dérives du football contemporain."