Bernard Caïazzo a été auditionné aujourd'hui par une commission parlementaire présidée par le député ligérien Régis Juanico. Extraits.

"Je ne vais pas revenir sur le sujet Mediapro. Moi je pense que le sujet Mediapro, heu… Ben les gens qui ont travaillé sur le sujet, il y a deux parties. Ceux qui étaient très opérationnels et ceux qui recevaient les informations des opérationnels ont été trompés. Les mots résonnent encore dans mes oreilles au conseil d’administration du 2 juin 2018 à la Ligue. La question qui est posée : « est-ce que Mediapro est un groupe solide ? » Réponse de l’avocat de la Ligue : « Mediapro est un groupe au moins aussi solide que le groupe Canal Plus, il n’y a pas d’inquiétude, c’est béton. » On nous a dit « C’est béton ». Comment voulez-vous que les membres du conseil d’administration puissent aller à l’encontre de cette affirmation et ne pas voter favorablement à la proposition de Médiapro sachant que les offres de Canal / beIN n’étaient pas très éloignées à la fin des offres de Médiapro ? Quand on dit « les dirigeants étaient aveuglés par le milliard", le milliard il existait déjà ! » Moi, si j’avais eu une baguette magique, j’aurais dit « laissons tomber Mediapro, prenons les offres Canal et beIN, on va perdre 100 M€ mais au moins on est beaucoup plus sécurisé. » On n’a pas le droit de le faire, c’est un appel d’offres public avec toutes les règles logiques et légitimes que cela comporte.

Le choix s’est fait mais il y a quelque chose qu’on oublie complètement dans le schéma général, c’est le sujet du piratage ! Un des sujets majeurs qu’on occulte depuis un certain temps, c’est le niveau de piratage. Moi je me souviens, quand je suis arrivé dans le football, on atteignait facilement des scores de 2 millions de téléspectateurs sur Canal, qui est un ami historique, moi j’ai travaillé pour Canal en 1984. Aujourd’hui ces scores sont impossibles à atteindre. Est-ce que le niveau d’engouement des Français pour le foot a baissé ? Ah bon ? Vous l’avez vu baisser lors des matches de l’équipe de France retransmis par les chaînes normales TF1 et M6 ? Pas du tout ! 17 ou 18 millions, etc. pendant l’Euro et la Coupe du monde. Le niveau n’a pas baissé et comme par hasard on n’arrive jamais à atteindre 2 millions, on est plutôt entre 1,2 et 1,4 millions... La différence, elle se trouve sur le piratage ! Moi je pense que le législateur peut empêcher ce qui est un VOL ! Un vol manifeste de droits ! Pendant combien de temps allons-nous nous laisser nous voler les droits ?

Moi je suis assez optimiste sur le modèle Amazon car c’est mon métier d’origine, ce métier de marketing. Moi je sais qu’avec les moyens modernes, capter la consommation, le pouvoir d’achat, en apportant un grand service… Moi j’ai interrogé des gens autour de moi, ma sœur, ma tante. Elles me disent : «moi j’ai Amazon Prime, je suis livrée très régulièrement de croquettes pour le chien, de l’aspirateur machin». De plus en plus de Français, plus de 10 millions… Amazon est en train de progresser, avec une technologie intéressante. Qu’est-ce que ça donnera avec les droits du foot ? Ils sont dans un test de 3 saisons, nous verrons. C’est une espérance forte, nous sommes le premier pays à faire cette expérience. Elle et intéressante.

Beaucoup d’erreurs ont été faites sur l’appel d’offres de 2018. Moi je pense qu’une erreur majeure, c’est le droit de la sous-traitance. Vous ne pouvez pas donner un droit de sous-traitance ou de sous-licence sans le visa et la possibilité de mettre un véto de la part de l’organisme qui possède les droits ! Pourquoi ? Parce que demain vous pouvez sous-traiter aux Biélorusses qui vous font une propagande qui ne correspond pas du tout aux valeurs de la République française, qui pourrait être en distorsion totale. Ah vous me dites que Didier Quillot vous a déclaré juste avant que la Ligue avait en fait un droit de véto sur la sous-licence ? Ah, je l’apprends, c’est dommage qu’ils ne l’aient pas exercé car ils auraient pu le faire entre Canal et beIN par exemple. Je ne savais pas, on n’en avait jamais parlé, je demande à le vérifier ! Parce que si c’est ça, il faut vraiment être très bête pour accepter une sous-licence !

Mais bon peu importe. Ce que je veux dire par là c’est que je pense qu’on peut arriver par deux moyens à ne plus commettre les erreurs commises lors du précédent appel d’offres. Exiger le droit de véto formellement sur une sous-licence et réfléchir à la durée du contrat. 4 ans c’est très court pour rentabiliser un contrat. Moi je dirais 8 ans, pourquoi pas, 6 ans certainement mieux. Pour moi en fait il y a trois éléments à prendre en compte au niveau législatif : le piratage, le droit de véto des sous-licence et la durée des contrats. Il y a aussi un élément hyper important qui est la société commerciale, qui est chère à la ligue et qui est pour moi un élément essentiel pour réussir à sauver les clubs.

Nous sommes tombés dans un football de mécénat dans lesquels les actionnaires milliardaires mettent de l’argent. Pour moi, ce n’est même plus un investissement, car je ne vois pas comment ils peuvent le récupérer. Ils mettent de l’argent pour différentes raisons. Le PSG pour des raisons de diplomatie, d’image, etc. Monaco, ça lui coûte 200 M€ par an. Nice, c’est le même modèle. Marseille, Mc Court nous a dit que l’OM lui a déjà coûté 500 M€ en 5 ans. Je ne vois pas d’ailleurs comment ils pourront récupérer un jour ces sommes-là. Si on ajoute Rennes, 4^e fortune de France, qui met aujourd’hui des moyens importants… Il n’y a bien sûr aucune logique économique autour de tout ça. Même l’OL qui pour moi est un vrai modèle économique, un modèle brillant, a du mal à exister par rapport à ces modèles de clubs milliardaires sauf si Seydoux et Aulas se décident à mettre 300 ou 400 M€ de leur fortune personnelle. Le modèle de financement par des fonds a des limites, on voit ce qui se passe à Lille. Si c’est financer sur la dette comme au LOSC, je ne vois pas derrière ça la finalité., surtout sur des marchés en retournement…

Moi j'aimerais trouver un milliardaire qui puisse mettre le même argent que met Rybolovlev, ou Mc Court ou je ne sais qui. Ce n'est pas si facile que ça aujourd’hui. Vous avez trois possibilités. Vous avez des gens qui disent qu'ils ont les moyens, mais à la fin ils n'ont pas grand chose et feront plutôt moins bien que ce que nous nous avons fait depuis 20 ans. Nous, on est touché par une limite d'âge. Roland Romeyer à 76 ans, moi 67 ans et c'est inéluctable. L’âge est inéluctable et donc nous sommes obligés à un moment donné d'aller dans une démarche successorale. C’est absolument logique, c’est le sens de la vie et il n’y a aucun souci de ce point de vue-là. Mais derrière, un club de football n'est pas une entreprise comme une autre. Il y a une dimension sociale, médiatique, publique extrêmement importante. Vous ne pouvez pas dire, « je m'en débarrasse et derrière ça, je ne me soucie pas de ce qu'il va se passer après ». Vous devez avoir dans une démarche successorale, une démarche dans laquelle vous devez être sûr que les gens qui viennent après ne sont pas des doux-rêveurs. Que ce sont des gens qui ont des moyens.

Pour moi, le profil idéal, bien évidemment, pour faire passer un cap à ce club qui est en moyenne 5e du championnat sur les 10 dernières années en ayant le 8^e ou 9e budget de France... Faire passer un cap, pour moi, ça veut dire avoir la capacité d'un groupe qui investit plusieurs centaines de millions d'euros pour passer à un certain niveau. Nous, on est un club on va dire entre 4-5 et 8-9 du championnat. Mais vous passez comment à un club de top 4 ? Pour passer à un club de top 4, la politique de formation qui est excellente et menée par Claude Puel ne suffit pas. Il faut passer à une autre politique qui est une politique aussi où vous avez des cadres de haut-niveau, des joueurs de haut niveau, capables d'amener l'équipe sur le top 4. C'est une nécessité. Sinon vous n’y arriverez pas sans ou ça mettra beaucoup de temps.

La politique de Guy Roux, qui est un peu celle d’Auxerre, heu, Saint-Etienne aujourd’hui.  Je comparerais Saint-Etienne tel qu’il est aujourd'hui à Auxerre : politique de formation, entraîneur très expérimenté… heu, ça ressemblerait plutôt ça avec une dimension médiatique plus forte, certainement. Mais c’est un peu ça, on est conduit à faire cette politique-là. D’ailleurs, on n’est pas les seuls, hein ! Tous nos collègues qui réfléchissent nous disent « je ne vois pas les autres politiques qu’on peut mener qu’une politique de formation aboutie ». Nous avons 19 jeunes de moins de 20 ans issus de l’académie qui ont joué cette année, c’est un record en Europe. Et nous avons 35% du temps de jeu sur des moins de 20 ans. Et nous aurons probablement l’équipe la plus jeune du championnat cette année. Pour moi ce sont des éléments très, très positifs.

Après, le plus grand bonheur qui pourrait nous arriver c'est d'avoir des successeurs qui aient des moyens beaucoup plus importants. Mais que je dis "importants"… Vous prenez Lens, l’actionnaire en est à près de 100 M€ mis de sa poche. Le brave Kita qui est très vilipendé, ce n’est pas mon problème mais il en est quand même à 130 M€ de sa fortune personnelle, à tort ou à raison. Ces modèles-là, est-ce qu’ils vont vous amener vers la Champions League ? Non ! Combien de moyens faut-il ? Quelle politique ? Il faut une politique de formation. Il faut derrière des moyens investis de façon intelligente. Et il faut également un horizon de football de réformes. Ça aussi c’est un sujet hyper important ! Moi je dis que les clubs doivent se mettre en séminaire, travailler et pondre des réformes fortes mais qui ne peuvent pas se faire uniquement sur des décisions nationales. La France ne s’arrête pas à l’hexagone. On a besoin de l’UEFA, de la FIFA pour nous aider à pondre ces réformes.

Moi, je dis toujours, j'ai une idée très simple sur l'Europe. Pourquoi ne pas faire une Coupe d'Europe comme la Coupe de France, qui rassemblerait les 900 clubs européens ? Ce n'est pas idiot. Vous faites exactement la même chose sur un match, ça se joue sur une saison. Vous allez voir que les têtes de série rentrent en 32es de finale un peu comme la Ligue 1 pour la Coupe de France. Même si c'est faiblement doté financièrement, ça créé une dimension sportive et ça donne à chacun la chance d'être champion d'Europe, de gagner la Coupe d'Europe ! Je trouve que le football manque de compétitions de ce type où il n'y a pas grand chose à gagner, sauf l'honneur et le prestige qui sont peut-être les deux valeurs les plus importantes dans le sport.

Avec Roland, on ne fait pas les sorties de boites de nuit pour pister les joueurs. On ne l’a jamais fait. Guy Roux à l’époque il était à 150 km de Paris donc il savait où ils allaient. Je ne suis pas persuadé que les Stéphanois aillent beaucoup à Lyon. J’ai cité Auxerre car c’est un exemple de politique de jeunes de centre de formation. Il y en a eu d’autres en France. N’oubliez pas que l’ASSE dans les années 76 développait une politique de formation extrêmement innovatrice. La politique de jeunes, j’en suis persuadé, c’est la seule… Un jeune de 18 ans, vous lui donnez 15 matches de L1, très souvent vous vous rendez compte qu’il a dépassé les tensions, le stress, la peur. Il a réussi à banaliser ces matches-là, il a passé le cap. Et quand il passe le cap, il devient un joueur d’un niveau nettement supérieur. Vous auriez acheté un joueur 10 M€ il y a six mois, et ben le jeune que vous avez il est aussi bon 6 mois plus tard si vous lui donnez la possibilité de faire 15 matches. C’est la philosophie de Claude Puel.

Moi, pour aller beaucoup dans le monde, je m’attache à voyager beaucoup. Regardez ce qui se passe dans d’autres pays. Il y a un mois et demi j’étais en Colombie, c’était formidable ! Ça me faisait penser au football à l’ancienne que j’ai adoré des années 1985-1990 en France avec des jeunes de qualité et qui sont très abordables financièrement. Il faut qu’on regarde le monde, le football est devenu universel ! Le football se joue en Chine, en Australie et pas seulement en Amérique du Sud, en Afrique et en Europe ! Moi je parle en tant que passionné, la grande question qu’on doit tous se poser, c’est "que ce sera le football de 2025-2030 ?" Je ne serai plus dans le football en tant que représentant de club mais jusqu’à mon dernier souffle je garderai ma passion du football. Je l’ai depuis 6 ans, elle ne me quittera jamais.

Nous à l’ASSE on travaille sur un concept « Les Verts ». On pense que dans la notion d’environnement et de responsabilité sociale, nous pouvons être porteurs ne serait-ce que pas nos couleurs même si j’ai vu que les Italiens envisagent d’interdire les maillot verts à partir de 2023 parce que ça se confond avec la pelouse. C’est quelque chose d’assez ridicule. Il y a peu d’équipes qui jouent en vert dans le monde mais il y en a quand même beaucoup, même des équipes nationales comme le Mexique ce qui n’est pas un bon souvenir aujourd’hui parce qu’ils nous ont battus aux Jeux Olympiques mais peu importe. La réalité c’est que moi je dis à l’intérieur du club, et le club travaille sur ce concept-là : « aujourd’hui, on a une mission environnementale importante, on s’appelle les Verts, il faut travailler dans cette direction notamment dans le marketing. »

En ce qui concerne les droits télé, moi je vais vous dire mon sentiment profond. On augmente les revenus dans le football pour quoi faire ? Pour faire en sorte que des gamins, des jeunes, gagnent 100 000 € au lieu de 50 000 € par mois ? Sincèrement, à 22 ans ou à 20 ans, 50 000 €, c'est beaucoup d'argent. Moi, je pense sincèrement et on en fait la démonstration à l’ASSE… Si vous saviez ce que gagne la moitié de l’équipe, vous diriez, « mais vous faites des exploits extraordinaires à Saint-Etienne. » Non, moi je considère qu’à 20 ans, 15 000 € ou 20 000 € c’est beaucoup d’argent. Combien de jeunes gagnent autant, dans quel métier ? La vérité, si c’est pour donner le double du salaire à des gens qui joueraient exactement de la même façon… Car ils ne jouent pas pour l’argent contrairement à ce qu’on pense, c’est complétement faux. Après, il y a la pression des agents, etc.

Aujourd'hui, on est revenu aux années 2014-2015 en ce qui concerne les salaires et les charges des clubs. Si on ne le comprend pas, on se trompe. Je pense que nombreux sont les clubs qui le comprennent. Qu’on ait des joueurs très chers payés parce que ce sont des talents, pourquoi pas. Mais l'erreur qui a été faite ces dernières années, c'est de donner, parce qu'il y avait plus de moyens ou supposément plus de moyens, plus d'argent à des joueurs moyens. Ça, c’est une erreur ? Nous on a compensé cette erreur-là A Saint-Etienne, on a compensé cette erreur grâce à Claude Puel. On a fait un retournement, ce qui explique nos bons résultats financiers, nous sommes le seul club qui depuis 10 ans n'a JAMAIS fait un exercice déficitaire. Jamais ! Pourquoi ? Parce que derrière on a cette préoccupation. A l'AS Saint-Etienne, la saison prochaine, on aura éliminé tous les salaires au-dessus de 100 000 €. On va revenir à un salary cap tel qu’on l’avait à une époque. Parce que cela fait partie de notre politique. Après chacun mène sa politique. Nous on pense que c'est la meilleure politique possible et que l’histoire nous aura donné raison."