11 Freunde publie dans son édition de février un reportage sur l'ASSE, "mythe français qui fête ses vieux poteaux carrés", "club le plus émouvant de France." Vous n'avez pas pu vous procurer le numéro de ce réputé mensuel allemand ? Vous ne maîtrisez pas la langue de Roland Wohlfarth ? Pas de panique, le potonaute Ellestin vous propose une excellente traduction. Willkommen in der Grüne Hölle ! Bienvenue dans l'enfer vert ! Premier extrait.

"Lorsque tu viens à Saint-Etienne, tu pleures deux fois. C’est ce que disent les gens d’ici sans sourciller. Ils le disent comme un prêtre récite un évangile. Tu pleures une fois en arrivant et en prenant en pleine figure la grisaille de cette ville de mineurs. Les façades partiellement effondrées, une passerelle piétonne d’un jaune écaillé, toute droit sortie des années 70, et la place de la mairie, avec ce petit carrousel qui grince seul dans son coin. Pourtant, et c’est une certitude ici, tu pleures une deuxième fois en quittant la ville. Tu pleures, parce qu’à la seconde où tu pars, les gens d’ici te manquent déjà.

L’attraction touristique de Saint-Etienne, ce sont les Stéphanois*, les gens du cru, les fans de l’ASSE. Pour en rencontrer de vrais, trois lieux obligés : le bar où ils regardent le foot. Le musée de l’ASSE, qui est en vérité le musée de la ville de Saint-Etienne entière – une ville qui s’accroche à la grande histoire du foot comme un patient à sa perfusion sanguine. Et enfin il faut bien entendu aller au stade, à Geoffroy-Guichard, l’enfer vert*, comme ils disent en France.

Au printemps dernier, des fans de toujours nous ont fait visiter ces lieux de culte. D’abord, nous nous rendîmes dans une rue secondaire du vieux centre, au Lipopette. C’est un de ces bars dont on pourrait rater la porte d’entrée, mais qui, dès le premier pas à l’intérieur, paraît aussi grand et animé qu’un monde à part entière. Les verres de Guinness fraîchement tirée du fût glissent sur le long comptoir en bois. Au-dessus de la caisse se pressent messages, petites annonces, capsules, bouteilles contre bouteilles ou encore des panneaux émaillés affichant des proverbes des années 50. Le Lipopette tire son nom d’un morceau d’un rappeur français, mais il bourdonne comme un vrai pub britannique, dont les Britanniques sont absents. Le genre d’endroit où on ne se contente pas d’entrer : on y emménage.

 La porte s’ouvre et se ferme en permanence, au gré des salutations bruyantes, des bises à droite et à gauche. Ca va ?* La réponse : 3-0. Le score du week-end. Tout le monde ici supporte l’AS Saint-Etienne. Comme s’ils avaient le choix. En cette soirée du mois d’avril, la télévision retransmet la Champions League, une compétition à laquelle le club local n’est depuis longtemps plus invité. A côté de l’écran, quelqu’un a pris la peine d’écrire soigneusement sur un tableau avec encadrement de bois la liste des bières au menu. Jeff Vernet les connaît toutes par cœur, assurent ses amis. Jeff une petite dernière !* Tel est son surnom. Jeff a la trentaine bien pesée. Il vide son verre de Guinness et lève les yeux. Un bref sourire et le regard apaisé du confort satisfait. Jeff fredonne le chant à la gloire d’un joueur techniquement limité, mais qui a pour lui d’avoir marqué ce but inoubliable : Ne jamais oublier, ce soir on va gagner, grâce à Monnet-Paquet – allez allez oh oh*. Jamais ils n’oublieront cette soirée où ils ont gagné grâce à Monnet-Paquet. Kevin Monnet-Paquet a marqué dans le derby contre Lyon – et ça suffit à lui assurer des louanges éternelles. Jeff et sa bande de fans – Sylvain, Jean-François, Aurélien, Thibault – aiment tailler le bout de gras dans une ambiance conviviale, mais au bout du compte, on finit toujours par parler du voisin lyonnais. Lyon c’est un peu leur Babylone à eux. Leur grand ennemi."

*en français dans le texte