Les purs Verts plus forts que Lyon-Lyonnais

28/07/2023
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Dans un intéressant papier de Jean-Philippe Leclaire, la Pravda du jour nous rappelle qu'en 1943 des Verts (dont Jean Snella, photo) ont refusé d'intégrer la formation du "Lyon-Lyonnnais" dans la nouvelle formule du championnat inventée par le régime de Vichy. Extraits.

"À cette terrible époque, au moins en football, Lyon se trouvait encore dans la banlieue de Saint-Étienne. Lors de la dernière saison d'avant-guerre, en 1938-1939, les Verts, à peine montés en Première Division, se classaient brillamment quatrièmes. À 64 kilomètres du stade Geoffroy-Guichard, le football entre Rhône et Saône se hâtait plus lentement vers l'élite. La section football du Lyon Olympique Universitaire (LOU) ne passera professionnelle, ou plutôt semi-professionnelle, qu'en 1942. Et il faudra encore attendre huit ans (1950) avant que l'Olympique Lyonnais ne dispute son premier match à Gerland. « Avant-guerre, la notion de derby n'a pas beaucoup de signification. L'ASSE n'a joué que quelques matches contre le FC Lyon et l'AS Villeurbanne (en amateurs, entre 1933 et 1936) », explique l'historien Pascal Charroin, maître de conférences STAPS à l'université de Saint-Étienne.

L'Occupation et le régime de Vichy vont rebattre les cartes. Le 15 juin 1943, le commissaire général à l'Éducation physique et aux Sports, Joseph « Jep » Pascot, 45 ans, un ancien rugbyman catalan devenu colonel de l'armée française, présente une nouvelle formule de Championnat révolutionnaire. Les trente-deux clubs professionnels français sont priés de laisser la place à seize équipes dites « fédérales ».

Chaque équipe représente une zone académique. Elle porte le nom de sa ville principale auquel s'ajoute celui de la région représentée. Voilà comment va émerger du néant l'équipe de « Lyon-Lyonnais » censée faire jouer ensemble, sous un même maillot rouge orné d'un blason frappé du lion, les meilleurs Gones et la crème des « Gagas » stéphanois. « Une mixture entre l'ASSE et le LOU », ironise à l'époque le journal Football. Une « mixture » indigeste, une construction artificielle et un délire idéologique, à l'origine d'un des épisodes les plus méconnus et les plus controversés de la rivalité footballistique entre les deux villes.

Tout part du profond mépris qu'éprouvent les responsables de Vichy pour le sport professionnel en général et les footballeurs en particulier : « Je crois intéressant de signaler que dans notre région, la majeure partie des joueurs professionnels étaient des dévoyés, passant leur temps dans les cafés et les dancings. Ils étaient couverts de dettes », se moque le rugbyman Pascot, qui succède, en avril 1942, au tennisman Jean Borotra comme commissaire des Sports de Vichy. D'où cette idée saugrenue de transformer les footballeurs professionnels en « joueurs moniteurs » d'État. « Devenu moniteur, le joueur pro devra, en dehors de son entraînement personnel, surveiller et orienter les autres », précise le statut du joueur professionnel édicté par le commissariat aux Sports.

Le gardien de but stéphanois, René Llense, onze sélections en équipe de France (1935-1939), est affecté dans une école primaire puis un collège stéphanois pour 1 769 francs par mois, soit pas tellement moins que ce qu'il percevait comme professionnel avant-guerre. Il n'est plus payé par l'AS Saint-Étienne mais devient un fonctionnaire du commissariat aux Sports de Vichy. Treize ans après sa création (en 1932), « le football professionnel est nationalisé », résume Pascal Charroin.

C’est à Saint-Étienne, alors septième plus grande ville de France, que la colère gronde le plus fort. L'ASSE est dirigée par Pierre Guichard, 37 ans, fils de Geoffroy auquel il a aussi succédé à la tête des établissements Casino. L'héritier mobilise toutes les notabilités locales, jusqu'au tout-puissant comité des houillères qui s'adresse officiellement au préfet de la Loire, au colonel Pascot et même au chef du gouvernement, Pierre Laval : « La présence à Saint-Étienne d'une bonne équipe de football professionnel a une influence d'ordre moral sur la jeunesse et en particulier la jeunesse ouvrière des houillères (...) Le football permet de détourner la jeunesse de la fréquentation exagérée des cinémas et des cabarets très répandue chez les mineurs », plaident les grands patrons des mines stéphanoises. « S'il ne doit y avoir qu'une équipe de football, elle doit être à Saint-Étienne », exigera quelques semaines plus tard l'hebdomadaire local Nos Sports fondé par Pierre Guichard lui-même.

Mais le colonel Pascot se montre intraitable avec l'ASSE. Pierre Guichard démissionne de la présidence, et trois Verts refusent de rejoindre l'équipe de Lyon-Lyonnais. « Stéphanois je suis, Stéphanois je reste, dussé-je abandonner le football », déclare solennellement le milieu de terrain Jean Snella, qui deviendra après la guerre un entraîneur célèbre et donnera son nom à la tribune sud du stade Geoffroy-Guichard. Snella et ses coéquipiers Ignace Tax et Thomas Lauer sont, dans un premier temps, radiés à vie, avant de bénéficier d'une grâce conditionnelle.

« En échange, les dirigeants et sportifs stéphanois ne doivent pas persévérer dans une attitude d'opposition qui risque de nuire à l'intérêt général et à leur intérêt particulier », demandent Pascot et ses sbires du commissariat aux Sports. Finalement, cinq Stéphanois (René Llense, Abdelkader Amar, Joseph Rich, Roger Rolhion et Aridex Calligaris) rejoignent en traînant les crampons l'équipe de Lyon-Lyonnais. Parmi leurs nouveaux coéquipiers figure notamment Jean Belver, alors joueur au LOU et futur double champion de France (1951-1952) avec Nice.

L'équipe fédérale lyonnaise compte donc quelques joueurs de talent, mais la « désertion » de Jean Snella et des deux autres Verts laisse un grand trou dans l'effectif et les débuts sont rocambolesques. Pour son premier déplacement, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), l'équipe de Lyon-Lyonnais débarque avec seulement neuf joueurs opérationnels ! Les dirigeants lyonnais sont obligés de se rendre au siège de la FFF pour demander de l'aide. L'hebdomadaire stéphanois Nos sports s'en délecte : « La FFF alerta par pneumatique un certain nombre de joueurs susceptibles de parer aux défaillances, on les informait qu'une occasion s'offrait à eux de "rendre service" à la 3F. » C'est ainsi que furent recrutés en catastrophe un amateur troyen (Fourmont) et un autre du Racing (Bordes).

Pendant ce temps-là, l'AS Saint-Étienne, qui a perdu son statut professionnel, doit se rabattre sur le Championnat de France des amateurs, lequel compte 80 clubs. Les Verts souffrent de l'absence de leurs joueurs réquisitionnés par Lyon-Lyonnais. Les Stéphanois doivent attendre la cinquième journée pour enregistrer leur première victoire, un 3-0 contre Gap. Mais le match le plus important de la saison se déroule le 5 décembre 1943, au stade Geoffroy-Guichard. Il oppose les pros de Lyon-Lyonnais à une sélection amateur qui compte six Stéphanois dont les ex-« bannis » Snella, Tax et Lauer.

« Dès 14 h 15, les tramways qui conduisent vers le stade Geoffroy-Guichard sont pris d'assaut, se réjouit l'hebdomadaire Nos Sports. Dans les tribunes, les places vides sont rares. Les spectateurs commencent à se serrer sur les plans inclinés, et les virages, pour la première fois de la saison, ne sont pas déserts. Ce ne sera pas la grouillante ceinture humaine du match contre Marseille, en 1938, mais ce ne sera pas non plus l'intimité froide et grise des matches de 1943-44. »

En première période, le temps glacial et la nette domination des pros refroidissent un stade qui n'est pas encore surnommé le Chaudron. « Mais en deuxième mi-temps, après un but inscrit par les amateurs, le public encourage ces derniers, écrit Pascal Charroin. Les spectateurs s'en prennent aux Fédéraux qui incarnent le modèle Pascot. À la fin du match, la liesse populaire atteint son paroxysme. Les ex-Stéphanois partis au Lyon-Lyonnais sont considérés comme des traîtres qui apportent leur caution au Commissariat général, ils essuient crachats et insultes. »

Ceux que la presse sportive surnomme « les purs » l'emportent 3-1 sur les pros, dont un but sur coup franc de l'ex-banni Ignace Tax qui trompe son ancien coéquipier chez les Verts, le malheureux gardien René Llense. Dans la tribune officielle, le préfet de la Loire, pourtant vichyste, interpelle un dirigeant du Championnat fédéral : « Vous pouvez juger combien vous avez privé le public stéphanois en lui enterrant son équipe de professionnels ! » s'insurge le haut fonctionnaire.

Jusqu'au bout, Lyon-Lyonnais traînera sa misère. L'équipe mal née et mal aimée termine la saison à la treizième place (sur seize) du classement. La chute du régime de Vichy entraîne la fin du Championnat fédéral, qui n'aura donc duré qu'une saison. Les Verts, redevenus professionnels, devront encore attendre douze ans avant de remporter leur premier titre de champions de France. Ils sont alors entraînés par Jean Snella, l'ex-« radié à vie », le Stéphanois qui aurait préféré abandonner le football plutôt que de rejoindre les pros « impurs » de Lyon-Lyonnais."

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