Septième épisode des confessions d'Helder Postiga à son docteur, par Rising42. A savourer sans modération !


Bonjour Docteur !

Vous vous souvenez de moi ? Helder !... Helder Postiga !... Il y a bien longtemps que nous ne nous sommes pas vu. Vous vous rappelez, c’était une semaine après que je sois arrivé à Saint Etienne.
Oui, je sais, Docteur, il est cinq heures du matin, et je vous réveille un dimanche… Mais, vous comprenez... J’ai cherché à vous téléphoner et je suis tombé sans arrêt sur un répondeur… Je vous ai laissé plein de messages d’ailleurs… Aah, vous aviez coupé votre portable pour avoir la paix… Je vous comprends, Docteur, parce qu’avec tous ses fous qui vous appellent sans cesse vous devez être épuisé. Bon, alors comme je n’arrivais pas à vous joindre, je suis allé à l’hôpital psychiatrique et j’ai tellement insisté qu’ils ont fini par me donner l’adresse de votre appartement. Vous comprenez, je me suis dit que si vous ne m’entendiez pas au téléphone comme d’habitude après les matches, vous alliez vous faire un souci monstre, vous demandant ce qu’il pouvait bien m’être encore arrivé. Alors me voilà !... Vous êtes rassuré, hein ?

Alors, Docteur, comment ça va ?... Pardon ?... Le malade ce n’est pas vous ?... Oui, je sais… Mais je ne suis pas malade, non plus, Docteur… Moi aussi, je vais très bien… Enfin, c’est une façon de parler… En fait, je suis juste recherché par la police. Du moins je crois que c’est la police. Vous allez comprendre, je vous explique.

Hier soir, je sortais du stade après le match, lorsque, vous ne me croirez pas, j’ai vu des supporters Lyonnais installés sur le trottoir de l’autre côté de la rue. Comment je savais que c’était des Lyonnais ? Alors, là, Docteur, ce n’était vraiment pas difficile. Déjà, il suffisait de voir leurs regards vides de toute intelligence et tout juste animés d’intentions belliqueuses. Comment ça ?... Eh bien, Docteur, si vous voyez des types habillés tout de noir avec un casque à visière sur la tête, un bouclier, une matraque avec laquelle ils tapent en rythme sur le bouclier, vous ne croyez quand même pas que ce sont des poètes. Mais moi, qui ne suis pas idiot, j’ai tout de suite compris qui ils étaient. Remarquez bien que c’était évident pour quelqu’un qui a un minimum de cervelle active. Ils avaient des véhicules sombres, on aurait dit des camions militaires, dans lesquels certains étaient entassés comme des filets de morue dans une boîte ; et de plus, ces camions avaient une plaque d’immatriculation avec un gros 69 et des bandes bleu et rouge sur le côté. Une preuve flagrante. J’ai tout de suite fait signe à Piquionne qui était dans sa voiture à côté de la mienne. Je ne sais pas trop pourquoi, il a tout de suite reculé, coupé le moteur et éteint ses phares, puis il est descendu, a ouvert la malle et s’est glissé à l’intérieur avec Omar qui montrait les crocs. Moi, je n’ai pas reculé.. J’ai démarré… Et quand je suis passé devant les Lyonnais, j’ai baissé ma vitre pour leur crier des slogans fleuris que je ne comprends pas encore, mais que j’ai appris à force de les entendre des tribunes, et je leur ai fait le geste de reconnaissance des supporters stéphanois en présence des Lyonnais : un doigt en l’air. Puis, comme j’ai vu qu’ils n’avaient pas tout compris, j’ai fait demi tour et je suis repassé en trombe en les frôlant, même que je crois bien que j’ai dû rouler sur les pieds de l’un d’entre eux, car je l’ai vu dans mon rétroviseur qui sautait en l’air, et qui retombait tête première sur l’angle du trottoir. Aaah, Docteur, le Kop Nord aurait été fier de moi.. Moi, je vous le dis…

Et là, je roule un petit kilomètre, et je me gare pour vous téléphoner. Vous comprenez, Docteur, il vaut mieux ne pas téléphoner en roulant pour ne pas avoir affaire aux gendarmes. Et puis, moi je suis très respectueux de la loi. Mais je n’avais pas encore composé votre numéro, que j’ai vu arriver derrière moi les Lyonnais qui m’avaient suivi, et qui sautaient des camions la matraque en l’air dans ma direction. Très vite, ils encerclèrent ma voiture, une 104, à l’état d’épave, que m’a prêtée mon interprète. Alors, ne voyant pas d’issue, j’ai fait ronfler le moteur pour leur faire peur… Mon pied a glissé sur les pédales… La voiture a bondi en avant, écrasant au passage trois Lyonnais… Le capot du moteur s’est détaché, a volé en l’air très haut, pour retomber dans un bruit sonore et sec sur quelques Lyonnais, les éliminant quasiment tous. Je dis quasiment, car certains sont quand même sortis indemnes du carnage, et sont repartis avec un camion à ma poursuite.

J’ai roulé toute la nuit. Moi devant, eux derrière. Vous imaginez la scène. Impossible de les semer… Jusqu’à Saint Victor, où dans la descente, dans un virage, le camion a dérapé, a enjambé le talus puis est tombé dans la Loire… Dans un grand ploufff… Je me suis arrêté… Je suis allé vers le point de chute… Pas un bruit… Juste un pneu éclaté qui fumait en contrebas, et la portière cabossée du camion qui avait été arrachée et gisait sur le talus. Je ne vous dit pas ma stupéfaction, Docteur, lorsque j’ai lu sur la portière : Compagnie Républicaine de Sécurité CRS 46 Sainte-Foy-les-Lyon. Je venais de décimer à moi tout seul toute une compagnie de CRS Lyonnais… C’est dingue, non ?... Juste le temps pour moi de réciter une petite prière pour que ces mécréants évitent l’enfer qu’ils méritent, puis, je suis revenu en ville, rassuré. Mais ne sachant plus trop quoi faire, et ne pouvant pas vous joindre, je me suis donc débrouillé pour vous trouver chez vous.

Alors, voilà, Docteur, que pensez-vous de mon mauvais rêve ? Je me demande bien ce qu’il signifie ?... Pardon ?... Ben oui, Docteur, c’était un rêve !… Ou plutôt un cauchemar !… Non, finalement, c’était un rêve !… Parce que pulvériser des Lyonnais, c’est un tel plaisir, qu’on en redemanderait toutes les nuits… Hein !!! Vous avez crû que c’était réel ? Sacré Docteur, vous me ferez toujours rire !... Si vous croyez tout ce qu’on vous raconte, on n’est pas sortie de la berge. Je n’ai peut-être pas bien commencé mon récit, mais vous savez, je débute avec la langue française, alors j’ai des lacunes qui font que mes propos ne sont pas toujours très clairs. Certains croient que je suis fou, mais en réalité je suis juste un peu imprécis… Docteur, vous êtes tout blanc… Tenez, montrez-moi où est la cuisine, je vais vous faire des brioches fourrées à la morue… Ma spécialité… Comme ça, je vais vous redonner des couleurs, moi… J’ai tout ce qu’il faut dans mon sac… Ma mère m’a envoyé par la poste de la morue portugaise bien fraîche, pêchée il y a 3 ans en Atlantique Nord… Elle sent un peu parce que la Poste avait perdu le colis, et il est arrivé avec 2 mois de retard… Mais vous savez, Docteur, comme on dit chez nous, la morue, plus elle sent et meilleure elle est !!!…
Et puis pendant que je vous ferai les brioches, je vous raconterai ma semaine.

Il ne s’est rien passé d’original depuis le match contre Nice. Tout le monde était abattu. Le coach nous a réappris les bases du football. J’ai trouvé ça un peu bizarre, parce que je connais bien ces bases-là. Mais il est clair que certains dans le groupe, et pas forcément les plus jeunes, ont besoin de réviser en permanence parce que leur vie est partagée entre le travail au ralenti et le dilettantisme… Et puis, il y a des nuits qui laissent des traces tant sur la force physique que sur la mémoire. Le coach, que j’ai vu pour la première fois avec des yeux noirs de taureau andalou qui va charger, a bien dit qu’il savait des choses et qu’il s’en souviendrait longtemps et même que ce qu’il savait lui servirait pour l’avenir. Moi, je lui ai dit au coach qu’il était lent à la détente, parce que je savais aussi ce qu’il savait et pourtant j’étais là depuis moins longtemps que lui. Eh bien, Docteur, figurez-vous qu’il ne m’a même pas dit de fermer ma gueule comme d’habitude. C’est vous dire… Le petit excité avec l’écharpe verte était descendu de son trône fleuri et venait tous les jours pour nous encourager en nous disant encore une fois qu’on jouait le maintien. Ce qui a eu pour effet de déclancher une danse du scalp de Feindouno, de Piquionne et d’Ilunga… Superbe !… Ils sautaient d’un pied sur l’autre en lançant les bras en l’air… Vous savez, Docteur, comme quand ils marquaient un but… J’ai vu ça à la télévision parce que ça remonte à très loin… Et ils chantaient tous ensemble :
 
On joue le maintien… On joue le maintien… On joue… On joue… On joue le maintien…

Et alors tout le monde a tapé dans les mains et a repris avec eux le refrain, puisqu’il n’y avait pas de couplet. Omar remuait la queue, sautait en l’air en aboyant et me regardait, semblant ne pas comprendre pourquoi je ne prenais pas ma guitare. On a passé la fin de la semaine à chanter la chanson et à danser, pour bien ancrer dans nos esprits quel était notre objectif. Le coach, lui, debout, la casquette bien enfoncée sur le crâne à cause du vent, les bras croisés, le regard taurin, tapait du pied, laissant présager une tempête imminente. Enfin, quand je dis on a chanté, je devrais dire ils ont chanté, parce que Basto, Piatti et moi étions perplexes, stupéfaits de voir qu’un manque d’ambition pouvait à ce point déclancher des transes collectives. Si on avait eu cette philosophie à Porto, José Mourinho nous aurait mis dans les cales d’un bateau en partance pour le cap Horn à la saison des tempêtes, et nous aurait récupérés au retour la cervelle bien en place. Enfin pour ceux qui en ont une.

Donc, hier soir nous avons joué contre Lille... Cette équipe qui ne joue pas, mais qui marque des buts par délégation… Ils sont solides, fins techniciens mais très fainéants. Tout l’inverse des copains. Nous devions nous méfier, puisqu’ils nous avaient déjà battus à trois reprises. Le coach ne finit pas de m’étonner. Il a encore relégué mon copain argentin sur le parking pour contrôler les accès. Il a déjà été aux caisses, à la buvette, au marquage du terrain… Il lui reste encore à nettoyer les W. C. et à cirer les pompes du groupe, et peut-être qu’après il pourra espérer jouer. Basto s’est encore retrouvé remplaçant. Il le prend bien parce qu’il considère le coach comme la réincarnation de Vasco de Gama, mais il se demande quand même pourquoi on est venu le déranger dans sa retraite batave. Mazure a refusé de fouiller les spectateurs aux entrées. Il sera donc puni et devra repeindre cette semaine les grilles du stade… En orange… Comme les sièges… Parce que le petit excité avec l’écharpe verte a acheté un lot de peinture en promotion chez Castorama… Les temps sont durs… Les joueurs coûtent chers, et après il n’y a pas assez d’argent pour l’entretien. Zokora et Piquionne avaient de superbes chaussures vertes, comme Govou qui avait disjoncté vendredi à Gerland, et comme pour mieux se convaincre qu’ils portent un maillot de la même couleur.

L’atmosphère hier était bizarre. Mais moi j’étais content parce que j’ai eu de la lecture. Déjà, j’ai crû comprendre que le Kop Nord nous félicitait de jouer le maintien… Et puis les supporters avaient écrit que la direction manquait d’autorité. Quelle idée aussi d’acheter des voitures sans direction assistée… C’est bien les jeunes, ça !... Enfin, j’étais triste quand ils m’ont appris que la venue de Tifo, sans doute un compatriote que je ne connaissais pas, était annulée… Il faudra que je demande au coach.

Le match a débuté. Nous étions bien en place. En face, les fainéants nous regardaient. Leur entraîneur, un petit coq costumé passait son temps à invectiver bruyamment ses onze poules, pressé de rejoindre son poulailler en ces temps de grippe aviaire. Nous, nous essayions de combiner des mouvements tellement compliqués que Piquionne, qui avait fait un tel effort pour les comprendre, perdait tout son influx et inversait son pied carré gauche et son pied carré droit, ou loupait ses centres, admirant ses belles chaussures plutôt que de lever la tête et de regarder ma position... Et puis, j’ai failli marquer un but... En prolongeant un tir tordu... Sylva, le gardien des autres, qui fait de très belles sorties aériennes, lui, fit une belle parade. J’étais déçu parce que mon action méritait mieux. Les fainéants d’en face ne faisaient rien, comme prévu, mais ils trouvèrent le moyen de lancer trois raids qui auraient pu nous coûter trois buts, mais qui, par miracle, ne nous en coûtèrent qu’un. Puis ce fut la mi-temps. Vraiment j’étais déçu, car l’équipe avait pas mal joué… Manque de réalisme… Manque de chance… Un arbitre encore une fois pas très objectif…

Dans les vestiaires, pas de danse du scalp. Juste Feindouno philosophant sur le sens de la vie, nous expliquant que tout cela n’est pas grave car c’est le football… Sachant que l’an prochain il sera ailleurs, et que nous, nous serons là à méditer sur l’envol des oiseaux migrateurs. Feindouno résonne comme un tam-tam, plus qu’il ne raisonne. Pour détendre l’atmosphère, j’ai félicité Zokora pour sa coiffure à la Nefertiti. Il m’a répondu qu’il n’avait pas à faire pipi puisqu’il n’y avait pas de contrôle anti-dopage. Je n’ai pas tout saisi. Il est très bizarre ces temps-ci… L’air océanique britannique qui le trouble sans doute.

À notre retour sur le terrain, de la lecture nous attendait. Je n’ai pas trop compris. Le Kop Nord semblait participer à la Coupe inter brelots des publics. Vous connaissez cette coupe, Docteur ? … J’ai demandé à Loïc ce que le mot brelot voulait dire. Il m’a répondu :

Un brelot, mon belet, c’est une brèle !...

Fouilla, j'étais bien avancé… Me voyant interloqué. Il rajoute :

Une brèle, c’est une bille, mais ça peut être aussi une chèvre.

Je fais celui qui comprend pour ne pas le contrarier, mais j’ai quand même du mal à imaginer une chèvre jouer aux billes… Un peu comme un Piquionne qui jouerait au foot…

Bref le match reprend. Loïc et moi nous courons, nous brûlons toutes nos réserves pour essayer d’égaliser, alors que des copains veulent garder leurs réserves pour le reste de la nuit. Puis nous encaissons un deuxième but, sur une excellente relance de Yahia vers Keita qui démarre comme une torpille, pour finir par évoluer au milieu de quatre ou cinq défenseurs Verts, tel une mouche sur un tas de compost, et marquer d’un beau tir sur lequel Janot ne peut rien faire. Le stade se tait. Du moins le Kop Nord. Encore un texte. Le Kop Nord réclame son émancipation et son autogestion en décidant du moment et du lieu de ses encouragements. Quelques courageux continuent de chanter timidement, et le Kop Sud se démarque en nous encourageant admirablement. Nous coulons, avec une partie de nos supporters qui nous tiennent la tête sous l’eau. C’est difficile. Piquionne rate une nouvelle fois les cages vides. Je vais le consoler. Le coach me sort. Je n’aurais pas dû le consoler. Mais nous formons un groupe, non ? Je suis déçu. Mais le Kop Nord muet jusqu’ici scande mon nom. Ce qui me redonne le moral... Vite estompé par les huées de tout un stade et les rôts digestifs de la tribune officielle. C’est fini… Encore une défaite…

Nous regagnons les vestiaires où le fou du Roi des Verts, le petit frisé, déclare aux journalistes qu’il n’a pas peur. Pourtant lorsqu’on voit sa tête, on a l’impression qu’un jour lointain il a connu une grande peur et que depuis il en a conservé le rictus, la coiffure et un discours incohérent chronique. Quant au petit excité avec l’écharpe verte, il parcourt tous les recoins du stade avec une baguette de coudrier et un pendule à la recherche d’une source miraculeuse. Geoffroy Guichard, c’est devenu Disneyland ! En moins cher.

Moi, Docteur, je vous le dis. Il faut que tout le monde se ressaisisse. Public, joueurs, dirigeants. Une Sainte Alliance pour une même Cause… Et puis, si on doit se mettre sur la gueule, attendons la fin du championnat. Pour sauver le minimum vital.

Bon, Docteur, on se les mange mes brioches à la morue ?!!!...

Et puis, Docteur, il ne faut pas que je traîne parce qu’il faut que j’aille ouvrir la malle de la voiture de Piquionne qui doit être bloqué à l’intérieur avec de pauvre Omar !...

Auteur : Rising42