Ancien directeur marketing et commercial de l'ASSE, entre janvier 2014 et juin 2015, Arnaud Jaouen répond à nos questions sur les différentes stratégies de développement du club lors de son passage chez les Verts.
Dans quelles conditions avez-vous pris ce poste de directeur marketing et commercial de l'ASSE ?
Je travaillais à ce moment-là chez Amaury Sport Organisation (ASO). Une connaissance de cette entreprise m'a signalé que l'ASSE cherchait à recruter un directeur marketing. Cette personne connaissait Bernard Caïazzo. Elle lui a donc donné mon CV sachant que mon rêve, comme tout amateur du ballon rond, était de travailler dans un club de football. J'ai rencontré rapidement Bernard Caïazzo dans ses locaux parisiens. Nous avons discuté de ma façon de concevoir le poste, l'ASSE etc. Le club a ensuite mandaté un cabinet de recrutement. Cette société a sélectionné trois candidats, dont moi, pour se rendre à Saint-Etienne visiter le club et rencontrer Roland Romeyer et Stéphane Tessier. En janvier 2014, j'intégrais le club en tant que directeur marketing et commercial.
Quelles étaient vos missions ?
Je m'occupais de toutes les activités du club, de tous les centres de profits hors trading des joueurs et des droits TV. Cela regroupe donc aussi bien les partenariats que l'hospitalité. Il s'agissait aussi de s'occuper de l'agence Sport Five qui est internalisée, du merchandising offline et online, la billetterie et le développement de la carte membre. Pour ce dernier point, l'objectif est de créer la plus grande communauté de supporters. Il faut savoir que l'on recense, en France, 1,6 millions de supporters stéphanois ! Ainsi, l'une des missions consistait à définir qui était le fan, combien de fois il se rendait au stade, ses habitudes de consommation etc. L'idée était de lui proposer des offres les plus en adéquation avec son profil et son besoin. Je crois vraiment en la qualification, en la connaissance du client – ici le supporter – c'est le b.a-ba du marketing. Les autres centres de profits sont à chercher dans le Kids club, l'association Coeur Vert dont s'occupe Lionel Potillon, le Musée des Verts et un lancé récemment : le restaurant le Chaudron vert. Chaque centre de profit avait un responsable qui redescendait l'information aux collaborateurs. L'idée était vraiment que chacun soit au courant de ce qu'il se faisait afin, aussi, de créer des offres transversales.
Quels étaient les axes majeurs de développement ?
L'un d'entre-eux consistait en la revalorisation de nos packages partenariats avec du pluriannuel, on le voit avec le Coq sportif et Eovi. Le but n'était pas de créer un partenariat d'opportunité avec eux mais, au contraire, de créer une histoire. Avec le Coq sportif, c'était l'évidence même ! Contrairement à Adidas qui était très « sportif », avec le Coq sportif on remet le supporter au cœur de la stratégie du club.
Etiez-vous déjà au club lors des premiers contacts avec le Coq Sportif ?
Ils ont eu lieu pile au moment où je suis arrivé au club, début janvier 2014. Nous avions lancé un appel d'offres à l'époque. Après rencontres et discussions, le Coq sportif s'est révélé le bon choix en terme d'histoire, d'authenticité et de valeurs communes avec l'ASSE. En plus, les 40 ans de la finale de Glasgow arrivent et nous avons aussi l'exclusivité avec eux en L1, ils sont vraiment impliqués dans le club.
Le nouveau maillot semble plutôt plaire !
Nous avons mis plus d'un an à le concevoir. Et c'est une belle réussite en effet. D'autres développements vont arriver comme le maillot « authentique » en plus des produits lifestyle récemment sortis. On essaye de compléter et d'élargir l'offre pour tous les types de supporters, ceux qui viennent de temps en temps ou les abonnés. Nous prévoyons aussi des choses pour les enfants, il faut penser que ce sont nos futurs clients ! Pour ça, il est impératif de créer un véritable sentiment d'appartenance avec eux. Tout comme avec les femmes, nous avons des supportrices ! Nous avons donc une multitude de cibles à toucher et répondre à des besoins très variés. Toute la stratégie B2C [ndp2 : "business to consumers", échanges entre une entreprise et des consommateurs] s'imprégnait de ça. Le B2C doit servir le B2B [ndp2 : "business to business", activité d'échanges entre entreprises].
Pour revenir aux maillots, un seul est vert cette année !
Cela a toujours été comme ça ! Pour le vert, nous avons repris ceux de l'époque de 76. Le blanc existait déjà l'année dernière. Le bleu marine a existé par le passé et pour les gardiens à un moment donné. Nous avons essayé de rester dans des gammes de couleurs qui ont déjà servi. Il n'est pas question de proposer une gamme de maillots roses ! On est le seul club en France a être rattaché à une couleur. Ce sentiment d'exclusivité, il faut l'entretenir. Nous ne serons jamais le PSG, il faut être fier de nos valeurs, nous sommes proches des gens, des supporters, accessibles et authentiques. Nous ne sommes pas dans du football paillette. Aujourd'hui la star, c'est l'équipe et le peuple vert qui l'entoure.
La saison dernière, le maillot blanc a servi une dizaine de fois alors qu'aucun autre club ne joue en vert. Cela faisait-il partie d'une stratégie marketing ?
Non pas vraiment. Au niveau marketing, de toute manière, le blanc n'est pas le plus vendu. Avec Adidas, le plus acheté était le troisième maillot. Aujourd'hui, on veut proposer une gamme de produits répondant à des besoins. Le fan actuel, amoureux des Verts, va se sentir dans l'obligation d'acheter le vert ! Un collectionneur, en revanche, pourra acheter le marine ou le blanc. Nous avons tenu, aussi, à harmoniser les couleurs de nos partenaires : ils sont tous blancs ! Cela nous importait vraiment de rendre le maillot joli.
Le poids de l'histoire rend-il plus facile l'aspect marketing ? Ou au contraire ?
J'ai eu la chance de rentrer dans un club où les gens sont très humains. Ils m'ont intégré très rapidement au sein des équipes, tant au niveau opérationnel qu'à celui de la direction. On était vraiment dans l'échange en cherchant des leviers de croissance. Quand j'ai donné ma démission – pour des raisons familiales – ils ont tout à fait compris. Ce qui n'était pas facile pour moi, de partir. Les choses que l'on avait mis en place venaient tout juste de donner leurs premiers fruits ! Mais il faut bien comprendre que tous, du staff technique à la présidence n'ont qu'un but : travailler pour le bien du club ! Ce sont tous des passionnés et des amoureux des Verts.
Que représentaient les Verts, pour vous, avant d'arriver au club ?
Déjà, ça représentait un club mythique du championnat de France, celui qui a remporté le plus de titres ! J'appelle ça une « petite pépite » que nous avons cherché à magnifier petit à petit. Le rachat du Chaudron Vert, par exemple, rentre dans cet objectif : créer un carrefour des supporters avant et après les matchs. Nous n'avions, avant, pas d'offre restauration et hôtellerie. On se devait de proposer un tel service aux supporters qui parcourent 300 km pour se rendre au stade ! Cela rentre aussi dans ce que j'appelle un package d'immersion total dans l'univers vert : musée, boutique et restaurant/hôtellerie. Ce n'est pas pour qu'ils consomment vert mais qu'ils vivent l'expérience verte au maximum. La nuance est importante.
On a souvent eu l'impression que le potentiel vert n'ai jamais totalement été développé...
Aujourd'hui, pour un club, son activité est le football. Mais on est à la fois une entreprise de sport et de spectacle en partant du principe que, à terme, tous les clubs du championnat sont gérés non pas comme des associations mais bien comme des entreprises. Il faut professionnaliser les stratégies marketing et ça se travaille sur des périodes entre trois et cinq ans. En préambule, il faut considérer que le plus important c'est le sportif. Nous avons, aujourd'hui, un staff en place depuis plusieurs années, aux résultats croissants. La fidélité existe chez les supporters comme dans le staff ! Le travail effectué par Christophe Galtier et son équipe est pour beaucoup dans la bonne marche de la stratégie marketing. C'est du gagnant-gagnant. En revanche, si l'on parle de plan sur trois ou cinq ans c'est qu'il est impossible de savoir à quelle place va terminer le club à la fin d'une saison. D'où la difficulté sur du court/moyen terme à notre niveau. On a eu la chance d'avoir des résultats probants depuis plusieurs saisons, d'avoir un staff impliqué : le club grandit tous les jours. Maintenant, la stratégie marketing fonctionne aussi parce qu'on arrive à mettre en avant ces valeurs de stabilité et de progression, cela sert à faire venir des annonceurs et des partenaires. Ils viennent d'ailleurs pas seulement pour être vus mais parce qu'ils partagent les valeurs du club.
Cela pourrait aussi faire venir un éventuel repreneur ?
Ce n'est clairement pas l'objectif aujourd'hui. Quand on voit l'implication des présidents dans le club qui prônent, en plus, des valeurs familiales, ça me semble impensable pour le moment. Et puis nous avons lancé cette fameuse carte membre dont Bernard Caïazzo parle souvent. Si 50 ou 60 000 personnes en disposent, la question des « socios » pourrait vraiment se poser. C'est un des seuls clubs en France qui a la possibilité de le faire, voire le seul.
Pour les équipementiers, l'ASSE est considérée comme un top club ?
Avec le Coq sportif, oui ! Le dispositif mis en place pour la conférence de presse à l'Etrat où nous avions associé le public et des joueurs pros en atteste, ce n'était jamais arrivé ! Le club et la marque travaille main dans la main au quotidien pour créer de nouveaux produits régulièrement. Cette relation de proximité, mise en place depuis un an, fonctionne vraiment.
Y a t-il une stratégie particulière pour le développement de la marque ASSE ?
Oui, elle passe par trois niveaux : local, national et international. Chaque chose en son temps. Il faut consolider notre base en France et après nous trouverons des leviers de croissance à l'international. Cela peut passer par le sportif et le centre de formation qui pourrait nouer des partenariats à l'étranger ; il faudra, aussi, créer une version du site Internet en anglais. D'ailleurs, le site qui a été refait connaît une grande audience et la page Facebook a explosé en terme de « like ». La suite logique sera donc de dupliquer tout ces éléments en anglais pour multiplier l'audience et la visibilité. Nous avons encore plus intégré, par ailleurs, les associations de supporters. Et les succès se multiplient : la campagne d'abonnements marche très bien ! Nous avons aussi fait le choix de ne pas augmenter les tarifs, comme au PSG où ils augmentent chaque année de 30 %. On préfère avoir un stade plein avec un engouement fort plutôt qu'un stade à moitié vide. Et puis, quand on prône des valeurs populaires, on ne peut pas se permettre d'afficher des tarifs d'abonnements à 300 ou 400 euros l'année. Les supporters ne comprendraient pas et, de toute manière, ce n'est pas la stratégie du club.
Est-ce que les benchmarks du club se font uniquement par rapport aux autres clubs ou regardez-vous dans d'autres secteurs d'activités ?
Quand j'ai commencé, j'ai regardé ce qui se faisaient dans des clubs français et à l'international. J'ai surtout analysé les spécificités stéphanoises, le comportement des supporters, le pouvoir d'achat – le niveau de vie n'est ni parisien ni monégasque – et les habitudes de consommation. Nous avons listé les produits qui fonctionnaient ou non. Pour la carte membre, on a pas mal benchmarké. Nous avons mis huit mois à la sortir ! Il y avait pas mal de tests à réaliser, notamment au niveau informatique, pour que les supporters puissent bénéficier du meilleur produit possible. Et ce n'était pas facile ! Mais l'objectif est toujours le même : faire du club celui qui compte le plus de supporters en France.
A l'heure actuelle, les ressources du club sont-elles suffisantes pour gérer efficacement tous les aspects du marketing ?
La direction du club et la présidence m'ont toujours encouragé et laissé l'opportunité de présenter des choses. Après, il y avait évidemment des discussions. Bien sûr, nous ne sommes pas au niveau du PSG qui peut externaliser beaucoup de choses. Nous faisons tout en interne de manière intelligente.
Dans les services marketing et commerciaux, combien de personnes y travaillent ?
Aujourd'hui, il y a 8 personnes chez les commerciaux. A la fois dans la vente et dans la livraison des services. Au niveau marketing, nous étions trois à travailler sur la carte membre et parmi tous les salariés des centres de profits, cela représentait une quarantaine de personnes, dont sept responsables. Je réunissais tous les responsables chaque semaine afin de travailler en équipe.
Quels leviers d'avenir voyez-vous pour les clubs français ?
Il y a tant de choses à faire ! A mon avis, il faut suivre le modèle allemand en créant de véritable zones d'activités au stade les jours de matchs. L'équipe de France fait ça aussi très bien avec la fan zone. On peut aussi penser à l'activation de marques, les jours de matchs, dédiée aux supporters. Les possibilités de développement sont grandes. On est loin encore de la concurrence ! Au Milan AC, par exemple, Audi, l'un de leurs partenaires, dispose d'équipes marketing dédiées au club ! Seul le PSG s'en rapproche. Du coup, ce que je cherchais était d'intégrer de la meilleure des manières nos partenaires. La relation avec le Coq sportif s'inscrit dans cette démarche.
En L1, un club est-il en pointe en matière de marketing ? Hormis le PSG, bien sûr.
Chaque club a ses spécificités. Mais Nice ou Nantes par exemple se débrouillent bien. Le premier a un bel outil avec son nouveau stade. Les supporters de Nantes, eux, créent pratiquement le spectacle. C'est très intéressant d'un point de vue marketing.
Quand vous êtes arrivé, Bernard Caïazzo disait que votre venue devait permettre, à moyen terme, de dégager suffisamment de revenus pour ne plus être dans l'obligation de réaliser de grosses ventes de joueurs. Un vœu pieux ?
Oui, Bernard avait dit ça, mais, non, ce n'est pas un vœu pieux. Quand on décrypte la phrase, cela veut dire qu'il faut dégager des ressources et cela passe évidemment par les équipes marketing. Mais les choses avancent ! Le partenariat avec le Coq sportif ou Eovi en atteste. Les recettes vont grandir petit à petit. Après, le championnat de France est un panier percé. Ce que dit Bernard est vrai : toutes les taxes grèvent les comptes. On se doit donc d'être inventif. De travailler pour les supporters aussi. On ne doit pas les considérer comme des vaches à laits mais leur proposer les meilleurs produits possibles qui répondent à leurs attentes.
Envisagez-vous de travailler à nouveau dans un club de foot dans les années à venir ?
Oui, bien sûr. C'est une passion avant tout! J'adore ce sport et puis j'ai énormément appris au cours de ces 18 mois à l'ASSE.
Et si jamais l'OL vous faisait une belle offre ?
Oh non hein, je vais pas à l'OL ! (rires). J'ai travaillé à l'ASSE, je n'irai pas à l'OL, non, non et encore non ! Je suis parisien mais j'ai le sang vert ! J'ai beau commencer une nouvelle activité sur Paris, je les suis toujours au quotidien, les Verts. C'est un club très humain, avec un directoire qui aime ce club par dessus tout et qui réalise un travail vraiment formidable. C'est pour ça que le club avance aussi bien. Qu'on ne s'y trompe pas.
Merci à Arnaud Jaouen pour sa disponibilité et son amabilité.