Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'arrêt Bosman sans jamais oser le demander.


Il a souvent été difficile de cerner la position des instances communautaires à l’égard du monde sportif . En effet, la notion de politique sportive est des plus incertaines, puisque le traité de Rome de 1957 ne fait pas référence au mot « sport », tout comme l’Acte Unique Européen de 1986, les traités de Maastricht en 1992, Amsterdam en 1997 et Nice en 2000.

Il serait donc aisé de considérer que, sans aucune base juridique dans les traités, le sport relève de la compétence quasi exclusive des Etats membres.

Le début de l’européanisation de la question sportive doit son cheminement en grande partie à l’arrêt 415/93 du 15 décembre 1993 de la Cour de Justice des Communautés Européennes, dit arrêt Bosman.

En l’espèce, la Cour de Justice des Communautés Européennes était invitée à se prononcer sur la compatibilité d’un règlement d’une fédération sportive aux règles communautaires relatives à la liberté de circulation ainsi qu’à la libre concurrence (articles 81 et 82 TCE, ex-article 85 et 86).

Cette affaire réaffirme l’idée selon laquelle une réglementation de la concurrence est nécessaire dans le cadre du marché unique, afin que la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux ne soit pas faussée.


I. Le contenu de l’arrêt Bosman.

L’affaire concerne un litige opposant un footballeur professionnel, Jean-Marc Bosman (photo), à son club, le Racing Club de Liège, ainsi qu’à l’UEFA et à la FIFA. Cependant la procédure fut longue et complexe, avant que la Cour de Justice des Communautés Européennes n’ait à se prononcer sur cette affaire.

Monsieur Bosman, joueur professionnel de football était salarié du Racing Club de Liège dès la saison 1988/1989, dans le cadre d’un contrat venant à expiration le 30 juin 1990.

En avril 1990, son club lui propose un nouveau contrat à durée déterminée, pour une saison, mais avec une réduction importante de son salaire. Il refuse, ce qui lui vaut d’être inscrit sur la liste des transferts. Aucun club n’ayant manifesté la volonté de l’acheter, il prend alors directement contact avec le club français de Dunkerque, évoluant en deuxième division.

Dès juillet 1991, un contrat entre le club de Liège et celui de Dunkerque prévoit un transfert temporaire de monsieur Bosman, moyennant le versement d’une indemnité exigible dès réception par la fédération française de football du certificat de transfert.
Cependant, mettant en doute la solvabilité du club français, le club de Liège n’a pas donné suite aux formalités de transfert et a suspendu monsieur Bosman, cette mesure le privant de toute participation au championnat durant toute une saison.


II. Les principales questions soulevées au regard du droit européen.

Les clauses de nationalité et les indemnités de transfert représentent les deux points essentiels traités par l’arrêt du 15 décembre 1995.

1) Les clauses de nationalité.

A partir des années soixante, de nombreuses associations nationales de football ont adopté des règles limitant la possibilité de recruter ou d’aligner en compétition des joueurs de nationalité étrangère.

En 1978, l’UEFA s’est engagée vis à vis de monsieur Davignon, membre de la Commission des Communautés Européennes, d’une part, à supprimer les limitations du nombre de contrats conclus par chaque club avec des joueurs d’autres Etats membres et, d’autre part, à fixer à deux le nombre de ces joueurs établis depuis plus de cinq ans dans l’Etat membre en cause.

En 1991, suite à de nouveaux entretiens avec monsieur Bangemann, vice-président de la Commission, l’UEFA a adopté la règle dite « 3+2 » permettant aux associations nationales de limiter à trois le nombre de joueurs étrangers qu’un club peut aligner lors d’un match de première division de leurs championnats nationaux, plus deux joueurs ayant joué pendant une période ininterrompue de cinq ans dans le pays de l’association nationale concernée, dont trois ans dans le secteur junior.

Mais l’article 48§2 dispose expressément que la libre circulation des travailleurs implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les conditions de travail.
Le même principe s’oppose à ce que les clauses contenues dans les règlements des associations sportives limitent le droit des ressortissants d’autres Etats membres de participer, en tant que joueurs professionnels, à des rencontres de football.

2) Les indemnités de transfert.

La Cour de Justice a relevé que selon les règles édictées par l’UEFA, un joueur professionnel de football ressortissant d’un Etat membre, à l’expiration du contrat le liant à un club, ne pouvait être employé par un club d’un autre Etat membre, que si ce dernier avait versé au club d’origine une indemnité de transfert, de formation ou de promotion.

Et la Cour de Justice a considéré que la circonstance que les clubs employeurs aient été tenus d’acquitter des indemnités à l’occasion du recrutement d’un joueur provenant d’un autre club, affectait les possibilités des joueurs de trouver un emploi, ainsi que les conditions auxquelles cet emploi était offert.
Par conséquent, ces règles constituent une entrave à la libre circulation des travailleurs.

Cependant la défense n’a pas manqué de faire valoir des arguments, qui selon elle étaient de nature à empêcher l’application du droit communautaire à la sphère sportive.

3) Les arguments opposés par la défense.

- Les justifications relatives aux transferts.

L’URBSFA, l’UEFA, les gouvernements français et italien, ont soutenu que les règles relatives aux transferts se justifient par le souci de maintenir l’équilibre financier et sportif entre les clubs et celui de soutenir la recherche de talents et la formation de jeunes joueurs.

Mais la Cour de Justice, suivant sur ce point les conclusions de l’avocat général, a considéré que les mêmes objectifs peuvent être atteints de manière au moins aussi efficace par d’autres moyens, qui n’entravent pas la libre circulation des travailleurs.
Un autre argument a également été avancé par la défense, selon lequel les règles relatives aux transferts étaient nécessaires pour sauvegarder l’organisation mondiale du football. Il est resté inopérant.

Face à ces arguments, la Cour de Justice a considéré que le maintien de l’équilibre financier et sportif des clubs, l’indemnisation des frais de formation, une auto-régulation des salaires des joueurs, les investissements déjà consentis par les clubs, n’apparaissent pas comme des raisons suffisantes, qui pourraient justifier un motif d’intérêt général.

- Les justifications relatives aux quotas.

L’URBSFA, l’UEFA, les gouvernements allemand, français et italien ont fait valoir que les clauses de nationalité se justifiaient par des motifs non économiques, intéressant uniquement le sport en tant que tel.

La Cour de Justice a considéré que les clauses de nationalité ne pouvaient être considérées comme conformes à l’article 48 du traité, sous peine de priver cette disposition de son effet utile et de mettre à néant le droit fondamental d’accéder librement à un emploi qu’elle confère individuellement à tout travailleur de la communauté.

Ainsi, tout en reconnaissant le caractère spécial de la compétition sportive, soumise à des règles spécifiques, par rapport à la compétition économique, qui est soumise aux normes communautaires, la Cour a jugé que les argumentations avancées par les fédérations sportives, pour justifier les règlements sportifs sous examen, n’étaient pas suffisantes à en permettre l’application.

Si ces règlements sportifs avaient été adoptés pour des objectifs d’intérêt général, maintenir l’équilibre financier et sportif entre les clubs et soutenir la formation des jeunes joueurs, ils n’étaient pas manifestement proportionnels à l’objectif. Cet objet pouvant être atteint par d’autres moyens, comme l’a rappelé la Cour.

III. Les apports sur le plan sportif.

L’arrêt Bosman met fin au système des transferts traditionnels, connu jusqu’alors et instauré par les règlements de la FIFA et de l’UEFA. Depuis la mise en application de «l’arrêt Bosman » il n’y a plus d’uniformité au niveau européen entre les différentes fédérations nationales de Football. Dès lors, certaines fédérations ont décidé de ne plus limiter le nombre de joueurs étrangers alignés en compétition nationale, ce qui entraîne inévitablement un afflux dans certains pays européen de joueurs extra communautaires.

A l’heure actuelle, la situation au niveau européen se présente comme suit :
- Angleterre : 3 joueurs hors U.E sur le terrain et aucune limitation dans l’effectif
- France : 3 joueurs hors U.E sur le terrain et 2 assimilés (joueurs ayant évolué cinq ans dans
le pays)
- Italie : 3 joueurs hors U.E. sur le terrain et 5 joueurs au total dans l’effectif
- Grèce : 6 joueurs hors U.E. sur le terrain et aucune limitation dans l’effectif
- Espagne : 3 joueurs hors U.E. sur le terrain et 6 joueurs dans l’effectif
- Portugal : Pas de limitation
- Pays-Bas : Pas de limitation
- Belgique : Pas de limitation

Cela peut paraître inégalitaire mais l’aspect positif de l’arrêt Bosman fut d’ouvrir le « marché » et ouvrir ainsi des possibilités de carrière à des joueurs de second plan.

On s’est demandé si l’arrêt Bosman pouvait avoir des conséquences sur le jeu même au sens strict. En effet, cet arrêt ne fausse-t-il pas la concurrence vu que l’on peut penser que dorénavant seuls les clubs les plus riches pourront rivaliser sur la scène européenne des transferts et les petits clubs se trouveront lésés ? Cependant, une nouvelle loi depuis peu fait qu'une part des transferts est reversée aux clubs formateurs des joueurs.

On peut se demander comment ces petits clubs vont pouvoir palier le manque à gagner. Il faut que les clubs professionnels se focalisent sur d'autres sources de revenus qui peuvent inclure :
- les droits de télévision
- la publicité
- les jeux de hasard / loteries
- les ventes
- les billets d'entrée
- la ligue des champions, etc.

Bien que critiqué, l’arrêt Bosman n’est pas arrivé par hasard et l’exemple américain a démontré que la suppression du régime des transferts condamné par la Cour Suprême fédérale en 1976 a permis de :
- de renforcer les finances des clubs
- d'améliorer la gestion financière des clubs
- d'augmenter les salaires des joueurs
- de renforcer la coopération entre les représentants des clubs et les représentants des joueurs
- de faire apparaître de nouveaux moyens permettant d'obtenir des fonds supplémentaires.

Il est clair que l'arrêt Bosman a des conséquences non seulement pour le football, mais également pour d'autres sports dans lesquels le joueur est un employé à condition que ça ne soit pas un sportif individuel ou un sportif dont le contrat n’est pas venu à expiration, ou un sportif d’une nationalité autre qu’européenne, ou un sportif amateur, ou encore un sportif voulant changer de club à l’intérieur d’un État membre.

Le bémol qui peut être mis en évidence suite à l’arrêt Bosman est la recherche des joueurs les moins chers et les « plus rentables ». En d'autres termes, beaucoup de clubs européens sont à la recherche de jeunes talents et les joueurs du continent africain ayant des exigences financières bien moins élevées que la plupart des footballeurs européens dont le marché a littéralement explosé ces dernières années. En réalité, le marché des transferts est devenu incontrôlable et il n’est plus dicté que par une seule loi : celle du plus riche.

Aujourd’hui, suite à l'absence de réglementations efficaces et uniformisées tant en Europe que dans les pays exportateurs de joueurs, les flux migratoires vers l’Europe, des footballeurs en provenance essentiellement des pays africains et sud-américains deviennent de plus en plus importants et s'entourent d'une opacité sur les conditions de recrutement et de séjour de ces joueurs. Cet important afflux est de plus en plus critiqué en raison des conditions de recrutement assimilables à un véritable « commerce d’êtres humains », ce qui entraîne inévitablement une masse de laissés pour compte qui hésitent à rentrer dans leurs pays d'origine et qui tentent par tous les moyens de rester en Europe.

L’affaire des faux passeports a également illustré un effet pervers de l’arrêt Bosman, en effet, des joueurs d’Europe de l’est ou d’Amérique Latine ont cherché à se procurer un passeport européen et entrer donc dans les quotas des clubs en tant qu’européen.


Conclusion

L’arrêt Bosman a radicalisé les rapports de l’Union Européenne avec les fédérations sportives en mettant en relief plutôt les aspects du droit communautaire avec le droit sportif.
Cet évènement a marqué le moment le plus dur de l’affrontement entre institutions communautaires et autorités sportives présentes sur le territoire de l’Union ; cette dernière l’a utilisé comme occasion pour asseoir encore plus sa position d’instance régulatrice du marché commun. Cela a abouti à l’affirmation de la soumission du sport, en particulier la branche professionnelle, aux finalités de l’intégration européenne.

Une autre conséquence pratique de l’arrêt Bosman, celle-ci davantage sportive, est relative à la possibilité pour des joueurs de niveau footbalistique « moyen » de réaliser une carrière à l’étranger financièrement très intéressante. En effet l’inflation exponentielle des salaires des joueurs de football a surtout bénéficié à cette catégorie de joueurs, lesquels n’auraient pas, en l’état juridique antérieur, pu effectuer une carrière professionnelle dans différents pays de l’Union.

Cependant, la question essentielle n’est toujours pas réglée : doit-on considéré le sport comme quelque chose de « spécial », et ainsi le soustraire aux règles s’appliquant au reste de l’économie, ou est-ce que le sport n’est seulement qu’une branche de l’économie ? Pour l'instant, l'Union Européenne n'a pas tranché, et le sport professionnel européen est donc un mélange des deux, parfois soumis aux règles de la concurrence, et parfois profitant d'un statut particulier.

Les sports professionnels nord américains ont eux choisis : tout est dérogatoire aux règles économiques.

Auteur : Le Druide