A quelques jours du match Saint-Etienne-Nantes, le journaliste Maxime Cogny vous invite à (re)découvrir la rivalité entre les Verts et les Canaris. 

Troisième volet de son étude : "Deux clubs, deux équipes dirigeantes : des hommes aux personnalités différentes"


« Si aujourd'hui, tous les clubs veulent s'organiser d'une certaine façon, c'est parce que des clubs tels que Saint-Étienne ou Nantes ont montré la voie ». Le propos est signé Jacques Vendroux. Les deux clubs étaient en effet calqués sur un modèle similaire pendant assez longtemps. Le principe est simple : le président préside, l'entraîneur entraîne, et le directeur sportif (poste qui apparaît au début des années 70) s'occupe du reste, du recrutement notamment. « C'est bien simple, résume le directeur des sports de Radio France, la réussite de Saint-Étienne elle tient en trois hommes : Rocher, Garonnaire, Herbin. A Nantes, c'est Fonteneau, Budzynski, Arribas ».

Dans le Forez, le trio formé par les dirigeants était surnommé le triumvirat. « Ils se réunissaient vingt-cinq fois par jour, et pour qu'une décision soit prise, il fallait qu'ils soient tous les trois d'accord », raconte Vendroux pour parler des deux clubs. « Si Saint-Étienne a réussi, c'est parce qu'à chaque poste dans le club, il y avait la personne la plus compétente qui soit », estime quant à lui Didier Bigard, chef des sports au journal La Tribune-Le Progrès. « Le directeur général du club, Charles Paret, a lui aussi joué un rôle prépondérant, c'était l'éminence grise du club », poursuit ce dernier.

A Nantes, si le président préside, celui-ci est toutefois conseillé par trois hommes. « Il y a trois vice-présidents, explique Bruno Lautrey. Messieurs Cordier, l'adjoint au maire, Simonet (futur président de la Fédération française de football, ndlr) et Ichoua, un commerçant de la ville. Louis Fontenau au final, arrondissait les angles et prenait les décisions. Pour moi, c'était la meilleure période du FC Nantes », confie l'ancien journaliste.

Dans le Forez, les deux vice-présidents n'ont pas un rôle aussi important. Il y a cependant une énorme différence entre Nantes et Saint-Étienne : la personnalité des présidents. Roger Rocher et Louis Fonteneau n'ont en effet que très peu de points communs. « Les deux n'avaient vraiment rien à voir, pourtant, ils s'entendaient très bien », se souvient Robert Budzynski, directeur sportif du FC Nantes depuis 1970. Le Nantais ne tarit d'ailleurs pas d'éloges à propos de l'ancien président stéphanois. « C'était un président volontaire, il est lamentable que les gens puisse le juger comme ils l'ont fait... », explique-t-il en référence à l'affaire de la caisse noire (1), qui accéléra la plongée de l'ASSE dans l'abîme à partir de 1983. Les souvenirs de Jacques Vendroux vont dans le même sens : « Rocher était un bâtisseur, au détriment de certaines valeurs, c'est vrai. Mais il n'a toujours eu qu'un seul intérêt : son club. Jamais il n'a tiré de ce qu'il a fait un quelconque enrichissement personnel. Il mélangeait le professionnel avec l'affectif... » explique le journaliste. A l'inverse, le président nantais était sans doute aussi passionné, mais le personnage était très posé. « C'était un type serein, gentil et courtois. Un président impassible, d'un calme olympien », décrit Vendroux. Pour Budzynski, « Louis Fonteneau était quelqu'un de vraiment humain ». « Un homme de dialogue », souligne Lautrey.

Preuve que les deux présidents s'entendent bien, c'est le duo Snella-Arribas qui est à la tête de l'équipe de France au début des années 70. Si les entraîneurs des deux meilleurs clubs français sont aussi les sélectionneurs de l'équipe nationale, c'est évidemment parce que les présidents avaient donné leur aval. Nantes et Saint-Étienne, ces deux clubs si différents, mettaient donc leurs compétences en commun quand il s'agissait de servir un intérêt supérieur : celui de la sélection nationale.

Les deux équipes dirigeantes sont souvent en contact. Mais dans le Forez, la qualité de l'organisation dépasse Nantes, du moins dans les années 70. « Saint-Étienne nous a devancés. Sur les structures, ils avaient une tête d'avance. Chez nous, bien qu'étant un club professionnel, il restait encore des effluves amateurs », raconte Robert Budzynski. Si la structure du club stéphanois était ce qu'elle était, cela tenait beaucoup à la figure du président Rocher, qui dirigeait par ailleurs une entreprise de travaux publics. « Saint-Étienne, c'était : je bâtis. Ils avaient tout, c'était à la mesure de l'entrepreneur qu'était Rocher. Il faut dire aussi que l'implication de la région n'avait rien à voir avec ce qui se passait ici », continue le Nantais.

Nantes l'élève, à deux doigts de dépasser Saint-Étienne le maître, c'est pourtant ce qui se produit en 77, alors que Nantes est déjà sacré champion, et qu'il vient de battre les Verts 3 à 0 en match aller de la demi-finale de Coupe de France. La Coupe d'Europe se profile pour les Jaunes, et Christian Montaignac, du journal L'Equipe, interroge Robert Budzynski :

Robert Budzynski, vous allez disputer la Coupe d’Europe, comptez-vous demander des conseils à Saint-Étienne ?

Oui, nous irons en juillet à Saint-Étienne, Albert Heil, le secrétaire général ou moi, pour aller demander des renseignements pratiques à Charles Paret (alors directeur général de l'ASSE, ndlr). Il est évident que si nous tirons un adversaire qu’ils connaissent, nous leur demanderons certaines choses, des films par exemple, pour notre magnétoscope. Pour le reste, je tiendrai un peu le rôle de Garonnaire, en allant voir les équipes chez elles.

Les deux triumvirat, celui de Nantes et celui de Saint-Étienne, s'ils étaient en concurrence à l'échelle nationale, n'avaient aucun mal à faire fi de leur rivalité si le besoin s'en faisait sentir. Ainsi, quand Nantes se qualifiait en Coupe d'Europe et demandait conseil aux Verts, c'était non seulement les Canaris qui en tiraient profit, mais aussi le foot français qui s'en retrouvait grandi. « Fonteneau m’a invité à déjeuner ce midi. Nous avons eu une conversation à bâtons rompus. Je crois que nous sommes à notre quarante-quatrième match de Coupe d’Europe. Il faudra plusieurs matches aux Nantais pour s’aguerrir. Ca ne vient pas tout seul. (...) Il est évident que s’ils ont besoin d’un service, nous serons là », déclarait Roger Rocher dans L'Equipe en 77.
Rappelons que les joueurs nantais étaient les premiers supporters des Verts lors de leur parcours européen de 76.

De par son épopée, justement, Saint-Étienne est beaucoup plus exposé médiatiquement que le FC Nantes. Et son président en particulier. « Le président de club est parfois plus important que le maire de la ville, c'était le cas de Rocher », confie Jacques Vendroux. Roger Rocher en impose, dire qu'il est respecté relèverait même de l'euphémisme. Dans les dernières années de sa présidence, les photos de lui en compagnie de présidents de la République qu'il a croisés garnissent les bureaux de Geoffroy-Guichard. « Il disjoncte », dira même Jacques Vendroux.
L’entente avec Robert Herbin, et Pierre Garonnaire, autrefois qualifiée d'union sacrée, se dégrade sérieusement. Herbin vit de plus en plus mal l'ingérence de Rocher dans le secteur sportif. Garonnaire lui, sent sa place menacée, puisque Ivan Curkovic tient la corde pour le remplacer. Malgré tout, l'AS Saint-Étienne est championne de France en 81, et réalise de belles performances en Coupe d'Europe. « Connue et respectée dans l'Europe entière, soutenue par des millions de Français, dotée d'un président charismatique, d'un entraîneur réputé et de joueurs pétris de talents, la maison verte se croit inébranlable (...) », résume Benjamin Danet dans son livre. Pourtant, un an plus tard, l'affaire de la caisse noire et les résultats moyens du club plongent l'ASSE au fond du trou. Nantes est sacré en 83. Cette année-là, Robert Herbin est remercié par Paul Bressy, le nouveau président. Un an plus tard, les Verts descendent en deuxième division. Saint-Étienne n'a, à ce jour, jamais vraiment retrouvé la stabilité.

Nantes, Saint-Étienne, les régions et les présidents diffèrent, pas les entraîneurs. Robert Herbin est resté chez les Verts plus longtemps que José Arribas chez les Jaunes, mais pour les deux hommes, l'implication dans le club atteint un degré impressionnant. L'histoire des deux techniciens est différente, puisque Robert Herbin est un ancien joueur de l'ASSE, que Roger Rocher met à la tête de l'équipe première alors qu'il n'a que 33 ans. José Arribas, lui, est Basque et a fui la guerre d'Espagne. Ancien cafetier dans la Sarthe, il devient entraîneur en 60, lors son arrivée au FC Nantes. La longévité de Robert Herbin dans le Forez (malgré deux départs provisoires) n'a pas d'égal à Nantes. Herbin et Arribas sont en revanche tous les deux des formateurs.

S'il est un autre homme chez les Canaris, dont le profil se rapproche de celui du Sphinx, c'est bien Henri Michel. L'ancien capitaine des Jaunes, prend sa retraite en 1982 après seize saisons sous le maillot de Canaris. Plus tard, il deviendra sélectionneur de l'équipe de France. C'est ce qui le différencie d'Herbin. Car si "Robby" en a eu l'occasion, jamais il n'a franchi le cap. Il est toujours resté à Saint-Étienne. Plus question, à l'époque, de cumuler les postes d'entraîneur de club et de sélectionneur national, comme c'était le cas du temps de Snella, Batteux et Arribas.

Si la stabilité est le maître mot, en Loire-Atlantique comme dans la Loire, Nantes change d'entraîneur pour la première fois sur notre période en 76. C'est Jean Vincent qui prend le relais de José Arribas. L'ancien joueur rémois va apporter un peu de sa "culture coupe". Avec lui, la notion de réalisme n'est plus taboue à Nantes. Et en apparence, Vincent n'a rien à voir avec Herbin. Sur son banc, le Nantais a la réputation d'être plus heureux que ses joueurs quand ces derniers marquent un but. A l'opposé du Sphinx, qui ne montre jamais son enthousiasme. Pourtant, si l'équipe de Vincent est championne de France en 77 et remporte la Coupe de France en 79, la fin de son mandat ne se passe pas sous les meilleurs auspices. Au fur et à mesure des tensions apparaissent avec des joueurs.

Un pur produit de l'école nantaise est alors promu entraîneur de l'équipe première en 82. Comme cela se produit souvent au club, il était auparavant à la tête du centre de formation. Sa vision du football est la même que celle du maître, José Arribas. "Coco" Suaudeau, le disciple, prône donc le beau jeu, la prime au collectif, et il insiste aussi particulièrement sur le jeu à une touche de balle. Il le rappelait, non sans humour, dans une interview accordée au magazine So Foot au mois d’avril : « C'est quoi le geste le plus important et le plus difficile dans le foot, hein ? Platini dit que c'est le contrôle. Alors moi je dis non, je dis : on joue sans contrôle ». Dès sa première saison à la tête de l'équipe première, Nantes est champion, en 83, avec la fameuse équipe des "Barbus de LU" (par superstition, tant que l'équipe était qualifiée en Coupe de France, ses joueurs ne se rasaient pas). « Après avoir vu jouer le Brésil de 82, celui de Zico, je me souviens, j'ai dit : on va jouer comme le Brésil. Extraordinaire, on a été champions avec dix points d'avance ! », s’amuse aujourd'hui Suaudeau (dont le premier mandat se termine en 88. Il sera de nouveau entraîneur de l'équipe professionnelle de 92 à 97).

Auteur : Maxime COGNY

(1) : C'est l'affaire de la caisse noire qui pousse Roger Rocher à la démission de son poste de président de l'AS Saint-Etienne, le 17 mai 1982. Au total, près de 22 millions de francs ont transité par cette caisse noire. Dirigeants et joueurs ont dû s'expliquer devant les juges. Roger Rocher, est condamné en 91, il passera quatre mois en détention préventive.