La partie de samedi à Nice ne restera certainement pas dans les annales footballistiques, mais devrait occuper une place à part dans l'histoire de cette saison, tant il est rare qu'une équipe, surtout à domicile, termine à huit. Comment en est-on arrivé là ? Voici quelques éléments de réponses.


En politique, il paraît que le courage correspond peu ou prou à la capacité de prendre et d'assumer des décisions peu populaires. Une chose également possible dans l'arbitrage : force est de constater que Ruddy Buquet n'a pas cherché à se faire aimer du public du Ray en excluant trois rouge et noir dont deux avant même la mi-temps. Quand bien même les supporters stéphanois ont pu se poser des questions en voyant à la mi-temps Eric Roy sortir du vestiaire arbitral, l'homme en jaune a mené cette rencontre en suivant sa logique et son feeling sans dévier de sa ligne de conduite. Courageux, donc, et en même temps acteur désolé d'un "monstre" qu'il sait avoir produit, fût-ce contraint et forcé par les circonstances.

Débarrassons-nous rapidement du "Yafaute / yapafaute" : les trois exclusions sont rigoureusement conformes au règlement. La première sanctionne un joueur, le gardien en l'occurrence, qui anéantit une occasion de but manifeste d'un adversaire en commettant sur lui une faute passible d'un penalty (un croc-en-jambe, dans ce cas). Les deux suivantes sont, règlementairement, des fautes grossières, une semelle pour Mouloungui, un tacle totalement non maîtrisé, commis en plus par derrière, pour Civelli, ces deux interventions mettant en danger l'intégrité physique de l'adversaire. Le carton rouge à Ospina est totalement indiscutable : ne pas le mettre aurait été une erreur grave de la part de Buquet. Le deuxième est peut-être plus discutable, car l'intention de faire mal n'est peut-être pas "assez" prononcée pour justifier une exclusion directe. Je ne me prononcerai pas vraiment sur ce cas. Non que je tienne absolument à disculper l'arbitre d'une éventuelle erreur, mais surtout parce que je n'ai pas vu le premier quart d'heure du match. Or, ce carton rouge est clairement la conséquence du début des débats qu'on m'a décrits comme particulièrement virulents de la part des Aiglons. Il s'agit donc d'une action que Ruddy Buquet a souhaité juger ainsi pour protéger les joueurs d'une escalade de violence, violence palpable même à travers l'écran. Certes, ça donne une conclusion anticipée au match, mais, jusqu'à la 87ème minute, plus personne n'a commis d'intervention dangereuse pour son adversaire et aucun blessé n'est à déplorer alors que ce match sentait vraiment, vraiment la m...

Cependant, tout n'est pas affaire d'esprit et de lettre dans l'arbitrage, même si les allers et retours de l'une à l'autre en occupent une grande part. Il y a aussi de la technique. Une décision est à 90% la conséquence d'un placement et d'un champ de vision. Pas mal de monde s'est exprimé depuis samedi sur ce non-match - et le fait que les décisions de l'arbitre soient dans l'ensemble plutôt justes a contribué à ne pas le mettre au pilori - mais, à ma connaissance, personne n'a parlé du positionnement de l'arbitre, notamment sur la deuxième exclusion, la plus intéressante à analyser.

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Comme d'habitude, observons le déroulé de l'action : Fernandez queute un dégagement, dévié vers le côté droit par Clément, aux trente-cinq mètres stéphanois. Nicolita gagne son duel de la tête face à Mouloungui et remet à Ebondo, le long de la ligne de touche. Celui-ci alerte Lemoine devant lui. La récupération est haute et propre, un contre peut se développer pour les Verts. L'ancien Rennais transmet rapidement vers l'avant et se fait sécher en retard par Mouloungui qui, notons-le, aura été à contretemps tout au long de l'action. Ce retard n'est pas neutre car on sait qu'il peut occasionner de graves blessures, la victime de la faute étant plus relâchée musculairement après avoir passé le ballon. Circonstance aggravante, l'attaquant intervient de la semelle alors qu'il était tout à fait possible et beaucoup moins dangereux de tenter de contrer son adversaire du bout du pied. On le sait (cf. l'interview de Jean-Charles Cailleux  et le dernier article arbitral après Saint-Lille), il s'agit d'un des chevaux de bataille des arbitres. 

Le plus important est justement le placement de ce dernier. Où est-il ? Il reste dans la zone pendant toute l'action. Surtout, il décide de ne pas anticiper la relance stéphanoise en piquant un sprint vers l'avant, ce qu'il aurait pu faire s'il n'avait pas pressenti que quelque chose pouvait se produire. Résultat de cette décision, au moment de la faute, il est à moins de cinq mètres, pile dans l'axe du contact. Il a donc parfaitement vu la semelle. Son angle de vue est en outre décisif dans son choix de brandir le carton rouge : il est à angle droit par rapport à l'action et cela pénalise doublement le Niçois, l'arbitre ne pouvant manquer le retard de son intervention et l'impression de dangerosité est forcément amplifiée puisque le fautif s'avance dans la direction de Buquet. De l'endroit où il est placé, tout semble pire : le retard, la virulence et l'intentionnalité (donc pour ce point, ce placement est plutôt trompeur pour l'arbitre).

Donc, plutôt que se demander si l'arbitre a eu raison ou non de prendre une décision qui, de toute façon, lui appartenait, mieux vaut constater qu'en fonction du contexte global du match et de son point de vue direct sur l'action, Ruddy Buquet pouvait difficilement décider autre chose qu'exclure Mouloungui, même si son geste n'est pas une "énorme" faute grossière.

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Le coup de sang imbécile de Civelli est, lui, simplement l'occasion de signaler la collaboration très réussie du quatuor lors de ce match. L'assistant côté opposé a fait refuser le but marqué du bras par Sinama-Pongolle et il fallait le voir ! Au crédit du quatrième, l'absence totale de bordel sur les bancs, dans un contexte qui aurait pu être électrique. Enfin, l'exclusion de Civelli est l'illustration d'un travail d'équipe : difficile d'être catégorique, mais je pense que les oreillettes ont dû chauffer entre l'assistant 1, le quatrième et le central dont le placement n'est peut être pas idéal pour juger, même si le tacle est plus que net.

Pour terminer, un point qui a un peu fait débat sur le forum durant le match. À partir de combien de joueurs exclus (ou sortis non remplacés sur blessure), la partie aurait-elle été arrêtée ? La réponse est spéciale : le Board indique qu'une équipe doit être composée de sept joueurs au minimum, mais qu'il laisse l'appréciation aux Fédérations nationales quant à définir un nombre supérieur à celui-ci. En France, ce minimum est fixé à huit. En conséquence, un expulsé de plus ou un joueur blessé incapable de rester sur le terrain aurait entraîné la fin du match.

Au final, ne nous trompons pas, l'arbitre a sans doute pris aussi peu de plaisir à conduire cette rencontre que les joueurs ont eu à le disputer et nous autres à le regarder. Ce qui éclate un arbitre, c'est un match dur et engagé qu'il parvient à remettre sur les rails, pas un machin sans fil conducteur où il faut distribuer de manière mécanique des cartons à la pelle. Arriver à donner du sens à l'action, définir des limites comprises par les acteurs. Autant, par moment, on a le sentiment qu'une trop grande sévérité, qu'un arbitrage tatillon a conduit une équipe à dégoupiller, autant ce n'est pas du tout mon impression après ce Nice-ASSE : les Niçois ont eu un comportement stupide et dangereux et sont tombés sur un Buquet courageux et assez bon pour faire abstraction du contexte (la fameuse compensation que beaucoup redoutaient ou appelaient de leurs voeux) sans surjouer ses réactions et préserver l'essentiel, la santé des joueurs.


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