La une, jouissive, barre la Pravda de l’époque. Une Pravda vêtue de noir et blanc, et encore fréquentable.
Nous sommes le 17 Avril 1985 et la veille s’est joué Saint-Etienne-Lens, match retour des huitièmes de finale de la Coupe de France.
Ce Sainté-Lens, c’est un peu le Sainté-Sochaux de 2004 qui se serait bien terminé. Pour beaucoup, il représente à la fois une madeleine et un mythe fondateur, le déclencheur de la cristallisation. Le match Obélix, car c’est celui dont on se souvient à l’heure d’expliquer pourquoi et comment on est tombé dedans quand on était petit. Dans ce chaudron, dans cette passion, dans ce club.
Proust, Stendhal, Goscinny. Quand il s’agit de causer des Verts, faut pas lésiner question références. Car ce Sainté-Lens emporte tout, à commencer par le record d’affluence de Geoffroy Guichard (46 352 spectateurs, record éphémère puisque battu quelques jours plus tard contre Lille en quart de finale). En gradins Nord, le public piaffe d’impatience. Emporté par la foule qui nous traîne, nous entraîne, écrasés les uns contre les autres nous ne faisons qu’un seul corps, avec cette équipe.
Cette équipe, parlons-on en. Nos héros de la voltige se nomment Clavelloux, Ribar, Daniel, Gilles, Oleksiak, Castaneda, Diarté, Sanchez, Ferri, Sab, Chillet et Milla. Rrrrrrrrrrroger Milla rugit à l’époque le speaker au moment de donner la compo.
Milla, fer de lance d’un groupe qui offre un souffle frais et salvateur à Geoffroy cette année là.
Frais car ils sont jeunes, conquérants et beaux, malgré le Cake Rocher qui défigure le maillot vert.
Salvateur car leurs victoires répétées (le match contre Lens est le 22ème match consécutif sans défaite) font oublier ce si terrible et encore si proche soir (19 Mai 1984) où dans ce même stade le ciel nous est tombé sur la tête lors d’un fatidique barrage retour contre le Racing.
Par Toutatis et Ben Mabroukos ! Les Verts, après une domination de plus de 15 ans sur le foot français viennent de remiser leur superbe dans une caisse noire. Platoche, Rocher and co sortent à peine du tribunal que l’ASSE entre en son enfer. Celui de la Division 2. A l’ancienne, avec deux poules, la Sud pour nous avec Alès, Béziers, Bourg La Roche, Limoges, Le Puy, Thonon les Bains et … Lyon. Ca fout les jetons.
Bref on tombe de très très haut.
Notre dernier titre remonte alors à moins de 4 ans. C’est rien 4 ans. Juste le temps de mourir, puis de renaître de ses cendres.
Les Verts devraient être une matière obligatoire pour notre jeunesse de France. On y apprend tout, les grands auteurs, comme la mythologie grecque.
A 13 ans, je ne sais pas ce qu’est un phénix, mais dans ces lieux j’en prends plein les mirettes. For ever. Tu m’irradieras encore longtemps dira Bashung bien après sans que personne à part moi, forcément, comprenne qu’il évoquait ce club et ce stade, cette rencontre fondatrice.
Je tombe donc amoureux, n’en faisons pas tout un plat. Mais, comme Jef, je ne suis pas tout seul. Ainsi Jean-Philippe Réthacker, journaliste supposé neutre de la Pravda s’enflamme dans son compte rendu : « Jusqu’où iront-ils ? Tous ceux qui n’ont pas assisté à la seconde partie de ce match fantastique, digne des soirées européennes à suspense les plus dramatiques, taxeront tous ceux qui y étaient d’exagération ou de stéphanite aigüe ; mais il est difficile de se faire une idée de la passion et de l’incroyable renversement de situation qui, après le repos, emballa subitement un match jusque-là assez aisément dominé par les Lensois. »
Vous les sentez les frissons ?
Les Verts, qui écrasent tout sur leur passage en championnat, ont déjà fait pleurer L’abbaye de Grenoble, l’Etoile Morne à l’eau, Tours puis Nice en Coupe.
Le Lens de Huard, Gillot, Senac, Pagal, Vercuysse et Brisson se présente cette fois-ci face à nous après un nul (1-1) déjà torride au match aller à Bollaert.
Le Chaudron va vivre une de ces soirées mythiques comme il en connaît 3 ou 4 en 20 ans. Dans mon panthéon personnel, Lens 85 trône à côté de Marseille 93, Marseille 99 et Châteauroux 2004.
L’affaire est rendue compliquée par une première période où « l’expérience des Lensois, leur masse athlétique supérieure, leur jeu mieux lié avait mis plus d’une fois les Stéphanois dans l’embarras. ». Gillot, déjà so chaud à l’époque, a permis de la tête sur un centre de Brisson aux Sang et Or de mener 1-0 à la pause.
Mais à l’époque l’expression ‘impossible n’est pas stéphanois’ reste de vigueur. Et Réthacker nous conte ce délice de renversement de situation : « on allait tout à coup assister à l’explosion d’un Sab portant son équipe au début de la seconde période, alors que cette dernière, changeant tout à coup de vitesse et prenant à son tour le contrôle des opérations se lançait à l’assaut du but nordiste. Le quatrième quart d’heure allait alors être dramatique. Ce furent tout d’abord à la 58è puis à la 59è minute deux interventions désespérées du gardien lensois Huard se jetant dans les pieds de Milla pour éviter le pire, ce qui eut pour effet de déchainer littéralement les 46 000 supporters des Verts. Mais c’est à la 62è minute que l’affaire s’envenima lorsque sur l’indication de l’un de ses juges de touche, M.Benali refusa à Milla le but d’égalisation tant attendu pour un hors jeu du Camerounais. »
Suit alors une petite animation à base de jets de bouteilles et autres objets divers sur le dit-juge de touche.
Puis vint le dénouement magique : « Ce qui devait arriver se produisit. Dans cette ambiance surchauffée, à la 78è minute, sur un nouvel assaut des Verts, portés par un public en effervescence, sur une passe en profondeur de Sanchez, Milla, à la lutte avec Sénac, se retourna et se jeta vers le but lensois, mais il se retrouva au sol comme si un violent coup de vent venait de l’abattre. Les Lensois protestèrent, bien entendu, lorsque M.Benali désigna le point de penalty, mais l’arbitre devenait intenable, et dans l’ambiance que l’on devine, Gilles transformait le penalty et remettait les deux équipes à égalité.
Six minutes après ce premier coup de théâtre, les Lensois, complètement ébranlés, s’offraient à une contre-attaque meurtrière des Verts déclenchée par Milla depuis le milieu de terrain et poursuivie de façon invincible par le petit attaquant Ribar, qui, partant sur l’aile droite, dribblait un adversaire et du gauche obtenait ce second but tant attendu.
Deux buts qui propulsaient de façon irrésistible et presque miraculeuse les Verts en quarts de finale. »
Deux buts dans le dernier quart d’heure pour renverser le cours d’un match grégory couperet. Voila un scénario qui, 25 ans plus tard, laisse encore rêveur. Je ne sais pas si mes draps s’en sont souvenus, mais la nuit fut courte et belle et le poster de cette équipe resta longtemps punaisée au dessus de mon plumard.
Mercredi, les Verts, hélas à Bollaert, joueront un quart de finale de Coupe de France face à cette même équipe de Lens. Ce match est source d’espoir pour nous tous. C’est aussi potentiellement un match Obélix pour nos enfants.
On n’y pense pas, non. Il ne faut pas. Mais deux marches nous séparent d’une virée au SDF. Deux marches pour contaminer la jeunesse verte. Deux marches pour filer un abonnement à vie à la passion verte à nos enfants. Deux marches pour assurer le peuplement de Geoffroy-Guichard pour de nombreuses années.
Allez les Verts, tes futurs supporters sont là !