Troisième épisode des confessions d'Helder Postiga à son docteur, par Rising42. A savourer sans modération !

Alloooooo ! Docteur !

C’est Helder Postiga !

Si vous saviez d’où je vous appelle, Docteur ! Vous ne me croirez pas… De Lyon !
Oui Docteur, de Lyon ! Ce n’est pas la peine de le répéter et de crier si fort… Vous allez me faire repérer...
Je vous explique, Docteur.

Alors voilà. Ce matin je suis parti de L’Etrat en voiture, et j’ai été pris dans une tempête de neige… Je ne voyais ni ciel, ni terre… et les pancartes sur l’autoroute étaient illisibles… De toute manière, même si elles avaient été lisibles , je ne les aurais pas comprises à cause de la langue... Donc, comme je ne savais pas où j’allais, ni où j’étais, j’ai roulé, roulé, roulé… Tout ce que j’arrivais à voir, c’étaient les quelques voitures autour de moi qui étaient immatriculées 42. Alors, j’étais un peu rassuré, parce que le coach m’avait bien expliqué que ma sécurité pouvait être mise en péril et que tout risquait de se corser pour moi dans certains cas, comme croiser Antonetti dans les couloirs des vestiaires, où me trouver entouré de véhicules immatriculés 69. Donc, je roulais, serein, pensant bien finir par trouver des rails et le tram qui va dessus, j’ai vu ça dans un dessin animé de Tex Avery, où un personnage perdu cherchait les rails du train, disant que c’était le plus sûr moyen de retrouver la ville. Mais il faut dire qu’une fois sur les rails, il prenait le train dans la gueule. Donc, j’étais prudent, et je roulais tranquillement, la vitre ouverte pour entendre la cloche du tram, au cas où, quand subitement les 42 disparurent et les 69 devinrent très majoritaires. Il avait raison le coach, il fallait que je me méfie de ces 69, surtout ceux avec un air idiot, une vue basse, coiffés d’un bonnet rouge et un pompon bleu, les mêmes couleurs que mes pilules… O meu Deus doutor !... Je décidais de continuer ma route en me laissant glisser le plus bas possible vers les pédales pour passer inaperçu, et de sortir de cette autoroute dès qu’une bretelle se présenterait. J’aurais dû emmener Piquionne avec moi… Il paraît qu’il a l’habitude des 69, lui… Mais je n’ai pas voulu… Je me méfie… Avec sa tête qui bascule vers l’avant sans savoir pourquoi, j’avais peur pour mon pare-brise.

Enfin, une sortie se présente à moi, je l’emprunte et là je tourne durant une heure pour essayer de trouver la direction du retour. Mais vous savez, Docteur, c’est difficile de conduire entouré de malades qui ne clignotent même pas, qui font des gestes dont je ne connais pas le sens, qui écument de rage, la bave aux lèvres… bref l’enfer… Puis j’arrive vers une espèce de bâtiment gris et horriblement laid, qui pourrait ressembler à un stade, mais je crois bien que c’est la prison locale… C’est marqué à l’entrée : Gerland. Je vous téléphone d’ici... Je suis garé juste devant. Attendez un instant Docteur, je vais me renseigner… Voilà deux ouvriers, pas très frais, l’air totalement abruti même, qui sortent du boulot avec leur salopette dégueulasse, marquée « Renault Trucks »… Je vais leur demander. Hein, quoi Docteur ? Il ne faut pas ? Ah bon… Que je me cache dans la malle de la voiture ? Vous voulez que je me cache dans la malle ? C’est si dangereux que cela ? Bon ok Docteur, je vous écoute et j’attends les secours. En attendant, je vais vous raconter les péripéties de la semaine. Vous allez voir Docteur, ce n’est pas triste.

Donc, comme je vous l’avais dit quand je vous ai appelé depuis l’avion, on était sur le point d’atterrir, avec trois heures de retard, parce qu’on avait dû attendre Houri à qui on avait posé trois points de soudure sur la tête à l’hôpital Peugeot de Sochaux. Je n’ai pas compris comment il s’était fait mal à la tête, d’autant que Piquionne n’était pas venu avec nous. Soit dit en passant, quand on voit les soins de l’hôpital, on comprend mieux qu'Isabey soit autant déjanté… Ils ont dû lui mettre des pneus lisses… Bon enfin, bref. Donc nous atterrissons… Dans le noir… L’aéroport était fermé… Ils étaient tous allés se coucher… J’ai bien crû qu’on allait se casser la gueule, mais j’ai sorti mon image avec la Vierge de Fatima, et on s’est posé sans encombre en chantant le Salve Regina… Enfin surtout moi… Ensuite, il a fallu passer par-dessus les grilles et nous sommes rentrés à la maison au petit matin.

Lors du premier entraînement de la semaine, je me doutais bien que les copains seraient encore tout tristes. Comme je n’aime pas quand les ambiances sont moroses et suicidaires, j’avais tout prévu en amenant ma guitare pour m’accompagner et leur chanter un fado. Vous connaissez le fado, Docteur ? C’est beaaaauuuu ! C’est un chant traditionnel de mon pays. C’est redoutable. Quand rien ne va, on chante un fado, et de l’entendre libère les émotions, fait frissonner et transcende. Tenez, vous allez voir Docteur, je vais vous en chanter un, a cappella:

Se a minha alma fechada
Se pudesse mostrar,
E o que eu sofro calada
Se pudesse contar,
Todo a gente veria
Quanto sou desgraçada
Quanto finjo alegria
Quanto choro a cantar…

Ca veut dire si je trouve bien les bons mots :

Si mon âme fermée pouvait se montrer
et ce que je souffre en silence pouvait être raconté
tout le monde verrait combien je suis malheureux,
combien je feins la joie,
combien je pleure en chantant…

C’est beau, hein ??? Vous reniflez Docteur ? Vous êtes enrhumé ?

Bon alors, je commence à chanter dans les vestiaires… Le coach, grand spécialiste du Portugal, se met à chanter avec moi… Omar, le chien du gardien, hurle et je ne vous-même dit pas, Docteur, impossible de l’arrêter… Et tous les copains pleurent enlacés deux par deux... Superbe !!!…

Et c’est alors, Docteur, que le temps a changé… Incroyable… Le ciel s’est couvert, la pluie s’est mise a tomber et le froid est arrivé. Les terrains ont gelé d’un seul coup, comme pour le match contre Toulouse. Alors, nous nous sommes entraînés sur un pelouse synthétique. Très bien cette pelouse. Un peu haute peut-être. Il faudra que je passe la tondeuse un de ces matins avant que les copains arrivent, pour leur faire plaisir. J’aime bien faire plaisir, moi, Docteur. Enfin, tout le monde était content jusqu’à ce que le coach nous dise que ce qu’il y avait de bien avec ces pelouses, c’est que les chèvres ne pouvaient pas y brouter… Je n’ai pas trop compris ce que ça voulait dire, ou bien si il pensait à quelques-uns. Enfin moi je n’avais jamais vu de chèvres à l’Etrat. Après la réflexion du coach, j’ai senti que l’ambiance changeait et que ce n’était pas le moment de sortir mon dictionnaire. J’ai risqué une question au coach en lui demandant où il avait vu des chèvres, et il m’a dit de fermer ma gueule.

Ensuite, Docteur, mercredi matin, j’ai eu une sacré surprise. Lorsque je suis arrivé au Centre d’entraînement, j’ai vu, planté devant la porte un bon ami, Miguel Leite Bruno Basto. Non, non, Docteur, pas deux amis... Un seul. Il était là sous la pluie avec sa valise en carton qui se gorgeait d’eau. Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Je l’ai fait entrer et je l’ai présenté à tout le monde. Nous étions tellement content tous les deux, et l’accueil était tellement chaleureux, qu’on a voulu chanter un fado pour fêter son arrivée… Et c’est alors, Docteur, que Janot a marché par inadvertance sur ma guitare, puis, comme pris d’une rage frénétique, s’est mis à sauter dessus en criant en japonais… Je vous avais dit, Docteur, que le fado transcende. Mae de Deus ! Plus de guitare !… Et sans guitare, on ne peut pas chanter correctement le fado. Mais ce n’est que partie remise… Un jour qu’on n’aura pas envie de jouer un match, j’en chanterai un la veille… Et puis, si ça ne suffit pas, je demanderai à mon copain argentin de nous chanter la chanson qu’il me chante dans la voiture… Vous la connaissez, Docteur ?

Je veux tanguer,
Je veux tango,
Je veux cambrer le dos,
Comme à la charge du taureau,
La fièvre sur la peau.

Je veux, je veux danser
Les yeux fermés
Le chant de l'exilé,
Le chant de l'homme abandonné
Pour qui la vie n'est plus...
Qu'un tango.

Voilà Docteur, la semaine s’écoulait tranquillement. Nous avions droit à la visite du petit excité avec l’écharpe verte qui embrasse tout le monde plusieurs fois par jour… Je me demande qui est ce type. Il parle sans arrêt, il chasse les mouches. Et puis il y en a un autre qui vient quelquefois avec lui, un frisé, que je ne comprends pas. Un frisé qui roule avec un engin tellement large qu’il ne passe plus les portes du stade. Il embrasse tout le monde, lui aussi, et quand il parle on a l’impression que sa langue va plus vite que sa tête. Il paraît même qu’il a parlé à un journaliste, ou à un jeune qui s’occupe d’un forum, et qu’il lui a dit des choses de première importance au téléphone, et qu’après il a dit qu’il n’avait jamais dit ce qu’il avait dit… Vous me suivez, Docteur ? C’est bien çà Docteur… Quand il parle, c’est sa langue qui cause mais pas sa tête… J’ai vu dans mon dictionnaire qu’il doit être atteint d’une maladie qui s’appelle la déblatérite aiguë… Il paraît même que c’est contagieux… Tenez, la prochaine fois qu’il voudra m’embrasser, je mettrai une cagoule verte… Mais, Docteur, il est peut-être trop tard, car je crois bien que l’épidémie est en train de progresser, parce que quand je lis le journal « But », que l’on m’a conseillé pour apprendre le français, parce que les mots y sont simples et qu’il y a beaucoup de synonymes et de contraires, donc de vocabulaire, bien mélangés dans le même article, je me demande bien si les journalistes n’ont pas la même maladie que le petit frisé.

Vendredi soir, Docteur, je suis rentré à la maison à pied avec les raquettes du Bessat. Incroyable… Je n’avais même pas chanté… De la neige… De la neige… De la neige de partout… Pourtant, je leur avais bien dit à Porto que je ne voulais pas aller au Spartak de Moscou… J’avais été très clair… Si j’avais su…

Samedi, nous sommes allé au stade à onze heures, avec Piquionne qui avait présenté ses excuses au supporter qu’il avait massacré d’une tape amicale. L’incident est clos, paraît-il… Mais le match contre Nice a été reporté. La bâche qu’ils avaient dû tendre entre les toits des tribunes était tombée sur la pelouse à cause du poids de la neige. Nous sommes reparti déçus. Les Niçois n’étaient pas là, ils avaient envoyé un huissier. Décidément, je ne comprends rien aux convenances en France. Moi j’étais surtout déçu parce que je n’aurai pas cette semaine les titres des infos que je lis dans les tribunes… Vivement mercredi ! Des supporters nous attendaient à la sortie. Docteur, il faut que je vous dise… Les supporters sont de plus en plus bizarres ici… Maintenant, quand ils nous attendent lorsque l’on sort en voiture et qu’ils nous demandent un autographe, ils portent tous un casque intégral. Et quand Piquionne sort, ils se tiennent à vingt mètres avec des boucliers de CRS… Je ne sais pas si c’est le froid qui les rend ainsi, mais ils n’ont pas l’air très aimables… Cela sent le cessez-le-feu très provisoire...

Docteur ! Docteur ! Quelqu’un frappe sur la malle… Qu’est-ce que je fais ? J’ouvre ? Non ?
Ok, je crie bien fort Glasgow.

- Glasgooooow !

Docteur, on m’a répondu :

- Poteaux carrés ! 

Ok, Docteur, bien compris, ce sont les secours… J’ouvre… Merci pour tout, Docteur. On se voit quand ?

Auteur : Rising42