Le meilleur moment de l’amour c’est quand on monte l’escalier a dit un jour Georges Clémenceau, qui, né à Mouilleron, s’y connaissait forcément en amour. En amour ok, mais en qualification européenne, c’est quand le meilleur moment ?


Ben c’est définitivement pas quand on monte l’escalier. Parce que là, y a pas à tortiller du derche, on y est dans l’escalier qui monte à l’Europe. On les monte les marches, quatre à quatre, même, au vu du rythme soutenu qu’on tient depuis deux mois.
Le Graal, le septième ciel, le point E (comme Europe) il nous reste quatre étages pour l’atteindre.
Et autant je conçois l’excitation et l’euphorie qui portent l’amant fébrile et fougueux dans son irrésistible ascension vers la tant attendue étreinte, qu’il sait acquise, promise, car la qualification il l’a obtenue parfois de haute lutte, parfois au prix de trésors de séduction.
Autant le prétendant à l’Europe, lui, monte les marches, oui il les monte ce postulant, il accélère, mais la qualification reste incertaine.
Il n’est pas sûr d’arriver en haut le premier. Pas certain une fois les quatre étages gravis d’avoir quelque chose au bout. Et ne rien avoir au bout, en amour c’est ballot.

Alors non, l’entiché haletant dans l’escalier, l’épris expirant au 34ème étage, il ne rêve pas d’étreintes folles, de peau douce et de courbes voluptueuses. Non il pense à tout ce qui pourrait entraver son bonheur futur. Il craint de faire chou blanc l’épris. Car quand l’épris monte, il se demande s’il aura les moyens de se l’offrir, la qualif. Il craint l’échec, l’épris, d’ailleurs ne dit-on pas Tel épris qui croyait prendre ?

En temps normal déja, L’homo- supportericus est sérieusement atteint : supputer toute la semaine sur la forme des siens et monter excessivement en tension quatre-vingt-dix minutes chaque week-end, voilà une drôle de vie sur laquelle on pourrait demander à Véronique de nous écrire une Sanson.  Mais elle n’a pas le temps, elle est amoureuse elle aussi, c’est fou, pis on s’en fout, on ne parle pas du temps normal là, mais de cette irrespirable fin de saison, où durant cette montée des marches, les cannes en feu, et le cœur en chamade, notre courbe de tension ne connaît pas de répit, notre palpitant ne trouve plus de repos.

Je ne sais pas vous, enfin si j’ai une vague idée, mais moi émoi émoi, je pèse tout, mesure tout, examine tout. Sorti de tout cela je pourrai affirmer que j’excelle en excell, que je suis probant en Proba. Car tout ce qui pourrait avoir un début d’influence sur notre destin et celui de nos concurrents directs m’obsède. Plus rien n’est anodin à mes yeux fatigués de disséquer les compositions, scruter les motivations, décomposer le passé récent pour y lire l’avenir, décortique les calendriers, convoquer les statistiques tac tic tac, durant ce si long compte à rebours.


J’en arrive à surfer chaque jour sur le site du Courrier Picard pour savoir si Amiens se présentera avec ses meilleures armes à Montpellier. Alors que les Verts ne jouent que dimanche, j’ai déjà usé mon esprit et mon entourage mardi et mercredi à maudire Paris de tout prendre par-dessus la jambe, et exhorter Rennes à épuiser Monaco.
Prenant une salvatrice pause, j’ai enfin pu penser à autre chose mercredi en savourant un somptueux Barça-Reds dont mon esprit tordu, n’a pas su trouver la moindre trace d’impact ou d’influence directe ou indirecte sur notre destin. Ouf ! Courte accalmie, car je sais déjà que mes soirées de vendredi et samedi seront irrespirables, à guetter les faux pas de Marseille et Montpellier, tout en m’interrogeant sur l’impact que le faux pas des uns pourrait avoir sur le destin des autres, la perspective de Marseillais démobilisés qui recevront Montpellier fin mai ne me disant rien qui vaille.
Equations à de multiples inconnues comme un Vert qui sait déjà que dimanche aux alentours de 19h, à peine redescendu de sa grosse montée en pression liée au match des siens, les seuls nom de dieu de bordel de merde dont il devrait se soucier, il aura juste le temps de se sustenter, si son estomac n’est pas trop noué, avant d’envisager avec effroi ou gourmandise, tout dépendant de notre sort à Monaco, l’affrontement entre les Caniches et les Vilains.

Putain qu’elles sont tortueuses ces marches ! Comme à Moulinsart, on peut y laisser une cheville. Pis il n’y a pas de rampe à cet escalier, la chute dans le vide est une menace à chaque étage, et on voudrait me faire croire que c’est le meilleur moment ?


Clémenceau était surnommé le Tigre, mais s’il a connu l’amour et la guerre, il n’a pas croisé la panthère et les Verts, ayant cassé sa pipe en 29, quatre ans avant 1933 et la naissance du plus grand club du monde.
Quatre ans. Quatre. Comme la place qu’on vise a minima. Comme le nombre d’étages à gravir encore. Joli chiffre. Heureux présage ?
Dans sa jeunesse, Clémenceau, qui ne l’était pas, a écrit un roman intitulé Les plus forts. Alors qui sait ?