Avant de recevoir son club formateur mercredi à St Symphorien, Carl Medjani a accepté de répondre à nos questions. Merci à lui!

Première partie de cette interview vérité.


Quel a été ton parcours avant de rejoindre le centre de formation de l’ASSE en 1998 ?

J’ai commencé à jouer au foot très tôt, grâce à mon grand-père qui était directeur sportif du club de Rhodia Péage (Isère). Dès l’âge de 4 ans, je me suis entraîné dans ce club, mais j’étais trop jeune pour jouer en match. J’ai ensuite évolué dans l’équipe poussins, avant de rejoindre l’ES Roussillon, un club isérois assez réputé dirigé par l’ancien pro Didier Christophe [ndlr : ancien international ayant notamment joué à Monaco]. A l’époque, je jouais un peu à tous les postes, j’étais le plus souvent milieu offensif voire attaquant. J’ai failli partir à Annonay (Ardèche), mais le président de mon club m’a poussé à participer aux journées de détection organisés par les clubs de la région Rhône-Alpes. Recalé lors d’un premier test à l’Olympique Lyonnais, j’ai donné satisfaction à l’ASSE lors d’un stage organisé par Joël Guitay, l’entraîneur des moins de 13 ans 1ère année de l’époque. Jean-Philippe Primard et lui m’ont ensuite demandé de venir m’entraîner tous les vendredis après-midi à L’Etrat, avant de me proposer de devenir pensionnaire du centre de formation. Entre-temps, j’avais effectué un autre test à Lyon qui s’était révélé concluant.

J’ai dû choisir entre l’ASSE et l’OL. A vrai dire, je n’ai pas hésité très longtemps : j’ai préféré les structures du Centre de l’Etrat. J’ai également privilégié la convivialité et la gentillesse des Stéphanois, par rapport au côté un peu froid et impersonnel du voisin lyonnais. Et le fait que mon grand-père soit un fervent supporter des Verts a fait définitivement penché la balance du côté de Saint-Etienne.

Quel bilan tires-tu des 5 années passées dans le centre de formation des Verts ?

Un bilan très positif : ça a été les 5 plus belles années de ma jeune existence. C’est là-bas que j’ai appris à devenir un homme. J’ai eu la chance d’avoir de très bons formateurs. Je pense notamment à Joël Guitay et à Gilles Rodriguez, mon entraîneur en moins de 15 ans. J’ai mûri, j’ai grandi en tant qu’homme et en tant que joueur grâce à eux. Joël Guitay a été comme un second père pour moi. De plus, je pouvais rentrer chez moi le week-end car ma famille habite à une heure de Saint-Etienne. Je suis issu d’une famille de sportifs, et mes parents m’ont soutenu en venant m’encourager à chaque match. Je me suis vite intégré dans le centre car j’ai rapidement sympathisé avec les joueurs de mon âge, mais également avec les plus anciens. C’est très enrichissant de vivre dans un centre de formation, car tu côtoies des joueurs d’âges différents, de milieux différents, de religions différentes. J’ai d’ailleurs encouragé ma sœur à vivre la même expérience (elle fait actuellement un sports-études de water-polo).

Quels sont tes souvenirs les plus marquants de ta période stéphanoise ?

C’est avant tout la super ambiance qu’il y avait entre joueurs. Je faisais partie de « la bande des 7 », comme on s’était surnommé : Samy Houri, Bafé Gomis, Karim Rezgui, Dimitri Fillon, Franck Royane, Mouhamadou Dabo. On s’est bien amusé ensemble. Il y avait une vraie complicité entre nous, une réelle amitié. Tous les 7, nous étions hébergés au centre de formation, contrairement aux autres joueurs de notre équipe. On se lançait des défis sur le terrain entre hébergés et non hébergés : cette bonne ambiance a créé une certaine émulation, et notre complicité en dehors du terrain nous a permis d’obtenir de bons résultats. En 2001, on a été en finale du championnat de France des moins de 15 ans. On n’a perdu qu’aux tirs au but contre l’INF Clairefontaine.

Es-tu resté en contact avec les 6 autres membres de la bande ? Avec lequel as-tu le plus d’affinités ? Que sont devenus ceux qui n’ont pas réussi à percer chez les pros ou en CFA ?

Sincèrement, je ne peux pas ressortir un nom. Mais je suis resté en contact avec eux, aussi bien avec ceux qui ont percé en pro qu’avec les autres : je pense notamment à Karim Rezgui, qui joue en Honneur Ligue du côté d’Aix-en-Provence et bosse à côté; à Franck Royane, qui fait un BTS en alternance et joue dans un petit club à Serrières. Quant à Dimitri Fillon, il joue maintenant à Cognac. On savait bien que parmi tous les joueurs de 1985, certains resteraient sur le carreau et n’arriveraient pas à franchir la dernière étape qui mène au football professionnel. C’est la dure loi du sport, mais ça n’entame en rien notre amitié car la règle du jeu était connue de tous.

Quand on regarde la feuille de match de cette finale des moins de 15 ans, on retrouve en effet la bande des 7 mais aussi Idriss Ech Chergui et Loïc Perrin, qui éclate au plus haut niveau cette saison…

En effet, et je me réjouis de voir Loïc à ce niveau, car je l’apprécie beaucoup. Je me souviens qu’on était tous abattus après cette finale perdue, mais le club avait tenu à organiser une petite fête après le match, au restaurant « La Pause », à l’Etrat. Au début, on faisait tous la gueule, mais au fil de la soirée on a retrouvé le sourire : nos formateurs ont bu quelques coups, ont tenu des discours sympathiques… Après le resto, on a pris le bus et on a débarqué à 35 en boîte de nuit. Je crois que ça reste un de mes meilleurs souvenirs de ma période stéphanoise. Je me remémore également la fois où on avait fait le mur avec plusieurs potes de l’équipe des moins des 18 ans : on avait bravé l’interdit pour aller faire la fête en ville; ça avait quelque chose de grisant mais en même temps on flippait, on avait mauvaise conscience car on savait qu’on avait enfreint les règles strictes fixées par le directeur du Centre, Georges Aubert. Mais bon, il faut bien que jeunesse se passe !

Je garde aussi de bons souvenirs de la saison 2001-2002 car on a fini à la première place de notre groupe devant Lyon en championnat national des moins de 17 ans. Hélas notre parcours s’est arrêté en quart de finale, on a encore perdu aux tirs au but (contre Metz).

Quel est ton souvenir le plus douloureux à Saint-Etienne ?

C’est mon dernier match sous le maillot vert, contre Lyon, à la fin de la saison 2002-2003. Un moins avant, on avait trébuché en demi-finale de la coupe Gabardella : contre Strasbourg, on avait fait un non-match et les Alsaciens nous avaient privé du bonheur d’une finale au Stade de France. Mais on avait terminé à la première place de notre poule en championnat national des moins de 18 ans et on était donc qualifié pour les phases finales. Dans notre troisième match de phase finale à Guéret, il fallait absolument battre les Lyonnais. J’ai marqué lors de ce derby, mais on a dû concéder le nul. A la fin du match, j’ai craqué : de nombreux spectateurs ont scandé mon nom pour me consoler et pour me demander de rester à Sainté. Mais je savais que c’était mon dernier match avec les Verts car je venais de signer un contrat de 5 ans avec Liverpool.

Revenons justement sur les circonstances de ce transfert, qui a fait beaucoup de bruit dans le Forez. Pour quelles raisons précises as-tu choisi de quitter Saint-Etienne ?

Je suis content de pouvoir enfin m’exprimer dans le détail sur les circonstances de mon départ, car j’ai lu et entendu beaucoup de choses inexactes à ce sujet. Certains prétendent que j’ai décliné les propositions stéphanoises car je ne pensais qu’à l’argent que m’offrait Liverpool. Je ne peux pas laisser dire ça, et je vais vous expliquer précisément les raisons de mon départ.

Au cours de ma 5ème saison 2002-2003, j’ai confirmé ma progression en enchaînant les bonnes prestations avec les moins de 18 ans, aussi bien en club qu’en équipe nationale. J’ai également fait mes premières apparitions dans l’équipe de CFA, sous la direction de Bertrand Reuzeau. Plusieurs grands clubs européens (Bayern, Liverpool, FC Valence) me supervisaient, et l’ASSE le savait. Deux ans avant, j’avais déjà fait un test à Manchester mais à l’époque le club s’était opposé à un transfert.

En mars-avril 2003, mon contrat d’aspirant arrivant bientôt à expiration, Christian Larièpe me convoqua pour me dire que le président Alain Bompard souhaitait s’entretenir avec moi.
Je me suis rendu au domicile du Président, qui m’a reçu pendant plus d’une heure : il m’a dit qu’il était très content de mes performances, et qu’il souhaitait faire de moi l’un des fleurons du club, un « nouveau Julien Sablé ». Il m’a proposé dans la foulée un contrat professionnel de 3 ans, en m’affirmant que tous les dirigeants du club étaient d’accord. Alain Bompard m’a ensuite demandé ce que je comptais faire. Je lui ai répondu que sa proposition m’intéressait, que je préférais rester à Saint-Etienne plutôt que d’aller tenter ma chance à l’étranger. Je n’ai fixé qu’une seule condition : je souhaitais m’entraîner avec le groupe professionnel. Alain Bompard n’y voyait aucune objection, et m’a alors assuré qu’il me recontacterait pour formaliser mon engagement avec le club.

Quelques temps plus tard, des changements sont intervenus à la tête du club, Henri Grange succédant à Alain Bompard. Les deux hommes ainsi que Christian Larièpe ont rencontré mes parents. Ils leur ont indiqué qu’un projet de premier contrat professionnel me serait transmis d’ici 3 à 4 jours. Passé ce délai, Christian Villanova a recontacté mes parents pour leur faire part d’un changement : Frédéric Antonetti et lui s’opposaient à un contrat professionnel, qu’ils estimaient « non rentable ». A la place, ils me proposaient un contrat élite de 2 ans suivi d’un contrat pro de 3 ans. J’étais prêt à accepter cette proposition, sous réserve que la seule condition que j’avais fixée soit remplie : participer aux entraînements avec les pros.

Après le dernier match de poule contre Nice, en mai 2003, Frédéric Antonetti a de nouveau rencontré mes parents : il leur a dit très clairement qu’il ne pouvait donner une suite favorable à ma demande. Il ne comptait pas me convoquer aux entraînements du groupe professionnel. Je n’ai pas compris sa position, dans la mesure où plus de la moitié des joueurs de la CFA s’était déjà entraînée avec les pros. J’ai donc dû me résoudre à quitter le club. Heureusement Liverpool m’a témoigné davantage de confiance en me permettant de m’entraîner avec le groupe professionnel. Ce n’est pas l’appât du gain qui m’a amené à quitter le club. J’étais prêt à rester au club si j’avais senti qu’on me faisait confiance. Les dirigeants stéphanois ont déclaré à l’époque qu’ils n’avaient pas pu s’aligner sur les conditions financières exorbitantes de Liverpool. Or je vous assure que les raisons de mon départ ne sont pas financières. J’étais prêt à rester à Sainté quel que soit le salaire qu‘on me proposait. Les personnes qui me connaissent vraiment, comme l’ancien Directeur du Centre Georges Ambert par exemple, pourront vous le confirmer.

Rétrospectivement, regrettes-tu d’avoir quitté Saint-Etienne ? Si tu étais resté à l’ASSE, tu aurais sans doute connu la ligue 1 plus tôt. Et avec le maillot vert !

D’une certaine façon, je regrette d’avoir quitté Saint-Etienne car j’aimais et j’aime encore ce club. Je me suis toujours battu pour le maillot vert dans les équipes de jeunes. J’ai gardé de nombreux amis à Saint-Etienne, notamment certains joueurs. Un exemple parmi d’autres : pendant les dernières vacances estivales, j’ai invité Loïc, Bafé et d’autres potes que j’ai connus dans le centre de formation. J’ai également gardé de bons contacts avec mes anciens formateurs.

Quelques semaines après avoir quitté Saint-Etienne, j’ai été agacé d’apprendre qu’Antonetti avait finalement décidé de convoquer de nombreux jeunes aux entraînements du groupe professionnel. Bien sûr, j’étais très content pour mes amis Samy Houri, Bafé Gomis, Loïc Perrin, Abdelaziz Kamara. Mais en même temps, je me suis longtemps demandé pourquoi on leur avait accordé ce qu’on m’avait refusé au moment de la négociation de mon contrat.
Longtemps, j’en ai voulu à Frédéric Antonetti. Désormais, je considère que c’est du passé… Si j’étais amené à le recroiser aujourd‘hui, je pense même que je lui serrerais la main.

Oui, si j’étais resté à Saint-Etienne, j’aurais sans doute découvert la Ligue 1 plus tôt. Mais je viens d’expliquer ce qui a motivé mon départ du club. Par ailleurs, mon expérience à Liverpool a été bénéfique : à défaut de pouvoir jouer en équipe première, j’ai beaucoup appris là-bas. Je constate également que l’an dernier, j’ai eu beaucoup plus de temps de jeu à Lorient que Loïc et Bafé à Sainté.