Quatrième épisode des confessions d'Helder Postiga à son docteur, par Rising42. A savourer sans modération !


LEXIQUE POUR LES NON STEPHANOIS utile à la compréhension de ce qui suit...

S’acclaper : S’étaler
Anganche : Quelqu’un dont on ne peut pas se débarrasser
Babièle : Bavard
Badarots : Idiots
Barailler : Peiner
Bazeuille : Fou
Bigancher : Boiter
Brandigolant : Instable, qui bouge
Carcameler : Tousser
Corniaule : Gorge
Débarouler : Tomber en roulant
Décarrucher : Trouver
S’échanbiter : S’étaler de tout son long
Ebadaillé : Avoir les vêtements sales et déchirés
Ebariaude : Vision, éblouissement
S’écaboller : Trébucher
Emaselé : Egratigné
Escayer : Escalier
Faramelan : Prétentieux
Franc : Tout
Jabiasser : Parler à tort et à travers
La lourde (avoir la) : Avoir le vertige
Matefaim : Une sorte de grosse crêpe bien épaisse, faite d’œuf, de farine et d’eau ou de lait suivant la fortune du moment
Matru : Petit
Mouiller de chaud : Transpirer
Sacaraut : Quelqu’un de pas soigné
Smitière : Cimetière
Tirer peine : Se faire du soucis
Trettoir : Trottoir
Virons : Promenades


Allo, Docteur !!! C’est Helder Postiga !!!

C’est vous, Docteur ?

Ah, pardon, Docteur, je ne vous avais pas reconnu. Il faut dire que je ne vais pas très fort. Il m’est encore arrivé une histoire pas possible. Je vous explique, mais surtout ne criez pas, hein ?

Alors voilà. Comme nous venions jouer à Paris, contre une équipe de badarots *, j’en ai profité pour demander au coach de m’accorder un jour de libre pour visiter Paris. Ainsi, j’ai passé une belle journée et j’ai fait de beaux virons *… Paris est vraiment une très belle ville… J’ai vu la Tour Eiffel… Même que je suis monté tout en haut à pied, enfin pas tout à fait, jusqu’au deuxième étage seulement... Parce que quand j’ai vu l’ascenseur tout brandigolant *, j’ai eu comme un coup au cœur, et comme j’avais pas avec moi mon image de la Vierge de Fatima, j’ai préféré monter par l’escayer *. Je vous dit pas, Docteur, comme j’ai baraillé * pour arriver en haut… J’étais tellement essoufflé que j’ai débaroulé * et me suis échanbité * sur les marches … Maintenant j’ai le nez tout émaselé *… Une fois là-haut, j’avais la lourde * et je ne voyais que des ébariaudes * … Et comme j’étais tout mouillé de chaud *, je me demande si j’ai pas pris froid… D’ailleurs, depuis, j’ai mal à la corniaule * et j’arrête pas de carcameler *… Il faudra que vous me marquiez des pilules sur ma consulte *.. Des vertes, hein, Docteur, n’oubliez pas… Bon enfin bref… La journée touchait bientôt à sa fin, et il m’a fallu décarrucher * un taxi pour qu’il m’emmène vite à la gare pour attraper le dernier train… J’étais finalement bien content de quitter Paris… Parce que les Parisiens sont de vrais faramelans *… Je préfère de bien loin les Stéphanois qui sont simples et bien serviables. Comme il était tard et que je tirais peine *, le chauffeur du taxi, une vraie babièle * , a roulé comme un bazeuille * et a failli écraser deux ou trois galapiats *. Par miracle, on arrive à la gare francs * intacts, mais en sortant de la voiture, je me suis écabollé * après le trettoir * et je me suis acclapé * par terre comme un matefaim *… Je vous dis pas, Docteur, c’est ma femme qui va hurler… Je suis tout ébadaillé *… Un vrai sacaraut *… Et je biganche * tout à droite, si bien que ça me fait forcer la jambe gauche si je ne veux pas tourner en rond… Enfin, j’étais bien content d’être à la gare, parce que je me suis dit que si je continuais comme ça j’allais finir au smitière *.

Seulement voilà, Docteur… Comment ? Vous ne comprenez pas ce que je raconte ? Aaaah ! Vous n’êtes pas Stéphanois !... Fouilla ! Moi qui ai acheté un dictionnaire Français - Gaga pour vous faire plaisir et parler votre langue !… Si vous ne me comprenez pas, je suis déçu… C’était pour mieux m’intégrer... Tout le monde me comprend à Sainté, surtout Loïc qui m’apprend même des mots nouveaux… Le coach, lui, a les yeux tout exorbités quand je lui cause… Comme d’ailleurs le petit excité à l’écharpe verte et l’autre anganche * frisé qui n’arrête pas de jabiasser *. Bon alors, Docteur, je vais vous parler en bon français, comme le matru * Robert.

Donc, voilà mon problème, Docteur… Deus, perdoa-me !… Vous allez être fâché, Docteur... C’est que sur la façade de la gare, c’est marqué en gros, et même que ça clignote : GARE DE LYON… Alors, je ne sais pas si j’y rentre… Aidez-moi, Docteur… J’ai peur… En plus, il y a des types pas très nets qui me lancent des regards qui tuent … Ils sont habillés d’une manière bizarre… Avec une espèce de T Shirt bleu et rouge… Vous voyez ce que je veux dire, Docteur ?... Moi, je croyais que c’était des journalistes de Canal Plus, alors je leur ai fait un sourire, et eux ils ont levé je ne sais plus trop quel doigt en l’air… Mais tous le même… Je ne savais pas ce que ça voulait dire… Alors, j’ai fait comme eux, pour leur montrer que je ne voulais pas les contrarier, et depuis, on s’observe… J’ai l’impression qu’ils savent qui je suis... Pourtant, Docteur, on ne peut pas me reconnaître… Je suis habillé tout en noir… Et je n’ai qu’un sac de sport Adidas sur lequel est écrit : «Appelez le 3223 et dites Allez les Verts…» Je ne peux pas être plus discret… Docteeeeur, il y en a un qui porte le nom de Pauleta dans son dos. Pourtant, ce n’est pas Pauleta. Je vous jure. Au Portugal, on appelle cela une usurpation d’identité. Je vais aller lui dire d’enlever son T-Shirt, sinon j’appelle la police… Quoi ??? Bon, OK, Docteur, je ferme ma gueule et je vais me cacher dans la gare… Très vite.. Oui, oui, Docteur… Et j’attends les secours… Voilà, j’y suis, Docteur… J’en avais marre de me cacher dans les toilettes, alors j’ai essayé une consigne, mais mon sac ne rentrait pas avec moi, donc je me suis planqué dans une cabine de douche, la n° 42… J’ai choisi ce numéro pour que les secours me trouvent plus facilement... Pas bête, hein?

Bon, en attendant, Docteur, je vais vous raconter ma semaine.

Mercredi, on a enfin joué le match contre Toulouse qui avait été reporté à cause du courant d’air frais qui avait gelé la pelouse. Mon copain Bruno Basto n’a pas été aligné par le coach. Quand j’ai demandé pourquoi, le coach m’a répondu qu’il n’était pas qualifié. Quoi ? Pas qualifié ? Bruno Basto pas qualifié !!!… Alors, là, elle est bien bonne ! … Alors, je lui ai dit au coach que Bruno Basto était très qualifié pour tenir le poste d’arrière gauche, et qu’il aurait fallu lui dire d’amener son diplôme de qualification professionnelle de l’Académie de Coïmbra. Et puis je lui ai dit aussi que Piquionne était bien qualifié, lui, pour tirer dans la pendule du stade… C’est injuste… Mais je n’ai pas insisté parce que j’ai vu Janot, agité de spasmes violents, tourner dangereusement autour de ma nouvelle guitare toute neuve… Docteur, je ne sais pas si c’est encore les conséquences des pilules rouges et bleues que vous m’aviez prescrites, mais j’ai des soucis de vision. Quand nous sommes entrés sur le terrain, vous ne me croirez pas, on entendait le public chanter, mais il n’y avait plus de tribunes. Vous auriez dit le décor d’un film d’épouvante où tout se passe dans la ouate… Et puis par moments, les tribunes apparaissaient… Et là, Docteur… Oulà… Je ne vais vraiment pas bien… J’ai vu des supporters torses nus dans le froid qui chantaient en se frappant la poitrine… Et puis ils disparaissaient… Et puis ils revenaient… Bon enfin maintenant, ça va mieux… Sinon, ce fut un beau match… Artistiquement parlant… Piquionne a passé son temps à sauter en l’air pour essayer de faire des têtes, et il restait là en suspension en battant des ailes… On aurait dit qu’il dansait « Le Lac des cygnes »… C’était beaaaaaauuuu… Et pour se faire pardonner son coup-de-tête-involontaire-qui-était-parti-tout-seul-sans-savoir-pourquoi-et-qui-avait-explosé-le-nez-d’un-gentil-supporter-qui-s’était-gelé-les-fesses-pour-voir-un-match-qu’il-n’a-pas-vu, il a joué un match bien civil et bien courtois… On se rendait la balle mutuellement… Un coup à moi… Un coup à toi… Et puis une balle de temps en temps aux Toulousains, pour qu’ils participent à cette osmose… Bref, tout le monde était content. Il me semblait bien entendre quelques sifflets des tribunes qui n’étaient pas là, mais je ne savais plus si c’était mes oreilles qui déliraient ou bien si c’était le train de Roanne. Pourtant, on aurait dû se méfier… Le coach l’avait dit … Toulouse c’est parfois Barcelone… Et ça n’a pas loupé. Ils nous ont planté trois buts sur coups de pied arrêtés… D’ailleurs, je n’ai pas vu les buts à cause de Piquionne qui répétait sans cesse ses triples axels et qui me masquait les actions. L’arbitre m’a mis un carton jaune parce que j’ai mis mon bras dans la figure d’un Toulousain qui avait la goutte au nez et avait oublié son mouchoir au vestiaire… Voilà, comment on est remercié quand on veut rendre service… Et puis vers la fin, nous avons quand même sauvé l’honneur en marquant un but… Sur une action confuse… Normalement c’est moi qui ai marqué, mais certains disent que c’est Diawara… Bon on ne va pas chipoter… En tout cas, ce n’est pas Piquionne… Parce que si Piquionne trouvait la cage, ça se saurait… Quoique… Sur un cafouillage… Ou bien les jours impairs de pleine lune des années bissextiles. Par contre, je ne sais pas si on dit : sauver l’honneur, quand on marque après avoir joué un mauvais match, ou bien si on dit : avoir l’air moins misérable… Je vérifierai dans mon dictionnaire. Mais les supporters ont chanté jusqu’au bout… Bon un peu moins fort vers la fin… Mais quand même… Parfois, les chants étaient sinistres… Avec leurs tambours, on aurait crû entendre le son des tam tam qui appellent à la soupe dans une tribu de cannibales...

Dans les vestiaires, tout le monde se taisait. Le fada avec l’écharpe verte mimait un anéantissement optimiste. Le petit frisé avait comme d’habitude la bouche qui disait oui et la tête qui disait non. Celui-là, on sait qu’il est heureux ou qu’il a compris quelque chose quand il bouge les oreilles… Comme Omar, le chien du gardien, qui par ailleurs me suit à la trace depuis qu’il connaît mes talents de chanteur. Puis nous sommes sortis du stade… Pas un chat casqué ne nous attendait…

Enfin Vendredi matin, nous sommes parti à Paris… Un peu plus tôt que prévu… Le coach a dit qu’on allait se mettre aux haricots verts pour se ressourcer… Mais j’ai peut-être pas bien compris… D’autant qu’on n’a même pas mangé de haricots verts… Donc, nous avons été hébergés au Centre National de Clairefontaine. La super classe… Louis 14, qui jouait au même poste que Feindouho, s’y entraînait déjà… C’est vous dire… Une fois installés, le coach nous a expliqué que nous jouions dans un grand club et que le maillot vert était un maillot de grande classe… Que de jouer devant notre public qui était présent dans n’importe quelles conditions de temps ou de résultats était une grande chance… Et qu’il fallait que nous prenions conscience de tous les luxes qui meublent notre vie sportive… J’ai trouvé qu’il avait très bien parlé… Comme José Mourinho nous parlait quand je portais le maillot azul e branco… S’il est honnête, un joueur doit se confondre avec les couleurs et les valeurs qu’il défend. Il est vrai que tous les clubs ne se nourrissent pas d’une couleur et de valeurs… Comme Lyon par exemple qui ne se nourrit que de commerce et du sang des autres tel un vampire… Nous à Saint Etienne, nous appartenons à une famille restreinte, celle des clubs qui ont une âme… Et puis, ça me rappelle que j’ai lu, dans mon journal « But » pour débutants en langue française, que deux de nos égyptologues, Feindouno et Zokora, voulaient partir à la fin de la saison, l’un pour des raisons financières et l’autre pour changer d’air. De plus ils racontent celà avec la délicatesse et le tact d’un pachyderme dans un vestiaire. Je trouve que ce n’est pas compatible avec le discours du coach et avec ma conception d’un club. Docteur ? Comment vous appelez un homme qui se marie et qui change d’épouse dès qu’il en trouve une plus belle ou plus riche, où les deux ? Une girouette !... Bien vu, Docteur… Chez nous on dit : Um bacalhau que altera de mar para uma agua mais quente. Cela veut dire : une morue qui change de mer pour une eau plus chaude. Mais va-t-elle survivre dans une eau qui n’a de mieux que l’apparence ?

Bon, Docteur, je pense trop… Cela me fatigue... Remarquez bien que j'en connais que c'est la connerie qui les fatigue...

Alors, après le discours du coach, nous étions remontés à bloc… D’autant que lorsque nous avons foulé la pelouse de ce beau stade du Parc des Princes, nous avons vu encore plein de nos supporters qui nous avaient suivis malgré nos déconvenues. Je profite de l’avant match pour discuter un peu avec mon copain Pauleta, mais sans changer mon maillot… Je précise, on m’a bien expliqué de ne pas changer mon maillot en cours de match… Quelle idée !... Je n’y aurais même pas pensé… Ma tête n’est pas une huître creuse et vide!... Bon, le match commence et on est un peu dominé, mais sans plus. Je suis content de voir que Basto est à l’aise… Je savais que ce type n’était pas une morue desséchée. Il apporte de la solidité et de l’expérience. Perquis aussi joue bien… Il envoie voler les Parisiens à la manière d’Obélix avec les Romains. Et puis, sur un beau centre en retrait de Diawara, Loïc envoie un tir bien cadré, repoussé par Alonzo, le gardien au cœur vert et au maillot rouge, et Piquionne — oui ce n’est pas une blague — qui suit opportunément met la balle au fond des cages, et court vers le Kop vert qui explose… La rancune n’est pas tenace … Quinze minutes plus tard Pauleta égalise… C’était prévu… Pas de panique… Car deux minutes plus tard — je suis désolé, Docteur, je vais parler de ma modeste personne — je marque notre deuxième but d’un centre-tir, que le coach qualifiera de tir magistral. Moi, je ne me prononce pas, parce que dans le foot tout peut arriver et il est difficile parfois de faire la part des choses entre la chance et le talent… Et voilà, nous arrivons à la mi-temps avec ce score flatteur de 1 à 2… Ce qui est dommage c’est que Camara ait pris un carton jaune pour un évanouissement théâtral de Pauleta à l’entrée de la surface de réparation… Il faut dire que nous avons bénéficié d’un arbitrage à la noix… Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais c’est ce que certains ont dit dans les vestiaires. Puis en deuxième mi-temps, nous avons bien résisté jusqu’à ce but de Pancrate qui aurait pu être refusé pour un pied bien haut. On a eu chaud jusqu’à la fin, mais Janot a fait un petit miracle et le score en est resté là. On était bien contents, parce que nous avons redonné de l’éclat à notre maillot par un match courageux et volontaire, parce que nos supporters doivent être fiers de nous et parce que les Parisiens, bons perdants, refaisaient la fin de match avec l’arbitre dans le rond central. En tout cas, c’est la première fois que je joue un match avec mon nouveau maillot, sans qu’il y ait une bagarre générale, qu’il y ait une expulsion ou une catastrophe climatique. A mosca alterou de burro. La mouche a changé d’âne. Mais l’âne lui n’a pas changé… Je dis ça quand je pense au petit frisé dans les vestiaires.


La suite, Docteur, vous la connaissez, puisqu’elle m’a amené dans cette cabine de douche, d’où je vous téléphone…

Docteeeeeuuuuuuur ! On frappe à la porte… Qu’est-ce que je fais ? Ok, Docteur, je crie le mot de passe.

Waterlooooooooooooooooooooo !

Hein ? Pardon ? C'est pas le bon ? Je me suis trompé de bataille…

Je me rappelle maintenant...

Glasgoooooooooooow !

Ok, Docteur, on me répond : Poteaux Carrés… J’ouvre la porte…

Docteur ! Je suis inquiet, il y a, parmi les secours, un dingue en maillot vert qui chante un truc bizarre… Vous entendez :

«  Est-ce Parasar si j'ai suivi une étoile
Qui m'a conduit cette nuit jusqu'ici
Où tu te trouves aussi
Est-ce Parasar si j'ai croisé ton regard
Pourrais-tu m'expliquer pourquoi ce soir
Va se jouer ma vie
Qui a guidé nos pas dans l'ombre ?
Mais qui a tout fait pour que l'on se rencontre ?
 ………...»

Bon, allez, Docteur, je me rentre à la maison avec mon escorte. Merci pour tout, Docteur ! On se voit quand ?

Laaaa la la la la la la laaa la la la !!!