Dans une BD qui est sortie il y a 15 jours, ASSE, une histoire de légendes, Clément Goutelle, journaliste indépendant, s'est associé au dessinateur Olivier Paire pour raconter sous un angle original les mille vies de ce club et tout ce qu'il représente pour chacun d'entre nous.
Le prestige éternel de nos Verts, on le doit bien entendu à ce palmarès XXL, à cette épopée unique, et à cette passion qui ne se dément pas. Il se mesure au nombre impressionnant de publications célébrant ce fameux mythe vert, et en particulier les héros d’une finale jouée il y a près de 50 ans.
Clément Goutelle (pour le texte) et Olivier Paire (pour le dessin) ont décidé à leur tour de rendre hommage au club, en BD, mais à leur manière, par le prisme d’une visite du Chaudron avec le plus pointu des guides : Philippe Gastal, fondateur et patron du musée des Verts.
Gastal arpente avec ses visiteurs les entrailles de Geoffroy-Guichard, et leur offre un voyage dans la grande (et les petites) histoire(s) des Verts, de tous les Verts, de Cuissard à Stassin, de Rijvers à Bridonneau. Par son savoir encyclopédique, comme toujours il parvient, à travers de savoureuses anecdotes, à nous en apprendre encore sur le club.
ASSE, une histoire de légendes (Jarjille éditions) réunit dans un bel hommage ceux qui ont fait durant 4 ans de Sainté une des 4 meilleures équipes d’Europe et tous ceux qui, depuis cette époque bénie et malgré les périodes sombres, ont su regénérer ce mythe et offrir à chaque génération ses légendes.
C’est la belle réussite des auteurs d’avoir su mettre en valeur le club dans son ensemble, sans opposer son époque dorée aux périodes de vaches maigres. Considérant qu’au-delà de ses résultats, l’ASSE parvient toujours et pour tous à offrir de mémorables émotions, la BD illustre parfaitement la réalité d’un club qui, malgré ses naufrages répétés, parvient encore à réunir 35 000 personnes tous les 15 jours en Ligue 2.
Et cerise sur mon gâteau à moi, il y a cette page 40, où je reconnus plein de gratitude mon Bayal Sall, héros éternel et malheureux de cette tragédie grecque un soir à Bâle. Pour le tome 2, je suggère de le représenter extatique au pied du Kop Nord, après son coup de boule rageur un soir de novembre 2014.
D'ici là, Clément a bien voulu nous en dire plus sur sa BD, et plus largement sur son rôle de suiveur des Verts...
Clément, avant de parler de cette BD, peux-tu te présenter aux potonautes ?
Je suis journaliste indépendant. J’ai 40 ans, je vis et travaille à Saint-Etienne. Je collabore essentiellement avec Le Progrès et je suis l’ASSE pour Le Dauphiné Libéré. J’ai aussi monté un journal en parallèle qui s’appelle La Brèche, mais c’est une autre histoire. »
Quel est ton lien avec Sainté ?
Je suis né et j’ai grandi à Sainté. Je m’y suis installé et j’y reste. C’est chez moi. Cette ville a ses défauts mais aussi ses qualités. Elle a une image bien plus désastreuse que la réalité.
Es-tu un amoureux des Verts avant d'en être le suiveur pour Le Dauphiné ?
Je suis né à Saint-Étienne donc forcément j’ai un lien particulier avec ce club. J’étais abonné dans un kop quand j’avais la vingtaine. Mes grands souvenirs de supporter c’est surtout la période Nouzaret et la montée avec Antonetti : le 5-1 contre Marseille (1999) mais aussi la défaite 2-3 face à Sochaux (2004), en Coupe de la Ligue. La période Galtier est la plus appréciable en termes de progression. Ensuite, j’ai commencé à travailler un peu sur l’ASSE et ce n’est plus pareil. Je suis devenu suiveur pour Le Dauphiné Libéré sur la période Puel.
Comment arrive-t-on à garder un peu d'objectivité, et t'es-tu déjà autorisé à donner ton point de vue ?
L’omniprésence de l’argent et de l’individualisme, font que le foot actuel a tout pour me déplaire. L’ASSE reste à part mais tout cela me permet de prendre pas mal de distance.
De toute manière, suivre un match en tant que journaliste est très différent. Quand on arrive en tribune de presse, on est de fait conditionné à prendre une certaine distance. C’est tout simple mais tu es dans le cadre du travail. Tu as une mission précise et tu connais un peu plus l’envers du décor du club.
L’idée est d’apporter une analyse sur certains choix, d’observer tactiquement ce qui a pu fonctionner ou non, s’il y a une progression au fil des rencontres. Cette analyse est la mienne, c’est mon point de vue que j’espère le plus objectif possible. Mais j’ai bien conscience que je dois avoir des biais. En connaissance de cause, je fais d’autant plus attention. Et écrire pour l’ASSE reste particulier car tu t’adresses surtout à un lectorat qui suit et apprécie le club.
Je ne vis pas les matchs de la même manière quand je suis au Lipopette bar (pour les matchs à l’extérieur) ou quand je suis en tribune de presse pour les matchs à domicile. Au stade, je suis dans ma bulle. Quand un match se joue à 20h, tu dois envoyer ton article au coup de sifflet final. Il faut être concentré et efficace. Alors quand Cardona marque un doublé et renverse le match à 10 contre 11 dans les dernières minutes, il faut retoucher pas mal de choses. Tu es focus sur ce que tu as à faire. Il y a une adrénaline que j’aime beaucoup.
La notation des joueurs est beaucoup plus compliquée. C’est pour ça que j’aime bien échanger avec les confrères pour adapter mes notes en fonction de ce qu’ils ont vu. Parce qu’en écrivant un article on peut louper des choses ou simplement avoir analysé une action différemment. C’est un exercice compliqué car tu ne connais pas les consignes du coach.
Venons-en à ta BD, quelle est l'origine de ce projet ?
En tant que journaliste qui traite l’ASSE, on croise rapidement Philippe Gastal. Surtout que l’histoire du club m’intéresse tout particulièrement. Cet homme de l’ombre, qui a permis la création du premier musée sur un club de foot en France, représente parfaitement cette passion inexplicable pour l’ASSE. J’avais en tête de le mettre au centre du récit, depuis longtemps.
Ça faisait un moment que l’idée d’une BD sur l’ASSE trottait dans ma tête. C’est un média que j’aime bien. J’ai écrit un scénario sur une résistante somalilandaise nommée Somaliland, il y a quelques années. C’était aux éditions Jarjille, une maison stéphanoise. Quand Michel de Jarjille me contacte pour me partager son idée de lancer une collection La Belle 42 pour mettre en valeur l’histoire du département en BD, je lui propose directement l’ASSE. Il me dit “c’est parfait pour lancer la collection”. C’était il y a trois ans, je pense. On connaissait tous les deux Olivier Paire, le dessinateur. J’ai proposé son nom parce qu’il est très fort pour les scènes en mouvement. Michel a trouvé que c’était pertinent. Et c’était parti !
N'as-tu pas eu peur de faire un énième livre sur l'histoire des Verts ?
Non, d’abord parce que c’est la première BD sur l’histoire du club. Et mon idée était justement de taper à côté, de parler d’anecdotes méconnues. Les Verts de 76 sont la pierre angulaire de l’histoire du club mais ils ne sont pas arrivés là par hasard. Souvent les livres se focalisent sur cette période, là l’idée est de comprendre comment le mythe s’est construit. J’aime bien l’anecdote de l’équipe des millionnaires. A la fin des années 30, Pierre Guichard met des millions de francs pour faire venir des joueurs alors que le club est en D2. L’ASSE gagne le surnom “d’équipe des millionnaires” mais manque la montée. C’est là que Pierre Guichard prend conscience de l’importance de structurer le club et de miser sur la formation. Finalement, la première brique de l’épopée de 76 est déjà posée dans cet échec.

Et dans ce livre, je voulais aussi expliquer la passion exceptionnelle pour ce club. Je voulais confronter la passion d’une génération Gastal, où l’ASSE est le club qui gagnait tout et la mienne. Ma génération a connu peu de grandes victoires et pourtant la transmission de la passion a continué de se faire. J’ai voulu expliquer l’importance d’un titre de Ligue 2, d’un but de Bridonneau. Qu’une défaite contre Bâle donne des émotions… même dans la défaite. Je voulais raconter cet esprit qui transpire en ville de perdants magnifiques !
Quelle suite à tout ça ? As-tu d'autres projets autour des Verts dans les cartons ?
Pour l’instant j’écris toujours pour cette collection La Belle 42 le scénario d’une BD sur la résistante stéphanoise Mélanie Volle. Elle a eu une vie foisonnante, alors ce sera en deux tomes : « liberté » puis « résistance ». A 104 ans, elle est toujours dans cet état d’esprit. C’est une femme incroyable.
Côté foot, j’avoue que j’aimerais bien convaincre Aimé Jacquet d’accepter de raconter sa vie en BD. Mais depuis 98, il se tient loin de la presse. Je voudrais le convaincre de l’importance de raconter le foot de son époque, l’état d’esprit qu’il y avait… Raconter l’envers du décor. Je vais lui envoyer un exemplaire et on verra bien !
Question subsidiaire ? Franchement quel regard en tant que journaliste local as-tu sur Poteaux Carrés et les autres sites sur les Verts ? Est-on perçu comme un concurrent, un complément ?
Un site comme Poteaux Carrés est un peu les deux à la fois. Vous êtes d’abord un complément, car vous faites des interviews, vous créez du contenu qui est en plus de qualité. J’aime bien le ton, l’humour. De plus, Poteaux Carrés ne fait pas une course au trafic pour essayer de gagner du clic, puisqu’il n’y a pas de pub. Et ça change tout.
Reprendre une partie du papier pour dire « ça existe » et en donnant le lien pour y accéder c’est complémentaire. Ce qui est plus gênant ce sont les nombreux sites qui reprennent les articles en entier. Il faut bien comprendre qu’en moins de dix ans, les effectifs ont été largement réduits de moitié quand les médias n’ont pas mis la clef sous la porte. Ces sites ne sont qu’une partie de l’explication de ce délitement qui n’est pas terminé. Je pense que de nombreux postes risquent encore d’être supprimés dans les années à venir.
Résultat, il y a de moins en moins de journalistes en conférence de presse, sur le terrain. Avec ces sites, on a une fausse sensation d'opulence, alors que l'on n'a jamais eu aussi peu d'information. Une info donnée par un rare journaliste qui reste, va être reprise, retravaillée de multiples manières possiblement par l'IA - quitte à en perdre son sens initial - pour être transformée en clics. Et cela pour espérer quelques miettes de revenus publicitaires. L'info est dupliquée 10, 20, 50 fois mais au final, c'est toujours la même. Personnellement, j'évite de donner mon clic sur ces sites. On peut se dire que ce n'est que du foot, mais c'est globalement assez inquiétant.

Potins