Patrick Revelles s'est confié à Poteaux Carrés avant le match qui opposera ce samedi les deux derniers clubs de sa carrière de joueur professionnel dans un stade Geoffroy-Guichard hélas une nouvelle fois à huis clos.
Comment ça va Patrick ? T’es en forme ?
Ecoute, ça va bien !
Parfait, tu es donc attendu demain à l’Etrat pour passer ta visite médicale afin de renforcer notre attaque.
La tête voudrait mais les jambes ne pourraient plus ! (rires)
Je t’ai pourtant vu de mes yeux vu sous le maillot vert l’automne dernier à Cavaillon. T’as claqué un pion, t’as encore le sens du but Patrick ! Peut-être que tu pourrais rendre de fiers services à Laurent Batlles.
Je crois que ça ne va pas être possible (rires). J’aurai 54 ans dans un mois, j’ai l’impression que ma carrière de joueur est derrière moi, non ? Je prends du plaisir à rejouer ponctuellement avec l’équipe des anciens Verts. Ça me fait de la peine de voir l’ASSE en Ligue 2 et toujours en difficulté après trois journées. Ça m’attriste surtout pour le peuple vert, pour les supporters.
Pour les égayer, faut déjà prendre moins de buts. T’es sans doute le seul joueur de l’histoire du club ayant évolué dans les buts à avoir gardé ta cage inviolée !
A défaut de venir renforcer l’attaque car tu n’as plus tes jambes de 30 ans, tu pourrais peut-être venir en tant que doublure d’Etienne Green ?
Pourquoi pas ? (rires) Il faut quand même relativiser ma clean sheet, je n’ai joué qu’un gros quart d’heure dans les buts. Mais ça reste un souvenir marquant forcément. En plus ce match contre le Red Star a eu lieu au Stade de France, où les Bleus avaient été sacrés champions du monde quelques mois plus tôt. De nos jours il y a sept remplaçants sur le banc et les entraîneurs peuvent faire cinq changements mais à l’époque seuls trois joueurs pouvaient prendre place sur le banc. Du coup il n’y avait pas de gardien de métier remplaçant quand Jérôme a dû céder sa place pour blessure.
Vous aviez prévu avant le match qu’en cas de blessure ou d’expulsion de Jérôme, c’est toi qui le suppléerais ?
Non, on n’avait rien prévu du tout, on a improvisé mais ça s’est fait assez naturellement. Souvent, à la fin des entraînements, je restais avec les autres attaquants. Avec Adrien, on aimait bien aller chacun son tour dans les buts. Avant de céder sa place, Jérôme m'a refilé ses gants puis son maillot et Adrien est entré en jeu, il m'a remplacé en attaque où je n'avais pas été bon d'ailleurs. Heureusement les joueurs du Red Star m’ont tiré dessus donc j’ai réussi à garder la cage inviolée et à préserver le score. On avait gagné 2-1. C’est Nestor qui avait ouvert le score, Lulu avait fait le break d’une reprise de volée impressionnante. Mais notre joie avait été un peu ternie par la blessure de Jérôme, quand on a appris qu’il s’était fracturé la cheville. Ça l’a hélas rendu indisponible de longs mois.
Si jamais on ne veut plus de toi comme joueur à l'ASSE, tu pourrais intégrer la cellule de recrutement, d’autant plus que tu as déjà scouté pour Sainté !
C’est vrai que j’ai observé des joueurs une saison pour l’ASSE il y a environ 15 ans. Je supervisais des joueurs de National. En fait j’avais signé deux ans comme entraîneur des moins de 15 ans au centre de formation et j’avais une année supplémentaire si j’obtenais mon DEF. Je l’ai eu mais Laurent Roussey, qui reprenait l’équipe première a décrété que je n’étais pas fait pour entraîner les jeunes. Luc Bruder a été remplacé à la tête du centre de formation or c’est lui qui m’avait fait venir par l’entremise de Julien Sablé, que j’avais de temps en temps au téléphone et qui m’avait informé que le club cherchait des anciens pour entraîner les jeunes.
Je connaissais Luc Bruder de longue date car il était directeur du centre à Toulon, il m’avait entraîné là-bas. Je l’avais retrouvé au Havre juste après mon expérience de joueur à Sainté car car j’avais signé au HAC dont il dirigeait alors le centre de formation. Il a validé mon retour à l’ASSE en tant que formateur, j’ai entraîné pendant deux saisons les U15. On a terminé les deux fois à la 2e place, malheureusement derrière l’OL. La première année j’ai eu les 1990 comme Josuha Guilavogui et Emmanuel Rivière. La seconde saison, j’ai donc eu les 1991, notamment Faouzi Ghoulam et Loris Néry. J’aurais aimé poursuivre cette expérience de formateur mais Laurent Roussey ne le souhaitait pas.
On m’a donc demandé d’aller observer des matches de National dans le grand Sud. C’était à l’époque Omar Da Fonseca qui s’occupait du recrutement. J’ai signalé au club des joueurs qui ont fait une belle carrière depuis, notamment un qui a gagné une Coupe du Monde et une Ligue des Champions : Olivier Giroud. Il avait 21 ans à l’époque et il jouait à Istres. La saison d’après, il a signé à Tours où il est resté deux ans avant d’aller à Montpellier. La suite de sa carrière, pas besoin de te la rappeler je pense…
J’avais signalé aussi Tino Costa, un bon milieu de terrain qui jouait à l’époque au FC Sète. Lui aussi a fait plus tard les beaux jours de Montpellier avant de partir à Valence, au Spartak Moscou. Il a aussi joué en Série A avec le Genoa et la Fiorentina. Il est retourné vivre dans son pays en Argentine, où il joue toujours à 37 ans. J’avais également fait un rapport sur le gardien brésilien Macedo Novaes, qui jouait à Arles. Il a signé à Bastia et a joué 5 ans là-bas. Frédéric Sammaritano faisait aussi partie des joueurs que j'avais mentionnés : ce petit ailier allait à 2000 à l’heure et il jouait lui aussi en National, à Vannes. Il a fait depuis une longue carrière professionnelle en L1 et en L2 mais je crois qu’il vient de raccrocher les crampons.
On m’avait mis à ce poste d’observateur mais j’ai eu l’impression que c’était davantage pour m’occuper pendant un an qu’autre chose. J’avais peu de retours sur les joueurs que je signalais. On me disait : « mouais, ces joueurs, pour Saint-Etienne, c’est compliqué. » Moi je pensais vraiment que c’était une bonne opportunité de faire signer des joueurs comme ça. Les mecs avaient des contrats fédéraux, ça n’aurait pas trop engagé le club de les faire signer pro un an. Ça marche, tant mieux, ça ne marche pas, tant pis, tu les gardes une année et tu les fais jouer en CFA. A vrai dire, je pense qu’ils n’ont pas trop lu mes rapports.
T’as gardé le numéro d’Olivier Giroud ? Y’a peut-être moyen qu’il soit notre Nestor Subiat cette saison…
Non, désolé, je n’ai pas son numéro. Mais j’ai celui de Nestor ! T’as évoqué mon come-back tout à l’heure mais il faut envisager le sien aussi ! (rires)
Écoute on va en toucher deux mots à Loïc et Lolo. Mais tout compte fait c’est plutôt dans la cellule de recrutement que vous pourriez vous rendre le plus utile car on n’a pas l’air aussi avancé que d'autres clubs dans ce domaine.
Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui mais à l’époque où j’étais observateur pour l’ASSE, on supervisait de façon beaucoup moins approfondie que d’autres clubs. Je vais te prendre un exemple. Une fois on m’a envoyé superviser un joueur polonais qui jouait en Belgique. Je le vois un match, j’ai Omar au téléphone et il me dit : « Alors, qu’est-ce que t’en penses ? C’est bon, on peut le faire signer ? » C’est compliqué de se faire une idée juste sur un match. Je me souviens que j’avais discuté avec Gilles Grimandi. Il m’avait dit : «Tu sais, quand on a fait venir Tomas Rosicky à Arsenal, moi j’ai dû le voir 8 fois, un autre l’a vu 7 fois. On voit plusieurs fois les joueurs : quand il fait beau et quand il pleut, contre des petites équipes et contre des grosses équipes » Sur un match, tu ne peux pas te faire un avis tranché sur un joueur. Il faut le voir plusieurs fois à l’œuvre, dans des situations différentes. Après, pour faire ce suivi méticuleux, il faut aussi avoir les moyens ou se les donner. Je ne suis pas à l’intérieur du club, je ne sais pas comment fonctionne la cellule de recrutement de l’ASSE aujourd’hui. Je pense qu’ils mettent les moyens quand même, je l’espère !
Le recrutement via la data comme le fait le TFC de Damien Comolli est-il une solution ?
Je pense que la data, les stats, ça peut être utile comme complément dans une politique de recrutement. Mais à mes yeux rien ne remplace l'observation de visu au stade. Il y a des choses que tu ne vois pas à la vidéo quand t'es un stade. Les images, elles te montrent ce que la caméra veut bien te montrer. Quand t'es dans les tribunes, tu vois plein de choses qui échappent aux caméras, sur le placement ou sur le jeu sans ballon par exemple. Quand t'es sur place, tu apprécies mieux le comportement du joueur. Bien sûr, les images, les stats sont des outils intéressants mais je ne pense pas que tout doit se baser la-dessus.
Si demain l'ASSE t’appelait pour renforcer sa cellule de recrutement, ça pourrait t’intéresser ?
En tout cas cette expérience de recruteur est très enrichissante. On voit beaucoup de choses. Les joueurs bien sûr mais aussi les comportements des entraîneurs. Leur façon de coacher quand ils sont menés au score, les changements d’organisation. La capacité des joueurs à s’adapter à ces changements. C’est très instructif, j’ai noté plein de choses qui m’ont servi et qui me servent encore maintenant dans mes fonctions d’entraîneur à Ollioules. Si demain le club m’appelle pour retravailler sur le recrutement, ça m’intéresserait, bien sûr.
Le football, c’est toute ma vie, c’est ma passion. Je m’investis beaucoup dans mon petit club à Ollioules, près de Toulon, je suis toujours au stade. Quand je finis mon boulot, je vais au stade. Je suis entraîneur général là-bas. Je m’occupe de toutes les catégories dont les seniors, que je coache les dimanches en départemental, en D2. Je connais des joueurs pros, dès qu’ils ont arrêté, ils ont complètement coupé avec le foot. Moi non, je reste un passionné du football. Quand j’étais joueur, je regardais les matches à la télé. Ce sport continue de me passionner, même à un niveau amateur.
Le foot c’est ta passion mais en quoi consiste ton boulot Patrick ?
Depuis deux ans, je suis éducateur dans un foyer pour jeunes. Je bosse à côté d’Ollioules au Revest-les-Eaux dans une MECS, une Maison d’Enfants à Caractère Social. C’est un établissement spécialisé dans l’accueil de mineurs en difficulté. Je leur fais faire du sport car j’avais passé un BE2, brevet d’éducateur sportif deuxième degré. J’essaie de montrer à ces jeunes que via le sport, on peut revenir dans le droit chemin. Quand tu connais un peu les histoires de ces jeunes, t’as envie qu’ils s’en sortent, tu t’attaches un peu à eux. Il y en a qui sont âgés de 14 à 17 ans et qui n’ont jamais fait de sport. Certains ont un peu d’embonpoint, on essaie de leur faire comprendre que sculpter un peu son corps peut leur faire du bien mentalement.
Il y a plein de messages à leur faire passer. Je m’y emploie sans les brusquer, il faut faire les choses progressivement notamment avec ceux qui n’ont jamais fait de sport. On commence par des courses assez brèves, des efforts peu intenses et au fil du temps on monte en puissance. Parfois des jeunes y prennent goût, viennent vers moi et me disent : «je n’avais jamais fait de sport mais Patrick, tu m’as donné envie et dès ce soir je vais m’y remettre. » Ils sont placés sur un an. Ils se rendent compte que l’activité physique leur fait du bien physiquement bien sûr mais aussi et surtout mentalement, pour leur équilibre et leur épanouissement.
Entre ton boulot et tes missions d’entraîneur, t’as le temps de voir les matches des Verts ?
Je suis de près leurs parcours, le premier résultat que je regarde, c’est celui de Saint-Etienne. En cumulant mes années de joueur, de formateur et d'observateur, j'ai passé plus de 5 ans à l'ASSE donc forcément Sainté ne me laisse pas indifférent. Mais je vois rarement les matches des Verts. Quand ils passaient sur Canal, je les regardais mais maintenant qu’ils sont en Ligue 2, ils ne passent pas sur cette chaîne. J’attends que les Verts passent sur L’Equipe 21. Je ne suis pas abonné à beIN Sports. Je ne suis pas abonné à toutes les chaînes sportives, je fais déjà manger suffisamment de foot à ma famille. Si je n'étais pas au stade je passerais mon temps sur le canapé à regarder les matches. Pour te dire, à une époque où j’avais ces chaînes, je regardais même les matches turcs !
Que t’inspire la situation de l’ASSE aujourd’hui ?
J’ai de la peine pour les supporters. Les supporters de Sainté, c’est vraiment quelque chose ! Toute la ville, toute la région et même au-delà car il y a des clubs de supporters un peu partout en France vivent pour les Verts. C’est impressionnant. Je me souviens des supporters qui venaient nous voir à l’entraînement, ils étaient tout le temps là. Leur vie, c’est Sainté, son club de foot. L’ASSE, c’est clairement le club qui m’aura le plus marqué par sa ferveur dans ma carrière.
Tu t’attendais à ce que les Verts affichent encore un solde négatif après trois journées de championnat ?
Pas forcément mais tu sais, c’est dur de commencer le championnat avec moins trois points. Certes, on peut se dire que le championnat est long, que c’est un marathon. Mais trois points de moins, ce n’est pas rien. C’est comme si on te demandait de faire un marathon de 45 kilomètres alors que tous les autres font un marathon normal de 42 bornes. Ce n’est hélas pas la première fois que le club subit un retrait de points. La saison des faux passeports, c’était encore pire. Je crois qu’il y a eu six ou sept points de pénalité en plein milieu de saison. C’est un peu comme si après 20 kilomètres alors que t’es déjà pas au mieux on t’exhorte de faire marche arrière 3 kilomètres et de repartir de l’avant. Mentalement, ça a dû être super difficile à vivre pour les joueurs. Je n’ai pas connu ça car je venais de quitter Sainté pour Le Havre quand les premières rumeurs sur les faux passeports sont apparues courant septembre.
Pour revenir à la situation d’aujourd’hui, les Verts ont démarré avec trois points de moins. Trois points, ce n’est pas rien et en même temps tu te dis que c’est juste une victoire. Tu te dis qu’on peut rattraper ce retard, que la route est longue. Une descente, c’est déjà un peu traumatisant en soi. Partir en plus avec un tel handicap ce n’est pas évident à gérer. Mais il y a d’autres facteurs qui expliquent sans doute davantage ce début de saison très poussif des Verts. Il y a eu beaucoup de changements à l’intersaison, notamment un nouveau coach qui est arrivé en la personne de Laurent Batlles. Forcément il a besoin d’un peu de temps de mettre les choses en place dans un contexte de mercato pas évident car il n’a pas encore tous les renforts souhaités. Dans le discours qu’il a tenu aux joueurs, il a sans doute essayé de minimiser l’impact des trois points en moins mais tu ne peux pas faire abstraction de cette pénalité initiale. Aujourd’hui on est encore à moins un. Peut-être que dès que les Verts vont passer dans le positif, ça va être un déclic et une belle dynamique va s’enclencher. L’aspect mental est important pour les sportifs de haut niveau.
Beaucoup de supporters stéphanois sont excédés et considèrent qu’il n’y a plus rien à tirer de l’ASSE tant que les présidents Roland Romeyer et Bernard Caïazzo n’auront pas vendu le club. Partages-tu ce point de vue ?
Je ne sais pas. C’est toujours pareil, même s’il faudra bien qu’ils passent la main, ce ne sont pas eux ni l’entraîneur qui sont sur le terrain. Ce sont les joueurs. Peut-être que les dirigeants n’ont pas des actions ou des discours motivants pour les joueurs, mais seuls ces derniers sont sur le rectangle vert. Maintenant, sans doute que les dirigeants ne mettent plus les moyens - ou ne peuvent plus les mettre - pour avoir une belle équipe à Sainté. Quand je suis revenu au club en 2005 en tant qu’éducateur, c’étaient déjà Roland Romeyer et Caïazzo les présidents. Je n’ai eu droit à aucun remerciement de leur part quand je suis parti en 2008.
Pourtant, je me suis beaucoup investi lors de mon retour à l’ASSE. Je dormais au centre car ma famille était restée à Toulon. Tous les quinze jours je prenais la route pour le Var afin de voir ma femme et mes trois enfants. Quand un gamin du centre de formation avait un souci, je m’en occupais. Il m’est ainsi arrivé d’en conduire à l’hôpital. J’allais chercher avec ma voiture des jeunes qui arrivaient en train. Mais bon, le principal c’est que j’ai eu les remerciements des gamins, eux m’ont témoigné de la reconnaissance.
Je pense notamment à des garçons comme Josuha Guilavogui, qui prenait souvent la route avec moi pour retourner voir ses proches à Toulon. Je l’ai encore assez régulièrement au téléphone, il m’appelle toujours « coach. » Je pense aussi à Faouzi Ghoulam. Avant que j’arrive, il jouait milieu offensif mais je l’ai repositionné au poste de latéral quand je l’ai eu en moins de 15 ans. Je considérais qu’il avait plus d’avenir à ce poste. Faouzi n’était pas forcément chaud au début. Je l’appelais « l’avocat » car il avait tendance à parler beaucoup, à plaider ce qu’il voulait faire et à quel poste. Je me souviens d’une discussion dans le bureau, ses deux frères étaient venus. Ils ont dit à Faouzi : « Ecoute, si Patrick te demande de jouer là, tu joues là ! »
Quelques années plus tard, Faouzi m’a remercié. C’était en marge d’un match de la réserve des Verts à Toulon que j’étais allé voir en voisin. Il m’a dit : « Coach, si j’ai réussi c’est grâce à vous, c’est vous qui m’avez repositionné latéral gauche ! Je n’aurais pas signé pro si j’étais resté milieu. » Nan, les qualités, il les avait, il ne faut pas non plus m’attribuer tous les mérites mais j’ai été touché par sa gratitude. J’ai aussi eu la reconnaissance de garçons qui n’ont pas réussi pas dans le foot mais qui ont apprécié cette période où je les ai entraînés. J’ai gardé par exemple des contacts avec Lorenzo Addabbo. C’était un défenseur central qui est retourné en région parisienne et travaille dans la gestion financière. Ou encore à Paul Charmasson, qui jouait attaquant et qui bosse désormais dans la région marseillaise.
Ces deux derniers n’ont pas eu l’occasion de jouer à Geoffroy-Guichard. Toi tu as eu l’occasion d’y évoluer d’abord comme adversaire ! T’as fait ton baptême dans le Chaudron à 20 ans sous le maillot de Toulon.
Je m’en souviens comme si c’était hier ! C’était le 1er octobre 1988. Un premier match, dans un tel stade en plus, ça ne s’oublie pas ! Cette saison-là, les Verts n’avaient pas encore gagné mais ils se sont imposés 2-1 grâce à leur duo Philippe Tibeuf – Patrice Garande. C’était particulier pour moi de démarrer en tant que titulaire contre les Verts. Mon premier maillot, quand j’étais gamin du côté de Perpignan, c’était le maillot des Verts Super Télé. Mon deuxième maillot, c’était le KB Jardin. A l’époque, l’ASSE était le club phare en France, c’étaient les années Michel Platini. J’étais un peu stressé de jouer pour mes débuts conte ce club que j’adorais.
Même si l’affluence était ce jour-là bien plus modeste que ce que j’ai connu dix ans plus tard avec le maillot vert, j’avais été marqué par les supporters stéphanois. Ils avaient poussé leur équipe pour qu’elle décroche son premier succès. Moi c’est que j’ai adoré quand j’ai joué ici pour Sainté : dès qu’on franchissait la ligne médiane, putain on se sentait porté par toutes ces voix qui faisaient résonner Geoffroy ! Rhaa, c’était trop bon comme sensation ! Avec Toulon, je crois que j’ai perdu les trois matches que j’ai joués dans le Chaudron mais lors du dernier mais lors du deuxième, j’ai quand même mis un but à Joseph-Antoine Bell.
Un bien joli pion égalisateur d’ailleurs !
Cinq ans plus tard avec Louhans, non seulement t’as trompé un autre excellent gardien stéphanois mais en plus t’as gagné !
Oui, c'était Grégory Coupet dans les cages. Cette saison-là, en 1996-1997, on a gagné 3-0 contre Sainté aussi bien à l’aller qu’au retour et j’avais marqué les deux fois. La seconde, à Louhans, c'était Jérémie Janot dans les cages car je crois que Grégory Coupet avait quitté Sainté pour Lyon à mi-saison.
Putain, deux défaites 3-0 contre Louhans-Cuiseaux, ça fait relativiser la déception du nul à Quevilly de lundi…
Je me souviens qu’à l’aller, il y avait très peu de monde à Geoffroy-Guichard. Les Verts n’étaient pas au mieux et en plus il y avait des travaux de rénovation dans le stade en vue de la Coupe du monde. Notre coach Alain Michel avait joué un peu sur ça. Comme en plus on était motivé de jouer contre un gros club, on avait été performant et on avait battu les Verts logiquement vu la physionomie de la rencontre. Franchement, il n'y avait rien à dire.
Là où y a dire par contre, c'est qu'Alain Michel aura attendu d'être entraîneur des Verts pour perdre 3-0. Mais parlons plutôt du contexte de ton arrivée à l’ASSE...
Après cette saison à Louhans dont on vient de parler, je suis retourné une saison à Toulon. Je me suis illustré en mettant une quinzaine de buts en championnat, quelques pions en Coupe de France. J’ai aussi délivré une douzaine de passes décisives donc forcément ça a attiré l’attention de plusieurs clubs dont Nice et Sochaux. Gérard Soler m’a contacté et bien sûr ça m’a intéressé de rejoindre les Verts. Comme je l’ai rappelé tout à l’heure, les premiers maillots que j’ai eus étaient ceux de l’ASSE, j’ai fait mon premier match à Geoffroy. Quand j’ai eu ma pubalgie à Louhans, c’est à Saint-Etienne que je me suis fait opérer, par le professeur Imbert. Bref, j’avais déjà une histoire avec Sainté.
Les premiers contacts que j’ai eus avec Gérard Soler, Sainté n’avait plus d’entraîneur. A un moment donné ils avaient parlé de Guy Lacombe mais après ils ne savaient plus trop. Gérard Soler m’a rappelé pour m’informer que ce serait finalement Robert Nouzaret, qui était à l’époque en Afrique, sélectionneur de la Côte d’Ivoire. Je le connaissais un peu pour avoir joué contre ses équipes mais pas plus que ça. Lors de notre premier échange téléphonique, la première question que j’ai posée au coach, c’était « vous comptez m’utiliser comment ? » Il me dit : « voilà, moi je joue en 4-4-2 et je te vois sur un côté. » Je lui fais : « ah non, j’ai déjà essayé et j’ai du mal quand je joue trop près de la ligne, j’ai besoin de jouer un peu partout, tourner autour d’un attaquant ». C’est d’ailleurs ce que j’ai pu faire par la suite avec Nestor ou Bertrand.
Au début on en reste là et Robert me rappelle. « Ben alors, tu me fais la gueule, tu ne m’appelles plus ? » Je lui fais : «non mais si je suis malhonnête je viens, je prends mon chèque à la fin du mois mais je ne vous apporterais rien sur le côté. » Il me dit : « Non mais ne t’inquiète pas, il faudrait qu’on se voie. J’aviserai sur ton poste en fonction des entraînements ». Il a su trouver les mots et me motiver. J’ai signé et je ne l’ai pas du tout regretté ! Robert Nouzaret m’a fait jouer là où il me sentait le mieux.
Sa façon de procéder, ça m’est resté et je m’en suis inspiré pas plus tard que la semaine dernière avec mes joueurs à Ollioules. Quand j’avais rejoint les Verts, on était parti en stage en Haute-Loire. Au Puy, il avait mis en place une organisation en 4-4-2, et il avait dit à tous les joueurs : « placez-vous là où vous vous sentez le mieux. » Moi je m’étais mis attaquant. Après il nous avait demandé quel était notre deuxième poste préférentiel. Cette façon de faire m’a marqué et elle m’a plu. Pratiquement chaque année, j’agis de la sorte avec mes joueurs. Bon, comme je leur dis, « si tu me sors je veux jouer avant-centre » alors que t’as pas du tout les qualités pour jouer devant, je ne te ferai pas jouer devant ! » Mais je pense que sur le principe il faut mettre les joueurs là où ils se sentent le mieux.
Il faut aussi savoir parfois les repositionner si on sent que c'est pour leur bien, comme tu l'as dit tout à l'heure en évoquant le cas de Faouzi... Quels souvenirs gardes-tu de ta prolifique première saison verte ?
J’en garde de supers souvenirs évidemment. On a fait une super saison, ponctuée d’une montée amplement méritée. On est resté invaincus les 20 premières journées, notre première défaite c’était à Guingamp en décembre de mémoire. Je crois qu’on était déjà deuxième à la trêve hivernale et dès la reprise on a fait le trou en enchaînant sept victoires. On a lancé cette série par une spectaculaire victoire à la maison contre Cannes et c'est lors de cette période d’invincibilité qu’on a gagné ce fameux match au Stade de France. On m’en parle encore aujourd’hui, d’ailleurs t’as pas manqué d’y faire référence au début de notre entretien ! (rires)
Tu as été de loin le meilleur buteur stéphanois cette saison avec 13 buts en D2 + 2 pions en Coupe de la Ligue. Tu avais notamment réussi un hat-trick Patrick ! But, but, but !
Exact, contre Wasquehal ! A l’époque ils ne donnaient pas le ballon à celui qui faisait le coup du chapeau. Je me souviens bien de ce match. Le premier péno, c’est Kader qui l’obtient. Je le tire, je marque mais l’arbitre le fait retire. Je tire à nouveau en changeant de côté et ça finit au fond. Le deuxième penalty, c’est moi qui le provoque. Je me fais bien découper. Le défenseur, il m’a pris bien au genou quand même, hein ! Mais bon, je connaissais le style de ce joueur, je savais qu’il allait faire ça. J’ai juste poussé et il m’a fauché. Comme je venais de faire un sprint de 30 mètres, j’ai demandé à Christophe Robert s’il voulait tirer le péno. Il m’a dit « Non, c’est toi le tireur, vas-y Patrick, tire ! » Le troisième but, j’ai juste à pousser le ballon, c’est Claude Fichaux qui me fait ce cadeau.
Tu as marqué 7 de de tes 16 pions en vert sur penalty, le dernier contre Ajaccio à GG ayant assuré la montée.
T’as pas raté un seul péno sous le maillot vert ?
Si, la dernière journée de D2 à Sedan. Mais j’ai une excuse ! Bon c’est un peu une fausse excuse en fait car rien ne dit que je ne l'aurais pas mis si j'étais resté sobre le dîner qui a précédé cette rencontre. Comme on était sûr d’être champions, la veille du match, on a été invités à une cave à champagne. On a fait le repas au champagne. Sans excès, hein, j’ai dû prendre trois ou quatre coupes ! Le lendemain, j’ai tiré sur le poteau alors que le gardien sedanais était parti de l’autre côté.
Quel est à tes yeux le plus beau de tes buts en vert ?
Peut-être le premier des deux buts que j’ai mis en Coupe de la Ligue contre Gueugnon. Il est pas mal. Je frappais rarement du cou-du-pied, habituellement je plaçais le ballon, je mettais des plats du pied. Ce match contre les Forgerons, j’ai utilisé une autre surface du pied pour mettre en demi-volée le ballon sous la barre.
Je pensais que tu m’aurais cité ton but contre Lille :
Ah oui, effectivement, celui aussi il était beau ! Je marque d’une reprise acrobatique sur une longue touche de Patrick Guillou. Je l’ai d’ailleurs récemment chambré à ce sujet. Je lui ai dit « tu ne m’as jamais fait de passe décisive, la seule que tu as faite c’est avec tes mains. » Ça l’a fait un peu rire.
L’occasion de rappeler que c’est grâce à une autre touche longue de Patrick que Pape Sarr a lui aussi marqué le but du 3-3 au Vélodrome il y a 23 ans. T'as pris part à ce match nul le moins nul de l'histoire !
Un sacré match entre deux belles équipes !
Cette inoubliable saison a été marquée par une folle dernière fin en octobre. Jamais dans son histoire le Chaudron n’a accueilli autant de spectateurs en sept jours !
Ah oui, c’est vrai qu’on avait reçu deux fois de suite contre Gueugnon, en championnat puis en Coupe de la Ligue, et on avait enchaîné derrière par une victoire à l’arrache contre Valence. A chaque fois dans un stade quasiment plein. Je crois que sur les trois matches il y a eu près de 90 000 spectateurs. Ça m’a marqué mais ça ne m’a pas étonné. Les supporters étaient derrière nous, on était en totale communion avec eux. J’ai beaucoup aimé ce partage avec les supporters lors de mon aventure à Sainté.
Ce n’était pas seulement lors de matches mais aussi à l’occasion des entraînements. Car on s’entraînait à Geoffroy-Guichard, on ne s’entraînait pas à l’Etrat. Parfois, du terrain d’entraînement derrière le Chaudron jusqu’aux vestiaires, je mettais 30 à 45 minutes. Je discutais avec les supporters, faisait des photos avec eux. A la fin du match, quoi qu’il arrivait, j’échangeais avec eux. Même si je ne suis pas forcément quelqu’un qui parle et qui va vers les gens, quand un supporter m’interpelle pour discuter brièvement, faire une photo ou une dédicace, je le faisais avec plaisir. Sans les supporters, je n’irais pas jusqu’à dire qu’on est rien mais le foot perdrait beaucoup de sa saveur. On a besoin des supporters.
Robert Nouzaret nous avait dit qu’il n’avait jamais connu dans sa carrière une telle alchimie au sein d’un groupe que cette saison 1998-1999. T’es en phase avec lui ?
Complètement. Cette année-là, il y avait la Coupe du monde à Sainté ? On est parti une semaine au Puy. On est revenu le vendredi, il nous a laissé le week-end et ensuite on est reparti 15 jours au Chambon-sur-Lignon. On a donc fait un stage de trois semaines, on a appris à se connaître et à s’apprécier. L’alchimie, c’est là qu’elle a commencé. Et elle s’est faite via un mélange des générations. Il y avait des trentenaires comme Kader Ferhaoui, Nestor Subiat, Gilles Leclerc et moi qui ai atteint la trentaine quelques semaines après mon arrivée au club.
Il y avait aussi des jeunes, qu’ils soient formés au club comme Pape Sarr, Fabien Boudarène et Julien Sablé, ou issus du milieu amateur comme Adrien Ponsard et Bertrand Fayolle. C’étaient tous des jeunes respectueux. On leur disait des choses, ils nous écoutaient. Peut-être que parfois ils ne le faisaient pas mais ils nous écoutaient. J’ai fait d’autres clubs où lorsqu’un ancien s’adressait à un jeune, il lui disait « c’est bon, viens pas me saouler ! »
Adrien et Bertrand ont eu l’occasion de découvrir le monde pro à 23 ans. Même s’ils n’avaient pas joué, ils auraient déjà été contents d’avoir signé pro et d’être dans un groupe professionnel. C’est pour que ça que je pense qu’on a peut-être raté un truc en ne recrutant pas des mecs comme Olivier Giroud et Tino Costa en 2008. En tout cas Adrien et Bertrand ont su saisir leur chance, ils ont été décisifs, ils ont marqué des buts. Si le club a retrouvé l’élite, c’est aussi grâce à eux et je trouve ça super !
De quels joueurs stéphanois étais-tu le plus proche à l’époque ?
J’étais proche de Kader Ferhaoui, forcément. Je faisais chambre commune avec lui, on avait des affinités. On venait tous les deux du Sud, lui arrivait de Montpellier. Ça m’arrivait aussi de voir les petits jeunes le dimanche. Avec David Charrieras et Bertrand Fayolle par exemple, on se voyait en famille. Je m’entendais bien avec tout le monde en fait, on avait vraiment un bon groupe. Il n’y a pas de mystère, c’est d’ailleurs pour ça qu’on a fait une aussi belle saison. Si ça avait été un mauvais groupe avec une ambiance pourrie, je ne pense pas qu’on serait monté ! Dans notre groupe, il y avait de bons footballeurs bien sûr mais aussi, surtout, de très bons mecs.
Tu as eu moins de temps de jeu lors de ta seconde saison stéphanoise marquée notamment par l’avènement du spectaculaire duo Alex-Aloisio, comment as-tu vécu cette situation ?
Au départ, que ce soit lors des matches amicaux ou en tout début de championnat, je jouais. Alex ne jouait pas. Après j’ai eu un souci familial, j’ai perdu ma grand-mère. J’étais parti une semaine pour être avec mes proches et assister à l’enterrement. Après je me blesse lors du match contre Nancy et je dois céder ma place en début de deuxième mi-temps alors qu’on était mené 1-0. C’est Alex qui me remplace, il change le cours du match. C’est lui qui égalise et sur le but victorieux il donne un caviar à José après avoir fait le coup du sombrero.
C’est sûr que ce match a changé la donne et que j’ai eu moins de temps de jeu. La saison précédente, j’avais été titularisé 37 fois en D2. Robert Nouzaret m’a titularisé une dizaine de fois en D1 mais je suis entré en jeu une douzaine de fois. J’ai participé à cette belle saison et j’ai quand même eu l’occasion de me montrer. En général, j’étais aligné d’entrée quand un des deux Brésiliens étaient absents mais à Nantes Alex est resté sur le banc et j’ai fait le centre qui a permis à José de marquer de la tête le but de la victoire.
Tu as également brillé quand José n’était pas là et que tu étais associé à Alex. On a évidemment tous en tête tes passes décisives lors du 5-1 contre l’OM cette soirée magique du 12 décembre 1999…
C’est vrai que je suis impliqué sur nos deux premiers buts et sur le quatrième. Il était incroyable ce match, on marchait sur l’eau. On avait l’impression que chacune de nos offensives pouvait finir en but, que rien ne pouvait nous arriver. J’ai eu peu peur quand l’arbitre a arrêté le match en plein milieu de la première mi-temps. On menait déjà 3-0 et des supporters marseillais étaient un peu excités par la tournure de ce match. Heureusement le match a pu reprendre, les supporters marseillais ont quitté le Chaudron. On me reparle souvent de ce match-là, je crois qu’il resté gravé dans les mémoires de tous les supporters stéphanois.
Certes je n’ai pas marqué lors de fameux match mais je pense avoir été performant. Après, j’en avais discuté avec Robert Nouzaret, ce qu’on demande à un attaquant, c’est de marquer. En fin de saison, quand les médias ont fait le bilan de la saison, il en est quand même ressorti que malgré mon temps peu important j’avais fini meilleur passeur. Mais c’est vrai que je n’ai pas marqué en D1 avec Sainté. Un attaquant, il faut qu’il marque, c’est sûr. Maintenant, je trouve qu’on parle un peu plus des passeurs, il y a un classement des meilleurs passeurs. Comme je dis tout le temps aux joueurs que j’entraîne, le mec il marque mais si on ne lui fait pas la passe il ne marquera jamais.
Alex a réalisé un quadruplé contre l’OM et il a réalisé un doublé en août suivant à une époque où tu étais encore au club mais pas dans le groupe et sur le départ. Est-ce le coéquipier le plus fort que tu aies connu dans ta carrière ?
Alex était fort mais j’ai joué avec d’autres excellents joueurs notamment quand j’étais à Monaco, des mecs qui ont fait une carrière internationale et remporté des trophées majeurs. Je pense à George Weah, à Jürgen Klinsmann. C’étaient des attaquants de classe mondiale ! Il y avait Youri Djorkaeff aussi, Lilian Thuram, Emmanuel Petit. Il y avait un paquet de grands joueurs à Monaco…
Sans oublier le plus grand d’entre eux : Claude Puel !
Heu, c'était un autre style mais comme Marcel Dib, Claude Puel a été un joueur précieux pour l’équipe monégasque dans l’entrejeu. Mais bon, ce n’est pas le même style qu’Alex. Alex, c’était un talent offensif et un gars très décontracté, qui ne se prenait pas la tête. Parfois il s’entraînait avec un bandana. Parfois Alex arrivait sur le terrain tranquillou avant les entraînements avec son café. Mais je n’ai jamais eu de souci avec lui.
On a souvent parlé de sa complicité avec José sur le terrain comme en dehors. Mais ton association avec Alex avait été épatante lors d’un 16e de finale de Coupe de la Ligue remporté 3-1 contre Nantes. Après avoir réussi un contrôle à montrer dans toutes les écoles de football, tu as permis à Alex d’inscrire le but du 2-1. Et c’est suite à son excellent travail que tu as inscrit le but du break d’un subtil ballon piqué.
C’est vrai que sont deux jolis buts. C’est d’ailleurs le seul pion que j’ai claqué cette saison-là. Tu sais, on m’a souvent reproché dans ma carrière de ne pas être assez égoïste. Mais à chaque fois que je suis entré sur un terrain, et c’est un peu ce que je prône à mes joueurs, il faut se battre pour un coéquipier même si on ne peut pas le voir en dehors du rectangle vert. Ce qui me plaît fondamentalement dans le foot, c’est l’équipe, le collectif. Si j’estime qu’un joueur est un peu mieux placé que moi pour marquer, je n’ai aucune hésitation à lui faire la passe. C’est mon côté bon soldat qu’on m’a reproché.
Quand on est attaquant, malheureusement il faut être égoïste. Tous les entraîneurs me l’ont dit, dès le plus jeune âge et jusqu’à la fin de ma carrière. On me disait « c’est bien, t’as fait des passes décisives mais tu devrais davantage marquer, c’est avant tout ce que l’on retient d’un attaquant. » C’est vrai que beaucoup de très grands attaquants de niveau international ont ce côté égoïste. Je vais te donner un exemple qui m’a marqué. Avec Monaco on gagne un match 3-0 après une prestation collectivement très aboutie. On rentre au vestiaire, tout le monde est content sauf Jürgen Klinsmann. Je me dis « c’est pas possible, pourquoi il tire cette tronche-là ? ». J’ai réalisé que c’était dû au fait qu’il n’avait pas trouvé le chemin des filets lors de cette rencontre. Il était dégoûté de ne pas avoir marqué.
Après avoir contribué à cette spectaculaire saison 1999-2000 ponctuée par une belle 6e place, tu as quitté le Forez à la fin de l’été. Peux-tu nous rappeler le contexte de ton départ au Havre ?
Dans mon contrat il était marqué qu’en cas de montée j’avais une saison supplémentaire donc le club était engagé avec moi jusqu’en juin 2001. Mais on m’a rapidement fait comprendre qu’on ne comptait pas trop sur moi. Je n’ai même pas été convoqué avec le groupe qui est parti en stage de pré-saison. Il faut dire les choses, ça m’a beaucoup déçu. J’avais 31 ans, je ne me sentais pas usé. Je pouvais rendre service. Avec le recul, peut-être qu’ils s’en sont mordu un peu les doigts. Avec l’affaire des faux passeports, ils se sont retrouvés privés d’Alex et Aloisio une partie de la saison. Panov, qu’ils avaient fait venir, a très peu joué car il a eu une hépatite. Du coup les Verts se sont retrouvés un peu démunis en attaque. Il restait juste Christophe Sanchez et Loïc Chavériat je crois [Alex Di Rocco les a rejoints en janvier 2001, ndp2]
Après, j’aurais pu refuser de partir au Havre mais dans ma carrière ce n’est pas l’argent qui a guidé mes choix mais ma volonté de jouer. J’ai quitté Monaco pour Caen car je voulais jouer alors que je gagnais plus dans la Principauté. Comme ça ne s’est pas très bien passé à Caen je suis allé à Louhans pour gagner là encore moins que ce que je touchais précédemment. Dans la mesure où on ne comptait plus sur moi à Sainté, je me voyais mal rester juste pour toucher mon chèque à la fin du mois. Gérard Soler m’a dit « j’ai un club pour toi, Le Havre. » Au HAC, j’avais un ami avec qui j’avais joué à Louhans, Yann Soloy. C’est lui d’ailleurs qui avait ouvert le score lors de notre victoire 3-0 à Geoffroy-Guichard la saison 1996-1997. Yann m’a appelé, il m’a incité à le rejoindre. J’ai donc signé au Havre car il y avait mon pote là-bas et que j’avais l’opportunité de retrouver du temps de jeu.
J’ai tenté le coup, je suis parti là-bas. J’ai signé là-bas le 10 septembre. L’entraîneur était Joël Beaujouan. Il voulait jouer avec Alain Caveglia en 10, Thomas Deniau et moi devant. Il fait ça quelques matches avant de changer son dispositif car il avait peur que l’équipe ne défende pas assez dans ce schéma. Du coup on n’a plus été associé tous les trois ensemble. Il faisait tourner en ne gardant à chaque fois que deux joueurs sur les trois. Un nouvel entraîneur est arrivé en décembre, Jean-François Domergue. La première chose qu’il m’a dite en arrivant : « si tu veux trouver un club tu peux partir. » Il ne m’avait jamais entraîné et d’entrée me faisait savoir qu’il ne comptait pas sur moi.
Comme j’avais quitté Sainté pour Le Havre en septembre, ma famille était restée dans la Loire jusqu’aux premières vacances scolaires. Mon copain Yann Soloy m’avait hébergé chez lui pour éviter que je me morfonde à l’hôtel. Quand je jouais à l’ASSE, j’habitais à Jonzieux. J’aimais bien ce petit village dans le Pilat, tout le monde se connaissait, on était très bien là-bas avec les enfants. Quand ils sont arrivés au Havre, une de mes filles a commencé à faire de l’eczéma. Quand le coach au HAC m’a dit il faut que tu partes, je me voyais mal dire à mes enfants on repart alors que ça faisait deux mois à peine qu’on était là. La famille pour moi, c’est important. Si ça ne va pas pour ma famille, ça ne va pas pour moi. J’avais dit au coach : « Oui je partirai mais il faut que je trouve beaucoup mieux que ce que j’ai ici, sinon je reste. »
L’entraîneur ne comptait pas sur moi mais je m’entraînais avec le groupe la semaine. Le vendredi le coach me disait : « tu veux jouer avec la réserve ? » J’ai joué avec la réserve. Arrive le mois de février, je ne pouvais plus partir car ce n’était plus possible pour les clubs de prendre un joker. Je venais à l’entraînement et je disais à l’entraîneur qu’il devait faire jouer des jeunes qui avaient besoin de faire leurs preuves après avoir signé pro. J’ai dit que je ne comptais pas jouer les matches de la réserve le samedi, que je préférais voir les collègues. Au mois de mars, comme Thomas Deniau était malade, Domergue me convoque. Le matin du match, il me dit : « Patrick, ce soir tu es titulaire. » Je lui dis « pas de problèmes » même si ça fait des mois que je n’avais pas fait un match. On gagne 1-0 à Wasquehal, c’est moi qui marque.
La semaine d’après, Thomas Deniau était guéri et le coach n’a plus fait appel à moi. Pourquoi ? Je n’en sais rien, c’est une énigme. J’aurais bien aimé qu’il me le dise. Peut-être que ma tête ne lui revenait pas. Le hic au HAC c’est qu’il me restait quand même une année de contrat ! Je me retrouve mis à l’écart avec d’autres trois autres joueurs. On nous a interdit de reprendre avec le groupe. Du coup ils ont fait appel à un entraîneur diplômé pour nous entraîner. On s’est entraîné tous les quatre. Le matin, on allait courir. L’après-midi on faisait des tirs au but sans gardien et sans but, il y avait juste deux piquets. Ce n’était pas très marrant mais heureusement il y avait mon pote Yann Soloy dans ce lot des joueurs mis à l’écart.
Un jour Yann me dit : « Mon impresario me dit qu’il y a un essai à faire en Angleterre. Est-ce que ça t’intéresse ? » Je lui dis : « Ouais, pourquoi pas, mais ça fait plusieurs mois qu’on ne s’entraîne pas avec un groupe, il faudrait qu’on touche un peu le ballon avec un groupe. » Yann me dit : « Mon impresario a un entraîneur sous contrat qui veut bien nous prendre trois ou quatre jours pour nous remettre un peu dans le bain. C’est Jacky Bonnevay, il entraîne Beauvais. »
On va là-bas, et à la fin du premier entraînement, Jacky Bonnevay vient nous voir. Il dit à Yann « au milieu de terrain, j’ai déjà ce qu’il faut dans mon effectif. » Et il me lance : « toi, on m’avait dit que t’étais carbo, mais vu ce que tu m’as montré ce matin, je te fais signer. » Je fais « ouais d’accord mais je vais bientôt avoir 33 ans, financièrement vous proposez quoi ? » Ils ne me donnaient même pas la moitié de ce que j’avais au Havre. Jusqu’alors que je n’avais pas trop pensé à l aspect financier dans ma carrière mais arrivé à 32-33 ans, j’ai quand même pris en compte ce facteur. Je leur ai dit : « si je me fais licencier et que touche un peu de sous, pas de souci pour signer chez vous car moi je veux jouer. » Le problème c’est que le HAC ne m’a pas licencié de suite. J’ai été licencié à une date qui restera gravée pas que pour moi mais pour beaucoup personnes : le 11 septembre 2001.
Terrible. Le jour des 21 ans de Julien Sablé !
Je pensais à un évènement plus tragique en fait et mondialement connu, tu l’auras compris. En tout cas c’était trop tard pour que je puisse signer dans un club. J’ai revu Jacky Bonnevay quelques mois après et il a remué le couteau dans la plaie. Il m’a dit « putain, si t’étais venu, on serait monté ! » A l’époque Beauvais jouait les premiers rôles en D2 et a été longtemps dans la course à la montée avant de fléchir en fin de saison.
Sainté avait perdu 3-0 cette saison-là dans la mythique enceinte de Pierre Brisson. C’était le dernier match de ton ex-entraîneur louhannais Alain Michel sur le banc stéphanois… Du coup qu’est-ce que t’as fait une fois licencié du Havre.
J’y suis resté pardi (rires) Pas au HAC bien sûr mais je suis resté vivre au Havre car mes enfants étaient à l’école là-bas. Après, on espère toujours être le joker d’un club donc on s’entraîne. Quand t’arrives fin décembre et que tu sais que tu ne peux plus signer dans un club, t’as moins de motivation, c’est humain ! Surtout que je ne sais pas si tu connais Le Havre mais parfois il y pleut. Tu te réveilles, tu sors, tu vois la pluie. Tu te dis « allez c’est pas grave, je suis motivé, je vais allez courir. » Mais quand tu sais que tu ne peux rien avoir au bout, c’est compliqué de braver les éléments. J’ai essayé mais j’avoue qu’à la longue j’ai laissé tomber.
J’ai compris que ma carrière pro touchait à sa fin. J’ai quand même fait le stage estival avec l’UNFP. Ça se passait super bien, je faisais de bons petits matches amicaux. J’allais sur mes 34 ans, je me sentais en forme. Mais les mecs me disaient : «t’as 33 ans, ça fait un an que tu ne joues pas. Pourquoi tu ne joues pas ? Est-ce que t’as pas des problèmes physiques ? » Je n’avais aucun souci de santé. J’ai entendu des mecs me dire « il paraît que t’as les genoux en vrac ! » Je n’ai pourtant jamais été opéré au genou. Mais bon, tu ne peux pas empêcher les gens de parler à tort et à travers. Je suis retourné dans le Var, où par plaisir j’ai joué dans un petit club de la région, à La Garde. Et après je suis retourné à l’ASSE comme éducateur, on en a discuté de cette expérience tout à l’heure.
Revenons au match de ce samedi pour boucler cet entretien. Si tu as porté le maillot des deux clubs, j’ai l’impression que tu seras un peu plus pour l’ASSE que pour le HAC. Me trompé-je ?
Oui tu te trompes (rires)
Quoi ?
Je ne serai pas un peu plus pour les Verts. Je serai totalement acquis à leur cause bien sûr ! (rires) J’espère vraiment qu’ils vont décrocher leur premier succès de la saison et pourquoi pas faire une série ensuite. Après tout, la saison où j’ai joué en D2 avec Sainté, on avait commencé moyennement. Souviens-toi, on avait fait quatre matches nuls. C’est par la suite qu’on a réussi à décoller. En cas de victoire samedi, les Verts auront pris autant de points lors des quatre premières journées que nous en 1998. Mais bon, y’a quand même deux différences de taille. La première, on l’a déjà évoquée, c’est le retrait de points. Au lieu d’en avoir 5, les Verts n’en auront que 2 en cas de succès ce week-end. Comme une équipe qui aurait fait deux nuls et deux défaites en somme !
La seconde différence, c’est que notre effectif était déjà au complet dès le début de saison. Gérard Soler et Robert Nouzaret ont bouclé le recrutement estival assez tôt. La majorité des recrues avait d’ailleurs joué dès le premier match de la saison contre Sedan, j’avais d’ailleurs ouvert mon compteur buts à cette occasion. Adrien en a fait de même à la 4e journée contre Troyes. Entretemps bien sûr tous les Gilles Leclerc, Claude Fichaux, Kader Ferhaoui, Fabrice Lepaul, Bertrand Fayolle avaient déjà joué, comme Adrien. Seul Nestor n’a pas pris part aux premières rencontres car il était blessé.
Dans le foot d’aujourd’hui, on le voit à Saint-Etienne comme dans beaucoup d’autres clubs, beaucoup de mouvements du mercato se font alors qu’il y a déjà eu plusieurs journées qui se sont jouées. T’as souvent des transferts qui se font dans les deux derniers jours. Tu peux voir partir ou débarquer des gars le 30 ou le 31 août. Si c’est le cas encore cette année, ça voudra dire qu’ils pourront jouer dans le meilleur des cas la 7e journée. Dans le meilleur des cas, hein, s’ils sont qualifiés et jugés aptes à jouer alors qu’ils ne connaissent quasiment pas leurs nouveaux coéquipiers. Là, concrètement, l’ASSE recherche toujours un numéro 9 par exemple et ça va sans doute bouger également dans le sens des départs et des arrivés à deux ou trois autres postes. C’est quand même problématique. OK, cette problématique est la même pour beaucoup de clubs, mais quand même….
Nous le groupe était déjà constitué bien avant le démarrage du championnat. Et puis à notre époque, il n’y avait pas le mercato d’hiver tel qu’il existe de nos jours. Tu pouvais juste prendre un joker ou deux en cas de blessure. On avait pris Marc Zanotti en décembre et un peu plus tard Samba N’Diaye nous avait rejoints suite à la blessure de Jérôme Alonzo. L’effectif était donc resté peu ou prou le même toute la saison. Dans le foot d’aujourd’hui, non seulement le mercato estival s’accélère alors que le championnat a déjà démarré depuis plusieurs semaines, mais en plus t’as le droit de chambouler une grosse partie de ton effectif pendant tout le mois de janvier. Je ne suis pas persuadé que les clubs qui finalisent leur mercato sur le gong ont de bons résultats ensuite et finissent bien classés. En tout cas on a vu que ce n’est pas ce qu’il s’est passé lors du dernier mercato stéphanois...
Le mot de la fin Patrick ?
A l’époque où je jouais à l’ASSE, ils avaient fait un petit carnet avec la photo des joueurs et le club nous avait demandé de dire quelque chose en petit pour qu’on signe derrière la photo. Je redis donc ce que j’avais dit car ça reste d’actualité : « On a besoin de vous ». Les joueurs ont besoin de leurs supporters car ils sont la richesse de ce club.
Merci à Patrick pour sa disponibilité