Historien de l'ASSE et conservateur du musée des Verts, Philippe Gastal nous a livré sa réaction à l'annonce de la disparition de l'ancien défenseur stéphanois Richard Tylinski.


"Richard Tylinski, c’est l’une des plus belles pages de l'histoire de l'AS Saint-Étienne. C'est d'abord une amitié de plusieurs décennies. A chaque fois que nous discutions, c'était un grand moment de nostalgie le concernant. Quand il évoquait Saint-Étienne, il évoquait les plus belles pages de l'histoire de sa vie.

Je me remémore le grand moment que nous avions vécu quand lors de la saison 1999-2000 nous avions fait venir à Geoffroy-Guichard, lors d'un match, les premiers acteurs, les premiers joueurs à avoir remporté un titre de champions de France avec l’AS Saint-Etienne. Certains ne s'étaient pas revus depuis très longtemps. C'était très émouvant de les voir tous réunis, Richard avait été très heureux de revoir ses anciens coéquipiers.

Nous avions fait à cette occasion des interviews d'une demi-heure environ. D'ailleurs, nous les avons gardées, celle de Richard en particulier, mais aussi celle de Rachid Mekhloufi, etc. Nous les passons au Musée des Verts, ils se rappelaient tous leurs souvenirs à Saint-Étienne. Ils ne sont pas éternels, nous avons bien fait d'effectuer cette réalisation à l'époque, parce que ce sont des souvenirs de vie.

Et là, on parle d'une autre époque, d'un autre football. Richard nous racontait qu'à la fin de l'entraînement, il se retrouvait avec les supporters. Souvent, il passait en ville et il s'arrêtait pour prendre un café ou un verre de rouge avec eux. C'était une autre approche. Lui, en plus, il cochait énormément de cases, puisque son père avait été mineur de fond. Lui-même, dès l'âge de 16 ans, était descendu, il était au triage en particulier.

Richard, c’était une leçon de vie, un caractère bien trempé, une personnalité très forte. La mine, c’était une période compliquée pour lui, qui lui a forgé un caractère pour la vie, sur le terrain et en dehors du terrain. Quand tu as été fils de mineur, que toi-même tu es descendu à l'âge de 16 ans, bien entendu que ta vie n'est plus tout à fait la même.

Richard a traduit ça sur le terrain, il avait ce côté intraitable, dur sur l'homme. Il est arrivé très jeune à l’AS Saint-Etienne. Il est né en septembre 1937, son frère aîné Michel était né en 1934 donc ils avaient 3 ans de différence. Ils étaient issus de La Combelle comme d’autres joueurs ayant porté le maillot vert, notamment René Domingo et Koczur Ferry. Ce petit village du Puy-de-Dôme aura donné énormément de joueurs professionnels.

Quand Richard est arrivé à l’ASSE, il avait 16 ans. C'était le début de la formation. Ce n'était pas encore le centre de formation car le centre a vu le jour en 1968. Mais c'était le début de la politique de formation sous la férule de Monsieur Snella qui voulait faire confiance aux jeunes. Pierre Garonnaire était déjà un recruteur avisé pour faire venir les meilleurs jeunes de France.

Richard a joué son premier match pro à Nîmes à l’âge de 17 ans, le 12 décembre 1954. Avec ses copains de l'époque, je pense en particulier à Jean Oleksiak, à René Ferrier, à Yvon Goujon, à Georges Peyroche. Ils vouaient tous une reconnaissance absolue à Jean Snella. Rachid Mekhloufi et Kees Rijvers aussi, ils l’appelaient tous Monsieur Snella. Avant de former des joueurs, ce grand entraîneur avait formé des hommes.

Jean Snella avait réuni tous ces jeunes au début de la saison 1955-1956. Il leur avait dit : « Écoutez, si vous êtes champions de France amateurs, je vous incorporerai dans l'équipe première l'année prochaine ». Ils ont été champions de France amateurs en 1956 et ont été pratiquement tous incorporés. Il y avait quelques briscards mais à l'époque, on disait que les jeunes prenaient le pouvoir à Saint-Étienne.

Il y avait quand même quelques anciens comme René Domingo, il y avait François Wicart, Claude Abbes, Kees Rijvers qui était plus âgé. Sinon, c'était une bande de bons copains qui savaient vivre en dehors du terrain également, qui sortaient en même temps. Sur le terrain, ça se ressentait parce qu'il y avait une solidarité. C'étaient des frères d'armes, des frères de terrain extraordinaires qui ont conduit l’AS Saint-Etienne au premier titre de champion de France.

Ils sont champions de France amateurs en 1956 et champions de France de première division en 1957. Souvent, on dit : « qu'avez-vous fait de vos 20 ans ? » Richard pouvait dire, « en 1957, j'ai été champion de France et j'ai eu ma première sélection internationale en novembre face à une équipe d'Angleterre extraordinaire ». Une équipe qui allait malheureusement en grande partie être décimée avec le tragique accident d’avion de Manchester United en 1958….

Richard avait eu affaire à Thomas Taylor en particulier lors de ce match contre les Anglais. Les Français d'ailleurs, pour la petite histoire, avaient été battus 4 à 0. C'est l’une des trois sélections de Richard. Il avait été appelé en même temps que Bill Domingo. Nous avons d’ailleurs au musée le maillot que Bill a porté lors de cette rencontre pour ce qui reste son unique sélection en équipe de France. Claude Abbes avait pris part également à ce match mais il s’était blessé.

A 20 ans, Richard avait tout connu. Combien de joueurs rêvent d'être champion de France à 20 ans, d'avoir leur première sélection à 20 ans ? Il avait fait toutes les sélections, il avait gravi tous les échelons. Il avait joué en juniors, en espoirs, en B comme on disait à l'époque, en militaires et après en A. C'étaient réellement des copains dans la vie, au Bataillon de Joinville. Ils avaient connu les épouses en même temps. C'étaient des vrais frères de terrain.

Richard avait en plus un physique… C'était un roc sur le pré, avec une gueule d'ange, mais il était intraitable sur le terrain. Il était dur sur le rectangle vert mais en dehors des terrains il avait ce côté épicurien. Richard cultivait l'amitié, croquait la vie à pleines dents. Il aimait la vie, savait en faire profiter ses amis. Sur le terrain il mettait le pied, à l'ancienne. Dans le marquage individuel, il était redoutable et redouté. Il était peut-être plus à l'aise dans le marquage individuel qu’avec une tactique en zone.

C'était un solide défenseur. À 20 ans déjà, il s'affirmait comme un leader d'équipe avec ce caractère bien trempé qui remontait à ses années d'adolescence à La Combelle. Il était très apprécié à Saint-Étienne puisqu'il venait des bassins miniers et il arrivait dans un bassin minier à Saint-Étienne. Il a été tout de suite adopté par tous les mineurs qui venaient tous les dimanches assister aux matches à Geoffroy-Guichard. Il faisait partie des leurs avec son frère.

Quand on parle avec les anciens, on se rend compte à quel point les frères Tylinski ont marqué à jamais l'histoire de l'AS Saint-Étienne. Beaucoup plus Richard car malheureusement Michel a été blessé rapidement et sa carrière a été écourtée. Richard fait partie de toutes les premières. La première Coupe Drago, le premier trophée des champions, le premier titre de champion, sa première cape internationale….

On peut considérer qu’il a été le premier à être appelé en équipe de France alors qu'il faisait partie de la classe biberon de Jean Snella. René Ferrier a été appelé après en équipe de France, Yvon Goujon également. Richard a donc été en quelque sorte le précurseur dans de nombreux domaines. En juin 1957, c'était également une première, il avait défendu les couleurs de l'ASSE lors de la Coupe Latine, à Santiago-Bernabeu, face au Milan AC et à Benfica, devant près de 100 000 supporters. 

La finale de la Coupe de France 1960 contre Monaco reste malheureusement une cicatrice pour lui car les Verts avaient pris l’avantage 2-1 à la 86e minute grâce à Bill Domingo avant de s’incliner 4-2 après prolongation. Mais Richard a soulevé ce trophée 2 ans plus tard à l’issue d’une finale remportée 1-0 contre Nancy sur un but marqué en fin de match par Jean-Claude Baulu.

Comme ses coéquipiers de l’époque, Richard gardait un souvenir très fort du moment où le général de Gaulle s’était présenté face à eux. Richard en parlait avec émotion, avec un respect énorme. Même si cette saison-là le club est descendu en deuxième division, cette finale gagnée en 1962 fait partie de ses meilleurs souvenirs. Il m’avait dit que ça avait été magique pour lui de revenir à Saint-Étienne avec des dizaines de milliers de personnes qui attendaient les Verts en gare de Châteaucreux pour fêter cette victoire.

Richard a donc remporté la première Coupe de France de l’ASSE mais aussi disputé le 4 septembre 1957 le premier match de Coupe d’Europe des Verts. Cela reste d’ailleurs un record d’affluence pour l'ASSE où pas moins de 85 000 spectateurs ont assisté à ce 16e de finale aller de Coupe d’Europe des Clubs Champions à Ibrox Park. Malgré la remarquable ouverture du score par Rachid Mekhloufi, les Verts ont perdu 3-1.

Richard avait face à lui un sacré client qui s'appelait Donald Kitchenbrand, décédé en mars dernier. Il était surnommé « le buffle », c’était l’avant-centre des Glasgow Rangers. Leur duel a fait des étincelles et d’ailleurs Richard s’est blessé lors de cette rencontre. Comme à l’époque il n’y avait pas de changement, il était quand même resté sur le terrain, sur une aile, à jouer les utilités malheureusement… Il a pu jouer le match retour que les Verts ont gagné 2-1.

Richard a connu la relégation en deuxième division en 1962 mais il a aussi connu sous les ordres de François Wicart la remontée immédiate qu’on espère tous revivre cette saison. Quand Jean Snella est parti en 1959, il y a beaucoup de joueurs qui avaient perdu un peu leur père spirituel. Richard s'était un petit peu perdu. Il vénérait tellement Jean Snella, il était tellement à l'aise avec lui...

En 1963, quand Jean Snella est revenu, Richard a retrouvé tout son éclat. Cette saison-là, Richard a remporté comme l’ASSE son deuxième titre de champion de France de première division. On a retrouvé le très grand Richard Tylinski. Même avec son caractère d'acier trempé. Il était très sensible au fait que Jean Snella revienne à Saint-Etienne. Il était en confiance avec lui et a réalisé une saison remarquable.

Richard a quitté l’ASSE en 1966. Cette année-là, Bernard Bosquier, un des meilleurs défenseurs français de cette époque, a rejoint les Verts en provenance de Sochaux. Richard a décidé de partir à Avignon. Après nous l’avons retrouvé à Geoffroy-Guichard. Il était capitaine de Brassac-les-Mines, qui jouait en troisième division à l’époque. Il rencontrait donc régulièrement l’équipe réserve de l’ASSE.

Richard a vu à l’œuvre tous les jeunes qui allaient devenir les cadres de l’épopée stéphanoise de 1975-1976 en particulier. Il m’en parlait car il venait voir un grand nombre de matches de Coupe d’Europe. Il avait déjà vu en certains des qualités et en plus il avait joué avec Robert Herbin. Entraîneur-joueur à Brassac, Richard aimait ce côté éducateur. Il essayait également de former à Brassac et d’entraîner. Quelque part, c’était un peu la continuité de ce qu’il avait appris aux côtés de Jean Snella.

La carrière de Richard est jalonnée de grandes joies à Saint-Étienne par les différents titres remportés, par l'amitié qu'il avait liée avec tous ses coéquipiers, avec toute la population stéphanoise via son passé de mineur. C'est une histoire de vie, une histoire d'amitié, une histoire de passion, de football. Saint-Étienne était dans son cœur. Jusqu'au dernier souffle, Richard a pensé à Saint-Étienne."

 

Merci à Philippe pour sa disponibilité