Formé à l'ASSE et capitaine de l'équipe de Bochum qui a mis quatre buts au Bayern il y a un mois en Bundesliga, Anthony Losilla fête aujourd'hui ses 36 ans sur Poteaux Carrés. Joyeux anniversaire Toto !


Tu découvres l’élite cette saison. Tu dois savourer de connaître le plus haut niveau sur le tard ! Te surprends-tu Toto ?

Je savoure chaque moment que je peux passer à ce niveau-là. C’est vrai que ce n’est pas banal de découvrir ça à cet âge-là. Surpris, oui et non. Mais vois-tu, au fond de moi, j’ai toujours su que je pouvais jouer à ce niveau-là. Après, c’est le football : entre des bons joueurs de deuxième division et des joueurs de L1 ou de Bundesliga, il n’y a pas une grosse différence. Il y a une part de chance, une part d’opportunité, d’autres facteurs qui entrent en jeu. C’est vrai que moi j’ai mis un peu plus de temps que les autres mais je suis content d’avoir réussi dans ma carrière. J’ai travaillé dur pour ça et je suis récompensé. Je savoure chaque instant que je passe sur le terrain.

Tu as travaillé dur en effet, et enchaîné 9 saisons pleines en D2 allemande, d’abord avec Dresde puis avec Bochum. Comment vis-tu cette soudaine exposition en Bundesliga ?

J’avoue que c’est un gros changement, depuis la montée on est beaucoup sollicité, y compris à l’étranger. En France, beIN couvre la Bundesliga et lui offre une belle exposition. En Allemagne aussi, forcément, on parle pas mal de nous, d’autant plus qu’on fait une belle saison pour un promu ayant des moyens financiers bien plus limités que la plupart des autres clubs de l’élite allemande. Mais en L2 allemande, on était déjà assez sollicité. C’est vachement plus exposé que la L2 en France même si c’est un peu en train de changer car beIN l’a retransmise et L’Equipe TV la diffuse cette saison. On passe plus de matches qu’à mon époque, quand je jouais à Laval.

Après, c’est sûr qu’en Bundesliga t’es dans une autre dimension. Il y a beaucoup plus de journalistes aux entraînements, aux conférences de presse. C’est un des deux ou trois plus grands championnats du monde, forcément il fait l’objet d’une grosse couverture médiatique. C’est sympa de découvrir ce côté, même si comme tu le sais je n’ai jamais été quelqu’un qui aime être trop exposé. Avec l’âge, la maturité, je me prête au jeu. Il y a quand même un côté sympa dans cette effervescence. Je prends ça bien, avec décontraction. Ça me fait vraiment plaisir de répondre à Poteaux Carrés. Je vous suis depuis de très longues années et c’est très sympa de donner régulièrement des nouvelles des anciens via les potins.

Tu as évoqué beIN, où officie un certain Patrick Guillou. C’est lui qui t’a conseillé de signer à Bochum, son ancien club ? Ou Roland Wohlfarth, qui a aussi porté après le maillot vert le maillot bleu que tu arbores depuis bientôt hui ans ?

Ni l’un ni l’autre. Patrick Guillou, je savais qu’il avait joué à Bochum, je connais un peu son parcours et j’ai quelques contacts avec lui car il commente la Bundesliga. Il m’a félicité le week-end dernier. Patrick est un peu un pionnier car à l’époque il n’y avait pas beaucoup de Français qui jouaient en Bundesliga. Maintenant il y en a beaucoup plus. À chaque mercato, t’as pas mal de joueurs qui passent de la France à l’Allemagne. La Bundesliga était déjà réputée, c’est devenu un championnat très attractif et c’est très plaisant d’y jouer. Patrick Guillou est un fin connaisseur de la Bundesliga, il est très attaché à la culture allemande aussi.

Roland Wohlfarth, je sais qu’il avait joué pas mal de saisons au Bayern avant de rejoindre l’ASSE mais j’ignorais qu’il avait joué à Bochum après son départ de Sainté. Cela fait pourtant huit ans que je suis au club et que j’ai l’occasion de parler avec des anciens. Ils me parlent des joueurs qui ont marqué l’histoire du club mais je n’ai pas souvenance qu’ils aient mentionné Roland Wohlfarth. Sans doute parce que son passage n’a pas dû marquer les esprits des gens ici. À Sainté je crois qu’il est resté à peine plus d’une saison mais pas mal de supporters stéphanois s’en souviennent car il avait mis une vingtaine de buts sous le maillot vert.

Comment décrirais-tu Bochum aux supporters stéphanois ?

Je trouve qu’il y a énormément de similitudes avec la ville de Saint-Etienne. C’est une ville minière comme Sainté, avec un peu le même type de personnes. Des gens simples, ouverts, travailleurs. Des gens qui vont vers les autres. C’est pour ça que je me suis tout de suite senti bien à Bochum. Il y a des valeurs que j’apprécie vraiment. Je m’y suis retrouvé complètement avec ma famille. J’aime la mentalité des gens dans cette région de la Ruhr. Comme à Sainté, ils aiment les gens qui mouillent le maillot, qui donnent tout pour leur club.

C’est ton cas, et c’est notamment pour ça que tu portes le brassard depuis plusieurs saisons.

Je l’ai porté occasionnellement assez rapidement avec les premiers entraîneurs que j’ai connus à Bochum. Cela fait trois ou quatre ans que je suis le capitaine attitré de l’équipe. C’est une belle marque de reconnaissance. Cela veut dire que t’as prouvé sur le terrain par ton engagement, ton comportement. C’est une confiance que le coach te donne. Plusieurs entraîneurs m’ont confié cette responsabilité. Je suis davantage un coach – euh, c’est un lapsus, je ne suis pas encore coach (rires) – je suis davantage un capitaine qui montre par les faits que par la parole, même si avec l’âge je parle un peu plus, je porte un peu plus la voix. Mais je montre un peu plus ce capitanat sur le terrain, à l’entraînement. Je mets beaucoup d’envie, je donne tout même à l’entraînement. J’en ai besoin et je pense que ça plait à pas mal de coaches.

Un autre milieu de terrain formé à Sainté a porté le brassard de son équipe en Bundesliga : Josuha Guilavogui.

Effectivement. Ton parallèle est sympa car Josuha, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Je me souviens de lui au centre de formation de l’ASSE. On a quatre ou cinq ans d’écart, je suis plus vieux que lui. Il était plus petit à l’époque donc on n’a pas passé beaucoup de temps ensemble à Sainté. J’ai joué mon premier match de Bundesliga en août dernier à Wolfsbourg. Josuha est entré à dix minutes de la fin. Il est venu tout de suite vers moi sur le terrain et il m’a dit : « Salut Toto, tu te souviens de moi ? » Je lui ai répondu « bien sûr ».

Josuha a su s’adapter rapidement à Wolfsbourg et est devenu capitaine de ce gros club du championnat allemand. Il a des qualités de leadership, c’est un bosseur et il est bienveillant. Ça m’a fait très plaisir de le voir. C’est pas banal de voir deux joueurs formés à l’ASSE se rencontrer en Bundesliga ! J’ai revu Josuha au match retour à Bochum en janvier dernier, cette fois il est resté sur le banc, il n’est pas entré. Comme il manquait de temps de jeu à Wolfsbourg, il est parti à Bordeaux au mercato. J’ai vu que David Guion lui a confié le brassard de capitaine.

De ton côté tu as joué tous les matches de Bundesliga en tant que titulaire cette saison, sauf un que t’as raté à cause du Covid. Ton équipe fait un très bon parcours pour un promu car Bochum est confortablement calé dans le ventre mou, juste devant Wolfsbourg, à 9 points de la 6e place européenne et avec 9 points d’avance sur l’antépénultième et barragiste, le Hertha Berlin. Tu t’attendais à voir Bochum aussi à l’aise en Bundesliga ?

C’est une petite surprise car il y a quand même un écart entre le budget du VfL Bochum et les autres clubs de milieu de tableau de Bundesliga. On se bat avec nos armes, on fait le maximum. On s’attendait à ce que la saison soit difficile voire très difficile. On a vécu un début de saison délicat. On a été timide, on s’est un peu cherché. On avait démarré la saison en changeant un peu de philosophie de jeu, en étant plus attentiste. On a un peu craint cette Bundesliga. Au final, on a vu que ça ne nous correspondait pas trop, que ça ne marchait pas trop.

On est donc revenu à ce qui faisait notre force en Ligue 2. Au début le coach voulait qu’on joue avec un bloc un peu plus bas, qu’on procède plutôt en contre car on a des joueurs rapides devant. Mais on était trop passif, on n’était pas bon. On a pris une claque 7-0 à Munich lors de la 5e journée. Le coach m’a beaucoup parlé ainsi qu’à deux ou trois autres anciens. On s’est assis ensemble, on s’est dit que ça ne marchait pas et qu’on devait repasser à ce qu’on faisait très bien la saison précédente : attaquer plus tôt, presser davantage, avoir un jeu un peu foufou. On s’est dit, « pourquoi pas tenter ? On n’a rien à perdre, on ne peut pas subir cette saison. » On a su rectifier le tir. Avec notre public, on a déjà gagné sept matches à domicile cette saison. On a engrangé pas mal de points.

Vous avez notamment remporté un succès retentissant contre le Bayern il y a à peine un mois. Le succès le plus prestigieux de ta longue carrière !

Carrément ! Battre le Bayern 4-2, c’est une sacrée performance. Robert Lewandowski avait pourtant ouvert le score en début de match, c’est lui d’ailleurs qui a clôturé le score. Mais on menait déjà 4-1 à la pause. À la mi-temps, c’était dur pour moi de trouver les mots en tant que capitaine. J’ai juste dit aux gars qu’il fallait faire attention car le Bayern peut toujours revenir. Quelque part, on avait du mal à réaliser qu’on était en train de faire très mal au Bayern. C’était mérité en plus, ils étaient pris. Ce match a marqué les esprits, nos supporters étaient aux anges. Ce succès nous a donné beaucoup de confiance.

Tu m’étonnes ! T’as battu le Bayern car les poteaux n’étaient pas carrés ?

Tu sais que ça fait un bon moment que les poteaux sont bien ronds ! (Rires) Ah si tu savais le nombre de fois que j’ai regardé la cassette de l’épopée des Verts avec mon père… Cette histoire des poteaux carrés, tout le monde la connaît et je vais te faire une confidence : il y a même un site internet qui s’appelle comme ça ! (rires). En tout cas, ça restera un moment fort pour moi d’avoir battu cette grande équipe du Bayern, l’une des meilleures équipes d’Europe si ce n’est la meilleure. Elle a montré ce mardi aux dépens de Salzbourg qu’elle a encore de solides arguments pour remporter la 7e Ligue des champions de son histoire. Quoi qu’il en soit, notre victoire contre le Bayern a marqué toute la ville de Bochum car je crois que ça faisait une éternité qu’on ne les avait pas battus. Il me semble que le Bayern n’avait jamais encaissé autant de buts face à un promu dans son histoire et n’avait pas pris quatre buts en première mi-temps depuis plus de 40 ans.

Quelle place occupes-tu dans l’entrejeu de Bochum ? Tu joues numéro 6 ou numéro 8 ?

Mon rôle a un peu évolué par rapport aux saisons d’avant. La saison passée on jouait plus avec deux numéro 6 d’expérience, celui qui jouait avec moi avait juste un an de moins que moi. On a fait une très bonne saison à deux, ça me permettait un peu de me projeter vers l’avant. Cette année j’ai plus un rôle de pur numéro 6. On joue avec un 6 et deux 8. Je joue en sentinelle devant la défense, premier relanceur, celui qui doit aider les défenseurs centraux et qui est là pour sécuriser un peu tout le monde. Du coup je fais un peu moins de courses vers l’avant. Je me cantonne un peu plus à mon rôle défensif et ça marche plutôt bien. Je donne satisfaction. Peut-être que ça me correspond bien pour cette Bundesliga. Je me régale et ça aide pas mal de mes coéquipiers. Avec mon expérience, j’ai une certaine lecture du jeu, je me sens utile dans notre système.

Tu es en pleine forme et tu démontres que tu es très performant. Penses-tu jouer encore longtemps au plus haut niveau ? Comment te projettes-tu avec Bochum ?

Cela fait déjà deux ou trois ans qu’on se projette année par année. On fait un point chaque saison, on voit un peu comment ça se passe. Quand on arrive à certain âge dans le football, on sent que les gens sont un peu plus méfiants. Je donne satisfaction, je fais des saisons pleines chaque année. Je suis certainement le joueur qui joue le plus à chaque fois mais il y a toujours cette crainte de l’âge. On n’y peut rien, c’est comme ça. Il faut l’accepter et ça me permet de me montrer chaque saison, de reprouver un petit peu. Début janvier, j’ai signé une année supplémentaire ici, je suis donc sous contrat jusqu’en juin 2023. Je vais donc enquiller sur une nouvelle saison, j’aurai 37 ans, c’est déjà pas mal. On verra après.

En tout cas je me sens encore très, très bien. Je joue tous les matches et je ne me sens pas usé par l’âge. J’ai un style de jeu aussi qui n’est pas forcément dépendant de la vieillesse. Peut-être qu’à moment donné ça viendra d’un coup, je ne sais pas. Ce que l’on perd avec l’âge, la vitesse, l’explosivité, ce n’est pas quelque chose que j’ai eu et qui fait la force de mon jeu. Je prends beaucoup de plaisir à jouer et je continuerai tant que mon corps me permettra de suivre ce rythme.

T’es parti pour finir ta carrière de joueur à Bochum où tu te vois relever ailleurs un ultime challenge ?

Je me sens très bien à Bochum, c’est ma huitième saison ici. J’ai acquis une certaine place, un certain statut au club, ce n’est pas négligeable. Je ne me vois pas trop aller ailleurs. Il faut aussi être réaliste, il n’y a pas beaucoup de clubs qui viendraient chercher un milieu de 36 ans. Il y a de grandes chances que je termine ma carrière au VfL.

T’as prévu d’y rester pour entamer ta reconversion une fois que t’auras raccroché les crampons ?

Depuis deux ou trois ans, on parle d’une reconversion. Le club veut vraiment continuer avec moi. Je suis une figure maintenant de Bochum et les clubs aiment bien conserver les joueurs qui ont marqué le club. Je pense en faire partie et je sais que le club souhaite faire quelque chose avec moi. Après, ce sera à moi de voir. Ce qui m’intéresserait le plus, c’est de rester en contact avec le terrain. Je me verrais bien travailler avec les jeunes, je pense ça correspondrait à mon tempérament, à ma manière de voir les choses. Je suis ouvert à plein de choses mais s’il y avait des postes comme ça, forcément ça m’intéresserait beaucoup.

Tu sens que t’as la fibre d’un entraîneur ?

J’ai passé assez tôt de premiers diplômes d’entraîneur, il faudrait que je poursuive dans cette voie. Je compte les passer mais ce n’est pas évident quand on mène encore une carrière de joueur car mine de rien ça demande beaucoup de temps. Saint-Etienne m’avait proposé assez tôt de passer mes premiers diplômes, ce que j’ai fait. Ça remonte car j’ai quitté l’ASSE en 2006. Mais c’est clair que je suis arrivé à un âge ou je réfléchis à ma reconversion. Je fais plein de choses à côté, je me prépare pour pourquoi pas faire du management, occuper un autre rôle dans le milieu du foot. On verra de quoi mon avenir sera fait, sachant que le paramètre familial rentrera aussi en ligne de compte.

Ma famille a fait de gros sacrifices, c’est aussi grâce à elle que je me suis épanoui en tant que footballeur. Même si on se sent très bien ici et que mes enfants n’ont vécu qu’en Allemagne, il faudra que je vois avec ma femme. Même si elle adore la vie ici, peut-être qu’on décidera de se rapprocher un peu de notre famille en France. À vrai dire on ne sait pas trop. J’ai une fille, que j’ai eu d’une première conjointe, qui est dans le sud. Ma femme aussi est du sud. On a un pied à terre là-bas. C’est sûr que la facilité, ce serait de rester ici et continuer l’aventure avec Bochum.

Peut-être deviendras-tu le Loïc Perrin de Bochum ?

Ah, Loïc… C’est une légende ! Je suis très content de voir qu’il poursuit sa longue et belle histoire avec l’ASSE. Il incarne tellement bien ce club ! Je n’aurai pas la prétention de me comparer à lui mais c’est vrai qu’à Bochum j’ai une certaine image. Je ne me ferme aucune porte mais sincèrement, je savoure tellement cette première saison en Bundesliga que cette année j’ai un peu laissé de côté le sujet de ma reconversion. L’année prochaine j’y penserai certainement un peu plus.

On évoquait Loïc, c’est l’occasion de replonger avec toi dans tes vertes années. Qui t’a repéré et t’a venir à l’ASSE ?

C’est amusant que tu me poses la question car je l’ai eu au téléphone il y a quelques jours. Il travaille encore à Sainté, il s’occupe de toute la coordination des jeunes, de l’école de foot. C’est Patrick Liogier. C’est lui qui m’a repéré. À l’époque je jouais à Firminy, au FCO. J’étais surclassé et on a joué contre l’équipe de l’ASSE entraînée par Patrick. C’était un match à l’Etivallière, on avait perdu 15-1 (rires). J’avais mis un très beau but. J’avais sept ans.

Patrick est tout de suite allé voir mes parents, il leur a dit qu’il fallait que je vienne à l’ASSE. Mes parents ont accepté et j’ai rejoint l’ASSE dès l’âge de 8 ans.  J’ai démarré en poussin, après j’ai été benjamin et j’ai fait ensuite toutes les catégories. Je suis rentré au centre à l’Etrat en moins de 13 ans. J’ai signé mon premier contrat pro à l’ASSE. Malheureusement il y a eu un changement d’entraîneur, Elie Baup est parti alors qu’il me faisait sans doute un petit plus confiance.

Quels formateurs t’auront le plus marqué lors de tes 12 saisons à l’ASSE ?

Patrick Liogier, bien sûr. Non seulement il m’a détecté mais il m’a beaucoup appris. A ce jeune âge on apprend beaucoup, il avait une approche du football qui était autre que celle des petits clubs, le FCO et compagnie. Jean-Philippe Primard m’a marqué également quand je l’ai eu dans l’équipe des moins de 18 ans. C’est un ancien pro, il a une certaine image. Jean-Phi est un très bon formateur, je sais qu’il continue de faire de l’excellent boulot au club à la tête des U15. Il m’a plusieurs fois confié le brassard de capitaine. Je l’avais peu porté précédemment car dans notre génération 1986, c’était plutôt Alexandre Barthe qui l’avait.

Un autre entraîneur a été important pour moi : Claude Robin, qui entraînait à l’époque la réserve.  Il m’a fait une confiance, il m’a nommé capitaine d’entrée. Je me souviens qu’il m’a pris dès le début de saison. J’avais fait pas mal de matches avec la réserve la saison précédente mais sincèrement pas mal de joueurs passaient avant moi pour passer le cap professionnel. Claude Robin m’a dit d’emblée : « pour moi, tu es un joueur hyper important, je veux que tu sois mon capitaine. Je sais ce dont tu es capable. » Il a sans cesse parlé à Elie Baup pour que je puisse m’entraîné avec les pros. Claude Robin m’a toujours soutenu, c’est grâce à lui que j’ai pu signer ce premier contrat pro. Je lui ai rendu sur le terrain la confiance qu’il m’a accordé.

Quels joueurs t’ont le plus impressionné lors de tes vertes années ?

Il y en a eu plein ! Dans la génération 1985 et 1986, il y a eu pas mal de très bons joueurs. Dans ma génération, Mouhamadou Dabo et Stephen Vincent étaient assez impressionnants. Quand Stephen est arrivé en moins de 13 ans chez nous, on avait l’impression que c’était notre coach. Dans la génération 1985, on voyait déjà que Bafé et Loïc allaient percer. Au-delà leurs qualités de footballeur, ils avaient déjà cette maturité. Je n’oublie pas mon Jess avec qui j’ai passé des années en chambre. Jess était un peu fou dans sa tête mais c’était aussi un très grand gardien. Je suis ravi qu’il ait fait autant d’années à Sainté.

Comme j’ai eu l’occasion de m’entraîner avec les pros, j’ai côtoyé à l’ASSE d’autres joueurs qui m’ont impressionné. À l’époque, quand un jeune montait à l’entraînement des pros, il baissait la tête. On n’osait pas parler aux plus anciens. Les générations actuelles, limite c’est à nous de ne pas leur parler ! (rires) Les jeunes qui montent en pros de nos jours sont hyper à l’aise et décomplexés, c’est beaucoup plus facile qu’à mon époque.

Les joueurs qui m’ont le plus impressionné quand je me suis entraîné avec les pros, c’étaient Pascal Faindouno, Didier Zokora et Vincent Hognon. Je me souviens en particulier de la technique phénoménale de Pascal Feindouno. Quand j’ai vu ce qu’il faisait avec un ballon, je me suis dit « ouh là là, la marche, elle est haute ! » Petit à petit, quand tu t’entraînes tous les jours avec eux, t’as un peu moins peur et tu t’y fais. Franchement, c’était une très bonne expérience. Il y a juste le regret de ne pas avoir fait au moins un petit match ou deux.

J’ai toujours cru en moi mais je ne sentais pas cette confiance avant que je signe mon premier contrat pro. Je m’étais dit : fais cette deuxième année de CFA, donne tout et après pourquoi pas va dans un autre club de CFA. J’envisageais de poursuivre mes études, j’avais pris des renseignements en ce sens. Grâce à ma très bonne saison en réserve sous les ordres de Claude Robin, j’ai eu cette opportunité de signer un an. C’était extraordinaire pour moi de signer un contrat pro même d’un an, je ne m’attendais vraiment pas à signer pro.

J’espérais avoir l’occasion de me montrer mais quand Ivan Hasek a succédé à Elie Baup, il a décidé de se passer de tous les jeunes. Il ne me connaissait pas et n’a pas chercher à me connaître, c’est comme ça. Je suis donc parti à Cannes d’abord sous la forme d’un prêt et j’y resté une saison de plus. Après j’ai joué deux autres années en National avec le Paris FC, puis deux saisons en L2 avec le Stade Lavallois. J’ai quitté la France pour l’Allemagne en 2012 et j’y suis resté. Aujourd’hui à 36 ans je m’éclate en Bundesliga. Mon parcours est atypique !

Quel est ton rapport à l’ASSE aujourd’hui ? Es-tu resté un supporter des Verts ou gardes-tu une pointe d’amertume du fait que tu n’aies jamais eu ta chance en pro ?

Je n’ai jamais eu aucune amertume avec ce club. Elle serait vraiment malvenue car je sais ce que je dois à ce club. OK, je n’ai jamais joué de match en équipe première avec les Verts mais je n’oublie pas que quelque part c’est quand même l’ASSE qui m’a amené jusque-là ! J’y ai passé 12 ans, j’ai été formé là. C’est eux qui m’ont donné toutes les clés pour pouvoir évoluer au niveau où j’en suis aujourd’hui. J’ai été fier de porter ce maillot vert. Je n’ai aucune rancœur.

Je suis toujours les Verts. Je ne regarde pas tous les matches mais je suis les résultats. J’ai toujours des contacts au sein du club. J’ai un très bon ami qui est adjoint de Razik Nedder en réserve, Sylvain Gibert. J’ai d’ailleurs joué avec Razik très jeune à Saint-Etienne car lui aussi est de la génération 1986. C’était un petit joueur très technique, un peu teigneux. Il savait ce qu’il voulait et ça ne m’étonne pas qu’il en soit où il en est. Razik est déterminé, tenace. Je suis ravi pour lui. On s’était un peu perdu de vue et on a repris contact. Son parcours d’entraîneur à l’ASSE, c’est bluffant mais ça ne me surprend pas. Quand je l’ai côtoyé à Sainté, c’était déjà quelqu’un de très bien, de très sympa.

Mon Sylvain aussi, dès qu’il a un truc en tête, il va tout faire pour le réaliser. J’ai toujours gardé contact au fil des années avec Sylvain. On se connaissait en dehors de Sainté, à l’époque il était au GS Dervaux. C’est un féru de football, il adore le foot, il vit le foot. Il a toujours voulu faire quelque chose dans ce milieu-là. Il n’a pas réussi en tant que joueur et a pris la voie d’entraîner. Pour l’instant il est adjoint mais je suis persuadé qu’il deviendra entraîneur principal à un moment donné.

Razik est en train de le démontrer et Sylvain le prouvera aussi, on peut être un très bon entraîneur sans pour autant avoir réussi à faire une carrière de joueur professionnel. Bien sûr, il y a de grands entraîneurs qui ont été de grands joueurs comme Pep Guardiola mais il y a beaucoup d’excellents coaches qui n’ont pas joué au haut niveau. Peut-être parce qu’ils ont un autre œil. Sylvain est un super mec, toujours à l’écoute. C’est pour ça qu’il prend un peu de chacun. Il va prendre tout ce qu’il peut prendre de Razik et ensuite le moment venu il mettra ça à sa sauce je pense.

Avec lequel de tes anciens coéquipiers stéphanois es-tu resté le plus proche ?

Anthony Badel. C’est mon meilleur ami, il est presque comme un frère pour moi. Il est devenu pompier professionnel à Saint-Etienne. Il est sur Aurec. Lui aussi est de la génération 1986, on ne s’est pas lâché pendant toutes ces années. On a été adversaire avant d’évoluer ensemble de nombreuses saisons car il a rejoint le centre de formation de l’ASSE en moins de 13 ans. C’est la personne la plus proche que j’ai. C’est aussi un très bon entraîneur. Il a eu à un moment donné cette envie d’entraîner, il est passé à autre chose mais je pense qu’il y reviendra.

Anthony entraîne les jeunes au FCO Firminy, il joue encore là-bas. Il adore son métier de pompier mais le foot reste dans son ADN. Je pense qu’il ne lâchera jamais le foot car il adore ça. C’était un excellent joueur, un super latéral droit. Je suis convaincu qu’il aurait fait une belle carrière de joueur professionnel sans ses blessures. Hélas il s’est fait trois fois de suite les croisés. Lui, il a eu fait quelques matches amicaux avec les pros après que je suis parti. Il était resté en tant qu’amateur mais s’entraînait avec les pros. Humainement il est exceptionnel. À mon avis, il doit devenir un très grand entraîneur.

Que t’inspire la situation actuelle de l’ASSE ?

Je suis bien soulagé de voir que les Verts sont sur une bonne dynamique qui laisse augurer un maintien qui semblait compromis il y a deux mois. J’ai vu quelques matches de la première partie de saison, et j’avoue que ça me faisait un peu peur. On voyait qu’il y avait un malaise dans l’équipe, on sentait qu’elle n’était pas libérée quand elle jouait. On était un peu tétanisé, on ne se lâchait pas vraiment. On sentait que cette équipe était fragile. Et maintenant, avec quasiment les mêmes joueurs plus quelques renforts arrivés au mercato, on voit que cette équipe est plus consistante, plus épanouie, plus solide.

Je pense que Pascal Dupraz est la personne parfaite pour cette mission maintien. On voit que l’équipe obtient de bien meilleurs résultats depuis qu’il est là. Le contenu des matches est tout autre qu’en début de saison. Ça présage un maintien. Sur ce que je vois, je pense que les Verts devraient se maintenir. J’ai regardé le match contre Metz ce week-end. La victoire est étriquée mais elle amplement méritée. Sainté a montré plus d’envie, s’est procuré plus d’occases. Je vois des joueurs libérés comme Ryad Boudebouz par exemple qui rayonne de nouveau, en tout cas un peu plus. Les Verts font plaisir à voir depuis quelques matches, pourvu que ça dure !

Affectionnes-tu des joueurs en particulier dans cet effectif stéphanois ?

Moi j’aime beaucoup Denis Bouanga. Je trouve que c’est un joueur très imprévisible et il joue un rôle important dans cette opération maintien. Il lui manque encore un peu de réalisme devant le but, s’il arrive à améliorer ça, il passera encore un cap mais j’adore ce joueur. Après, il y a pas mal de jeunes assez bons dans cette équipe stéphanoise ! J’aime bien Mahdi Camara et je trouve que Lucas Gourna est aussi un joueur très intéressant dans l’entrejeu. Je trouve qu’il a fait une très bonne rentrée ce week-end. Je l’ai même trouvé impressionnant pour un joueur de 18 ans. Le centre de formation de l’ASSE arrive à sortir pas mal de bons joueurs, ça peut laisser augurer de belles années pour Saint-Etienne.

Ce que j’aime beaucoup à l’ASSE également, c’est le soutien du peuple vert. 36 000 supporters pour voir le 19e recevoir le 18e, c’est épatant ! Y’a qu’à Geoffroy qu’on voit ça ! Le Chaudron, c’est fort. Moi j’ai connu les années où quand j’étais jeune, j’allais voir les Verts en L2 et il y avait déjà une grosse ambiance. En particulier la saison de la remontée à l’époque de Robert Nouzaret et quelques années plus tard avec Frédéric Antonetti. Bien avant ça, j’avais eu la chance d’être ramasseur de balle à l’époque où Laurent Blanc et Lubomir Moravcik étaient là. Je me souviens aussi d’avoir vu jouer Willy Sagnol.

Mais la période qui m’aura le plus marqué, c’est quand il y avait Alex et Aloisio, Stéphane Pédron… J’avais 13 ou 14 ans, cette génération m’a fait rêver. J’en ai encore des frissons, c’était une période magique. On vibrait à fond, il y a eu des matches d’anthologie. Le 5-1 contre Marseille, c’était énorme. Je revois encore l’ouverture du score, ce lob de Patrick Revelles qui tape la barre de Porato et Alex qui démarre son festival. Wow ! C’était une ambiance de folie. Aujourd’hui l’ASSE se bat pour se maintenir et le peuple vert répond encore présent. C’est beau et en même temps ça ne me surprend pas, ça a toujours été la grosse force de ce club.

Même de partout, même ici en Allemagne j’en parle et ils connaissent Saint-Etienne. C’est sûr que la Ligue 1 a pris un petit coup au niveau réputation mais tout le monde connaît l’ASSE car son passé a marqué beaucoup de gens Outre-Rhin. Peut-être que Sainté ne parle pas trop aux jeunes allemands de 18 ans mais dans mon entourage, les Allemands qui connaissent un peu le foot savent ce que représente l’ASSE. Alors que je ne suis pas sûr qu’ils connaissent Lorient. Sainté n’est pas seulement connu par son passé glorieux mais aussi pour ses participations plus récentes à l’Europa League. L’ASSE a eu l’occasion d’affronter Wolfsbourg et Mayence, les Allemands ont pu mesurer à cette occasion la ferveur du public stéphanois.

Et dire que tu n’as jamais joué à Geoffroy, même en amical. Tu espères y jouer un jour ?

Je pense que c’est un peu cuit. C’est sûr que j’aurais aimé vivre ça et que j’en ai rêvé. Mais je vis tellement de moments magnifiques en ce moment avec de telles ambiances. Je retrouve un peu cette ferveur du Chaudron au Ruhrstadion. Le stade est plus petit, sa capacité est de 27 000 places, mais c’est un stade à l’ancienne qui fait vraiment caisse de résonance. Il y a encore des jauges, pour la première fois on a eu droit à 20 000 supporters ce week-end et c’était extraordinaire. Contre le Bayern on a eu droit qu’à 10 000 mais ils ont mis une telle ambiance que sincèrement, ça en valait 30 000 !

En France, j’ai l’impression que c’est surtout à Geoffroy, au Vélodrome et à Bollaert qu’il a une grosse ambiance. En Allemagne, c’est le cas dans de très nombreux stades. J’ai particulièrement aimé celle de Cologne, dans un stade magnifique. Même en Ligue 2, il y a des ambiances assez incroyables. Par exemple Kaiserslautern, club historique qui est hélas descendu en 3e division, a un sacré public. Ce week-end on va jouer à Francfort contre l’Eintracht, ça va être chaud car ce club est aussi réputé pour la ferveur de son public. Les Verts avaient d’ailleurs joué leur dernier match de préparation là-bas cet été. Personnellement, j’ai hâte d’être trois journées avant la fin à Dortmund. Je vais pouvoir voir de près le mur jaune.

Après avoir découvert l’élite à 35 ans, vas-tu faire tes débuts internationaux à 36 ? Pour la deuxième fois en trois semaines, la Pravda t’a mis dans l’équipe type des Français du week-end. La première fois, tu figurais aux côtés de Kolo, cette fois ci aux côtés de Mickaël Nadé mais aussi de champions du monde comme Benjamin Pavard et Olivier Giroud.

Peut-être que Didier Deschamps va penser à moi maintenant ! (rires)

Honte à lui, il n’aura pas fait jouer Loïc Perrin en équipe de France. Peut-être que pour se racheter il va donner du temps de jeu au meilleur Appelou de tous les temps ?

C’est vrai que Loïc aurait amplement mérité de jouer avec les Bleus. Mais si Didier Deschamps fait appel à moi, ce sera la plus grosse surprise de l’histoire du football ! (Rires)

 

Merci à Toto pour sa disponibilité