Après Jean-Michel Larqué, Hervé Revelli rend hommage à son ancien coéquipier Georges Bereta, qui nous a quittés hier à l'âge de 77 ans.


"On a quasiment démarré ensemble même si j’ai commencé un an plus tôt que lui en professionnel. On est de la même génération, Georges est né en mai 1946 six jours après moi. J’ai toujours en mémoire ce qu’il avait lui-même déclaré dans son livre : je suis celui qui l’a aidé à se lancer, à faire ce qu’il a fait dans sa carrière. Au départ ce n’était pas gagné pour lui. Mais on était ensemble à l’armée à Saint-Etienne à l’époque car on avait la chance de choisir. On avait une bonne petite équipe de foot à l’armée.

Moi je jouais déjà en professionnel. Je suis monté au Bataillon de Joinville. Là-haut, l’entraîneur de l’époque, Monsieur Joseph Mercier, cherchait un attaquant côté gauche. Je lui ai dit : « Moi je connais quelqu’un. » Il me dit « c’est qui ? » Je lui réponds : « c’est Georges Bereta ». Il rétorque : « je ne le connais pas, il n’a jamais joué. » Je lui dis : « non, non, il joue en troisième équipe à Saint-Etienne. Il joue en division d’honneur. Mais je joue à l’armée avec lui, je le connais. Je suis sûr que c’est un très bon joueur. Faites-le monter 15 jours, mettez-le à l’essai, vous risquez quoi ? »

Joseph Mercier m’a dit : « OK, on va le faire monter. » Au bout d’une semaine, il y avait des matches amicaux. Il me dit : « Dis donc, ton copain, il est très bon, c’est une bombe ! » Je lui réponds : « Je vous l’avais dit ! » Il ajoute : « Comment ça se fait qu’il ne joue pas ? » Je réponds : « il est un petit peu dans l’oubli mais ça vaut le coup de lui donner sa chance je suis convaincu que c’est un très bon attaquant. »

A Saint-Etienne, on avait un joueur qui jouait à gauche, Frédéric N’Doumbé. Un jour il se blesse. Monsieur Snella vient vers moi et me dit : « Dis-moi, ton ami Georges Bereta, tu penses qu’il pourrait éventuellement faire l’affaire ? » Je lui réponds : « Vous ne le connaissez pas ? » Il me dit « non, pas vraiment. » Je dis à Monsieur Snella : « Mettez-le, vous allez voir que vous allez avoir des surprises. » Il l’a mis et voilà, Georges a démarré sa carrière comme ça.

J’avais repéré le talent de Georges. Je me souviens qu’à la fin de l’armée il devait partir à Montélimar, on lui avait trouvé une place là-bas dans une usine et il devait jouer en CFA là-bas. Comme quoi un destin tient parfois à peu de choses. Quand on voit la carrière que Georges a faite derrière… Forcément, sa disparition, ça remue. On a un gros vécu commun, on a toujours été proche. On a connu nos épouses ensemble. On habitait le même immeuble, j’étais juste au-dessus de lui, en face du stade Geoffroy-Guichard, rue Claude Odde.

On s’est toujours suivi mais il y a un seul gros regret : Georges nous a quittés juste avant l’épopée. Lui aurait bien sûr aimé continuer l’aventure à Sainté mais malheureusement Monsieur Rocher a décidé de le vendre au cours de la saison 1974-1975. Le président avait besoin d’argent pour le club, il l’a vendu à l’OM. C’est dommage que Georges n’ait pas vu vivre à nos côtés ce qu’on a fait la saison suivante, ce parcours qui nous a menés jusqu’en finale de Coupe d’Europe. Georges ne voulait pas s’en aller, il sentait qu’une équipe arrivait et allait faire de grandes choses.

Mais avant de partir à Marseille, où il d’ailleurs remporté un mois après notre finale à Glasgow la finale de Coupe de France en battant en finale l’OL d’Aimé Jacquet et Bernard Lacombe, Georges Bereta a remporté un paquet de titres avec moi à l’ASSE. On a notamment fait deux fois le doublé, en 1968 et en 1970. On a joué aussi ensemble en équipe de France. On a vécu tellement de grands moments ensemble… On était toujours proches. C’est pour ça que je ressens une profonde tristesse depuis l’annonce de son décès. Georges, c’était plus qu’un camarade, plus qu’un ami.

C’est une grosse perte pour le football stéphanois bien sûr mais aussi pour le football français. La dernière fois que je l’ai vu au stade Geoffroy-Guichard, il avait beaucoup de difficultés à gravir les marches. Je lui avais proposé de l’aider mais il m’avait dit : « non, ne t’en fais pas, je vais me débrouiller, on se rejoint dans la loge présidentielle. » J’ai senti que Georges était diminué et que c’était vraiment grave. Il a tenu longtemps, c’est là qu’on voit les battants. C’était un battant sur le terrain, il s’est battu avec cette maladie pendant quatre ou cinq ans.  

Georges a été très bien entouré jusqu’au bout, tout le monde l’a aidé. Mais quand on est comme ça, est-ce qu’on se rend compte qu’on est aidé ou pas ? Je ne sais pas. C’est vraiment très dur à vivre pour l’entourage. C’est difficile car on est impuissant, on accompagne au mieux. C’est terrible pour les très proches qui le côtoient au quotidien de le voir partir comme ça doucement et inexorablement. Il ne parlait plus, il ne voyait plus. J’espère que Georges n’a pas souffert.

Avec Georges, on se trouvait les yeux fermés sur le terrain. Quand il avait le ballon, je savais ce qu’il allait faire et lui savait où j’allais me positionner. Et ça a duré des années comme ça ! Saint-Etienne, c’était une école. On rentre, on n’est pas perdu. Quand un joueur sortait, on en mettait un autre à la place et il arrivait de suite à se situer, c’était le fruit de ce qu’il voyait et ce qu’il faisait à l’entraînement. Il savait très bien ce qu’il avait à faire.

Georges a su évoluer et c’était quelque part un précurseur dans le sens que c’était un joueur de couloir. A l’époque ça choquait un petit peu de voir un ailier gauche comme lui parfois chercher des ballons assez bas dans son couloir. Mais à l’époque l’ASSE était un peu avant-gardiste. A mon poste aussi j’ai évolué. J’étais au début un pur avant-centre et ensuite j’ai été amené à dézoner. A l’époque certains s’interrogeaient, se demandaient pourquoi un coup on était à gauche, un coup on était à droite. Mais ça ne nous empêchait pas de marquer des buts !

Georges avait un peu la même morphologie que N’Doumbé auquel il a succédé. Ramassé, trapu. Pour le faire tomber, c’était très difficile. Pour le blesser, pour l’attraper, c’était très compliqué. Même les plus virils des défenseurs adverses s’y sont cassé les dents ! Outre ses qualités physiques, Georges avait une jolie patte gauche. Il donnait de très bons ballons. 95% de ses balllns arrivaient là où Georges le souhaitait. C’est un régal quand on est avant-centre de jouer avec des gars comme ça ! A l’époque il n’y avait pas de statistiques sur les passes décisives mais Georges m’en a délivré une palanquée.

J’ai aussi fait marquer beaucoup de buts. D’ailleurs quand Salif est arrivé, il avait un poste entre 9 et 10, il mettait beaucoup de buts. Comme on prêtait moins d’attention qu’aujourd’hui aux passeurs, on ne regardait pas qui lui faisait la passe. J’étais son meilleur pourvoyeur de ballons, ils s’en sont rendus compte une fois que je suis parti. Salif n’a plus marqué et il est parti à Marseille. S’il a marqué beaucoup de buts à l’ASSE, c’est grâce à des gars comme Georges, à Rachid quand il était encore là mais aussi grâce à Hervé ! Ça arrivait au millimètre. Avec Georges, on a fait partie des joueurs qui ont fait évoluer le football.

Georges était un joueur très sociable. Comme moi, comme la plupart d’entre nous, il est issu d’une famille de travailleurs. On est naturellement très sociables, on ne se force pas pour ça. On est là, prêts à aider les gens comme a on a été aidés par des grands joueurs quand on a débuté. Après, on a continué. C’est ce que voulait Monsieur Snella. Quand un jeune arrivait, on le mettait dans les meilleures dispositions, on le mettait dans le bain. On l’aidait au maximum. Georges était toujours prêt à aider les jeunes, toujours prêt à aider les gens. C’était quelqu’un de foncièrement généreux, il se mettait au service du club. Les mentalités ont changé, les joueurs d’aujourd’hui ont une approche plus individuelle."

 

Merci à Hervé pour sa disponibilité