Lors de notre dernière descente, celle que les moins de 20 ans ont la joie de de ne pas avoir connue, nous nous étions déplacés à Beauvais lors de la 11ème journée.
C’était un 5 octobre. Vous me voyez venir, non ? Et un, et deux, et trois zéro ! Les champs de betterave, les chants désespérés, Jean-Pascal Yao en défense centrale, Alain Michel à la barre. L’automne bien installé, et l’hiver, le long, le glacial, qui nous attend.
Le privilège de mon âge, c’est celui des vieux cons qui croient avoir tout vu, tout vécu, et qui n’ont pas toujours tort. Comment oses-tu parler d’amour toi qui n’as pas connu Lola Rastaquouère ? Comment oses-tu parler de supplice toi qui n’as pas connu le Stade Pierre-Brisson en octobre 2021 ?
Toi, jeune supporter des Verts, qui as connu 2013, aimé Aubame, vénéré Dieu, et savouré Galette, toi qui, confiant, insouciant, à chaque retour du printemps as chanté Saint-Etienne, Coupe d’Europe !, toi qui, depuis trois ans, subis ce déclassement violent et ne passes pas un match sans insulter la terre entière, viens t’asseoir à côté du vieux mastre. On va comparer nos misères.
Alors oui, avec nos 2 victoires en 11 journées, nos 8 points plombés par les sanctions, c’est vrai que ce début de saison sent vraiment Beauvais, dont nous revînmes ce vendredi soir le moral lesté de cette honteuse défaite, et de ce pathétique bilan d’une victoire, six nuls et quatre défaites, soit 9 points, sans pénalité. Oui, jeune fou, à l’époque on n’enlevait pas de points. Pourtant, je pourrais te raconter, comment se comportèrent quelques mois auparavant, ceux qui avaient envahi le terrain à l’issue du triste Sainté-Guingamp scellant notre descente. Dans ce club gonflé de passion, relégation rime toujours avec traumatisme et chaos.
Pire encore, notre capacité à continuer à sombrer après l’humiliation d’une descente est épatante. Je pourrais, pauvre candide, pour achever de t’en convaincre, te raconter 1984 ou 1996, mais je le sais bien, tu n’as plus l’âge de redemander des histoires pour t’endormir.
Toi tu veux te réveiller, sortir de ce cauchemar total. Alors, revenons à 2022, et à cette éternelle question qui se pose au supporter meurtri, choisir entre l’abattement et l’espoir, entre le renoncement et le combat, entre la télé éteinte et la fidélité à Geoffroy.
Certes, ça pourrait sentir un peu Beauvais, mais franchement, moi qui suis à Lapointe question comparaisons, je peux t’assurer que sous les tapis d’avanies, il y a des champs de framboise à savourer.
Pour peu que notre adjudant, qui lui, en a beaucoup, des idées, comprenne que des plus jeunes aux plus âgés, on peut presque tout changer, arrête de faire le Sow et décide enfin de faire Giraudon de son défenseur central à la science, histoire qu’elle perce les mystères de la passivité, alors y aura davantage d’avantages.
Pour peu aussi bien entendu que les mamelles du destin ne se détournent plus de nous. Je dis destin, c’est un peu court jeune homme. On pourrait dire bien des choses encore : poteaux, arbitrage, fébrilité, pieds carrés … La liste est longue. Avanies toujours. Avanies encore.
Alors à ces conditions, ça pourrait ne plus sentir Beauvais. Bien sûr on n’ose plus rêver aux conquêtes de l’hiver et aux sacres du printemps, on se force à bannir de nos songes les Châteauroux d’antan. On n’aspire pas à marcher sur la D2, non. Seulement à ne plus piétiner, sortir de la zone qui rend les nuits courtes et les jours pâles. Jouir sans entrave à la vue d’une équipe qui joue, d’une équipe qui, enfin, et à la fois, malmène (dans le jeu) et mène (à la marque).
Retour à octobre 2001. L’amer Michel ne reverra plus Geoffroy. Anto débarque. Pour une première crispée et désolée dans le Chaudron face au Havre (0-1). La montée, si belle fut elle ne sera décrochée que deux ans et demi plus tard.
Voilà ce que nous dit l’histoire, la nôtre, la tienne, car tu dois l’apprendre, à défaut de l’avoir vécue : il faut tout à la fois rester passionné, mais devenir patient. Si la douleur est vive et s’apparente à une torture sans fin, il n’est plus l’heure d’y répondre par la colère, sinon ciblée à destination des deux clowns.
Pour le reste, il faut tendre l’oreille, et écouter cette voix, lointaine, imperceptible surtout ces maudits lundis soirs où tout pousse à tout envoyer balader. Cette petite voix qui nous dit qu’avec Lolo, avec Dieu, qui ont trop prouvé leur valeur en ces lieux pour qu’on ne leur accorde pas une confiance absolue et sans condition, avec un esprit sain, des idées, du travail et du talent, et au diable les clowns, un jour, on y regoûtera aux lendemains qui chantent.