Y'a moyen que ce sujet parte en sucette, donc je vais faire un effort honnête de ne pas y contribuer. Est-ce que ça va marcher, c'est pas dit.
alanvert a écrit : ↑23 févr. 2023, 13:36
Pour moi, je vois dans le management aujourd'hui une prise en compte de l'humain comme une simple ressource que l'on considère disponible à l'infinie, au même titre que les autres ressources d'ailleurs, et dont le signe de l'épuisement individuel est le burn-out.
Comme je termine actuellement une formation d'ingénieur qui comprend une part de management, je me permets d'apporter ma pierre à l'édifice pour donner une sorte d'état des lieux (subjectif ofc) de comment nous est enseigné le management à l'heure actuelle. Globalement, je te rejoins pas mal @alanvert sur la considération de l'humain comme une ressource à utiliser jusqu'au bout. C'est même la base théorique du management en fait, donc ça ne devrait pas choquer qui que ce soit. Ce qu'il est important de pointer du doigt, par contre, c'est qu'il existe plusieurs approches qui diffèrent pas mal selon ta position dans l'organisation de ton lieu de travail:
• Plus t'es un travailleur considéré comme "remplaçable", pour des postes qui vont typiquement d'ouvrier qualifié à employé de McDo, plus le manager est une sorte de superflic formé à ne pas faire grand-chose d'autre que de te mettre sous pression H24, lui-même l'étant souvent sous le poids du flic au-dessus de lui. On peut pas faire plus malsain comme ambiance de travail, mais vu que ça touche les prolos généralement on s'en fout un peu. Je dis ça en me basant sur des expériences de potes dans ces positions (d'exécutant, pas de manager), la seule fois où j'ai bossé comme exécutant c'était dans une structure suffisamment petite et alternative pour que la pression, même si elle existait et que c'était pas non plus idéal, reste assez tenable de mon point de vue.
• Dès qu'on part sur des travailleurs plus qualifiés et intellectuels, où des profils de recrutement sont dressés etc (les détails de ce processus relèvent des RH donc c'est pas du tout mon domaine de compétences), ça change du tout au tout. Le but est toujours de te presser comme un citron, mais des stratégies plus fines commencent à apparaître et la question de la bonne santé du salarié (même si elle est envisagée de la manière la plus cynique possible) commence à pointer le bout de son nez.
C'est ces stratégies-là que j'ai pu étudier dans plusieurs cours assez diversifiés qui jouent une sorte de double jeu : dans le texte ça consiste à dénoncer le management tyrannique, à savoir le cliché du grincheux égocentrique avide de pouvoir et d'argent qui terrorise tout le monde et force les gens à bosser jusqu'à pas d'heure. Jusque-là on est d'accord, la seule chose c'est que la véritable raison pour laquelle on nous apprend à mépriser ces stratégies-là, c'est avant tout -en tout cas, c'est ma conclusion perso- parce qu'elles sont très grossières.
De même, dans ces cours-là, on était souvent invités à faire des petits jeux de rôle où quand une personne se mettait dans la peau d'un manager demandant quelque chose d'impossible frontalement ou avec une mauvaise foi trop évidente, on sentait un sentiment général de gêne. Mais pas de la gêne sur le fond, juste sur la forme. Logique quand on a déjà la chance de pouvoir s'interroger sur la forme, donc qu'il y a un dialogue: ça veut dire qu'on a un peu plus de pouvoir de négociation que l'employé du McDo.
De manière générale, en étant propulsés direct à des positions de pouvoir, emplis d'un discours qui consiste à dire qu'on est une élite cultivée qui se doit de mener la France vers la transition écologique (mais en respectant les objectifs de croissance, faut pas déconner non plus), il y a une très forte incitation pour les élèves comme moi à placer le bien-être économique de l'entreprise (et donc l'exploitation) comme première priorité, tout en lui donnant des jolis petits noms pour ne pas avoir l'impression de faire partie des exploiteurs parce que ce serait dur à assumer pour le petit cœur du manager quand même, beauseigne
Cours par cours, on a eu droit à:
-> Un cours de communication claqué animé par une dame très fière de ses Ted Talks alors qu'elle ne savait pas faire une phrase sans y caler un "du coup", c'était assez surréaliste mais pas bien dangereux.
-> Un cours sur le management interculturel. Sujet qui pourrait être intéressant pour une conférence, sauf qu'il fallait l'étendre sur une douzaine de séances. Ça a naturellement donné un cours surgonflé, inutile et par-dessus tout vecteur de bons gros clichés assez éculés au nom de l'ouverture culturelle, on appréciera l'ironie.
-> Une séance "jeu de rôle" sur l'organisation professionnelle assez contrastée. D'un côté, ça apprenait à dire fermement "non" lorsqu'on est dans une situation critique en termes de charge de travail (le fait que dire "non" ait un poids non nul dit déjà quelque chose du rapport social dans cette position, cf plus haut, mais c'est toujours important d'apprendre aux gens à se défendre), de l'autre, ça nous faisait aussi jouer le rôle d'un manager dont le but est
in fine de faire bosser les gens un maximum en les poussant à trouver leur travail psychologiquement plus supportable sans que rien de concret ne suive, plus comme de l'autopersuasion qu'autre chose. C'est assez drôle de se dire qu'une certaine partie des gens de ce milieu ont étudié pendant un an le
Discours de la servitude volontaire de la Boétie pour finir par apprendre à le mettre en application

-> Une séance de feedback sur des expériences professionnelles, où le discours général suivait un peu tout ce que j'ai dit plus haut: on va dire ouvertement que la course effrénée au profit, les mentalités ultra élitistes de certaines startup, le harcèlement au travail, c'est pas bien et on va même donner quelques clés de défense (ce qui est toujours bon à prendre). Par contre, pour améliorer le système, les seules propositions qui ont été lancées ont été "faire comme dans les pays nordiques" (Willy Sagnol aime ça) et aussi que les postes à hautes responsabilités aillent sur la chaîne de montage pour faire du role play ouvrier pendant quelques heures une de temps en temps, comme ça l'ouvrier se sent valorisé. Je vous jure que c'est pas une blague, on dirait un discours paternaliste de patron d'avant-guerre, mais non on était bien en 2022.
Bref, assez ragé sur l'incapacité (enfin, surtout le manque de volonté assez logique) du système à se transformer radicalement, on va quand même évoquer quelques points positifs. Pour l'instant je n'ai pas vu que du mauvais chez les managers, mes quelques expériences au sein d'une entreprise ont même été plutôt bonnes. Cela dit, ces approches n'avaient aucune théorisation qui allait beaucoup plus loin que "respecte la personne sous tes ordres comme un être humain avec une vie qui doit faire son quote de travail à peu près dans les temps pour ne pas mettre ses collègues en difficulté". Ça fait se poser certaines questions sur la nécessité de pousser les théories managériales à un niveau si pointu quand la base de la base du respect suffit à garantir une ambiance de travail saine et une production à peu près au taux attendu.