Je me permets d'ajouter des éléments pour ce débat, c'est daté (mais toujours d'actualité je trouve) et un peu long (pourtant j'en ai viré une bonne partie), j'ai souligné certaines phrases pour plus de clarté. Je trouve que la position de Tylith, par exemple, est assez bien expliquée par cette argumentation.
Le jour du premier Noël, la population de notre planète était d'environ 250 millions d'hommes - inférieure à la moitié de celle de la Chine moderne. Seize siècles plus tard, lorsque les pèlerins débarquèrent de la Mayflower à Plymouth Rock, elle avait un peu dépassé les 500 millions. Au moment où les colonies d'Amérique proclamaient leur indépendance, elle atteignait 700 millions. En 1931, alors que j'écrivais Le Meilleur des Mondes, elle était de peu inférieure à deux milliards. Aujourd'hui, vingt-sept ans après seulement, nous sommes 2 milliards 800 millions. Et demain?
Pénicilline, D.D.T. et eau pure sont autant de produits bon marché dont les effets sur la santé publique sont absolument hors de proportion avec leur coût. (...) En conséquence, la population du globe augmente à l'heure actuelle plus vite qu'elle l'a jamais fait à n'importe quel moment dans l'histoire de l'espèce. De plus, l'accroissement annuel lui-même s'accroît : (...) au rythme d'accroissement existant entre la naissance du Christ et la mort de la reine Elizabeth Ire, il avait fallu seize siècles à la population de la terre pour doubler; au taux actuel, il lui faudra moins de cinquante ans. Et- ce redoublement fantastique se produira sur une planète dont les régions les plus productives sont déjà occupées par une population très dense, dont les sols sont épuisés par les efforts frénétiques de mauvais cultivateurs essayant de produire plus de nourriture, et dont le capital de minéraux aisément accessibles est dilapidé avec la prodigalité extravagante d'un matelot ivre paressé de se débarrasser de paies accumulées. (...)
Ce problème devient plus grave et plus redoutable avec chaque année qui passe et c'est dans ce sinistre décor biologique que se jouent tous les drames politiques, économiques, intellectuels et psychologiques de notre époque. A mesure que le vingtième siècle approche de son terme, que de nouveaux milliards s'ajoutent aux milliards existants (nous dépasserons les cinq et demi quand ma petite-fille aura cinquante ans), ce décor biologique s'avance, toujours plus insistant, plus menaçant, vers le devant et le centre de la scène historique. Le problème du rapport entre un chiffre de population rapidement croissant et les ressources naturelles, la stabilité sociale, le bien-être de l'individu - ce problème est maintenant le principal qui se pose à l'humanité et il le restera certainement pendant un siècle encore, peut-être plusieurs. (...)
0r, si ce problème n'est pas résolu, il rendra tous les autres insolubles.
Pis encore, il créera des conditions telles que ta liberté individuelle et les convenances sociales de la démocratie deviendront impossibles, presque inconcevables. (...) A mesure que les demandes d'une population dense et croissante pèsent plus lourdement sur les ressources disponibles, la position économique de la société subissant cette épreuve devient encore plus précaire.
Et cela est particulièrement vrai des régions sous-développées, où une brusque diminution de la mortalité au moyen de la pénicilline, du D.D.T. et de l'eau pure ne s'est pas accompagnée d'une diminution correspondante de la natalité. Dans certains pays d'Asie, dans la plus grande partie de l'Amérique centrale et du Sud, la population s'accroît à un rythme tel qu'elle aura doublé en un peu plus de vingt ans. Si la production de denrées alimentaires, d'objets manufacturés, de maisons, d'écoles et de professeurs pouvait être augmentée plus vite que le chiffre des habitants, il serait possible d'améliorer le sort misérable de ceux qui vivent dans ces régions sous-développées et surpeuplées. Malheureusement, celles-ci ne manquent pas seulement de matériel agricole et d'usines pour le fabriquer, mais aussi des capitaux nécessaires pour créer une telle industrie. Le capital, c'est ce qui reste une fois satisfaits les besoins essentiels d'une population. Or dans un pays sous-développé; ils ne le sont jamais, au moins pour la plupart des habitants. Au bout de l'année, il ne reste presque rien, il n'y a donc presque pas de capitaux disponibles pour créer l'industrie et l'agriculture au moyen desquelles les besoins de la population pourraient être satisfaits. De plus, toutes ces régions en retard manquent de la main-d'oeuvre spécialisée sans laquelle il est impossible de faire fonctionner une usine ou une entreprise agricole moderne. Les possibilités d'enseignement sont insuffisantes, de même que les ressources, financières et intellectuelles, pour améliorer ces possibilités dans la mesure où l'exige la situation. Pendant ce temps, la population, dans certaines de ces régions, augmente de trois pour cent par an.
Leur condition tragique a été étudiée dans un livre important, publié en 1957, The next Hundred Years (1) par les professeurs Harrison Brown, James Bonner et John Weir, de l'Institut technologique de Californie. Comment l'humanité s'y prend-elle pour affronter le problème de son chiffre rapidement croissant? Assez mal. « Les faits contrôlables semblent indiquer assez nettement que
dans la plupart des pays sous-développés, le sort de l'individu s'est détérioré de façon appréciable au cours du dernier demi-siècle. Les habitants sont plus mal nourris; il existe moins de biens de consommation disponibles par tête et pratiquement tous les efforts faits pour améliorer la situation ont été annulés par l'impitoyable pression d'un accroissement continu de la population. » (...) La surpopulation mène à l'insécurité économique et à l'agitation sociale. Insécurité et agitation mènent à un contrôle accru exercé par les gouvernements centraux et à une extension de leurs pouvoirs. En l'absence d'une tradition constitutionnelle, ces pouvoirs accrus seront probablement exercés de manière dictatoriale. (...)
En quoi cette évolution affectera-t-elle les pays surpeuplés mais fortement industrialisés et encore démocratiques d'Europe? Si les dictatures formées leur étaient hostiles et si le courant normal des matières premières en provenance des pays sous-développés était volontairement interrompu, ils se trouveraient en bien mauvaise posture Leur système industriel s'écroulerait et les techniques extrêmement développées qui leur ont permis jusqu'à présent de faire vivre des populations beaucoup plus nombreuses que les seules ressources locales l'eussent permis, ne les protégeraient plus des conséquences d'une densité de peuplement exagérée. Dans ce cas,
les pouvoirs immenses imposés aux gouvernements centraux par des conditions économiques défavorables pourraient arriver à être exercés dans un esprit de dictature totalitaire.
Source : Aldous Huxley,
Retour au meilleur des mondes
https://inventin.lautre.net/livres/HUXL ... mondes.pdf
"C’est la même logique qui pousse à l’exploitation sexuelle des enfants (...), de celui qui dit : ‛Laissons les forces invisibles du marché réguler l’économie' (...), du 'utilise et jette', qui engendre tant de résidus (...)."
François