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ASSE et Kiev, acte 2: Le match qui fit la légende...


La feuille de match
Mercredi 17 mars 1976 - Coupe d'Europe des Clubs Champions - Stade Geoffroy-Guichard
Quart de finale retour: ASSE 3-0 Dynamo Kiev (ap)
Spectateurs: 37.737 - Arbitre : M. Gonella (Italie)

Buteurs: Hervé Revelli (64e), Larqué (71e) et Rocheteau (112e)

ASSE:
Curkovic - Janvion, Piazza, Lopez, Farison - Larqué (Santini 80e), Bathenay, Synaeghel - Rocheteau, H. Revelli, Sarramagna (P. Revelli 46e). Entraîneur: Robert Herbin
Dynamo Kiev: Rudakov - Trochkine, Fomienko, Rechko, Matvienko - Konkov, Burjak (Damine 82e), Kolotov, Veremeev - Onitchenko, Blokhine. Entraîneur: Valery Lobanovski

Le contexte du match
A la fin de l’hiver 1975, l’ASSE caracole à nouveau en tête du classement de la Première Division.
Qualifiée pour les quarts de finales de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, le sort lui attribue le Dynamo de Kiev qui la dynamite 2-0 à l’aller à Simferopol. Fort heureusement pour l'ASSE, le score aurait pu être plus lourd. Avant même que la Caravelle spéciale d'Air France ne se pose dans la nuit sur l'aéroport de Bouthéon, des premières conversations entre les joueurs font croire que l'irrémédiable n'a pas été commis. Un raisonnement, qui objectivement tient debout, commence à se faire jour. Un retard de deux buts ne constitue pas en effet un handicap insurmontable dans cette forme de compétition. Les Stéphanois eux-mêmes l'ont déjà démontré.
Après Kiev, Saint-Etienne fait le dos rond, étouffe ses rancoeurs. C'est le triumvirat Rocher-Garonnaire-Herbin qui a décidé de l'attitude, après une réunion dans le bureau présidentiel. L'ASSE règle ses affaires en famille.
On rencontre un Herbin des jours sans joie et des colères rentrées: visage fermé, tignasse flamboyante, lèvres serrées. Et ce regard glacial qui dévisage, fixe et pénètre jusqu'à l'insoutenable.
Le Rouge fait la gueule. Un séisme a été enregistré, les fondations ont légèrement tremblé. Phénomène perceptible pourtant: l'apparence d'une fissure. Aussitôt, Herbin l'a colmatée. Il était temps. Il y avait de la grogne dans le retour de Simferopol.

Les mines sont grises lors du retour de la campagne de Russie

C'est évident, plusieurs joueurs ont flanché en Crimée. Larqué notamment. Les autres ne l'admettent pas. Quelques accusations sévères au détour de considérations techniques. Amertume des remplaçants. Et des silences gênés.
Il ne manque plus que la punition annoncée solennellement annoncée par l'entraîneur, mécontent. Elle n'a pas lieu.
Robby martèle ces mots: "Je juge mon équipe dans son ensemble. Je me charge d'évoquer les cas individuels au cours d'entretiens particuliers. Cela concerne Saint-Étienne et moi. Nous sommes tous responsables". 

Herbin vient de sortir du bureau du Président Rocher. Entrevue d'un quart d'heure en présence de Garonnaire. L'État-Major réuni décidant de l'attitude à suivre. Un mot d'ordre adopté à l'unanimité: préserver l'unité.
Maintenant, le Président approuve la déclaration de Robert Herbin: "Herbin assume sa charge. C'est une attitude typiquement stéphanoise. Après coup, il y a des vérités qui apparaissent brusquement. L'important est qu'elles servent pour l'avenir"

C'est surtout l'avenir immédiat que le Président veut préserver en assurant la cohésion jusqu'au match retour. Après, on verra.
Evidemment, si les Verts passent le cap des quarts de finale, les problèmes s'atténueront d'eux-mêmes. A cause de la réussite. "Mais, pour arriver à éliminer Kiev, déclare Rocher, il faut absolument faire bloc et ne pas répandre partout nos imperfections. Éloignons les doutes et trouvons de la force dans la confiance collective. Restons près les uns des autres".

Le programme de la rencontre: 30e rencontre européenne des Verts

Pierre Garonnaire, lui aussi, prend un ton rassurant: "Tout le monde a l'air troublé par le match de Simferopol, pas nous." Herbin enchaîne: "Nous savons que nous n'avons pas présenté notre visage européen et c'est pour cela que nous avons hâte de jouer le match retour."
Saint-Étienne motus. Saint-Étienne prépare son rachat. Alors, un formidable sursaut d'orgueil est prévisible. Surtout de la part de Jean-Michel Larqué qui est au centre de la mini-crise stéphanoise, vite étouffée. Larqué, qui est le plus marqué, lors du premier entraînement après le match, à part, mains dans les poches de son survêtement, traîne les pieds, tourne en rond.
Christian Lopez l'appelle plusieurs fois et Larqué secoue la tête: "Je ne peux pas, j'ai mal"
Un trop plein d'amertume l'amène à la confession: "Ma défaillance physique est une surprise. Je pensais être prêt. Mais elle a été d'autant plus visible que j'évoluais à un poste inhabituel. Je crois que le dispositif défensif n'a pas été assez équilibré."
Petite critique de la stratégie, gommée aussitôt par une réserve: "Kiev a présenté des problèmes inconnus. C'est normal que nous ayons fait des erreurs".

Et puis, consécutivement à tous ces événements, une envie folle de tout oublier, et de recommencer. C'est presque une certitude: l'ASSE serrera les rangs jusqu'au 17. Silence et discipline.
Changement de décor pourtant à Saint-Étienne. A deux jours du match, les champions de France n'ont pas leur sérénité habituelle.
Ils semblent au contraire énervés, agacés, impatients. L'ASSE prépare son coup de commando.

- Sarra, tu dors , Sarra bats-toi. 
- Christian, tu fais n'importe quoi !
Paroles qui claquent. Un ton désagréable. Robert Herbin s'acharne sur sa tête de Turc du jour: Christian Sarramagna.
Et l'entraînement devient pénible. Les Stéphanois, divisés en 2 groupes de 6, s'affrontent sur un terrain de handball, dans un petit match où seule la tête est autorisée. L'exercice est classique à Saint-Etienne, mais l'agressivité est inhabituelle. Tous les Stéphanois paraissent nerveux, fébriles, excédés. Christian Sarramagna surtout, qui court dans tous les sens. Il n'est pas un spécialiste du jeu de tête. Il possède un pied gauche magique et cela suffit à faire de lui un footballeur talentueux. En ce moment, il se fait violence et Robby ne le lâche pas. Il le poursuit de ses piques acerbes. Il le pousse à bout. Quelques joueurs s'en mêlent, approuvent leur entraîneur par des gestes significatifs, donnent de la voix et interpellent à leur tour Sarramagna: "Sarra, fais attention, ce n'est vraiment pas possible"

Ambiance tendue à l'entraînement peu avant la rencontre face à Kiev

Fin de l'entraînement, Sarramagna fonce tête baissée vers les vestiaires. Il a l'air furieux et profondèment vexé: "Encore une fois, c'est moi qui ai payé. J'en ai marre ! Un jour, je quitterai l'entraînement et on ne me reverra plus. Je n'ai même plus envie de jouer."
Pendant ce temps-là, l'ambiance n'est pas très joyeuse non plus dans la salle des soins. Le masseur du club alterne le chaud et le froid sur le mollet de Dominique Rocheteau. Oeil triste et propos pessimistes: "Je commence à m'inquiéter. Je pense sans arrêt au match, mais j'ai toujours mal. Décision mercredi matin. Ce n'est vraiment pas une préparation idéale." Pessimiste Ange Vert.

Plus loin Curko dit: "Qu'est-ce que ça peut faire si Rocheteau ne joue pas ? Patrick Revelli l'a prouvé: il a la classe"
Patrick Revelli hausse les épaules, il fait de l'ironie, la voix est mal assurée: "Tout le monde dans cette équipe a maintenant sa place bien déterminée. Mais on continue à me balader d'un poste à l'autre. Ou alors, on me remet sur la touche"
Soupir. Puis il ajoute plus fort: "Que je joue ou que je ne joue pas, ça m'est bien égal" Et il s'en va, en traînant des pieds, l'allure faussement décontractée.

C'est l'ASSE qui s'énerve, danse d'un pied sur l'autre, tourne en rond an voyant arriver le Dynamo Kiev. Saint-Étienne transformée par l'impatience. Et les Stéphanois se chamaillent en attendant l'exutoire: le choc, délivrance des passions mal contenues. Une agitation nouvelle qui tranche brutalement avec le calme plat de la fameuse sérénité stéphanoise. Une mini-tempête, certainement provoquée volontairement.
Robby dit trop souvent: "Mes joueurs vont bousculer les Soviétiques." pour que ça ne dénote pas un climat entretenu sciemment. Dans la fièvre, les Stéphanois préparent une psychose-commando. L'esprit guerrier de Split est recréé. La promesse d'un match combat chargé de violence. Robby ne le cache pas en déclarant qu'il faudra jouer le tout pour le tout.

Onze hommes pour un miracle

Les faits du Match
Une ville, un stade. Une foule énorme qui hurle sa foi, qui crie sa confiance et qui pense que les miracles ont toujours lieu. A Geoffroy-Guichard, Robert Herbin enferme ses joueurs entre quatre murs.
Une consigne, une seul: pressing total. Dans les vestiaires, les Verts, concentrés à l’extrême, blêmes, silencieux, entendent les clameurs. Ils savent que ce soir encore, ils pourront puiser leur 12e force dans le soutien inconditionnel de 40.000 personnes enchaînées à leur cause. Car ils sont là, certains depuis 4 ou 5 heures. Ils sont venus de partout, de Saint-Étienne, de la région, des 4 coins de France, pour gagner leur match, gagner un peu celui des Verts. C’est un spectacle qui ne s’écrit pas, car on ne peut traduire l'émotion, les coups de cœur aussi fortement que les spectateurs les ont ressentis ce soir-là. Les Verts sont décidés à prendre tous les risques. Et tout leur réussit. Il fait chaud dans le Chaudron, comme il faisait triste et froid à Simferopol.


Larqué, en bon capitaine, échange le fanion du match avec
son homologue soviétique (photo L'Équipe)

Les premières minutes sont haletantes car on les voudrait décisives. Les Soviétiques sont pris à la gorge. La domination stéphanoise est totale, souveraine, beaucoup plus massive et spectaculaire que celle du Dynamo à Simferopol. La tension monte à chaque accélération des Verts. Les Soviétiques, froids, calculateurs, n’ont pas le loisir de raisonner. Pas question de pouvoir geler le jeu devant le pressing incessant des diables verts. Osvaldo Piazza déchire la défense de Kiev mais Larqué ne peut exploiter la situation. Farison, qui a abandonné le marquage d'Onitchenko, pique au centre et tire dans la foulée. Rudakov concède le corner.

Deux minutes plus tard, Larqué expédie un tir-canon. Rudakov ne peut bloquer mais Rejko sauve de justesse devant Hervé Revelli.
Après cette flambée initiale, l'ASSE éprouve légitimement le besoin de souffler. Rocheteau (tête), Farison (tir) sont encore dangereux mais ce sont les Soviétiques qui terminent le plus fort cette mi-temps par deux actions de l'inévitable Blokhine. Janvion et Curkovic veillent. Les Verts regagnent les vestiaires comme à regret. 0-0 à la mi-temps.

Durant le repos, les spécialistes font la grimace mais il n'est pas un spectateur pour se résoudre à l'élimination. De son côté, Herbin conseille ses hommes: "Prenez patience, continuez, ça va passer".
A la reprise, Patrick Revelli remplace Sarramagna, blessé à la cheville. Le jeu reprend sur le même mode: calme soviétique, pression stéphanoise. Les minutes passent trop vite. Rocheteau, Larqué provoquent des arrêts-réflexes de Rudakov mais rien ne passe. Les Ukrainiens font circuler le ballon par un redoublement de passes latérales. Voilà même qu’ils tentent quelques incursions offensives. Et le doute commence à s’insinuer. D’autant que Rudakov, l’immense gardien du Dynamo (1,92 m) réussit le sans-faute.


Vladimir Veremeev s'infiltre entre Piazza et Rocheteau.
Le Dynamo résiste bien.

On en arrive alors à cette fabuleuse 65e minute qui restera historique dans les annales du club.
Oleg Blokhine, en position de contre, a récupéré le ballon sur l'aile droite. Il grille Janvion. Il file balle au pied et élimine Lopez, le dernier défenseur, d’une petite feinte. Le but s’ouvre devant lui à 50 mètres, avec le seul Ivan Curkovic, qui a toutefois réduit l'angle, pour le défendre. Blokhine n'est pas homme à rater ce genre de duel. Il est le Ballon d'Or et un buteur expérimenté. Tout le monde voit déjà le ballon au fond des filets. C'est la fin.

Mais non.

Au lieu de tirer au but, ou de passer la balle à Onitchenko qui est lui aussi seul sur sa gauche, Blokhine commet le pêché d’orgueil. Il fignole, tente de crocheter à nouveau Lopez, revenu à toutes jambes. L’erreur fatale… Lopez lui souffle le ballon. Dans le contre qu’il amorce, il transmet à Piazza, lequel, crinière au vent, lance Patrick Revelli qui, sans contrôle et de l’extérieur du pied réussit, d’une pichenette, à prolonger le ballon vers son frère Hervé. Rejko est lobé. Piazza est là, mais Hervé Revelli est le plus prompt. Déporté sur la gauche, il tire instantanément avec précision. Rudakov resté figé sur sa ligne, battu. Le stade explose, croule sous l'ovation.


Le tournant décisif du match: un but historique empêché

L'action commentée en direct par Thierry Roland

Quelques secondes se sont écoulées entre l'incroyable occasion de Blokhine et l'exploit d'Hervé Revelli. Une minute entre le drame et l'espoir, la minute la plus folle qu'un match de cette importance ait jamais fournie. Si Blokhine avait concrétisé sa magnifique percée qui devait être la seule menace véritable pour le but de Curkovic, la tâche des Stéphanois serait devenue insurmontabe. Il aurait fallu qu'ils marquent 4 buts en 25 minutes pour espérer se qualifier. A la place, il ne leur en reste plus qu'un à inscrire dans le même temps pour accrocher la prolongation.

Il ne reste que 25 minutes à jouer. L'ASSE trouve alors son second souffle dans un stade en délire. Les Soviétiques sentent la panique les gagner. Cinq minutes après le but de l'espoir, Hervé Revelli, à la hauteur des 18 mètres, est bousculé par Rejko et bénéficie d’un coup-franc en position idéale. A 20 mètres, dans l’axe du but, Larqué se précipite sur le ballon. Rocheteau lui indique un espace sur la droite, Larqué brosse la balle de l’intérieur et le ballon part, comme téléguidé. Il s'engouffre avec une précision diabolique au ras du poteau gauche de Rudakov. C'est comme si le tonnerre éclatait dans le stade. Larqué est submergé sous l’étreinte de ses coéquipiers. Tout est à refaire pour les Soviétiques. Tout recommence pour l'ASSE.


Sur coup-franc, Larqué efface la dette du match aller

Le dernier quart d'heure de ce match au couteau, Hitchcock lui-même ne l'aurait pas désavoué. La qualification se trouve sur une lame de rasoir, prête à basculer dans l'un ou l'autre camp. Celui qui marque gagne. Car personne ne se laissera rattraper au score.
Larqué doit quitter le terrain à la 80e minute à cause d’une contracture. Jacques Santini le remplace. Se noue alors un petit drame, car Rocheteau est blessé lui aussi. Il souffre du mollet mais il est contraint de rester à son poste. Seuls deux changements sont possibles à l'époque. Il faut serrer les dents.
Hervé Revelli devient capitaine. Il le sera pour une prolongation de légende car le coup de sifflet final de l'arbitre vient apporter le soulagement dans des coeurs qui battent trop vite.

Ces images d'avant-prolongations resteront dans les mémoires de tous les spectateurs et téléspectateurs de l'époque. En effet, c’est une équipe vidée qui s’affale sur le terrain. Images hallucinantes. Poty, le toubib, Chassagne et Filliol, les masseurs, vont de l’un à l’autre. On se passe des bouteilles d’eau. Les Stéphanois, couchés, assis, le visage dans les mains, les yeux cernés, paraissent au bout des limites de la résistance humaine.
Herbin conseille, encourage. Janvion a des crampes. Hervé Revelli aussi. Cette longue marche prend des allures de chemin de croix. Au rappel de l’arbitre, c’est une équipe encore groggy mais régénérée moralement qui s’élance pour le rush final.


"Non Chérie, ce n'est pas ce que tu crois !"

A coups de souffrance, de douleur, de sueur, ils tiennent tête dans un premier temps aux assauts de Soviétiques, soudain revigorés.
Rocheteau est sur une jambe. Il demande à sortir, Herbin ne l’entend pas. On assiste à la dramatique la plus palpitante de l'année. Puis Piazza tombe à son tour, vaincu par les crampes et les coups. Mais la foule, qui s’abandonne, l’oblige à se relever. Kiev en profite pour lancer quelques flèches mais Curkovic sort le grand jeu notamment sur un tir de Matvienko. Fin de la première prolongation.

Et puis, voilà la 112e minute. Santini est frais, sur l’aile droite il réalise un petit chef d'oeuvre technique, évite Konkov, attire deux défenseurs et glisse le ballon entre eux à Patrick Revelli. Le parcours de l'indomptable Patrick est extraordinaire de détermination. Il élimine d'un dribble long Trochkine, à quelques centimètres de la ligne de but. La balle paraît même sortir. Mais il redresse le ballon dans un effort désespéré et centre en retrait. Son frère Hervé, s'est précipité, attirant à lui deux défenseurs. Et Dominique Rocheteau est là, seul au point de pénalty. A force de marcher, il a été oublié. L'erreur qui ne pardonne pas. L'Ange Vert reprend instantanément de l'intérieur du pied droit. Le ballon file. Les filets tremblent. La folie dans les tribunes, les coeurs qui chavirent.


Le but au bout du pied. La qualification au bout des limites physiques

Il reste 8 minutes à jouer, angoissantes, éprouvantes.
Les Soviétiques, plus fatigués qu'on pouvait le penser, se montrent incapables de coordonner leurs actions. D'autant que l'arbitre italien avait oublié de siffler un pénalty pour fauchage d'Onitchenko par Bathenay à la 102e et privé les Ukrainiens d'une seconde chance de but. On ne sait quel miracle d'énergie permettra aux Stéphanois d'éloigner le ballon, chaque fois et toujours, jusqu'à ce que M. Gonella délivre les supporters. S'ensuit alors, une inoubliable ovation qui ne s'arrête que 8 minutes après. L'ASSE vient de repousser les limites du possible.
Le monstre soviétique est abattu et il ne comprend pas. Split non plus n'avait pas compris.

Tous ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour éliminer une formation soviétique sans conteste supérieure à sa rivale mais qui a perdu toute sa maîtrise collective face à l'emprise déterminée des Français.
Ce succès gigantesque, ce triomphe inimaginable d'une équipe qui a su conjuguer ses forces jusqu'à l'épuisement total, sensibilise l'hexagone tout entier. Le lendemain, dans l'envoi du volumineux courrier que l'exploit suscite, un télégramme témoigne de l'audience de l'événement: "Bravo Saint-Étienne". Il est signé du Président de la République, Valéry Giscard d'Estaing.

L'analyse tactique du match
Une nouvelle fois, les Stéphanois se sont mis à l'heure hollandaise: c'est-à-dire à la pratique d'un pressing constant qui consiste à faire jouer l'adversaire dans son propre camp. Il est évident que l'habitude qu'ont les joueurs de Kiev, en fait l'équipe de l'URSS, de geler le ballon dans leur propre camp, de le faire tourner en attendant de trouver la faille pour placer la contre attaque, convenait fort bien aux intentions stéphanoises de ne leur laisser aucun répit. On assista constamment à des erreurs de passes, courtes ou longues, à des paniques exprimées dans des dégagements en touche ou dans les tribunes, ou à des renvois si hasardeux qu'ils firent en général le bonheur de Lopez ou de Piazza, sans adversaire dans l'axe central, et qui pouvaient en toute quiétude aider Janvion dans sa surveillance, très virile, de Blokhine et Farison dans celle d'Onitchenko.

Maîtres du ballon la plupart du temps, face à 11 adversaires très vite repliés dans leur camp, comment les Stéphanois tels qu'on les connaît pouvaient-ils prendre à défaut les Soviétiques, littéralement barricadés ? Quand Lopez recevait une passe à la main de Curkovic qui d'ailleurs effectua un minimum de dégagements au pied, Hervé Revelli se tenait déjà dans les 18 mètres adverses, dans bien des cas en compagnie de son garde du corps Rechko et du libéro Fomienko. De même, Blokhine et Onitchenko participaient activement au travail défensif. Ne vit-on pas Farison tirer au but d'environ 30 mètres alors qu'il était poursuivi par Blokhine ? Il est évident que dans de telles conditions tactiques, l'utilisation des ailes s'imposait.


Le héros du match, Dominique Rocheteau, face à Mikhaïl Fomienko

Mais, durant la première mi-temps, ni Rocheteau, très étroitement surveillé et qui a besoin de champ, ni Sarramagna touché au bout d'un quart d'heure par Onitchenko, ne purent déborder. Si bien que les centres véritables furent rares. Pourtant sur l'un deux (15e), Hervé Revelli laissa filer la balle de Rocheteau entre ses jambes pour Farison qui fut contré, comme il l'avait fait en faveur de Larqué qui avait mené une action en tandem avec Piazza quelques minutes auparavant. Hervé Revelli, qui devait faire un grand match dans un rôle très difficile à la pointe du combat, la plupart du temps dos au but adverse, et à la lutte sur toutes les balles aériennes, parfois victorieusement, avait pour charge de remiser en retrait ou de dévier comme il excelle à le faire. Il est heureux que l'aîné des Revelli pour son 26e match de Coupe d'Europe ait reçu la première ovation du public. A l'annonce de la composition des équipes, il avait été le seul, après tous les Soviétiques, à avoir entendu les sifflets... Appelé à sauter, à dévier, à devancer, à couper, à poursuivre, à recevoir le ballon dans les conditions les plus mauvaises, et dans la zone la plus chaude, il marqua un but tout en finesse. Surgissant au rebond du ballon, d'une poussée de la poitrine, il s'ouvrit le chemin du but. Et d'un revers, comme on le fait au tennis-ballon, il assura le coup et prépara la suite. On souhaitera que ceux qui le critiquaient injustement aient enfin compris l'ingratitude de son rôle mais également sa grande utilité. Sa position, et la fixation permanente de deux adversairs facilitèrent les percées dans l'axe central où s'illustrèrent Piazza, Farison, auteur de deux tirs dans le cadre, ainsi que Jean-Michel Larqué jusqu'à la mi-temps.

Ensuite, l'entrée en jeu de Patrick Revelli permit d'élargir le champ de jeu et le danger se rapprocha du but de Rudakov qui eut à repousser des centres plus précis, des tirs très durs, notamment de Larqué, et vit passer, au ras du poteau deux essais de Piazza et Farison avant la 64e minute. Il fallut attendre le second but pour voir les Soviétiques abandonner cette prudence habituelle, dont il ne faudrait pas oublier qu'elle leur avait toujours réussi jusqu'ici, y compris dans les deux matchs contre le Bayern. Dès lors, l'occupation du terrain fut plus équilibrée, mais les meilleurs mouvements furent à metttre au crédit des Stéphanois. Et plus particulièrement de Patrick Revelli, avant et pendant les prolongations, soit par l'intermédiaire de une-deux avec Rocheteau, son frère, Piazza ou Synaeghel, avant son action décisive. Il reste que M. Gonella ne voulut pas voir le pénalty de la 102e minute. Estimait-il qu'il aurait fait un véritable cadeau aux Ukrainiens s'il avait sanctionné la faute ou craignait-il la réaction du public ? Car il est indiscutable qu'il y eut une communion entre ce public tout acquis et les joueurs. Il y avait plus de 37.000 spectateurs dans ce stade fort bien conçu pour le football, jusque sur les toits, ce qui est fort dangereux mais tellement révélateur de la ferveur verte...


Les Stéphanois euphoriques, les Soviétiques abattus.
Le match vient de basculer du côté français

Ils ont dit
Robert Herbin: "J’avais dans l’idée que nous pouvions détraquer l’ordinateur de Kiev, nous possédions une petite chance de succès. Pour cela, il fallait que les joueurs, par leur volonté, leurs assauts incessants, perturbent psychologiquement les Russes. Ils ont été admirables et Kiev a été assommé. Ce match, par ses rebondissements, ses qualités techniques, a été à mon sens un spectacle total dans l’idéal du football"

Dominique Rocheteau: "Le samedi précédent, le niçois Douis m'avait blessé au mollet et je n'étais pas certain de jouer en Coupe d'Europe, ou du moins je pensais ne pas pouvoir tenir toute la rencontre. Je me suis soigné énergiquement et puis... ce fut l'engrenage. Nous sommes entrés sur le terrain surmotivés. Nous avons tout tenté en 1ère mi-temps, sans résultat. Il faut bien avouer que nous avons pratiqué un hourra football au détriment d'un jeu très élaboré. Mais nous avons tant poussé que les Soviétiques ont fini par craquer. La chance était encore au rendez-vous. Personnellement, je suis allé au-delà de mes possibilités physiques. Je voulais sortir avant les prolongations. La douleur et les crampes au mollet étaient insoutenables. Je marchais sur les talons ! Herbin, pourtant, a refusé que je quitte le terrain. Il m'a demandé de rester en embuscade... Et puis, je l'ai vue arriver, cette balle. En face, Rudakov m'a paru énorme dans sa cage. Je ne sais plus si j'ai repris le centre de Patrick de volée ou si j'ai attendu le rebond... Ensuite, insensible à la douleur, je suis parti comme un fou crier ma joie avant de m'effondrer dans les vestiaires en pleurant..."


Hervé et Patrick Revelli auront ouvert la voie aux succès des Verts

Sources
- Coupes d’Europe Story Les Verts 1957-1981 - Patrick Mahé et Dominique Grimault - RTL
- ASSE Vice-Champion d’Europe 75-76 - ASSE
- Dominique Rocheteau - Christian Deville-Cavelin
- La fabuleuse histoire de Saint-Etienne - Gérard le Scour, Patrick Mahé, Robert Nataf
- Miroir du Football n°260