Sixième épisode des confessions d'Helder Postiga à son docteur, par Rising42. A savourer sans modération !
Allo ! Docteur !
Oui, je sais, c’est encore moi, Helder Postiga.
Je vous appelle de Geoffroy Guichard. Je suis dans la voiture, pour rester discret.
Je suis désolé de venir vous embêter chez vous, mais j’ai un grave problème de conscience. Et chez moi, la conscience agit directement sur le mental et donc sur le moral. Vous me suivez ? Alors, enfilez vos charentaises et installez vous dans votre fauteuil préféré, parce que quand vous allez entendre ce que j’ai à vous dire, vous aurez besoin au minimum de votre confort, et au pire d’une tente à oxygène et d’une équipe de réanimation du SAMU.
Donc voilà. Durant la semaine qui précédait le match contre Paris Saint Germain, j’étais tranquillement installé chez moi à faire mes devoirs de français, quand on frappe à la porte… Quand je dis on frappe, c’est pour ne pas aborder le problème d’une manière trop brutale… En fait, ma porte a été soufflée par une explosion… Au bout de quelques secondes, il m’a semblé apercevoir une silhouette sombre encore estompée par la fumée, et une voix qui grondait mon nom, sur un ton traînant : Heldeeeer… Heldeeeeeer… Je ne vous dis même pas, Docteur… J’ai attrapé mon chapelet avec la médaille de Fatima dans le tiroir et je suis passé sous la table… Là, j’ai décidé d’attendre en commençant mes prières :
Cumprimento-vos Maria Cheia de Graça...
Mais je n’ai pas pu dire d’autres mots quand je me suis mis à éternuer… Et là, par-dessous la nappe qui me cachait, j’ai vu apparaître deux chaussures noires avec une main qui en ôtait la poussière avec un mouchoir. J’ai alors arrêté de respirer, et j’ai pincé mon nez afin d’éviter encore d’éternuer. J’ai bloqué ma mâchoire d’une main pour éviter de faire du bruit avec mes dents qui claquaient comme des castagnettes. Mais lorsque je commençais à devenir écarlate, la main est passée sous la nappe, vive comme l’éclair, m’a attrapé par une oreille, et m’a extrait de mon repaire à une vitesse de satellisation. Comme dans La Guerre des Etoiles . Et là, je me suis trouvé nez à nez avec un personnage pas très grand, tout vêtu de noir, un peu confortable, au crâne totalement dégarni et avec une paire de lunettes noires sur le nez. Sur le coup, Docteur, malgré les lunettes, il m’a semblé que cette silhouette me disait quelque chose. Mais impossible de me rappeler de quoi que ce soit. J’étais tétanisé. L’homme s’est alors mis à me parler… Avec un accent bizarre… Pas italien, mais plus lent, avec des intonations descendantes... On aurait dit un peu Don Corleone, mais avec une voix plus douce… Sans l’angine si vous voulez… Et puis, l’homme me parlait en évitant de me regardant bien en face… Il ne devait pas y voir trop clair à cause des lunettes… Qu’est-ce qu’il m’a dit ? J’y viens, Docteur…
Ce type n’était pas très net du côté de la cervelle… Dommage, Docteur, vous avez loupé un client… Il a commencé à me parler de l’honneur, et puis aussi de l’honneur, et encore de l’honneur… Et puis il a utilisé un mot que je ne connaissais pas… Vendetta… Et puis il m’a parlé de dette, de parole… Pour finir son discours moralisateur par une phrase que je vous rapporte telle quelle : U sangue chere u sangue. Ce que je crois pouvoir traduire, à partir du portugais, par : Le sang appelle le sang.
Et là, Docteur, j’ai avalé ma salive de travers… J’ai failli m’étouffer… J’étais plié en deux, presque à genoux… Alors, Don Corleone m’a relevé, m’a approché très près de son nez et m’a dit très clairement :
- Heldeeeer, tu conné le éfèlèneucé ? Helder, je te cauuuuseu… Ne fé pas le maliiin… Tu fé commeu tu veuuux… Mais si tu jouuues le quatoooorzeu févrié contreuu Niiiiizza, tu es un hommeuuu mort…Tu m’as bien compris, Heldeeeeer...
Et là, il m’a fait un geste qui mimait un couteau qui tranchait sa gorge, puis il m’a envoyé comme un projectile à travers la pièce et j’ai fini dans la plante verte que je venais juste d’acheter chez Ikea… Vous connaissez Ikea, Docteur ?... Ils vendent même des plantes vertes… Heureusement que je n’avais pas acheté le cactus géant mexicain qui était en promotion… Pardon ? Qu’est-ce que vous dites, Docteur ? Aaah, d’accord, j’en reviens aux faits. Donc, après avoir pulvérisé la plante, je suis resté immobile… J’ai fait le mort… Et le dingue est parti… Je vous laisse imaginer la tête de la femme de ménache le lendemain matin. J’ai bien regretté de ne pas avoir demandé à Piquionne de venir dîner… Sa tête m’aurait bien été utile. Je l’aime bien Fred, mais vous comprenez, Docteur, je ne l’invite plus parce qu’à chaque fois qu’il vient les voisins se sentent obligés de mettre leur casque dans l’ascenseur et les enfants pleurent.
Enfin, voilà. Donc, j’ai eu très peur. Je n’ai rien dit à personne. J’ai bien réfléchi… Et j’ai décidé de tout faire pour prendre un troisième carton jaune contre Paris Saint Germain pour ne pas avoir à joueur contre Nice… J’ai donné un coup de pied au premier Parisien qui passait pas trop loin, et l’affaire était dans la poche. J’avais calculé mon coup en tenant compte des décisions fulgurantes de la commission de discipline. Voilà... Mission accomplie… Suspendu contre Nice. Mais c’est là que j’ai un problème de conscience, parce que j’ai l’impression de ne pas avoir été honnête avec mon club et le public qui semble bien m’aimer. Aaah, ok, Docteur, vous pensez que j’ai bien fait…. Qu’il fallait que j’assure avant tout ma sécurité… Que je n’ai pas triché avec le club puisque j’ai été menacé… Aaaah, je suis content, Docteur… Vous me rassurez… Mais ce n’est pas tout, Docteur… Attendez la suite… Ce n’est pas triste du tout.
Alors, Mardi je suis quand même allé au stade pour le match contre Nice, histoire d’encourager mes copains, parce que je savais que ce serait difficile pour eux tant l’équipe était diminuée. Un peu avant que le match ne débute j’allais dans le vestiaire des Verts, pour être là avec eux. Et plus j’avançais dans les couloirs plus je sentais une drôle d’odeur… Une odeur un peu forte… Je n’y croyais pas… Mais, si, c’était bien çà… Vous parlez, Docteur, j’ai l’habitude au Portugal, il y en a plein dans les campagnes de l’arrière-pays de Porto… Oui, Docteur… Je parle bien des chèvres… Je suis sûr que ça sentait la chèvre… Insoutenable… J’ai rencontré Loïc… Je lui ai demandé s’il ne sentait rien… Et il me dit tout naturellement… :
- Si, ça sent la chèvre… C’est Antonetti, le berger Corse, qui est venu avec son troupeau de chèvres niçoises… Avant, il gardait les chèvres du Forez, et comme il ne voulait plus se contenter de garder les chèvres et qu’il voulait aussi se faire de l’argent avec le lait et les fromages, il est parti à Nice où on a accédé à ses exigences et où on lui a confié un nouveau troupeau.
J’étais interloqué. J’ai dit à Loïc qu’Antonetti n’était pas berger mais entraîneur ; il m’a répondu que je me trompais et il m’a dit de demander aux supporters du Kop Sud, puisque ce sont eux qui avaient dévoilé la vrai fonction d’Antonetti. Je n’ai pas tout compris, Docteur… J’ai dû rater un épisode…
Alors je décidais de rejoindre la tribune officielle où l’on m’avait réservé une place, lorsque dans le couloir je croise un petit bonhomme bien en chair, dans le style mannequin de chez Fleury Michon, qui me lance un regard assassin. Il m’a tout de suite semblé l’avoir déjà vu quelque part. Mais, alors où ?… Impossible de me rappeler… Au moment où nos deux visages se trouvent à la même hauteur, il me fait un geste de la main qui imite un couteau qui tranche sa gorge… Mais où est-ce que j’avais bien pu rencontrer ce type ?… Perplexe, je rejoignais la tribune.
Alors là, Docteur, je ne vous dis même pas… La tribune officielle… Des sièges avec de beaux coussins rouges, comme à Lyon, d’après Piquionne qui connaît bien, avec les noms des gens inscrits dessus. Il y avait même des noms d’entreprises. Et puis un peu plus haut, des salons avec des hôtesses comme dans les avions, présentant des plateaux surchargés de petites choses diététiquement discutables, de flûtes de Champagne, et tout un beau monde guindé qui se goinfrait le petit doigt en l’air et le cul en pointe… Docteur, j’ai bien l’impression qu’ils étaient pauvres et affamés, car ils se précipitaient tous sur les plateaux et les buffets pour ingurgiter un maximum de nourriture dans un bruit de gamelle de chien, comme s’ils n’avaient pas mangé depuis plusieurs jours, ou comme s’ils avaient la crainte que tout ne disparaisse avant qu’ils n’aient pu se remplir. J’ai vu la même avidité dans un reportage sur les aides humanitaires en Ethiopie, où ces pauvres gens se piétinaient pour atteindre un semblant de nourriture pour survivre. On m’avait dit que Saint Etienne était un club populaire… Eh bien, c’était très au-delà… Les gens ici ont faim…
Et puis, Docteur, c’est incroyable, mais j’ai vu arriver le petit excité négativement positif avec l’écharpe vert et son clone loupé et frisé, qui dit oui, qui dit non, comme l’horloge de la chanson. IlS sont directement allés s’asseoir dans un lieu protégé tout au centre de la tribune officielle, avec des fleurs et des plantes vertes qui l’encadrent comme un écrin. Docteur, vous vous rappelez le mausolée de Lénine à Moscou avec les dignitaires séniles du Parti qui trônaient à son sommet… Eh bien, c’était un peu comme ça. En tout cas, je me demande bien qui sont ces deux clowns tristes qui traînent derrière eux une cour affamée.
Les équipes entrent sur le terrain. Tout le monde se serre la main. Et là, je vois le type que j’ai croisé dans le couloir qui prend la place de l’entraîneur niçois, Antonetti, qui ne semble pas être là. Ce ne peut pas être Antonnetti, car il est beaucoup trop gras pour faire du sport. Ce gars-là n’a vraiment pas d’éducation. Il serre la main de tout le monde, et il oublie souverainement de serrer celle de notre coach, qui me semblait tout disposé à lui sauter au cou. Je sens que nos affaires vont se corser. Le public qui, cette fois-ci n’a pas de message politique à faire passer, scande juste le nom d’Antonetti. Je ne comprends toujours rien.
Le match commence. Yahia et Perquis, qui ont dû perdre leurs lentilles de contact dans un choc, dégagent systématiquement la balle dans les tribunes… Si ça ne relance pas, au moins ça nettoie. Tout se passe d’une manière gentille… Rien à signaler, jusqu’à ce que, justement, l’arbitre se signale en sifflant un coup franc pour une faute inexistante. Je crains le pire sur le coup de pied arrêté qui s’en suit, car les défenseurs n’ont pas eu le temps de réviser les notes qu’ils avaient prises contre Nancy. Et ça n’a pas loupé. But… 0-1 pour Nice. Loïc tente bien de se révolter, avec l’aide d’Hellebuyck, un optimiste né, celui-là, mais il est difficile pour deux joueurs de traîner un fardeau lourd et endormi. Voilà la mi-temps. Je bénis le ciel de ne pas être dans les vestiaires, car le discours du coach doit être déchirant et il doit être tout prêt de bouffer une nouvelle casquette. Tout le beau monde de la tribune officielle en profite pour se précipiter sur le buffet qui a été regarni, et recommence à se remplir, sans doute pour tenir jusqu’au prochain match. Le plus drôle c’est qu’ils mangent tous, mais aucun ne parle du match. Ils parlent affaires, contrats, finances, complots… Un vrai gouvernement en exercice.
La deuxième mi-temps reprend. Soporifique. Nice ne joue plus, paraissant se contenter du résultat. Les Verts tentent quelques attaques brouillonnent. L’arbitre se mélanges les neurones… Il oublie un pénalty évident pour nous, pour une faute de main involontaire d’un Niçois dans la surface, comme celle de Perquis contre Nancy. Il siffle des fautes sans cesse à l’avantage des Niçois. Zokora, notre dernier archéologue , revenu enfin de son colloque du Caire, entre en jeu, et donne un peu de stabilité à la défense. Et tout doucement, nous filons tranquilles vers la fin du match.
C’est alors qu’à quinze minutes de la fin, la tribune officielle commence à se vider. Les ventres sont bien remplis maintenant pour faire une bonne nuit ronflante. Les spectateurs des tribunes latérales sifflent, comme des nantis mal élevés, insatisfaits du spectacle qu’ils ont payé, tels les actionnaires mécontents des cours de la Bourse. Le Kop Sud scande le nom d’Antonetti bien avant la fin du match. Ils n’ont toujours pas vu que le gros en bas a pris sa place. Les Verts ont les jambes coupés. C’est fini. Piètre comédie...
Je suis bien déçu. Je n’avais pas eu cette vision en venant ici. Jusqu’à maintenant je croyais que j’étais devenu fou… Mais je me demande si ce n’est pas toute la ville qui est folle en réalité… Docteur n’allez pas à Nancy… Restez bien ici… Votre gloire future est ici… Ils vont avoir besoin de vous.
Bon, moi je garde le moral. Le prochain match sera difficile. Je serais là. Et je ne serai pas embêté par le efèlèneucé. J’ai un nouveau maillot, et je veux lui faire honneur.
Tout ça reste entre nous, hein, Docteur ?
On se voit quand, Docteur ?