Cinquième épisode des confessions d'Helder Postiga à son docteur, par Rising42. A savourer sans modération !


Allo ! Docteur !

Youhou, Docteur ! C’est Helder Postiga !

Je vous appelle de Nancy, la capitale de…… euh, de quoi au fait ?… Attendez, je cherche dans mon dictionnaire que j’ai acheté chez Maxi-Livres-Mini-Prix-Mais-Il-Fait-Le-Minimum…Alors… Nancy… Voyons… Voilà… Capitale de la Lorraine. Lauren Bancale aurait passé ses vacances dans le coin, ce qui explique le nom de la région, et l’état de délabrement et de catastrophe naturelle de la banlieue nancéenne. Nancy est aussi la Préfecture du département de Meurtre et Mozzarelle, qui tient son nom d’une part du nombre impressionnant de crimes commis dans la région, en raison de l’ambiance morbide, des brouillards abondants, et des hululements des chouettes qui rendent les gens fous, et d’autre part de la présence de nombreux Italiens, dont le plus célèbre fut Michel Platini. Heureusement, le centre de la ville est très beau, avec tout plein d’immeubles en pierres. On a tout juste eu le temps de visiter la place Stanislas, bordée de palais construits par Michel Platini avec l’immense fortune qu’il a gagnée lorsqu’il jouait à la Juventus de Turin, après avoir commencé à taper dans un ballon dans sa ville natale, puis s’être fait des muscles, de la cervelle et une certaine notoriété à Saint Etienne. Ceci explique que depuis Platini, de nombreux joueurs viennent à Saint Etienne pour apprendre leur métier et pour se faire connaître, en raison du prestige des Verts, pour, par la suite, être recrutés par des clubs riches qui gagnent, et devenir ainsi imposables sur les grandes fortunes. Ensuite nous avons visité la place Stanislas, et puis également la place Stanislas… Pour terminer par la place Stanislas. C’est marrant ici, les places portent toutes le même nom et ont toutes la même apparence.

Il faut que je vous raconte aussi ce que m’a expliqué Loïc. Il paraît que Nancy a quelques points communs avec Saint Etienne :
- un tramway qui n’est jamais là, le sien étant toujours en panne, et le nôtre ayant disparu,
- une école des Mines, me dit-il, qui ne forme que des chômeurs, comme chez nous, puisque les mines ont été fermées,
- des environs dévastés par la crise économique et la Première Guerre mondiale, alors que chez nous, c’est le centre-ville qui a été bombardé, mais on ne sait pas par qui... D’ailleurs si quelqu’un a une piste, cela pourrait intéresser Loïc qui cherche les responsables de cette attaque lâche… Je lui ai dit qu’il faudrait concentrer ses investigations chez nos fourbes voisins de Lyon. Loïc était d’accord avec moi. Il m’a même expliqué que les Nancéens sont comme les Lyonnais… Ils ont la passion de la persécution et le culte de la prétention… Ils passent leur temps à pivoter sur eux-mêmes autour de leur nombril, pour se faire admirer du plus grand nombre, pour avoir la sensation que le monde gravite autour du leur, et pour mieux écouter pousser leurs cheveux. Un peu comme Zokora qui tourne sur lui-même pour garder la balle, et préparer des relances stériles. Loïc m’a même dit qu’ils adoraient mépriser et martyriser leurs voisins de Metz, parce que les Messins vivent dans des galeries de mines, ont le visage tout noir avec les yeux qui ressortent, et les mains… Je ne vous en parle même pas. Et puis, Docteur, vous connaissez le nom du stade de Nancy ? Hein ? Vous ne savez pas ? Le stade Marcel Picolle… Excusez-moi si je me marre, c’est nerveux. Remarquez, quand on voit la région, je comprends fort bien qu’ici les gens boivent. Ils n’ont pas beaucoup de choix : le suicide ou l’alcool. Et comme ils ont choisi l’alcool, on peut comprendre leur déconnection avec la convivialité et la réalité.
Voilà, Docteur, je vous invite vraiment à venir passer des vacances à Nancy… C’est moins loin que l’Afghanistan, mais tout aussi terrible et impitoyable.
Je vous appelle de l’aéroport, où nous sommes bloqués au sol dans l’attente du décollage prioritaire d’un vol massif de corbeaux, qui font escale ici pour reprendre des forces avant de rejoindre leur base de Silésie subcarpatique. Alors, entre deux pitreries de notre égyptologue Feindouno, le Toutankhamon du Forez, je me suis dit que j’allais profiter de cette attente d’une gaîté folle pour vous téléphoner et vous raconter un peu ma semaine.

Alors voilà. Lundi, comme il faisait toujours très froid et que le coach avait changé sa casquette contre un bonnet qui lui donnait l’air d’un pain de sucre, et le faisait rêver à Botafogo, le petit excité avec l’écharpe verte est venu nous voir en nous disant qu’il nous payait quelques jours pour aller glander dans les Andes. Moi, j’ai tout de suite hurlé que c’était totalement idiot car il fait bien plus froid dans les Andes qu’ici, et puis là-bas il y a plein de lamas qui vous crachent à la gueule. J’ai lu ça dans un livre philosophique dessiné par un Belge... C’est vous dire si c’est sérieux. Alors, le coach a ôté son bonnet, l’a jeté à terre et s’est mis à le piétiner frénétiquement en criant après moi, et m’ordonnant d’arrêter de faire des commentaires sur tout ce qui se disait. Donc, très fâché, j’ai fermé ma gueule… Jusqu’à ce que Ilunga, notre autre égyptologue et expert en géographie, m’ait expliqué que l’on allait pas dans les Andes, mais dans les Landes, une région dans le Sud-Ouest de la France. Fouilla, m’écriais-je, mais quelle basseuille je fais !... Alors, là, j’étais content… J’allais enfin revoir l’océan… Parce que moi l’océan ça me connaît. Je suis né tout au bord... L’odeur de l’océan, de la marée, de la morue… Aaah toute mon enfance !... Comme on chante chez nous : E aquilo sente o bacalhau até no coração das fritas… Ce qui signifie : Et ça sent la morue jusque dans le cœur des frites… Docteur, il faut vous mettre au portugais… Je vous donnerai des cours pour payer mes consultations.

Il faut que je vous dise, Docteur, que je n’ai pas apprécié un truc. Quand nous sommes arrivés dans les Landes, on nous a reçus dans un endroit où il était inscrit à l’entrée : C.R.S. Centre de Rééducation du Sport. Je ne comprends pas pourquoi on nous mettait dans un camp gardé par les C.R.S. . C’est Piquionne qui devait aller dans un centre de rééducation, pas nous. Le coach nous dit sans arrêt qu’il faut que nous soyons solidaires… C’est bien gentil ça… Mais alors si Piquionne fend la tête d’un arbitre, moi je ne veux quand même pas aller sur la chaise électrique avec lui par solidarité. Et puis, Docteur, je n’ai pas osé le dire, mais je crois bien qu’on s’est trompé d’avion, parce que le pénitencier se trouvait à Cap Breton… J’ai bien vu la pancarte à l’entrée du bagne. On peut me dire ce que l’on veut, mais nous étions bien en Bretagne.. Et personne ne s’en est rendu compte. Heureusement que je reste lucide, moi, Docteur. Sinon, j’étais bien content parce que jeudi matin, Feindouno nous a rejoints. Il a pris un charter égyptien ce qui explique son arrivée tardive, après avoir fait escale à Melbourne, New Delhi, Santiago du Chili, Périgueux et Bordeaux, et le tout pour pas cher et sans se casser la gueule. Il est rentré bredouille d’Egypte, d’après ce que j’ai compris… C’est un peu normal, parce qu’en Egypte, il y a tellement d’illuminés qui fouillent et qui ne trouvent rien, vous pensez bien qu’en un mois il n’allait quand même pas tomber sur une pyramide inconnue. Mais il avait bien le moral quand même… Il chante sans arrêt… Des trucs bien joyeux… Mais ce que je ne comprends pas c’est que Janot n’a pas de crise d’hystérie quand Feindouno chante. Remarquez bien que je m’en fiche un peu, parce que maintenant, nous sommes deux artistes. Enfin quatre avec le coach et Omar, le chien du gardien. Je n’ai pas encore osé reprendre mon répertoire, mais je crois bien que je vais m’y remettre, avec un fado gai. Tenez, Docteur, écoutez un peu :

Quanto canto não penso
No que a vida é de má,
Nem sequer me pertenço,
Nem o mal se me dá.
Chego a querer a verdade
E a sonhar - sonho imenso -
Que tudo é felicidade
E tristeza não há…


Quand je chante je ne pense pas
A ce que la vie a de mauvais
Je ne m'appartiens plus,
Même le mal ne peut m'atteindre.
J'en arrive à vouloir la vérité
Et à rêver - rêve immense-
Que tout n'est que bonheur
Et que de tristesse il n'y a pas.


Je sais pas vous, Docteur, mais moi ça me remonte.

Samedi, nous sommes enfin arrivés à Nancy pour jouer notre match de la semaine. Nous avons quitté le Centre pénitenciaire avec finalement quelques regrets, parce qu’on y faisait des balades sous les pins, on y jouait sur de bonnes pelouses et le coach mangeait des huîtres. Même Piquionne a été remis en liberté… C’est vous dire le laxisme du juge...

Docteur, je sens qu’ils m’ont rendu fou… Ce n’est même plus une impression... Je suis en plein délire... C’est une certitude… Et je ne suis pas tout seul… Mon copain argentin se demande quelle idée saugrenue l’a poussé à venir ici. Cette nuit, il hurlait sous la lune avec Omar sur le balcon de sa chambre qui donnait sur les hauts fourneaux incandescents. Il faut le comprendre, il passe son temps dans le groupe des dix-sept, se balade avec nous, s’entraîne avec nous, et regarde les matches depuis les tribunes. Mais je crois que le coach est aussi devenu complètement dingue, à moins que ce ne soit les huîtres qui lui ont fichu la courante dans la tête… En tout cas, il a titularisé mon copain Basto au poste d’allier gauche, il a remis Ilunga au poste de boucher découpeur, et moi, il m’a demandé de jouer à l’esclave sur la droite pour le confort de Piquionne. Docteur, vous allez avoir du boulot, parce que comme on dit chez nous : mais é-se atolemaidos e mais consulta-se, ce qui veut dire : plus on est de fous, et plus on consulte. Je crois même, Docteur, que vous devriez vous installer à Nancy, parce qu’ici l’air n’arrange pas les choses, et c’est bon pour vous.. Imaginez un peu… Le public nancéen chantait au début du match : Allez Non Si ! Allez Non Si ! Ils n’étaient déjà pas trop sûrs. La preuve, durant le match, je les ai entendu chanter plusieurs fois de suite: Alleeeeeeez Nancy Euh ! …Alleeeeez Nancy Euh…! Vous entendez ça ? Et vers la fin du match, c’était encore plus flagrant… Tout le stade chantait : Mais ils sont où les Stéphanois ? C’est dingue ça ? Ils étaient tellement bourrés qu’ils ne nous voyaient pas. Mais le plus grave eut lieu bien avant. Ainsi durant la mi-temps, le coach nous a dit d’avancer, de ne pas nous décourager mais surtout d’avancer; et quand nous sommes revenus sur le terrain, nos supporters très nombreux, comme d’habitude, chantaient : La Ligue ! La Ligue ! On recule !... Je ne vous dis pas , Docteur, vous allez amasser une véritable fortune avec tous ces nouveaux dingues. D’ailleurs, je me doutais bien qu’ils devenaient de plus en plus bizarres. Vous les trouvez normaux, vous, Docteur, tous ces supporters qui nous suivent systématiquement à l’extérieur pour nous voir prendre des branlées en chantant ?

Bon, enfin, nous avons joué ce match. Pendant les seize premières minutes, on a pris nos marques. Juste le temps de laisser Nancy marquer un but sur coup de pied arrêté, comme d’habitude… La défense, le gardien, tout le monde prenait des notes. Il faut dire que Hognon, le Nancéen de l’équipe, beauseigne, ne jouait pas à cause d’une entorse . Dans un sens c’était bien dommage car c’est un joueur qui fait toujours un match parfait et apporte bien plus que ce que l’on attend de lui, mais dans l’autre sens, comme il est toujours en train de gueuler, au moins on pouvait m’entendre. Ensuite, comme l’air de l’océan nous avait endormis, juste avant notre réveil, l’arbitre a sifflé un pénalty imaginaire, parce que Perquis est tombé sur le ballon dans la surface de réparation et l’a touché de la main par inadvertance. 2-0 pour Nancy. Ilunga, aveugle comme le public, ne voyait pas les Verts et donnait ainsi la balle à nos adversaires, ce qui a failli nous coûter un troisième but. Il prenait même du plaisir dans l’automutilation en donnant sans cesse la balle aux attaquants adverses. Piquionne, après avoir gâché une action en gardant le ballon au lieu de le remettre de suite se distinguait par des courses désordonnées et chaloupées, perturbé qu’il était par le bruit de fond du petit pois qui joue à la pelote basque dans son crâne. La deuxième mi-temps fut morne. Moi, je courais, mais dans le vide, les ballons n’arrivant jamais. Vers la fin, nos supporters redevenus lucides nous encourageaient en chantant : La la la la la la la la la !...Nancéeeeeeens, reculez !... Puis Mazure entra en jeu pour consommer son minimum syndical. L’arbitre, qui soit dit en passant vient tout juste de décoller avec le vol de corbeaux, oubliait de siffler un pénalty imaginaire pour Nancy, pour une faute de main que Diawara commettait involontairement de son plein gré dans la surface, comme Perquis en début de match. Puis le match se terminait. Voilà, vous savez tout, Docteur. Maintenant, on doit embarquer dans l’avion. La piste est libre. Je vais vous laisser, parce que j’ai mal à la tête, et j’ai les oreilles qui sifflent depuis le discours du coach dans les vestiaires. Le petit excité avec l’écharpe verte est positivement triste, et le petit frisé, qui a le haut parleur gauche en panne, et l’œil droit qui clignote, est tristement positif.

Mais mardi, il y a un nouveau match… Contre Nice… Une équipe de terroristes… Moi, je serai dans les tribunes parce que je suis suspendu pour excès de familiarité et affection envahissante… Je vous raconterai…

Sinon, Docteur, on se voit quand ?...

Auteur : Rising42