Actuellement recruteur pour les vilains, Michel Rouquette s'est confié à Poteaux Carrés avant le match qui opposera ce vendredi l'ASSE à l'AS Monaco, deux clubs avec lesquels il a été sacré champion de France.


Où vis-tu et que deviens-tu Michel ?

Je vis à Épernay d’où je suis natif car je suis parti de là et je suis recruteur, j’attaque ma cinquième année dans un club que tout le monde adore à Saint-Etienne : l’Olympique Lyonnais ! (rires) J’ai signé pour une année en plus, jusqu’en 2022.

C’est moche de rester si longtemps vilain ! Comment as-tu atterri chez les banlieusards ?

(Rires) Ecoute, je suis arrivé par l’intermédiaire d’un ami qui nous a hélas quittés récemment, Gérard Houllier. On était très proche. Quand il a été rappelé comme conseiller du président Aulas, il m’a demandé de venir avec lui. Cela faisait plus de 40 ans qu’on était très lié avec Gérard. Auparavant, j’ai travaillé trois ans comme recruteur à Montpellier. C’est Loulou Nicollin qui m’avait tendu la main quand Sedan a déposé le bilan. Loulou m’a libéré car il savait que j’étais très proche de Gérard. Comme Loulou est né à Lyon, il ne voyait aucun inconvénient à ce que j’aille là-bas.

Tu prospectes dans quels secteurs géographiques ?

Dans le grand Est, qui va de la Bretagne à Lille Metz et tout, mais ça m’arrive aussi d’aller plus bas. Je suis la Ligue 1 et la Ligue 2, les matches internationaux et la Belgique.

La Bretagne dans le grand est ? Mais t’es complétement à l’Ouest Michel !

Disons que j’ai une notion assez extensive du grand Est ! (rires) Dimanche j’étais au Roazhon Park pour voir Rennes-Strasbourg. Et lundi je suis allé voir Caen - Le Havre, où il y avait d’ailleurs un recruteur de l’ASSE. Un jeune à lunettes que je ne connaissais pas. On a discuté un peu. Et je suis toujours en contact avec mon ami Dominique Rocheteau, que j’ai eu aujourd’hui d’ailleurs.

Tu as une certaine liberté dans ton travail ? Tu as carte blanche ?

Oui. Le principe c’est de voir un paquet de matches du début du championnat en août jusqu’en décembre. Ensuite il y a des réunions à peu près tous les deux mois. À partir de janvier-février on cible les priorités, on recoupe. On est quatre à faire ça, avec Bruno Cheyrou qui est le responsable. À partir de là, tu vois où tu dois aller. Après ça dépend le classement auquel tu finis, si t’as des sous ou pas. Dans le contexte actuel, je pense que tous les clubs vont avoir des difficultés financières. Je ne parle pas du PSG qui a un État derrière lui, ni de Monaco qui a les Russes. Je parle des clubs franco-français comme Sainté, l’OL et tout. Quoiqu’il y a de moins en moins de décideurs français. Bordeaux est sous pavillon américain. Même en Ligue 2, t’as les Chinois à Auxerre.

Tu es à l’origine de la venue de quels joueurs en banlieue ?

Tu sais, moi j’essaye toujours de ne pas parler à la première personne. On avait une excellente entente avec Florian Maurice, qui est parti à Rennes. C’était collégial. À partir du moment où toi tu vois quelqu’un, après on recroise. On a fait des très bons coups ces dernières années. Je pense notamment à Tanguy Ndombele à Amiens, Ferland Mendy et Tino Kadewere au Havre. Mais il ne faut jamais dire « j’ai fait ». On a fait. C’est un travail d’équipe. Les gars qui te disent « j’ai fait », ils vont te citer les bons coups mais vont oublier les mauvais. À Sainté, je ne sais pas qui a eu l’idée de faire Loïs Diony qui a eu un peu moins de réussite. Ils ont fait. Pourquoi pas ?

Ton ami Dominique Rocheteau avait pourtant validé cette recrue !

Le recrutement n’est pas une science exacte. C’est de l’humain. On peut regarder le même match et ne pas avoir tout à fait le même œil sur un joueur. Toi tu vas peut-être me dire « ouais, il perd un peu le ballon et il est un peu lent », moi je vais te dire « ouais mais il a l’intelligence pour lui. » C’est pour ça qu’il est important de comparer un peu tous les avis. On en parle après à l’entraîneur et ensuite c’est comme dans tous les clubs, c’est celui qui commande, qui met l’argent, qui dit oui ou non.

Oublions ton vilain présent et replongeons dans ta verte saison. Peux-tu nous rappeler le contexte de ton arrivée à Sainté en 1973 ?

Je jouais à l’époque à Épernay en troisième division. Il y avait le jeu des étoiles. J’étais étoile d’or ou en tout cas bien placé. Monsieur Rocher s’est retrouvé à une réunion avec le président d’Épernay. J’avais des offres de Metz, de Lille et de Troyes. Mais faire un essai à Sainté, ça ne se refuse pas. Avant l’épopée des Verts de 1976, le club avait déjà connu une grande époque avec les Salif Keita, Aimé Jacquet, Robert Herbin, etc. Pour tout joueur, Sainté ça parle et ça parlait. Je suis allé faire un essai. Je devais rester quatre ou cinq jours et au bout de deux jours, après une opposition, Robert Herbin est venu dans ma chambre pour me dire : « C’est bon, on te prend. » J’étais ravi, je ne voulais pas entendre parler d’autres clubs. Sainté, ça représentait énormément. Plus jeune, j’avais été marqué par le jeu brillant des Verts de Salif Keita. C’était l’époque où les Verts avaient éliminé le Bayern, écrasé Nantes 5-0 en finale de Coupe de France.

C’était aussi l’époque où les Verts gagnaient le derby 7-1 à Gerland et 6-0 à Geoffroy !

Ce n'est pas faux (rires). Les Verts étaient vraiment très impressionnants à l’époque. Les Verts c’était aussi un gage de travail, de reconnaissance… Quand Saint-Etienne m’a dit oui, plus rien au monde n’existait, j’étais hyper heureux de partir dans le Forez. A la base je devais m’inscrire dans la durée là-bas : une année de stagiaire pro + quatre ans pro. Au final je ne serai resté qu’une saison mais j’ai quand même été 30 fois dans le groupe de l'équipe fanion. Il faut rappeler qu’à l’époque il n’y avait qu’un remplaçant. Ça n’avait rien à voir avec le foot d’aujourd’hui où un entraîneur peut faire cinq changements. À Sainté il fallait se battre pour être le douzième homme, t’en avais quand même six ou sept qui restaient sur le carreau.

Figurer 30 fois dans ce groupe, c’était énorme. C’était quand même la naissance de la grande équipe. D’ailleurs cette saison-là on a fait le doublé coupe-championnat. Pour être retenu par Roby comme remplaçant, il fallait déjà beaucoup s’accrocher. J’ai vu quand même que j’avais un petit manque. Je ne venais pas du monde professionnel, j’avais quand même 22 ans, c’était quand même un peu tard. Je n’étais pas issu du centre de formation.

Tu as joué seulement trois matches en équipe première.

Oui. J’étais titulaire à Angers, on avait pris cher. Le SCO avait gagné 4-0. Marc Berdoll avait mis un quadruplé, de mon côté je n’avais pas marqué des points. J’ai connu plus de réussite lors de mon deuxième match, on avait battu Monaco 3-2. Je me souviens que Patrick Revelli avait mis un doublé et Christian Lopez avait aussi marqué. C’est pourtant Delio Onnis qui avait ouvert le score avant la mi-temps. J’ai ensuite eu le plaisir de jouer avec lui, on est resté très proches. À Sainté, les deux joueurs avec lesquels je suis resté très proche sont les deux Dominique, Bathenay et Rocheteau. On s’appelle assez souvent. On est très amis. Mon troisième et dernier match, c’était en Coupe de France contre Boulogne. On a gagné 2-0, j'ai ouvert le score. J’ai dû faire trois fois le tour du terrain pour fêter ça ! (rires)

Qu’est-ce qui t’a particulièrement marqué à Sainté ?

La grande chance que j’aie eue à Sainté, c’est de connaître des types humainement parlant exceptionnels. Il n’y avait vraiment pas de mecs qui dérapaient comme on peut le voir aujourd’hui. On s’entendait tous. On était bien. C’était bien. Cette image qui colle à Sainté de l’humilité et du travail, honnêtement, je ne l’ai pas retrouvée ailleurs. C’était incroyable pour moi d’être au milieu d’eux. Ces internationaux comme Bereta, Revelli, etc., je les regardais à la télé et je me retrouvais du jour au lendemain avec eux dans le petit avion privé. Roby a amené le professionnalisme, le sérieux dans les déplacements, les décrassages dès le lendemain à 9h30. Georges Bereta était pour nous plus qu’un modèle. C’était le capitaine de l’ASSE et de l’équipe de France. Il nous invitait de temps en temps à diner chez lui, il était plein de bons conseils. Cela m’attriste qu’il ait la maladie de Charcot. J’essaie de prendre régulièrement de ses nouvelles.

Quel est le joueur qui t’a le plus impressionné à Sainté ?

Dominique Bathenay ! Pour moi c’est un joueur qui aurait pu aller à l’Ajax ou au Barça. A l’époque on ne partait pas beaucoup, même les grands joueurs. Au-delà de ses qualités footballistiques avec notamment sa grosse frappe, il avait un calme que je lui enviais, que j’aurais voulu avoir. Je me souviens qu’un jour on était au centre, Roby était venu nous voir et nous avait dit qu’on allait jouer contre le Real de Madrid en amical. Il nous avait dit : « Vous viendrez tous les deux dans l’équipe. » Perso je n’ai pas dormi pendant trois nuits. Le Real, ça ne faisait ni chaud ni froid à Dominique. C’était sa grande force, il ne doutait pas. Il l'a montré plus tard lors de l'épopée européenne des Verts, il était imperméable à la pression. On avait gagné 4-1 contre le Real, j’étais entré en seconde période. Hervé Revelli avait mis deux ou trois buts. Je me souviens que c’est la seule fois qu’on a pu échanger les maillots. J’ai hérité de celui de Del Bosque, je l’ai gardé.



À Sainté, à l’époque, il n’y avait pas de joueur qui ressortait vraiment comme ça a été le cas plus tard avec Michel Platini. Sainté, c’était collectif. J’ai beaucoup aimé les Revelli, le Ch’ti qui était un travailleur comme on en a rarement vu. Christian Synaeghel m’a beaucoup marqué. Il y avait une espèce de moule où tout le monde travaillait, ça courait beaucoup. Je pense malgré tout que Dominique Bathenay avait un truc en plus. Et humainement je l'apprécie beaucoup. J'ai travaillé à ses côtés au Stade de Reims à la fin des années 1980. C'est un ami, on est parti en vacances ensemble. Je me souviens notamment qu'il était avec moi lors d'un séjour à Cuba. J'avais un ami là-bas qui tenait un restaurant et une discothèque. C'était le voisin de Diego Maradona. Quand on a vu Diego, il était en faire un un contre en tennis ballon avec son agent. Il nous a invités avec Dominique à faire un deux contre deux et ensuite on est resté chez lui le soir à boire des bières. C'était une rencontre extraordinaire.

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Après ton séjour à Cuba, t'es allé en Jamaïque je suppose ? T'as un côté rasta, Rouquette ?

(Rires). Non, on est resté chez mon ami à Cuba pendant dix jours.

A Sainté, tu as assisté à l'envol de l'Ange Vert

Oui, Dominique a fait quelques apparitions comme moi cette saison. Roby m’avait préféré à Dominique pour jouer à Angers. C’est marrant avec le recul quand on voit la carrière énorme qu’il a eue après ! Dominique est devenu un phénomène football et hors football. Aujourd’hui tu te balades avec Rocheteau dans les rues, il ne passe pas inaperçu. Demain tu te promènes avec Georges Bereta et Hervé Revelli, ce n’est pas pareil. Dominique Rocheteau a laissé une trace un peu comme une rock star. Très peu de joueurs ont marqué comme ça l’époque. C’était impressionnant. Il n’en a jamais joué parce que c’est un mec d’une humilité et d’une simplicité hors normes.

Mais ça va peut-être te surprendre, Dominique c’est le type – quand on est que tous les deux, hein ! - qui me fait le plus rire, avec qui je préfère être. Je l’ai eu ce matin au téléphone, il est retourné en Charente-Maritime, je devrais aller le voir bientôt, on ira peut-être voir un match tous les deux à Bordeaux. Dans la voiture ou n’importe où, quand on est tous les deux, personne ne le connaît comme ça. Il est chambreur, rigolo, bavard. Il a un humour fou. Il est bon. En revanche il faut qu’on ne soit qu’à deux. S’il y a une tierce personne il se ferme, c’est une huitre.

En même temps, il est issu d’une famille d’ostréiculteurs !

Bien vu ! (rires) Dominique est vraiment quelqu’un de bon. On a tout de suite sympathisé à l’ASSE et on a continué à se voir depuis. À Sainté, il arrivait qu’on parte ensemble le dimanche soir, on allait manger un petit bout dans le vieux Lyon. On a passé des moments fabuleux. On a continué à se voir, à se recevoir.
Quand il y a des petits rassemblements avec les anciens Verts, ils viennent tous sans discuter. C’était le cas lors de mon jubilé, toujours avec la même simplicité. Je pense qu’aucun club au monde n’a connu ça.

C’étaient quand même les stars de l’époque. On parle de mecs qui ont fait chavirer la France entière, qui ont redoré le blason de tout un pays, qui ont été en finale de Coupe d’Europe des Clubs champions, qui ont défilé sur les Champs. On a l’impression que ces types-là n’ont jamais changé. Ils m’avaient invité pour le 40e anniversaire de la finale de 1976. C’était gentil de leur part car ça faisait longtemps que j’étais parti. Je me suis arrangé pour qu’ils aient un peu de champagne. On s’est tous retrouvés. Il y avait même Osvaldo, un mec en or. On s’est serré dans les bras. Il y avait vraiment quelque chose. Un truc aussi fort et durable, qui traverse les décennies, on n’est pas près de le revoir. C’est comme ça, le foot a changé, le monde a changé.

J’aurais énormément appris lors de ma saison stéphanoise aux côtés de ces gars-là. Cette période-là m’a beaucoup marqué. J’aime bien retourner à Sainté mais je n’y vais plus assez souvent alors que je travaille pour un club situé seulement à une soixante de kilomètres ! (rires) Quand je me suis mis d’accord avec le directeur général de l’OL, en reprenant la voiture j’ai appelé Dominique Rocheteau. Je lui ai dit : « Dom, j’ai signé dans un club que tu n’aimes pas beaucoup ! » Il s’est exclamé : « Putain, l’OM ! » Je lui ai dit : « Non, pire ! » Il a éclaté de rires ! (rires)

Tu sais, pour moi Lyon/Sainté ça devrait rester une saine rivalité, ça me navre quand ça dérape. Quand je pense que des supporters s’en étaient pris à Georges Bereta en marge d’un derby. Ils avaient remué sa voiture assez fort et ça l’avait marqué au point de ne plus vouloir revenir au stade. C’est triste d’en arriver à des incidents comme ça. Ah, Bérette ! Dieu sait que s’il y en a bien un qui n’était pas peureux sur un terrain, c’était Bérette ! C’était un lion, un guerrier. C’est d’autant plus triste de le savoir atteint par la maladie de Charcot. Je pense beaucoup à lui.

Dès que Babatte va là-bas - parce que sa femme est de Sainté – je l’appelle pour prendre des nouvelles de Georges. C’est compliqué. Je l’appelais tous les ans lors des vœux. Il me disait toujours : « Je sais ce que tu vas me dire ! » Je le remerciais pour la gentillesse qu’il avait eue. Il faut toujours se souvenir dans la vie des gens qui t’apportent quelque chose par la bonté, la gentillesse et la bienveillance.

Georges était un guide, un capitaine très écouté et très professionnel. Je me souviens encore du premier déplacement en Coupe d’été. Quand on était dans le vestiaire, il m’a dit : « Michel, il faut que tu cires tes chaussures. » Je lui réponds : « Ah bon ? » Il me dit : « Oui Michel, tes chaussures c’est ton outil de travail, il faut en prendre soin. » Il me disait parfois « change tes crampons », « sois prêt », tout ça. Il me prodiguait tous ces conseils d’une façon aimable, bienveillante. À l’époque, il y avait un autre joueur qui a eu le même rôle et dont je suis resté proche : Mémé.

Aimé Jacquet prenait soin de moi : « Mets ton pantalon de survêtement, il fait frais. » « Pourquoi tu frappes au but tout de suite à l’échauffement ? » Tu sentais pointer l’éducateur. On s’appelle encore, on se voit encore. C’est le moule stéphanois, Mémé ! Champion du monde sans être passé devant toutes les télés pour dire « je sais » et tout. Il est très humble. Et quand on repense à tout ce qu’il a pris dans les médias…

Tu t'es plu dans la région stéphanoise ?

Beaucoup ! Le Forez est beau, contrairement à ce que les gens croient. Parfois il y en a qui rigolent à Lyon ou ailleurs quand je leur dis que le Forez est magnifique mais c’est la réalité. Je considère que le Forez est méconnu. J’adorais Le Bessat, le Pilat, tous ces coins-là. Je me souviens qu’avec Roby on allait faire du ski de fond dans la région. Et le peu de repos qu’il nous laissait, on aimait bien monter avec les deux Dominique dans des auberges vachement sympas par là. Il y a de superbes balades à faire dans le Forez. J’ai encore en mémoire le mariage de la fille de Dominique Bathenay dans le Forez, c’était dans un endroit magnifique. Quand j’ai eu l’occasion de retourner voir Dominique Rocheteau, on est allé de nouveau dans ces lieux très sympas.

Comment s’est fait ton transfert à Monaco ?

J’avais joué contre eux, j’avais fait un bon match. Monaco m’a téléphoné car nous on n’avait pas d’agent à l’époque. C’est Hervé Revelli qui très gentiment m’avait dit «je vais les appeler ». Il s‘est occupé des « négociations ». J’ai préféré partir là-bas car c’était un contrat de quatre ans et Tintin allait arriver à Sainté. La concurrence était un peu trop forte pour moi qui jouais milieu ou attaquant. Au milieu t’avais Bathenay, Synaeghel et Larqué. Devant t’avais les frères Revelli, l’émergence de Dominique Rocheteau.

Tous ces gars qui étaient là depuis des années étaient en avance sur moi. En plus l’équipe marchait très bien, je vois mal comment j’aurais pu gratter du temps de jeu. À Sainté j’ai surtout joué en troisième division. J’ai dû finir en tête du classement des buteurs. L’entraîneur était Robert Philippe. Ah, j’adorais cet homme-là ! Il est hélas décédé il y a cinq ans. Roby faisait ses entraînements avec Robert Philippe comme adjoint.

Que retiens-tu de tes années monégasques ?

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On avait une équipe sympa. On a été champion en 1978 lors de ma dernière saison, alors qu’on venait de remonter. Je crois que la seule autre équipe promue ayant réussi cette performance, c’est justement l’ASSE, en 1964, à l’époque de Rachid Mekhloufi. Je me souviens qu’on avait été champion de D2 en 1977 mais ça avait été compliqué. Quand tu descends, t’as beau être mis en garde, inconsciemment tu ne t’attends pas à ce que ce soit aussi difficile. A la trêve on avait reçu Toulon, ils nous avaient battu 3-0 chez nous et avaient fait un tour d’honneur. On a changé d’entraîneur, Lucien Leduc a succédé à Armand Forchério. Et là on n’a plus perdu un match jusqu’à la fin.

Il n’y avait pas beaucoup de jeunes à Monaco, on s’appuyait surtout sur des joueurs confirmés. On avait une équipe mature. Quand on est monté, on a recruté Yves Chauveau. Il s’est blessé avant le premier match. L’entraîneur a dit d’aller chercher le gamin qui s’entraînait dans les buts. C’était Jean-Luc Ettori. Yves Chauveau n’a plus fait un match. Et au final le gamin aura joué plus de 600 matches de L1. Il y a une part de chance dans une carrière. Yves Chauveau n’était pas n’importe quel gardien en plus, c’était le numéro deux en équipe de France.

Monaco, ça n’avait rien à voir avec Saint-Etienne, mais j’ai quand même sympathisé avec quelques joueurs. Delio Onnis, Raoul Nogues, qui a joué aussi à Saint-Etienne quelques années plus tard lors de la dernière saison de Michel Platini chez les Verts. Je m’entendais bien aussi avec Alfred Vitalis et Alain Moizan. Lui aussi a joué à Sainté mais juste après la période Platini. D’ailleurs il y avait un autre futur Stéphanois dans cette équipe monégasque sacrée en 1978 : Bernard Gardon. Il jouait ne défense centrale aux côtés de Rolland Courbis.

Cette saison-là, tu as marqué le premier but victorieux de Monaco contre Sainté.

Exact, je m’en souviens bien. On avait gagné 3-1, j’avais réussi à tromper Curko. Ça l’avait surpris. « Michel, toi frapper, moi m’attendais pas ! » (rires) Quel gardien c’était ! Et c’était un type bien, un gentleman. A Sainté je n’ai pas connu de grande gueule ou de « star ». C’était incroyable. Je me souviens que les anciens Verts étaient venus pour un ami qui était en fauteuil roulant, pour trouver de l’argent. Tout le monde disait : « qu’est-ce qu’ils sont gentils, qu’est-ce qu’ils sont bien tous ces gars ! »

Ce vendredi ton cœur sera vert ou rouge et blanc ?

Je serai pro-stéphanois de même que dimanche dernier j’étais pour Lille. Une victoire des Verts ferait les affaires de l’OL. Il y a quatre équipes qui se détachent cette saison. Le PSG sera toujours au-dessus parce que malgré tout, je le répète, il ne joue pas le même championnat. Il a un niveau de salaires, de facilités, que personne n’aura. Après ça va se jouer entre Lyon, Lille et Monaco. J’aimerais que l’ASSE batte Monaco. Les résultats que je regarde en premier, c’est Sainté et l’ASM, les clubs où j’ai joué.

Les Verts viennent de gagner à Angers, ils ne descendront pas. Il y a Dijon qui est dans une situation plus que compliquée, ça va être difficile pour Nîmes. Lorient et Nantes sont dans une situation plus délicate que Sainté. Ce serait vraiment dommage qu’un jour l’ASSE retombe en D2. Parce que Sainté, c’est un club qui est aimé dans toute la France. Ce n’est pas le cas de l’OL, du PSG ou de l’OM. Quand Sainté se déplace, tu croises toujours des gars à fond derrière les Verts. Je m’en suis rendu compte notamment quand je les ai vus à Reims.

L’ASSE, c’est un club que les Français ont aimé et qui garde une cote d'amour même si les résultats ne sont plus trop au rendez-vous. À une période où le sport en France et principalement le football, c’était pas terrible, les Verts ont donné cette joie aux gens. Et comme en plus c’était des mecs bien. Il n’y a jamais eu de scandale sur Sainté, on n’a jamais rien entendu. Les gens se sont donc beaucoup identifiés à Sainté. Et je vois que les Verts suscitent encore de l’engouement. En Champagne, je vois qu’il y a beaucoup de supporters de Sainté. Le phénomène perdure. Je vois beaucoup plus de gars – d’un certain âge, attention ! – qui me parlent de Sainté que de Paris ou de Marseille. Sainté est resté dans les mémoires.

Tu t’attendais à voir les Verts souffrir autant cette saison ?

Oui. De ce que j’ai compris, les gens à la tête du club ont dit à l’entraîneur qu’il fallait réduire la voilure car ils n’auront plus les moyens financiers de faire ce qu’ils avaient fait. Est-ce que ça a été pris par le bon bout, je ne sais pas. Toujours est-il que le club est reparti avec beaucoup de jeunes. Sans leur faire insulte, ce ne sont pas des jeunes de l’époque du grand Saint-Etienne où il y avait de grands talents.

Cette saison je suis allé voir les Verts à Brest et à Reims. Je me suis dit « putain, merde, ils risquent de flirter avec le fond » quand on voyait le niveau des équipes. Malgré un bon début de match, les Verts avaient beaucoup souffert à Francis Le Blé, ils en ont pris quatre. À Reims ils jouaient bien et tout d’un coup, pouf ! Il faut reconnaître que sur certains matches, les Verts n’ont pas eu de réussite. Ils l’ont eue le week-end dernier, face à un SCO d’Angers qui n’était pas dans un grand jour. Ce succès fait beaucoup de bien, je suis persuadé que les Verts vont se sauver.

Est-ce qu’à un moment les dirigeants se sont laissés griser par des gros salaires ? Je ne sais pas. Ce que je vois en tout, c’est qu’avec Jean-Louis Gasset l’ASSE a fini à une très belle quatrième place. Les Verts n’ont jamais fait mieux depuis 1982. Jean-Louis a obtenu de très bons résultats en s’appuyant sur des joueurs confirmés, comme l’avait fait avant lui Christophe Galtier. Dans une équipe, c’est important d’avoir quelques gars comme ça. On l’a vu d’ailleurs lors du dernier match à Angers. Les Wahbi Khazri et Ryad Boudebouz amènent quand même quelque chose.

Je ne pense pas qu’on puisse mettre qu’une équipe de jeunes. Regarde le dernier derby. Quand Lyon est venu dans le Chaudron, ça manquait cruellement d’expérience dans le onze stéphanois, il y avait trop de différences. Il n’y avait pas de quoi se glorifier de l’écrasante victoire de Lyon. Il faut dire que Sainté avait beaucoup d’absents dont certains à cause du Covid. Mais quand même… Il y avait un décalage trop fort entre les deux équipes. Ce n’était pas le cas à l’aller, où Sainté avait livré un vrai bon match. C’est notre petit Kadewere qui avait eu de la réussite en marquant deux buts. Sainté, moi c’est un club que j’aimerai toujours. On peut travailler pour un club et dire qu’on aime bien l’autre.

Il y a dix ans, ton nom avait été évoqué du côté de L’Etrat. As-tu été sollicité par l’ASSE ?

Il y a eu un vrai contact plus récent avec Sainté. C’était il y a trois ans ou quatre ans. Mais je ne pouvais pas vis-à-vis de Gérard Houllier. Je suis bien à Lyon. Je m’entendais très bien avec Florian Maurice, on a gardé des relations d’amitié. C’est dur de le dire pour quelqu’un fou des Verts mais l’OL est un bon club quand même ! On y est bien. Je n’ai pas été approché que par Sainté, j’ai eu des sollicitations de plusieurs autres clubs dont je ne souhaite pas dire les noms. Mais je n’ai pas voulu partir.

Tu souhaites bosser encore longtemps pour les banlieusards ?

Il faut toujours se mettre des deux côtés de la barrière. Je vais quand même sur mes 71 ans. Il se peut qu’un jour le président décide de placer quelqu’un de 42 ans, il faut être bon joueur. On prendra plus facilement quelqu’un de cet âge-là pour une reconversion qu’un septuagénaire comme moi. Dans les scouts, tu sais, je crois que je suis le plus ancien ! (rires)

Mais je reste passionné. Si je dois choisir un PSG-OM ou un Châteauroux-Valenciennes, je vais à Gaston-Petit et pas au Parc. J’ai plus de chances de trouver un talent. Tu vois, quand je rentre au stade, je trouve ça extraordinaire de manger la merguez avant le match. Peut-être qu’un jour ça va se calmer, on fera le point en 2022. Parce qu’il y a aussi l’âge, la fatigue, on est moins endurant. Pour l’instant, je profite complètement.

Ton prono pour le match de ce vendredi ?

Je voudrais tellement que Sainté gagne ! (rires) Parce que nous malgré tout on a des bons joueurs mais il faut être honnête, on n’a pas de match référence depuis janvier. On joue au yo-yo. On s’en sort par les exploits individuels d’un Depay ou un truc comme ça. Collectivement, je pense qu’en ce moment on est un peu à la ramasse. J’espère que ça va s’arranger.

On espère tous le contraire !

(Rires)

Un collectif « peuple vert en colère » réclame le départ de Nanard et Roro. Bon nombre de supporters stéphanois estiment qu’il est temps pour les dirigeants stéphanois de passer la main. Certains pointent leur âge, d’autres leur bilan très moyen. Beaucoup considèrent qu’ils n’ont pas le niveau d’un Aulas. Ça t’inspire quoi ?

Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Jean-Michel Aulas est le meilleur président. On a beau dire ce qu’on veut, ce qu’il fait dans ce club depuis 34 ans est fantastique. Le Groupama Stadium et tout ce qu’il fait autour, c’est fort. Et contrairement à ce qu’on dit, c’est un homme charmant, généreux, qui sait rigoler et chambrer. Il n’est pas du tout le mec qu’on dépeint dans le milieu. Une fois un président de club m’a dit « écoutez, Monsieur Rouquette, je n’ai rien contre Aulas mais il ne pense qu’à sa gueule. » Je lui ai dit gentiment : « Et vous quand vous allez à l’assemblée générale des clubs, vous pensez à la gueule des autres. » Il me dit : « c’est bien répondu. » C’est vrai quoi, chacun défend son intérêt. C’est comme ça. C’est le milieu qui veut ça. J’ai d’excellentes relations avec Roland Romeyer. Caïazzo je l’ai moins vu ces derniers temps, c’est surtout Roland qui est présent à l’ASSE.

Il a 75 ans mais ne semble pas pressé de vendre le club.

Quand on a 40 ou 45 ans, on se dit : « oh la vache, le jour où j’aurais mes 62 ans, mais qu’est-ce qu’il faut être con pour continuer à travailler !» Mais quand on est dedans, on n’a plus envie de partir, surtout dans ce milieu-là. Je l’ai vu avec beaucoup de présidents qui ont l’impression que la vie va un peu s’arrêter s’ils partent. Je ne sais pas pour Roland mais j’ai remarqué ça chez beaucoup, beaucoup, beaucoup de présidents. Simonet à la FFF, il ne voulait plus partir le gars ! Les mecs ont un statut, ils sont reconnus. Il a y des matches, ils sont là, ils partent avec l’équipe. Souvent c’est compliqué, ils appréhendent l’après. Je peux le comprendre.

Moi-même, à 70 ans, j’étais très content de re-signer encore un an. Après, il y a la parole bête « il n’y a pas que le foot dans la vie. » Bien sûr qu’il n’y a pas que le foot. Il y a la santé, la famille. Mais le foot fait quand même partie de la vie. On le voit et le ressent aujourd’hui avec l’absence de public dans les stades. Beaucoup de gens ressentent un gros manque. C’est comme même une grosse partie de la vie pour beaucoup de Français. Le foot est un vecteur d’émotions. Je peux comprendre que des présidents aient du mal à passer la main. Monsieur Rocher a eu du mal à lâcher, Bez à Bordeaux… Ce sont des gens qui ont eu beaucoup de problèmes quand il a fallu changer. C’est dans la nature humaine de vouloir rester quand on est passionné et qu’on se sent encore en forme.

Je ne suis pas dans le secret des dieux, j’ignore quelles sont les intentions des dirigeants stéphanois. Moi j’apprécie Roland Romeyer, il a toujours été d’une grande gentillesse avec moi. Moi je trouve qu’aujourd’hui on donne beaucoup trop d’importance aux supporters. On en parle souvent avec les gars qui sont dans le milieu. Un mauvais résultat, ils déboulent à 200 à l’entraînement le lendemain. Le plus malheureux, quand c’est comme ça, c’est le joueur ! Nous à l’époque, on n’avait pas ça. Seulement avant les matches contre Lyon, les gars venaient nous dire « allez les gars, il faut les battre. » Mais t’avais pas 200 mecs qui déboulaient quand on perdait. Je trouve qu’on leur a donné beaucoup, beaucoup, beaucoup trop d’importance.

Si demain je vais voir une pièce de théâtre à Paris et qu’un acteur ne me plaît pas, je ne vais pas le traiter d’***_** et balancer des trucs sur lui. Je me dis juste « je n’irai plus le voir, cet acteur ne me plaît pas. » Au foot, certaines réactions vont trop loin, ça dérape. Je pense que c’est un peu de la faute des présidents, qui ont donné trop d’importance aux supporters. C’est très bien d’avoir des supporters passionnés mais il ne faut pas franchir les bornes. À Saint-Etienne quand les supporters sont venus à l’Etrat, ça s’est fait en bonne intelligence, ils ont pu discuter avec le staff et les joueurs. Les supporters sont partis en les encourageant et en chantant.

Mais on ne peut pas cautionner les scènes de violence et de vandalisme qui ont eu lieu à Marseille. J’aime la ferveur, j’aime quand ça chambre mais je n’aime pas quand la colère des supporters dégénère. Il y a un club dont j’apprécie particulièrement l’ambiance, c’est Strasbourg. Il y a un public extraordinaire là-bas. Marc Keller me disait l’année dernière : « Michel, 19 matches, 18 à guichets fermés. » Je lui ai dit : « Contre qui tu n’as pas fait à guichets fermés ? » Il m’a dit : « Amiens, il restait 23 places à vendre ! » (rires) Ils chantent, c’est un peu à l’allemande. Ils ont un capo, ils mettent les briquets. Moi j’y vais pour le spectacle.

 

Merci à Michel pour sa disponibilité