Deuxième volet du long entretien que le préparateur physique des Verts Thierry Cotte a accordé aux potonautes. Merci à lui !


À quoi ressemble une semaine-type de préparateur physique ? (pitchdobrasil)

Une semaine, c'est énormément de travail pour un préparateur physique. On imagine que le match a eu lieu le samedi. Généralement, le dimanche est un jour de repos pour les joueurs. Moi à partir du dimanche soir, j'ai à peu près quatre millions de données qui m'arrivent d'une société qui nous produit tous les matches à domicile comme à l'extérieur. Il s'agit de données techniques, tactiques et physiques du match. J'ai tout un traitement qui commence le dimanche soir et qui va durer des heures pour que le lundi en fin de matinée je puisse donner un rapport au coach, un rapport technico-tactique et physique du match, à la fois collectif et individuel. Là, on a une idée très précise de ce qu'a coûté le match, en termes de dépenses énergétiques de chacun de nos joueurs, du comportement de l'équipe. Et puis après on a tous les paramètres techniques, tactiques…

On fait affaire à une société qui s'appelle Amisco Sport Universal qui propose un produit qui s'appelle Amisco. C'est un produit relativement simple dans l'installation, il y a une douzaine de caméras installées autour du terrain et chaque joueur est tracké. Il est reconnu par le système. Et après, à raison de dix reconnaissances par seconde, on le suit tout au long du match. On a une idée extrêmement précise de ce qu'il fait à l'occasion du match. Ensuite, des moyens humains codent à chaque fois qu'il touche un ballon et ce qu'il en fait : une passe courte ou une passe longue, un ballon gagné ou perdu, un duel gagné ou perdu, etc. Comme ça on a une idée très pointue de la production du joueur. Nous on discute de ça avec Christophe Galtier et le staff le lundi matin pour essayer de comprendre ce qui s'est passé pendant le match. L'analyse du match est fondamentale, on discute beaucoup, ça déborde sur le mardi voire le mercredi. Entretemps les techniciens travaillent sur notre match par l'analyse de la vidéo toute simple. On étudie les phases tactiques, le respect des plans de jeu, la sortie de balle, des choses comme ça…

Le lundi après-midi, les joueurs arrivent pour le décrassage. C'est un décrassage à deux vitesses. Il y a ceux qui ont joué un temps de jeu conséquent, qui vont plutôt partir sur du footing et du renforcement des points faibles. Ceux qui ont peu ou pas joué ont une séance beaucoup plus agressive pour compenser les efforts qu'ils n'ont pas faits. Il faut entretenir la machine humaine, et pour ça il faut la secouer un petit peu, sans quoi elle baisse. Le lundi après-midi, je fais un test de fatigue, je regarde ce qui se passe entre deux battements cardiaques. Pendant une dizaine de minutes, les gars sont couchés par terre, il y'a un protocole qui est bien rôdé, on le suit systématiquement. Ça me donne déjà une idée de l'état de récupération d'après-match. C'est important non pas pour cette première séance du lundi car on sait qu'on ne "tape" pas sur les joueurs. Par contre ça nous permet de calibrer les séance de mardi et mercredi, de savoir si on va "taper" ou pas. Déjà on a le compte rendu Amisco, on sait par exemple quelles ont été les distances parcourues par nos joueurs. Après on prend un autre élément purement individuel à travers la fréquence cardiaque des joueurs. On a ainsi une autre idée de l'état de fatigue du joueur et après on individualise.

Mardi, une ou deux séances sont au programme. Des séances dures, des séances de développement. Là, cinq de nos joueurs sont équipés par des GPS. Ça permet de suivre en permanence les joueurs pendant la séance. On a également des cardiofréquencemètres. Comme ça on a une idée de ce qu'a coûté la séance en efforts pour ces joueurs là. On mesure leur adaptation à l'entraînement pour voir s'ils sont dans un bon état ou pas. Souvent, j'équipe les mêmes joueurs de GPS pendant toute une semaine. Ça permet de les comparer à eux-mêmes. Je fais des rotations, sans arrière-pensées. Pour l'instant, on n'a pas les moyens de s'acheter davantage de GPS car c'est relativement cher. A terme, j'espère m'en faire payer davantage pour que tout le monde soit équipé à toutes les séances, comme c'est le cas en Angleterre. Mais ça demande une logistique lourde : c'est un investissement financier mais c'est aussi un investissement humain car il faut traiter les données, or il y en a une centaine par seconde. Faut bosser. Traiter ces signaux, ça prend énormément de temps. Je passe sur les détails mais ça m'amène à me coucher très très tard les lundis, mardis et mercredis soirs. Les joueurs embarquent de plus en plus de technologies. Ces technologies sont toujours coûteuses en temps a posteriori car il faut traiter ces données.

Le mardi, on double l'entraînement… ou pas. On n'est pas obligé de faire deux séances. Plus on se rapproche de la trêve, moins on fait de journées doubles. Les terrains gras fatiguent les adducteurs et parfois on n'a pas le temps de se remettre de cette fatigue-là. Dans ces conditions, on ne prend pas de risques et on fait une bonne séance d'une heure quarante ou une heure cinquante. Mercredi, une seule séance est au programme mais bien remplie aussi.

Le jeudi, on change de thème. Le jeudi, on est déjà dans de la récupération car on a lourdement impacté les organismes lors des journées du mardi et du mercredi. Il faut passer à des temps faibles, sans quoi l'organisme ne récupère pas. La récupération fait partie du travail. Jeudi est un temps faible car on n'a pas le temps de se remettre d'un point de vue énergétique de toute la fatigue générée ce jour là. Afin d'être au top le samedi, on ne fait pas de bêtise, on calme vraiment. Ça donne l'occasion au coach de travailler plutôt sur la finition, sur des aspects peu ou pas coûteux. Juste avant cette séance du jeudi, on refait un test de fatigue pour regarder quelle est l'adaptation des différents organismes au travail qu'on a fourni les mardi et mercredi. On compare ce test de fatigue avec celui effectué le lundi et on en tire les enseignements pour adapter la séance du vendredi.

La séance du vendredi a lieu généralement l'après-midi quand on joue le samedi soir. Ça laisse une fenêtre de récupération d'a peu près vingt-quatre entre la séance du jeudi matin et celle du vendredi après-midi. On tire parti des impressions laissées visuellement, des données GPS, des tests de fatigue pour adapter le contenu de la séance de vendredi afin de ne pas fatiguer nos joueurs de manière inappropriée, sinon on se tire des balles dans le pied. La séance du vendredi est à forte connotation tactique mais on garde quand même une intensité assez soutenue, parce que les joueurs doivent être toniques et juteux, proches de la réalité du match. Ça exige de l'engagement donc on fait très attention au volume. Si on multiplie intensité et volume, on a tout faux car l'impact serait trop important pour l'organisme, on n'a pas le temps de s'en remettre.

On arrive au samedi. Il n'ya pas d'entraînement le jour du match, on fait faire une marche à nos joueurs. On gère surtout la diététique des joueurs. On les fait manger le matin et le midi. On leur prépare une collation. C'est un autre versant de la préparation physique. On les fait manger la veille au soir, même pour les matches à domicile. C'est très important la diététique, c'est un élément de la préparation physique. Si on n'amène pas le carburant dans le moteur, on n'a aucune chance de bien faire tourner le moteur. On s'efforce de manger dans les deux heures qui suivent le match, quel que soit le lieu.

On mange tous ensemble, personne ne passe à travers, car c'est une fenêtre pendant laquelle l'organisme est vraiment avide de sucres notamment, qu'on lui apporte car il en a énormément consommé au cours de la prestation physique. On lui amène de l'eau, des vitamines, etc. Il ne faut absolument pas passer outre cette fenêtre là sans quoi on va mettre au moins 48 heures pour avoir le même effet. Quand on est dans une logique de match à trois ou quatre jours, on a en plus un protocole de cryothérapie. On immerge nos joueurs dans des bains d'eau froide d'à peu près 10 ou 11°C juste après le match, dans les dix minutes suivant leur retour au vestiaire. Ça a une effet sur la douleur ressentie par le joueur, ça casse le message douloureux, le joueur se sent beaucoup plus léger quand il sort du vestiaire. Ça lui permet de se remettre en route rapidement car le match suivant arrive vite. On suit également ce protocole de cryothérapie le lundi pour les joueurs qui ont fait le décrassage, ça les prépare à faire l'entraînement du mardi dans des conditions maximales.

On ne fait pas de décrassage le jour même du match, même si certaines équipes le font. C'est un problème de logistique et il faut poser le pour et le contre. Le décrassage, c'est aussi l'occasion de faire travailler ceux qui n'ont pas joué. Pour faire une séance digne de ce nom, il faut une bonne heure. Si on doit faire travailler nos remplaçants une bonne heure après le match, quand on a fini le match à 23h00, c'est impossible. Autant venir s'entraîner le lendemain ou le surlendemain. Chez nous, le coach a fait le choix de laisser libre le dimanche pour que les joueurs puissent consacrer ce temps à la famille. Du coup on fait le décrassage le lundi. C'est un très bon choix. Là-dessus, il n'y a pas de bonne ou de mauvaise solution. C'est un problème de sensibilité, de philosophie du groupe. Si c'est un groupe de papas, ils apprécient de passer le dimanche avec leurs enfants.

En fonction des résultats des tests de fatigue, préconises-tu parfois de faire souffler un joueur ? Es-tu écouté par Galette ? (José)

Christophe Galtier me porte une grande confiance. Il dispatche à différents membres de son staff certains domaines. Mon domaine à moi, c'est la préparation physique et la gestion de la charge. Quand je vais vers lui en lui proposant soit une idée de travail, soit en lui disant que j'ai détecté un joueur à risque, il m'écoute. Après c'est lui qui arbitre. Quand même, ce qu'on fait toujours passer en avant, c'est notre œil, c'est la performance de terrain. Le test de fatigue qui va dire avec certitude "lui il est fatigué", ça n'existe pas encore. Pour l'instant, les moyens qu'on nous propose, que ce soit les prises de sang ou autre chose, ne nous permettent pas de dire "ce joueur là, il est fatigué et il ne marquera pas ce week-end." Ça, on est incapable de le dire. En fait, on a un élément supplémentaire dans la balance qui est ce test de fatigue. On va essayer de le corréler à d'autres impressions : quelle impression ce joueur a donné pendant la semaine, quelle a été sa performance lors du match précédent, quelles sont ses données GPS, etc. C'est avec tout ça qu'on prend une décision. C'est le coach qui arbitre. Mais lorsque tout un staff dit qu'un joueur ne met plus un pied devant l'autre à l'entraînement et qu'il a en plus un test de fatigue qui est perturbé, ça tombe sous le sens que ce joueur ne commencera pas. Ceci étant, on n'a jamais vu Christophe Galtier dire "ce joueur là ne vas pas jouer" car il a seulement son test de fatigue qui est perturbé. On fonctionne par ordre, par priorité. On s'est aperçu que ce qui reste encore le plus fiable, c'est quand même notre œil sur le terrain. Se rajoutent à cela d'autres mesures, l'année prochaine il y en aura encore de nouvelles, toujours au plus près du joueur. Pour l'instant, il faut être très honnête, on n'arrive pas à tout connaître du joueur en profondeur. La fatigue, c'est hypercomplexe à appréhender, c'est multifactoriel. On essaye de s'en approcher mais on n'a pas de réponses certaines.

On parle souvent pour les clubs européens de préparation physique destinée à ce que l'équipe soit à son pic de forme en septembre pour le début des Coupes d'Europe puis pour ceux qui ont la honte…euh chance de se qualifier pour les 1/8eme en février mars. Qu'en est-il de Sainté, a-t-on une prépa pour être en forme dès le tout début du championnat et ainsi engranger des points et de la confiance un peu comme un coureur de 400 qui donnerait tout dans le premier 200 en espérant tenir après ? (Parasar)

Il est très clair qu'un entraîneur va demander à son préparateur physique une préparation soit pour être en forme très tôt, soit pour être en forme plus tard. Ça c'est tout à fait possible. Moi je connais très bien les exigences de Christophe Galtier, on a mis en place une préparation pour être prêts rapidement. C'est souvent le choix qui est fait. Il faut regarder maintenant comment évoluent les championnats. On a tout intérêt à partir très fort, car les points qu'on prend au début font vraiment du bien à la tête, ils permettent de ne pas être dans la zone qui bataille, qui ferraille, sachant qu'il y a une grosse pression exercée sur ces clubs-là. Cette pression n'est pas simplement sportive, c'est une fatigue, une charge que beaucoup d'entraîneurs veulent éviter à leurs joueurs et au staff. Très souvent, les entraîneurs demandent au préparateur physique de mettre en place une préparation pour être prêts tout de suite. L'exemple du 400 mètres cité par le potonaute est très bon : si on part vraiment très très fort tout de suite, on peut le payer à la fin. On encourt ce risque. Ceci dit, lorsqu'on fait un 400 mètres, on est tout seul, il n'y a personne pour vous aider. Une équipe de football professionnel, c'est 25 joueurs. Ceux qui commencent la saison ne sont pas forcément ceux qui la finissent. On a eu des très gros blessés, ces joueurs sont absents lors de la première partie de saison, mais peut-être que les trois derniers mois ils seront là. Peut-être que ces gars-là vont amener de la fraîcheur. Peut-être que d'autres joueurs qui ont peu joué jusqu'à présent du fait de choix d'entraîneur seront très performants en fin de la saison. Certains joueurs qui n'ont pas joué en tout début de saison sont maintenant au sommet de leur forme, ils apportent cette fraîcheur-là au groupe. Il faut compter sur cette rotation des joueurs en forme pour tenir la saison. Il y a quand même un aspect majeur : le mental. C'est pour ça que bien partir est important.

En juin 2010 suite au traumatisme des deux saisons précédentes, il a été décidé de faire une préparation physique pour ne pas rater le début de championnat. Logiquement, l'avantage est d'être prêt physiquement dès le début du championnat, mais le défaut de ce choix stratégique est que du coup, les joueurs ont un peu plus de mal à tenir la longueur de l'ensemble de la saison. Correct ? (osvaldopiazzolla)

En théorie, intellectuellement, c'est possible. En pratique, c'est surtout la valeur mentale du joueur qui fait qu'il est capable de se transcender jusqu'à la fin ou pas. Nos joueurs à l'ASSE ne sont pas tous en sélection nationale. On ne joue pas en Coupe d'Europe. Il faut quand même avoir conscience que des footballeurs font 50 matches par an. Les nôtres vont en faire maximum 38, plus les coupes. Nos joueurs ne sont quand même pas poussés à leur maximum en termes de compétitions. Ce n'est pas un bon argument que de penser que ces joueurs-là vont être grillés parce qu'ils auront joué trop fort dès le début. Non, c'est cette capacité mentale à être présent à chaque match qui peut-être peut faire défaut. Ce n'est pas évident de se mettre à 100% mentalement à chaque match. Physiquement, je ne pense pas que ce soit un problème. La preuve on voit bien qu'il y a des gars qui font 50, 60 voire 70 matches par an. Lionel Messi en est déjà à 45 matches. Lui fait la démonstration qu'on peut être capable d'enchaîner les matches à 100%. A mon sens, c'est vraiment le mental qui fait la différence.

J'ai identifié en terme de résultats deux coups de mou lors de la saison dernière : grosso modo, en octobre et vers la fin du championnat. Partages-tu ce point de vue ? Était-ce la résultante d'une préparation réalisée pour être au top en début de saison et donc finalement des périodes creuses qui sont dans l'ordre des choses ? (osvaldopiazzolla)

Je ne crois pas à la fatigue collective. Je ne peux pas y croire parce qu'on individualise tellement les choses que les joueurs ont des volumes et des intensités de travail complètement différents. Ils n'ont pas les mêmes temps de jeu. Ils n'ont pas les mêmes postes. Sachant que, sur un même match, il peut y avoir deux, voire trois kilomètres d'écart entre certains joueurs, qu'il peut y avoir jusqu'à 300, 500% d'écart sur des sprints, ils ne font pas les mêmes efforts en match, pas les mêmes séances d'entraînement car certains sont allégés, d'autres vont compenser… J'ai du mal à croire à la fatigue collective sauf à faire des matchs à répétition. Là, on sait qu'on n'a pas le temps de s'en remettre. Si on fait toujours jouer les mêmes joueurs et qu'on tire toujours sur les mêmes, potentiellement, on peut être affecté par la fatigue. Sinon, pour le reste, quand il y a un coup de moins bien collectivement, c'est plutôt que la tête ne suit pas, parce que l'équipe ne parvient pas à ce moment-là à trouver les ressorts pour extraire 100% de chacun des joueurs. Après, ça peut être aussi le staff qui n'arrive pas à transcender les joueurs. Mais je crois de moins en moins à la fatigue collective.