Entre ici Dimitri et ton terrible cortège ! Cortège de vexations, de coups de jarnac et d’enflages à répétition. Déguisé en chant des partisans, le chant européen monte du virage Sud pour saluer la résistance héroïque de nos Verts. Nous, milliers de Stephs disséminés dans les tribunes latérales vivons à cet instant le vertige du fantasme enfin assouvi.
Nous, milliers de Stephs disséminés dans les tribunes latérales vivons à cet instant le vertige du fantasme enfin assouvi. Ainsi les Verts nous prouvaient que conclure pouvait être aussi jouissif qu’emballer. Voila on l’a fait, ils l’ont fait, et cette victoire en terre ennemie entre sans conteste au panthéon des matches verts de légende qu’il m’a été donné de vivre en tribune tout au long de mes bientôt trente ans de passion verte. Lyon 2010 rejoint Chateauroux 2004, Marseille 1999 et 2000 ou encore Lens 1984.
Ces matches-là laissent dans la mémoire une trace indélébile où se mèlent des images, des sensations, des sons, des montées d’adrénaline et des explosions de joie. Ces matches, qui justifient cent fois la venue au stade plutôt que le visionnage à la télé : parce que votre perception au stade est unique, elle est la vôtre, fruit de votre sensibilité. Untel retiendra tel chant, un tel autre telle manifestation de joie en tribune, un troisième la réaction de tel joueur au moment du coup de sifflet final. La télé par le biais des caméras et des commentaires dicte vos émotions, les encadre, les borne, bref les limite.
Samedi soir le bonheur brut était à savourer sans limite. Il courronnait magnifiquement une soirée riche en émotions.
D’abord l’arrivée au stade, avec cette sensation un peu étouffante du métro qui se remplit progressivement de supporters adverses, et cette impression bizarre d’être un étranger dont l’attachement à Sainté se lit sur son visage, dont tous les gestes trahissent l’appartenance à l’autre camp. Et ce d’autant plus qu’il est surhumain de contrôler ses émotions alors que tout en vous bouillonne de stress et d’excitation.
Puis cette entrée dans l’arène, en tribune Jean Jaurès (la Pierre Faurand du coin), et ce premier reflexe de porter le regard vers la tribune visiteurs, manière de doper son ego vert en constatant qu’ « ils sont là les stéphanois ». Et en nombre.
Un œil sur l’écran géant, pour égrenner les quelques minutes nous séparant du coup d’envoi, la pression grimpe, la boule reste bien calée dans le ventre. Quelqu’un a-t-il un jour mesuré le nombre de coups d’œil qu’on peut donner à l’horloge pendant un match ? Je reste avec ma drôle de question, et pendant que le speaker annonce les compos, j’avise mon entourage immédiat, en quête -quasi vaine- de signes extérieurs de compagnons verts. Je sais, pour avoir pénétré ces lieux en mars dernier que le sup vert est là , mais qu’il préfère rester discret (enfin pour l’instant…).
Je m’étonne et m’inquiète de la sortie du terrain des Vilains à la fin de l’échauffement : c’est en groupe et au trot qu’ils regagnent les vestiaires, comme si à la façon d’un Nadal ils voulaient impressionner l’adversaire en surjouant la motivation et en exhibant une énergie débordante.
Les joueurs sont revenus. Mémé Jacquet dont la présence en ces lieux m’agace, donne le coup d’envoi. Applaudissements discrets de Gerland qui doit partager mon agacement. Je constate avec satisfaction que ses tapes amicales sont plutôt dirigées vers Manu et Dim que vers le camp d'en face. Il ne peut pas ne pas avoir un penchant éternel pour le Vert, notre Mémé national me dis-je en soufflant un grand coup pour tenter en vain d’évacuer ce stress.
Le match démarre, comme l’an dernier les Verts attaquent d’abord côté Sud. Enfin « attaquent », si on veut, car en l’occurrence, contrairement à l’an dernier, ils peinent à passer la ligne médiane. Bafé justifie tout le bien que je pense de lui en caressant le poteau droit de Janot, Payet voltige dans nos cages plutôt qu’aux abords de leur surface, et s’il est trop tôt dans le match pour serrer les fesses, l’inquiétude est là . On concède moult coups francs et corners sur lesquels les mimiques du beau brun d’en face me gonflent prodigieusement. Accompagner d’un piétinement frénétique ce mouvement de balancier des bras a-t-il une vertu quelconque ? Dim montrera plus tard qu’on peut être plus sobre et magnifiquement efficace pour moins cher. Nous plions dangereusement, et nous prions pour qu’ils ne rompent pas avant la mi-temps. Ouf, la pause arrive, l’occasion de partager avec le rédac chef sur notre prestation médiocre et d’informer par sms Paris et Belgrade de notre situation (partout, toujours !).
Après un regard réprobateur en direction de nos sups coupables d’avoir jeté un ou deux fumis sur la partie gauche du virage Sud, je plonge dans cette deuxième mi-temps dont les premières minutes me semblent un peu rassurantes. Impression hélas éphémère, car très vite chassée par l’agacement au spectacle de nos Verts qui rechignent manifestement à jouer les coups à fond. On se condamne à subir. Pas de doute je signe pour un nul. Le temps s’écoule lentement et Perrin s’écroule brutalement. Payet pose le ballon mais ce coup franc irait mieux à un gaucher, me dis-je. Je glisse à mon prestigieux voisin « s’il marque c’est un héros !». Quelques courtes secondes plus tard, les araignées maudissent Dim, et j’ai cette impression énorme que la moitié de la tribune Jean Jaures est debout. Plus d’auto-censure. Tant pis pour les quelques projectiles qui nous passent à côté, nous restons de longues secondes debout, les bras levés à gueuler à la face de Gerbeland notre fierté retrouvée. Comme souvent, ce bonheur fou ne fait qu’augmenter notre stress. La fameuse peur de gagner du tennisman. Fort Alamo reprend de plus belle, et j’essaye de réprimer cette pensée folle : si pour une fois dans cette configuration tant de fois vécue, nous ne cédions pas conformément au nouveau profil - savant mélange de solidité, de lucidité, de solidarité et de réussite – que présente notre équipe ?
Au degré maximum de serrage de fesses, je commente et conteste toutes les décisions de l’arbitre. Mes deux petits voisins qui ont l’âge de se faire chambrer par mon fils dans la cour de récré, assistent au spectacle sans oser protester.
J’enrage en particulier contre ce maudit juge de touche qui garde le bras baissé sur toutes les ouvertures lyonnaises vers Bafé. Ce même Bafé, qui, dans mon souvenir vert, avait la sâle manie d’être souvent hors jeu. Autre maillot, autres mœurs ?
Devant la sensation d’étouffement de notre milieu de terrain et d’infériorité systématique dans les duels, je repense aux « vertus » maintes fois éprouvées de l’armoire à pharmacie lyonnaise.
Affairés à sortir leur banderoles anti-Puel, les sups adverses ont cessé de chanter. Dans ce savoureux silence, le plaisir est immense d’entendre monter du parcage visiteurs à dix minutes de la fin ce vibrant chant européen, celui qui tourne en boucle depuis une semaine sur toutes les chaines de radio et télé. Non il n’est pas ringard ce chant, c’est le seul en France qui représente à tel point un club, une histoire, une légende. Notre you’ll never walk alone à nous me procure 95% de bonheur et 5% d’angoisse. N’est-il pas trop tôt pour l’antonner ? Je ponctue chaque action brûlante des Vilains par un c’est pas possible, on tiendra pas… qui traduit autant une conviction profonde qu’une volonté de conjurer l’inévitable sort.
Le speaker annonce cinq minutes de temps additionnel, ce qui a le don d’alimenter mon courroux-coucou envers l’arbitre, je repense au but de Kopke dans un contexte similaire au Vélodrome il y a quelques années. Manu est fauché par Lloris (sans qu’un journal depuis n’ait cru bon d’en parler, pas plus que de la prise de karaté du Diak sur le Gonz), le Diak, qui a gardé le cœur vert, balance un centre en reprise du plat du pied largement derrière les buts, Rivière s’est relevé pour aller vendanger un ultime contre après avoir été servi par le Gonz. Une minute avant j’avais osé lancer un on va tenir né de ce délicieux sentiment que rien ne peut nous arriver.
L’arbitre siffle, les joueurs explosent comme jamais au diapason de supporters verts en folie. Aucun besoin de rappel présidentiel pour aller saluer les supporters, ce bonheur est trop grand pour ne pas être partagé. Jean Jaurès, terre de contraste se vide de ses sups lyonnais pendant que nous restons pour savourer de longues minutes. Quand t’es dans le désert depuis trop longtemps… tu veux profiter jusqu’à la dernière goutte de cette vague de bonheur. L’ivresse gagne les sups de ma tribune qui reprennent le chant lancé par le parcage.
Nous sommes leaders du championnat et venons de gagner à Lyon. Le scénario peut il être plus beau ? Plus incroyable ? Nous allons encore cette semaine être débordés par l’effervescence médiatique avant, un réveillon chassant l’autre, d’enchainer avec gourmandise ce samedi dans la chaleur du chaudron pour la réception de Marseille.
On l’avait oublié. Le foot est magique parfois. Enfin, le foot je sais pas, mais les Verts oui.
Parasar