Peut-on s’emballer pour les Verts en janvier 2023 ?

Raisonnablement, non.


Depuis trois ans, sur le nuancier des sentiments que partagent les supporters stéphanois, de l’accablement à l’anéantissement en passant par la sidération et la dépression, on a bien vérifié, on n’a trouvé aucune trace de jours heureux.

Dans l’effarante chute de notre club, le bonheur et la fierté n’ont plus leur place. Le déclassement sportif, brutal et total, saupoudré d’un conflit ouvert entre supporters et dirigeants nous a à peine laissé quelques embellies dont la brièveté rappelle qu’au-delà des poteaux carrés, on a ramené d’Ecosse et pour l’éternité un goût certain pour les douches.

Remballez vos Pfizer, rangez vos Moderna, contre toute euphorie il n’y a pas vaccin plus efficace qu’une succession de douches écossaises. C’est implacable : tout espoir de lendemains qui chantent est rayé de notre esprit, et tout début d’emballement, même furtif, est instantanément réprimé.  

En résumé, à la question cali(méresque) c’est quand le bonheur ? chacun de nous a bien intégré que ce n’était ni pour aujourd’hui, ni pour demain. Ce qu’a brillamment reformulé l’autre soir devant Sainté-Laval - m’entendant geindre au spectacle pathétique de onze verts tétanisés - celle qui a le courage de supporter mes dépressions hebdomadaires, d’une question simple mais cruelle : « mais tu y prends du plaisir ? ».

« Non, ce n’est que de la souffrance » ai-je répondu du tac au tac.  Qui après avoir vu Rodez et Annecy aurait pu répondre autre chose ?

Ma résignation concernant les Verts est comme qui dirait ferme, définitive et irrévocable.

Et pourtant, paf, lundi dernier j’ai eu une rechute. Une vraie. Une bien inattendue. Il a suffi d’un rien, pourtant au cœur d’un (énième) match compliqué face à un (énième) adversaire abordable. Juste une action, même pas décisive, juste un geste, à peine souligné par les commentateurs. Presque anodin en somme. Mais comme une réminiscence, comme un souvenir des belles choses, ce retour matuidien de Aïmen Moueffek, en deuxième mi-temps, a fait céder sans prévenir tous mes barrages bâtis patiemment et à contre cœur ces derniers mois.

J’ai adoré cette intervention sur un contre niortais. D’abord accompagner la course du joueur sur quelques mètres, une dizaine peut-être puis habilement récupérer le ballon sans faire faute, puis pivoter et repartir de l’avant. Joli geste défensif, mais pas de quoi passer en boucle sur lapravda tv le lendemain. Pourtant, à l’échelle de nos habituelles errances défensives, sur ce type d’action  - qui alternativement se conclut par un joueur qu’on laisse filer ou qu’on découpe, carton jaune à la clé -c’était plus qu’une rareté, un exploit par lequel Aïmen ramenait enfin la lumière, au cœur d’une partie qu’il a du début à la fin éclaboussée de son activité et de son autorité.

Le geste était beau et rare dans ce secteur de jeu qui a rayé le mot récupération de son vocabulaire. Le match fut beau et rare dans ce championnat où les dénouements de fin de match ne nous sont jamais favorables. L’histoire fut belle et rare enfin pour ce joueur au potentiel si souvent souligné depuis des années, mais à l’éclosion implacablement retardée par les blessures à répétition. Classiquement, quand l’excitation de la victoire retombe, elle laisse la place à une joie légère qui remplit aussi discrètement qu’efficacement les jours suivants. Tout paraît beau alors. Chaque joueur me semble à la fois combatif et performant. Admirable en somme.

J’ai suffisamment de bouteille pour ne pas m’y laisser prendre en temps normal. Je ne suis plus dupe des illusions que font naître ces victoires. Mais là, c’est sur Aïmen que mon esprit se fixa, considérant que non, le concernant, ce n’était pas l’euphorie post-victoire, qui me le rendait combatif, performant et admirable.

Ce qui agissait en l’occurrence, n’était rien d’autre que la réalité d’une performance XXL, succédant à sa sortie très accomplie contre Laval, qui elle-même venait après cette détonnante fin de match en latéral droit contre Caen.  Enchaîner est déjà une prouesse pour Moueffek. Mais enchaîner à ce niveau va bien au-delà, c’est, enfin, une promesse tenue.

Et si, enfin Aïmen se révélait tel qu’il est, avec le chewing-gum de Matuidi dans les jambes et la puissance de bison d’Elkjaer Larsen dans les épaules ?

Moueffek, né à Vienne il y a 21 ans et ayant percé chez les jeunes en banlieue de la banlieue, à Oullins, a eu le choix au moment de franchir le pas entre les deux côtés de l’A47. Sifflotant peut-être sur l’air de Bright side of the road  il a opté pour le divin maillot depuis la catégorie U12 : plateaux, insouciance, étoile sur le cœur, plaisir… What else ?

Destin tracé pour celui qui, se présentant, de sa voix posée, presque timide, face aux caméras d’ASSE TV comme « ni vraiment milieu offensif, ni vraiment milieu défensif, un peu des deux. Box to box » croyait bon d’ajouter qu’il se sentait « obligé de finir le match en ayant tout donné. »

Destin contrarié. En fait de tout donner, il n’a pu distribuer que des miettes : 14 titularisations seulement en trois saisons, dont la première, sous les ordres de Puel, fut la plus remplie (6 titularisations et 13 entrées en jeu).

Ajoutez-y 4 maigres titularisations la saison dernière, où il n’a pu que constater impuissant la lente agonie de son club … qui s’est tristement étirée encore jusqu’à la fin d’année 2022. Lolo Batlles, plutôt avare de commentaires individualisés, a plusieurs fois évoqué avec empathie les précautions prises avec Aïmen en détaillant le protocole précis de sa remise en forme.

Et puis, pour la première fois de sa carrière professionnelle, au sortir de la trêve qatarienne, il vient d’enchaîner quatre titularisations : Annecy, Caen, Laval, Niort.

Fatalement, la question nous brûle les lèvres :  feu de paille ou corpore enfin sano pour celui dont le joli portrait tressé dans Maillot Vert montrait qu’il était déjà un mens sana ?

Pour justifier le titre de cet édito, pour concrétiser de façon durable et éclatante le potentiel entrevu depuis si longtemps par tous les observateurs du club, pour enfin décoller le fugace de nos rares petits bonheurs verts, pour qu’enfin il puisse tout donner comme il le dit, il serait juste que le sort daigne ne plus s’acharner sur Moueffek. Lui comme nous avons tant besoin de retrouver le sourire.

 

Après, il sera toujours temps de se souvenir qu’avec nos dirigeants raillés, notre club reste rayé de la carte. Après, la raison nous rappellera à l’ordre, remontant à la surface tous les Gourna et Fofana qui, aux premiers éclats étaient aussitôt vendus par ces gangsters modernes qui gouvernent ce club avec comme seule ambition d’ajouter quelques zéros.

Après, il ne nous restera plus que nos yeux ... mais parlons d’autre chose.