Il a commencé sa carrière de joueur à l'ASSE, il l'a achevée à l'Amiens SC : Titi Camara s'est confié à Poteaux Carrés avant le match qui opposera les deux clubs ce samedi soir dans le Chaudron.


Titi, où vis-tu que deviens-tu ?

Je vis à Conakry. Je suis rentré au pays en 2008. Ça fait 15 ans déjà, tu te rends compte ! Le temps passe vite. J’ai beaucoup d’activités. Je m’occupe de l’académie de football Titi Camara dans mon club, le Racing Club de Guinée. Le foot, c’est ma vie, je ne peux pas m’éloigner du ballon rond ! J’ai passé les diplômes non pas pour faire carrière mais juste pour aider les jeunes à faire une formation. On forme des filles et des garçons, certaines d’entre elles et certains d’entre eux comptent des sélections en équipe nationale A. C’est un Sport Etudes, on prend tout en charge. Je suis aussi dans l’immobilier et j’ai par ailleurs une société d’énergie renouvelable. Tu vois, je ne m’ennuie pas !

Comme tu le sais, l’ASSE a actuellement un partenariat avec un club sénégalais, les Espoirs de Guédiawaye. As-tu envisagé un partenariat avec les Verts ?

Je m’étais rapproché de Saint-Etienne en 2015, malheureusement ça ne s’est pas fait avec les deux présidents de l’ASSE. J’ai aussi eu des contacts avec Florian Maurice même si on était des ennemis quand il jouait à Lyon et que j’étais à Saint-Etienne. Après on s’est retrouvé à Marseille. Ça ne s’est pas fait, je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu’il n’y a pas eu le temps de réfléchir, de bien mûrir le projet.

Ce samedi, le premier et le dernier club de ta carrière de joueur vont s’affronter dans le Chaudron. Pour qui battra ton cœur ?

Pour Saint-Etienne, il n’y a même pas de débats là-dessus ! (Rires) C’est vrai que j’ai fini ma carrière à Amiens après une expérience de six mois au Qatar. J’étais arrivé en Picardie à mi-saison, j’avais aidé le club à se maintenir en D2. J’ai le souvenir d’un bon club, familial. J’étais un peu l’ancien du vestiaire ! (rires) Mais Saint-Etienne reste mon club de cœur. L’ASSE, c’est le club qui m’a permis d’être professionnel. C’est à Sainté que j’ai fini ma formation footballistique. Je suis resté sept ans chez les Verts, je n’oublie pas que c’est le club qui m’a fait connaître au monde entier. Tout a commencé à Saint-Etienne.

Peux-tu nous rappeler le contexte de ton arrivée dans le Forez ?

Oui mais avant ça je vais faire un petit rappel historique. Après l’indépendance de la Guinée en 1958, de 1970 à 1980, la Guinée dominait le football africain. On a été trois fois champions d’Afrique en club avec le Hafia Football Club. Le Syli National a été finaliste de la CAN en 1976. Mais les joueurs guinéens ne sortaient pas. Des Camerounais sortaient, le Malien Salif Keita est sorti. Ils avaient cette liberté mais ce n’était pas le cas en Guinée. Même des joueurs comme le Ballon d’or africain 1972 Chéryf Souleymane n’ont pas eu la chance de monnayer leur talent à l’extérieur. Moi j’ai eu cette chance car suite à la mort de Sekou Touré en 1984, il y a eu le libéralisme et des opportunités de partir. Au départ en ce qui me concerne c’était pour les études. C’était une volonté de ma mère. J’ai quitté la Guinée pour la France à l’âge de 15 ans, j’étais à Ambert.

On ne va pas en faire tout un fromage mais quitte à manger de la fourme t’aurais pu choisir Montbrison !

Ah mais il ne t’a pas échappé qu’au final j’ai bien rejoint la Loire ! (rires) J’ai fait quelques apparitions dans le club de football d’Ambert. Bernard Bosquier, qui était à l’époque le directeur sportif de l’ASSE, a appris qu’un jeune guinéen faisait des merveilles dans le Puy-de-Dôme (rires) Il m’a fait venir pour un essai de deux semaines avec la réserve de Saint-Etienne. Sans être prétentieux, j’étais un peu plus fort que les réservistes donc ils m’ont fait monter avec les pros. Je me suis entraîné une semaine en équipe première. C’était différent, plus physique. J’ai découvert ce qu’était le haut niveau. J’ai rencontré Christian Sarramagna, qui était à ce moment-là l’adjoint de Robert Herbin et qui lui a succédé sur le banc. L’entraîneur de la réserve, c’était Pierre Repellini.

J’ai intégré le centre de formation et j’ai pu ensuite jouer en équipe première. C’était la génération des Grégory Coupet, Sébastien Perez, le regretté Bibiche Aulanier, Stéphane Santini, Salem Harchèche… Je garde de bons souvenirs de cette période. On était amis, il y avait de l’insouciance, on sortait, on s’amusait tout en gardant en tête l’objectif qu’on avait tous : devenir des joueurs professionnels. Je me souviens de mes débuts en pro, je n’avais pas encore 19 ans. C’était à Geoffroy-Guichard, on avait battu Cannes 1-0 grâce à un but de Philippe Tibeuf. Dans le camp d’en face il y avait un petit jeune qui a fait une belle petite carrière (rires) : Zinédine Zidane !

Tu as joué une bonne centaine de matches officiels en équipe première sous le maillot vert. Quel a été le plus marquant à tes yeux ?

Le quart de finale de Coupe de France qu’on a gagné 2-1 après prolongation dans le Chaudron en 1993 contre la grosse équipe de l’OM qui a gagné 15 jours plus tard la Coupe d’Europe en battant le Milan AC en finale. C’était il y a 30 ans mais je m’en souviens très bien, c’était un super match. Gérald Passi avait ouvert le score d’une mine sous la barre sur une passe de Lubo. Marseille avait égalisé avec pas mal de réussite sur un centre de Rudi Voller dévié par Patrick Moreau. Mais on avait arraché la victoire en prolongation suite à une belle action de Lubo. Hélas en demi-finale on a perdu à la maison contre Nantes sur un but de Nicolas Ouedec.



Tu as claqué 18 pions en 103 matches officiels. Tu étais un joueur généreux, rapide mais t’aurais pu claquer davantage de pions, non ?

J’aurais aimé marquer plus de buts sous le maillot vert, c’est sûr. Il ne faut pas se chercher trop d’excuses. Quand je suis arrivé à Saint-Etienne, j’étais milieu de terrain. Après ils m’ont transformé et j’ai joué plus haut. J’entendais les propos que certains tenaient sur moi : « il est maladroit, il manque de lucidité. » Avec le recul, je pense qu’on peut corriger les défauts d’efficacité d’un jeune avec du travail spécifique. C’est clair que je n’ai jamais été un renard de surface, je n’étais pas le genre d’attaquant qui te met 15 buts par saison. J’étais un joueur qui pouvait tourner autour d’un avant-centre. J’ai joué avec Roland Wohlfarth. Je n’évoluais pas dans le même registre que lui, je n'étais pas un grand buteur.

T’as quand même mis 9 buts lors de ta dernière saison verte (1994-1995), le plus beau lors d’un match contre Strasbourg où Lubo et Lolo avaient également brillé…



Oui, j’ai été plutôt efficace lors de ma dernière année de contrat à l'ASSE avant que je parte à Lens. On avait bien commencé le championnat cette saison-là, on était dans les quatre premiers. Malheureusement, ça s’est gâté par la suite. On a fini à une peu glorieuse 18e place mais on s’est maintenu car la remontée de l’OM a été invalidée par les instances pour raisons financières.

Quels sont les coéquipiers qui t’ont le plus impressionné à Sainté ?

Lubomir Moracik était un meneur de jeu talentueux. Roland Wohlfarth était un buteur efficace. Jean-Pierre Cyprien était un défenseur solide. On a eu la chance de côtoyer Joseph-Antoine Bell à la fin de sa carrière, il a été un modèle pour tous les jeunes stéphanois. Et bien sûr je n’oublie pas Laurent Blanc. J’ai connu Lolo à Saint-Etienne et à Marseille aussi. C’était un coéquipier exemplaire, un modèle pour les jeunes vu les qualités et le charisme qu’il avait.

Après avoir joué dans le Chaudron avec les Verts et à Bollaert avec les Sang et Or, tu as évolué au Vélodrome avec l’OM et à Anfield avec les Reds. Ressens-tu de la fierté d’avoir joué dans des clubs réputés pour la ferveur de leurs supporters ?

Je ne sais pas si « fierté » est le bon mot. Il y a le travail, le destin. Il faut une part de chance dans une carrière. J’ai pris du plaisir à défendre le maillot de clubs supportés par des mordus du football. J’ai eu la chance de joueur devant des publics merveilleux qui connaissaient bien le football. Ils ont cette passion de suivre leur équipe du début jusqu’à la fin, y compris dans les moments difficiles car c’est là qu’on voit les vrais supporters.

Même si les Verts sont en Ligue 2, même s’ils jouent le maintien, ils peuvent compter sur leurs supporters. Ils sont plus de 20 000 à Geoffroy-Guichard et ils sont très nombreux dans les parcages visiteurs. J’ai été peiné de voir les Verts descendre en deuxième division. Cette saison ils ont longtemps été dans la zone rouge, ça m’inquiétait mais je me réjouis de voir qu’ils sont en train de remonter la pente. Pour le football français et pour la ville, j’espère que les Verts ne tarderont pas trop à retrouver l’élite. Saint-Etienne a tout : un stade mythique, des supporters fantastiques…

... mais des présidents toujours là et en bout de course, au grand dam de très nombreux supporters stéphanois !

L’après-Galtier a été mal géré. Dans une organisation quelle qu’elle soit, c’est risqué de trop se reposer sur une personne, aussi compétente et investie soit-elle. La valse des entraîneurs et des joueurs depuis des années, le déclin sportif du club, c’est dur à vivre pour tous les amoureux des Verts. Quand on voit ce qui se passe à Saint-Etienne depuis de trop longues saisons, on est tous désœuvrés ! L’ASSE a besoin d’un projet sportif pérenne auquel tout le monde adhère. Le club a besoin de stabilité et de sérénité. Tous les fans de foot ont envie de revoir les Verts en Ligue 1, même les Lyonnais car je suis sûr que le derby leur manque aussi ! (rires)

Même si les matches de Sainté ne passent pas tous sur les chaînes africaines, je continue de suivre les Verts car c’est mon club de cœur. Je souhaite de tout cœur que le club remonte avant tout pour les supporters. D'ailleurs il faudrait que je retourne dans le Chaudron, ça fait trop longtemps que je n'ai pas vu un match là-bas ! Pourquoi pas d'ici la fin de saison ? Mais je ne voyage plus trop, j'ai un peu peur en avion. J'ai 50 ans, je me fais vieux ! (rires) L’élément moteur de Saint-Etienne, c’est le public. Les Verts, ça ne s’explique pas, ça se vit. Les supporters adorent leur club, ils adorent leur ville. C’est pour ça que ça me peine que l’ASSE ne parvienne pas à retrouver son lustre passé. Moi comme tout le monde j’ai envie de revoir les Verts jouer les premiers rôles en Ligue 1, briller en coupe d’Europe, gagner des titres. Aujourd’hui on est en loin, il va falloir être patient.

En attendant Sainté a bien remonté la pente en L2 depuis le début de l’année 2023. Ton jeune compatriote Saidou Sow a retrouvé à cette occasion du temps de jeu, que penses-tu de lui ?

C’est un bon joueur, un joueur d’avenir. Il est jeune, il est grand. Il est bon de la tête. Il compte déjà près d’une dizaine de sélections et il vient d’être convoqué pour les matches éliminatoires de la CAN contre l’Éthiopie qui auront lieu ce mois de mars. J’ai vu jouer Saidou Sow à la dernière CAN au Cameroun. Je l’avais trouvé parfois en difficulté dans notre défense à trois. Je le trouve prometteur mais il doit améliorer sa relance et sa capacité à sortir le ballon pour créer le surnombre. Il avait disparu de la circulation cet automne mais cet hiver il a retrouvé du temps de jeu. Il faut qu’il travaille plus pour s’imposer durablement en club comme en sélection.

Ton prono pour le Sainté-Amiens de ce samedi ?

Quand je regarde le classement, je vois que Saint-Etienne est 13e et compte 5 points de moins que cette équipe d’Amiens qui est 9e. Les Stéphanois ont davantage besoin de points que les Amiénois. L’ASSE a plus de chances de gagner, surtout que les Verts joueront à la maison et seront quasiment au complet. Je pense que les Verts ont de très bonnes chances de l'emporter. Que le meilleur gagne... et que le meilleur soit Saint-Etienne ! (rires)

Merci à Titi pour sa disponibilité

 

Crédit photo : Le Progrès, Lionel Lopes-Quintas