A bien y réfléchir, les chansons vantant le grand départ sont plus nombreuses que celles mystifiant le fait de rester au bercail. Mais dans une carrière de footballeur - même de plus en plus longue - faut-il pour autant fuir sans cesse vers l'avant et chercher l'herbe plus verte ? Ainsi, à peine l'encre de son nouveau contrat sèche, que Niels Nkounkou faisait savoir qu'il désirait jouer en première division. Le même Niels qui aspirait "à plus de stabilité" veut déjà nous quitter. A bientôt 23 ans, il s'est construit un CV de baroudeur en fin de carrière : Brest, Marseille, Everton, Liège, Cardiff, Sainté ... Des transferts, des prêts ... autant d'entraîneurs, de couleurs, de publics, de façons de jouer, de coéquipiers, d'hôtels, de maisons temporaires ... Mais dans le foot, le plus difficile, c'est de durer. Et d'être capable de répéter les bonnes performances.

Quand je lis les déclarations d'un joueur qui veut quitter son club après une bonne saison, je ne peux m'empêcher de penser que le joueur en question veut partir car il sait au fond de lui qu'il n'est pas capable de réaliser la même performance. Son but est donc de capitaliser sur cet acquis pour trouver un plus gros club, un plus gros salaire, et rentrer dans le rang. Les exemples sont nombreux. Le joueur qui m'impressionnerait serait celui qui dirait, au contraire, qu'il veut encore faire mieux avec son club, que le maximum n'a pas été atteint, et qu'il va travailler la saison prochaine pour être meilleur et porter ce club vers ses objectifs. Les exemples sont plus rares ! Seko Fofana, dans un passé récent, a su rester à Lens alors qu'il aurait pu partir. Résultat : une 2e place au classement la saison suivante, à 1 point du PSG version char à voiles.

Les parcours de footballeurs ne sont pas linéaires. Il y a ceux qui ont rapidement des fourmis dans les jambes, et ceux qui ont dû patienter longtemps. Une formation en dents de scie. Un joueur qui débute défenseur central alors qu'il rêve de marquer des buts. Un parcours cahoteux, de Châteauroux à Lorient. Une sortie de centre de formation sans contrat. Le passage par la N2 ... Schiltigheim puis Epinal ... Et après un parcours fou en Coupe de France avec sa bande de copains, l'affrontement d'une vie. Epinal - Saint-Etienne. On est en février 2020. Le Covid n'est encore qu'un fantasme et Jean-Philippe Krasso se révèle aux yeux de Claude Puel. Quelques mois plus tard, à 23 ans, il signe son premier contrat professionnel. En Vert et Blanc.

Si j'ai pris le temps de refaire l'historique de celui qui nous a offert 29 moments de bonheur cette saison (17 buts, 12 passes décisives), c'est pour rappeler que le temps est plus souvent l'allié du footballeur que son ennemi. Certes, il lutte face à une carrière qui s'arrêtera avant ses 40 ans mais c'est parfois en prenant son temps qu'il arrive au sommet. En peinant à gravir les échelons. En répétant ses gammes. "Zipé" a passé 3 saisons à Sainté, entrecoupées de deux prêts au Mans et à Ajaccio, et je dois bien avouer que je ne l'avais pas vu venir. S'il avait fallu mettre de l'argent en début de saison sur un Krasso à plus de 15 buts, vous m'auriez vu filer loin ! Lors de ses rares entrées en L1, je n'avais pas décelé cette technique, cette vista dont il a su faire preuve cette saison et qui, par moment, m'a rappelé un autre magicien du football, guinéen celui-ci. Il y a du Pasqui dans ce Krasso cru 2022-2023.

Niels Nkounkou et Jean-Philippe Krasso sont aujourd'hui à un tournant de leur carrière. Si le premier veut se poser pour exploser, le second aspire enfin à prendre sa place dans l'élite. Je ne peux les blâmer de ne pas penser comme un supporter des Verts, mais je peux les inciter à lire et relire les interviews d'anciens Verts ayant connu la montée avec Sainté. Récemment c'est Frédéric Antonetti qui en a remis une couche en parlant de la saison 2003-2004 : "A Saint-Etienne, j'ai vécu certainement l'une de mes plus belles années. Chaque fois que je croise un joueur de cette équipe, on se dit que c’était une des plus belles années de notre carrière." Un de ses éléments clés au milieu de terrain, Fabrice Jau, nous confiait à propos du match du titre face à Châteauroux : "Je n'avais pas connu de ferveur comme ça ! Ca marque à vie. C'était incroyable. Le public te porte. Tu oublies les efforts, la fatigue. Cette ambiance a changé les choses."

Ils n'étaient "que" 34 792 ce soir de mai 2004 à porter Damien Bridonneau pour l'aider à propulser cette reprise de volée sensationnelle au fond des filets, et glaner le titre de L2. Ils étaient 39 873 la semaine dernière, dans un match sans enjeu contre Valenciennes. Combien seront-ils l'an prochain si l'ultime rencontre peut accoucher d'une remontée en L1 ? A l'heure où certains fredonnent le chant du départ, pensent-ils un peu à cela ? A la trace qu'ils peuvent laisser dans l'histoire de ce club légendaire ? Aux souvenirs qu'ils vont se créer ? A la ferveur de ce public inégalable qui chantera leur nom ? Dans un monde où les carrières se font et se défont pour quelques dollars de plus, ils devront se poser ces questions au risque de regretter leur choix dans quelques mois ou quelques années, au fil d'un nouveau prêt sans option d'achat.