Remplacé par Jean-Louis Gasset sur le banc stéphanois un soir de décembre 2017, Julien Sablé est par la suite devenu l'adjoint de l'homme à la casquette jusqu'à son départ de l'ASSE en 2019.


Julien, comment tu as appris le décès de Jean-Louis Gasset ?

Par hasard là tout à l'heure (entretien réalisé vendredi soir, ndp2). On savait que j'étais très attaché à lui et on m'a envoyé la nouvelle. Je me sens dévasté, c'est quelque chose qui est difficile à accepter.

Tu étais encore un peu en contact avec lui ces derniers temps ?

Oui bien sûr depuis son départ de Saint-Étienne. Même si ce n'était pas un grand bavard de téléphone, je l'avais sur les grandes occasions et à chaque fois qu'il a repris des missions, j'ai toujours envoyé un message. On a toujours un peu échangé, mais le lien entre nous, c'était quand même beaucoup Ghislain pour qui j'ai une grande pensée car il perd un frère. Mes premières pensées, elles vont à Ghislain et évidemment à sa famille ses enfants, ses petits-enfants.

C'est l'occasion de revenir sur le moment où vous êtes connus. Tout débute en 2017, après le derby perdu 5-0 et le départ d'Oscar Garcia. Comment tu deviens coach numéro 1 à ce moment-là ?

Ca s'est fait de manière très bizarre. Un soir, le président Romeyer m'a appelé en me disant "voilà il y a des adjoints qui peuvent peuvent t'être proposés". En haut de la liste, il y a Jean-Louis Gasset. Je ne le connaissais pas personnellement. Mais Jean-Louis voulait venir pour m'épauler dans un premier temps. Il voyait très bien que la mission était très compliquée pour moi. C'est ce qu'il m'avait dit. Et puis on a vécu presque deux ans. Ça a été magnifique.

C'est vrai que toi tu commences par un intérim qui est très compliqué où tu passes quelques matchs tout seul sur le banc avec des grosses défaites. Il y avait beaucoup de pression sur tes épaules à ce moment-là avec une équipe un peu à la dérive.

Une équipe qui était complètement à la dérive ! Jean-Louis est arrivé après mon premier match à Lille (défaite 3-1, npd2). Ensuite, on joue Strasbourg, on fait match nul 2-2 et le lendemain on s'était retrouvé très tôt au bureau à 6h, c'était un matinal et moi aussi. Il m'a dit "fils, on n'a pas l'équipe pour pouvoir se sauver, il faut que j'appelle mes amis et qu'on puisse trouver une solution au mercato". Et donc on s'est mis en branle-bas de combat parce qu'on n'avait pas l'équipe pour se sauver. Ça a été très difficile pour lui de vivre ça, même si j'étais en première ligne à ce moment-là. Je me souviens très bien quand on a échangé les rôles, je lui ai dit "écoute, je pense que si on switche pas il se peut que ça se finisse mal pour tous les deux." J'étais allé voir les deux présidents à l'époque pour leur dire que je voulais changer les rôles puisque j'arrivais au bout. D'ailleurs, ils risquaient de payer des amendes (Julien n'avait pas le BEPF à l'époque, c'était Alain Ravera qui était officiellement l'entraîneur sur les feuilles de matchs, l'ASSE risquait 25 000 euros d'amende par match, ndp2).

Dans cette histoire, Jean-Louis m'a beaucoup protégé, il m'a aidé à me relever parce que cette mission a été très dure à accepter au début pour moi. Et surtout son échec. Mais je n'étais pas prêt et lui le savait. Il m'a protégé mais je lui ai dit : "la seule condition pour qu'on échange nos rôles, c'est que je veux rester avec toi, je veux apprendre mon métier". On était connectés ... un peu comme avec un papa. Il a été très protecteur, m'a appris beaucoup de ficelles. Lui m'avait dit "écoute, tu sais que si je prends la mission, Ghislain va venir." Moi je lui ai répondu qu'il fallait déjà que j'apprenne à être adjoint et donc je me suis mis dans la roue de Ghislain.  Mais avec Jean-Louis, on avait une relation très spéciale dans sa période Saint-Étienne. Ca a été un apprentissage magnifique dans mon parcours. J'ai vécu une saison et demie exceptionnelle, à parler que de foot et de relations humaines, de ses expériences ... Ça a été une magnifique rencontre dans ma vie et je suis aujourd'hui très triste.

Tu parlais de ce changement de rôle entre toi et lui, une passation de pouvoir qui s'est faite un peu en catimini, avec des joueurs prévenus à la dernière minute.

C'était mon dernier match autorisé, à Guingamp. Mais on avait déjà décidé ça lui et moi, et donc on avait convenu qu'à la causerie, c'est lui qui allait se présenter devant les joueurs parce qu'il fallait sauver le club et que c'était la chose la plus importante. Moi j'y étais allé un peu contraint forcé à certains moments. Et puis après derrière mon rôle, ça a été d'apprendre. Ça n'a pas été une période très simple pour moi professionnellement parlant. Il a fallu accepter, comprendre, se reconstruire dans un moment où vous êtes un peu dans le déni. Mais il a été très précautionneux avec moi et en plus de cela, il nous a remis le club à l'endroit pendant une saison et demie jusqu'à cette quatrième place.

Tu n'as pas pensé à claquer la porte à ce moment-là ?

Non, je n'ai pas d'ego et puis ça dépassait ce cadre-là. Avec Jean-Louis on était dans la relation humaine. Et puis il fallait construire ma carrière, cette mission n'était pas prévue, je l'ai acceptée. Pour moi ça fait partie des des échecs qui vous construisent pour la suite. J'ai eu la chance de pouvoir rencontrer Jean-Louis et de pouvoir apprendre de lui. Il a posé les bases de l'entraîneur que je souhaite être un jour.

Qu'est-ce que tu retiens le plus ? Est-ce que c'est vraiment sur le plan humain, sa gestion d'un effectif, sa relation avec les joueurs ? Ou c'est aussi le côté technique, la qualité des entraînements, la mise en place d'une tactique ?

C'est quelqu'un qui avait énormément déjà d'expérience. La première chose qu'il m'a dite c'est "tu peux être le meilleur tacticien du monde, si t'as pas des bons joueurs, tu ne peux pas remplir tes objectifs." C'est la première leçon qu'il m'a donnée. Il m'a dit "tu n'aurais jamais dû accepter parce que t'avais pas l'équipe pour pouvoir t'en sortir." Donc la première chose qu'il s'est attelé à faire, c'est construire cet effectif car il avait un très bon carnet d'adresses. 

Mais c'était aussi et surtout un très, très fin tacticien, un passionné qui regardait du foot toute la journée. Et c'est là où on se rejoignait beaucoup sur sur cette passion. Et il donnait des idées et c'est là où le binôme avec Ghislain était phénoménal. Les idées qu'il avait, Ghislain les mettait en place sur des exercices à l'entraînement. Et puis après il y avait la relation humaine. Il tenait les joueurs et les causeries étaient exceptionnelles parce qu'il parlait avec son cœur et ses tripes et il a mené tout le monde avec lui. Je peux te dire que le jour où il est parti ... pour l'instant je n'ai jamais vécu cela dans un club où tout le monde était en larmes. Moi je perdais quelqu'un qui m'était très cher ... et pourtant, ça reste du professionnel mais on a tous pleuré et on savait qu'on perdait beaucoup. Voilà c'était un tout, Jean-Louis. j'ai du mal à en parler au passé ...

Tu le sentais fatigué à la fin de sa mission stéphanoise ? Il avait annoncé sa retraite et puis il était finalement reparti pour plusieurs missions (Bordeaux, Côte d'Ivoire, OM, Montpellier), comment tu le sentais à l'époque ?

Je pense qu'il était allé au bout de sa mission ... Il savait qu'il avait tiré le maximum et est-ce qu'il allait avoir les moyens pour la suite ? Je pense que c'est quelqu'un qui prenait les choses très à cœur, qui donnait tellement que s'il disait qu'il était fatigué, c'est ce qu'il ressentait à l'époque. Mais bon au bout de trois semaines à tourner chez lui, l'appel du foot, la passion a été trop forte et il a dû aller relever d'autres challenges. A la fin de sa période stéphanoise, je pense qu'il y avait un tout, il avait beaucoup donné depuis depuis un an et demi et sa famille avec qui il est très lié lui manquait, même s'il rentrait souvent avec Ghislain. C'est quelqu'un qui est très attaché à sa terre et voilà, peut-être qu'il voyait qu'il n'allait pas pouvoir continuer à garder ses ambitions.

Ça a été a été un moment terrible pour ses collaborateurs et pour les joueurs. Et après je ne suis pas étonné qu'il ait rebondi parce que quand on parle de Jean-Louis, on parle de la passion du foot et de la passion des gens. On a vécu des moments exceptionnels. J'ai eu la chance d'avoir d'avoir pu connaître cet homme-là dans ma vie et dans ma carrière.

Et ça a été dommageable pour le club, qui ne s'est jamais vraiment remis de son départ.

Je pense qu'il savait au fond de lui qu'il avait tiré beaucoup sur la qualité des joueurs. Il connaissait les joueurs, il avait beaucoup demandé. Pour lui, le football c'étaient des missions de cycle. Et puis voilà, être dans un club aussi populaire que Saint-Étienne ... c'est très pompant en énergie. Une autre chose qu'il m'a dite c'est qu'il faut savoir partir au bon moment, il faut parfois savoir refuser des missions. Voilà comment il a vécu sa carrière. Avec un début de carrière similaire au mien, il m'en parlait souvent mais il s'est toujours accroché et il a eu un destin exceptionnel. C'est quelqu'un qui a souffert aussi personnellement donc voilà aujourd'hui c'est un jour triste pour le football et surtout pour sa famille.

Merci à Julien pour sa disponibilité ! L'équipe de Poteaux-Carrés adresse ses condoléances à la famille et aux proches de Jean-Louis Gasset.