Parce qu'à Sainté, on se doit de reconnaître la valeur d'un joueur pas uniquement à son talent.
Quand on a, comme moi, passé la trentaine, on commence à avoir vu défiler des centaines de joueurs sous la tunique verte. Certains ont fait un (Jérôme) four, quand d'autres ont limité la (Sou)casse. Rares sont ceux qui illuminent une rencontre, créent le frisson. Je n'ai pas connu Platoche mais j'ai le souvenir d'un match entre Sainté et Nancy comme nul autre pareil. Ce soir-là, un petit lutin avait mis tout Geoffroy-Guichard dans sa poche en 30 minutes chrono. Alex, c'est un des premiers magiciens que j'ai pu voir en Vert. Oh, il y en eu d'autres qui composent mon onze de rêve ... Ruffier, Perrin, Saliba, Debuchy, Matuidi, Payet, Feindouno, Cabella, Aubame, Hamouma ... entre autres. Des joueurs frissons capables de tout, surtout du meilleur.
L'esprit simpliste aime ranger les joueurs dans des cases. Il y aurait les chèvres d'un côté et les génies de l'autre. Et entre les deux ... un marasme de joueurs moyens. Evidemment, j'ai aussi mon onze du cauchemar ... rempli de joueurs passés très fugacement par le Vert et qui n'ont marqué le club que par des prestations calamiteuses. Les citer serait se rappeler de trop (nombreux) mauvais souvenirs, et j'aime me concentrer sur les bons. J'aime me rappeler le barrage contre Metz plutôt que celui contre Auxerre. C'est comme ça ... j'aime me faire du bien. Et quand ça ne va pas, je vais me mater quelques victoires stéphanoises qui me mettent les larmes. Récemment, j'ai revu mon équipe menée de deux buts dans un match couperet pour la Ligue 1. J'ai revu ce corner, tiré par Dylan Chambost et repris victorieusement par Léo Pétrot. J'ai senti le frisson sur un ultime centre messin coupé du pied par Dennis Appiah, revenu du diable vauvert et contre tous.
Léo, Dennis ... deux hommes sans qui nous ne serions donc jamais revenus en Ligue 1. Deux joueurs de caractère, de devoir. Ils incarnent un football que j'aime. Léo, quand je le revois sur le bord de la touche à Saint-Symphorien, en larmes, dans les ultimes secondes des prolongations, je vois qu'il vit exactement ce que je vis. Il est heureux, comme un gamin qui a fait gagner son club de cœur. Ses larmes sont les miennes. Il est heureux comme tous ces fous qui descendent des kops sur chaque but. Quand je vois Léo et Dennis chaque week-end, j'ai l'impression qu'ils souffrent sur le terrain après 90 minutes à courir dans leur couloir. Ils n'ont pas triché, ils ont tout donné. Et même quand on a tenté de les remplacer, ils sont revenus à leur place. Jamais blessés, toujours au poste. Des soldats avec qui tu pars à la guerre tous les jours. Alors oui ... Pétrot et Appiah ne seront jamais Roberto Carlos et Dani Alves ... Ils n'auront jamais leur place dans l'équipe type de Ligue 1. Mais quelque part, ils sont dans mon onze de cœur. Celui rempli de joueurs moyens, de cabossés, de besogneux ... De mecs qui n'ont jamais triché, jamais ralenti, jamais renoncé face aux défis. Ils sont ce que le public stéphanois - le vrai, pas celui de Twitter - attend d'un joueur qui revêt ce maillot. L'abnégation, la fierté, le dépassement de soi ... Ils incarnent ces fameuses "valeurs" qu'on aime tant porter en étendard et qui feraient de Sainté un club différent des autres. Les voir aujourd'hui tant critiqués, jetés en pâture me débecte. Ces compilations vidéo sur leurs approximations techniques et les commentaires qui crient haro sur le baudet déshonorent leurs auteurs. Décidément, parfois, c'est le public qui n'est pas à la hauteur de l'équipe.
Gloire, donc, à ces besogneux ! Ces joueurs qui n'auront pas le Ballon d'Or mais qui méritent notre admiration. Qui ont, en tout cas, la mienne. Au sein d'un football qui se perd, se fourvoie à poursuivre une course folle vers toujours plus de matchs, toujours plus d'intransigeance envers les acteurs du jeu et de moins en moins de romantisme ... Ces soldats incarnent l'inverse de cela ... Je me prends à rêver qu'un jour, eux aussi auront leur chanson à GG. Comme un joueur qui a d'abord été copieusement sifflé, avant de renverser la vapeur par son état d'esprit, sa capacité à mouiller le maillot. Comme dit sa chanson, il ne faut "jamais oublier" ... Car si "ce soir on va gagner grâce à Monnet Paquet", peut-être que demain on ne descendra pas grâce à Appiah, et qu'on ira plus haut grâce à Pétrot.