Ou pas...

Le 30 novembre, nous fêterons le vingtième anniversaire de Saint-Etienne - Châteauroux.


Ne vous énervez pas, malgré les affronts répétés du temps, je sais encore compter. Je parle de Châteauroux, pas de Châteauroux. C’est bon vous l’avez ?

Non ?

Bon vous le faites exprès ou quoi ? Je ne parle pas du 2-1 mais du 0-0. Je ne parle pas de « Et Bridonneauuuuuuuuuuuuuuuuuu », ni du plus beau tifo de l’histoire du Chaudron et de la banderole C’est tout Sainté qui vous remercie. Ca fera 18 ans en mai prochain.

Non, 20 ans j’ai dit ! Je vous parle de « on veut une équipe digne de son public » et de la banderole en Nord un kop vide pour une équipe morbide.

L’éphéméride de ce 30 novembre nous le rappelle, il y en avait eu d’autres des banderoles. Et des plus triviales, comme en Sud avec un goûtu c’est vrai : vous êtes des merdes. Un éphéméride que vous pouvez choisir de lire, si vous êtes en forme. A vous de voir… Attention, des images et des sons sont susceptibles de choquer les plus sensibles.

Sur la vidéo de cette terrible soirée, on peut furtivement apercevoir Alain Bompard en tribune, Anto debout devant le banc, et ces rangées de sièges rouges, jaunes, oranges, vides et froids. On entend la terrible bronca à l’entrée des joueurs sur la pelouse. Puis un Allez les Verts courageux repris par ceux qui, contre vents et branlées, continuent de penser qu’un supporter ça encourage toujours et en toutes circonstances.

Il a vingt ans ce sombre match, et plagiant sans vergogne Paul Nizan, on ne laissera personne dire que c’est le plus bel âge, tant tout menace de ruine notre club.

Car à bien y réfléchir, ce vingtième anniversaire est doublement déprimant.

Déprimant d’abord parce que, pour ceux qui l’ont vécue, se remémorer cette période est un supplice. Jugez plutôt comme notre équipe de mickeys savait nous rendre dingos à l’époque : une semaine avant ce 30 novembre maudit, nos Verts en avaient pris trois en Coupe à Aurillac. Un mois avant il y avait eu Beauvais (0-3), et deux mois plus tard, il y aura Gueugnon (0-3). Peut-on faire pire série ?

Déprimant ensuite parce qu’au fond il est frappant de constater à quel point nous sommes revenus à la case départ. Toutes nos convictions de soldats-supporters toujours en première ligne, qui croyaient que 2002, en matière d’annus d’horribilis c’était forcément la der des der, s’effacent chaque jour un peu plus devant cette débâcle de 2022. La France verte est jetée sur les routes, de Pau, de Rodez, d’Annecy et de Quevilly, et qui sait demain, du Puy, de Dunkerque, d’Avranches et de Cholet.

Je me souviens qu’il y a vingt ans, tout relevait de la chimère. Nous étions imprégnés de cette terrible sensation, comment l’oublier, que rien ne nous était autorisé. Le ciel de Geoffroy était constellé d’inaccessibles étoiles. Espérer était une douleur. Remonter en d1 n’était qu’un rêve, trouver de la stabilité un absolu inaccessible, gagner un titre ou rejouer l’Europe un fantasme surréaliste.

Et puis, la remontée, et puis quelques promesses (Féfé, la défense de fer autour de Janot Diawara Hognon Camara Ilunga, l’entente Ilan-Piquionne), et quelques frayeurs immenses (nos 17èmes places au printemps). Et puis Galette, et le miracle de la concrétisation conjuguée de nos rêves et de nos fantasmes. J’avoue, j’ai péché oui. Par naïveté. Croyant, pas longtemps, mais un peu quand même, qu’on s’était enfin installé là-haut, à notre place, pour de bon, pour toujours. Pourtant je me rappelle ces soirs à me répéter, en rentrant de Geoffroy, qu’il fallait apprécier tout cela, goûter ce bonheur d’être là où personne n’osait plus espérer être, quand le siècle démarrant nous baladait d’humiliations en colères, de déprimes en résignations. Je croyais être vigilant, mais on s’habitue, c’est humain, aux succès et à l’illusion de leur permanence.

A ma décharge, Châteauroux semblait si loin ce soir de novembre 2015, quand je goûtais à Trondheim au plaisir d’une virée au bout de l’Europe pour aller décrocher une première place de poule par la grâce d’un pénal obtenu par Hamouma. Cette nuit qui tombe si tôt en Norvège, j’aurais dû y voir un signe. Quelques mois plus tard, je retrouvais ma prétentieuse lucidité, quand, pris d’un vertige au son des quelques sifflets de fin de règne de Galette, je me vis tel le Christ en croix, lançant aux impatients d’Henri Point pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. Ils ne savaient pas que cette 8ème place, qu'ils jugaient indigne, serait cinq ans plus tard un paradis perdu.

Vingt ans ont passé, et rien n’a changé ou presque. Nous revoilà derniers de Ligue 2, avec comme seule variante, les huis clos, que les kops s’infligeaient eux-mêmes à l’époque, pas besoin de cette maudite Ligue et de son réflexe idiot et improductif de la sanction collective au moindre fumi. La passion aussi n’a pas changé, la mienne, la nôtre, celle qui exponentialise tout, qui fait de nos succès des triomphes, de nos parcours des épopées, de nos défaites des tragédies et de nos descentes d'interminables enfers.

Il y a 20 ans, il ne restait que quelques mois avant que Romeyer et Caïazzo sortent du bois. Bompard père, après nous avoir fait monter haut, avait fait replonger le club. Au moins avait-il le courage de venir encore au match. Au moins allait-il préparer sa remise sur pieds avant d'avoir l’élégance de s’effacer, en vendant le club six mois plus tard.

A ce stade, on prierait pour que, dans ce domaine aussi, l’histoire ait le bon goût de se répéter.