Le week-end pascal tout autant que l’embellie de ces dernières semaines sont l’occasion de se rappeler que parmi nos meilleurs souvenirs de ces trente dernières années figurent en bonne place deux saisons de d2.


Dit comme ça, ça peut surprendre.

Alors disons le autrement : Hormis 2013 peut-être, quelles autres saisons que 1999 et 2004 nous ont permis de goûter au bonheur durable d’une équipe dont l’élan victorieux et irrépressible nous amenait aux sacres des printemps ? D’ailleurs, pour peu qu’on ait passé la vingtaine, et qu’on prenne parfois, tel le meilleur Compan, un peu de hauteur dans le ciel de Geoffroy, c’est presque une lapalissade.

Précisons aussitôt que ce qui réunit 1999 et 2004 c’est aussi 1996-1998 et 2001-2003. Annus méchamment horribilis.

- Papa c’est quoi le pluriel d’annus horribilis ?

- Pfff, j’en sais rien, j’ai arrêté le latin en première. Toujours mieux que toi qui n’as jamais commencé, remarque…

- Wesh !

- Tu sais que mon prof s’appelait Guichard ?

- Re-wesh, et son prénom ?

- J’en sais rien, c’était pour revenir au sujet du papier que j’ai déjà du mal à écrire, alors si en plus tu m’interromps…

 

Oui, l’annus horribilis, avec les Verts, c’est comme les emmerdes avec Chirac, ça vole toujours en escadrille. On s’en est coltiné des nuits à broyer du noir et maudire les Dieux du foot qui nous avaient dans le pif, on en a déversé des torrents de plaintes avant les extases nouzarettiennes et antonesques. Comme quoi, lapalissade encore, avant nos résurrections on en avait connu des morts, et des bien tragiques !

- Pires que mai dernier ?

- J’avoue, y a bataille … mais les FP dans le genre supplice absolu, c’était du haut niveau.

En refaisant le film, c’est toujours la même histoire qui s’écrit. Des premiers sifflets, d’abord épars, puis des broncas lourdes, des équipes jugées indignes de leur public, des banderoles vengeresses, et après, la colère, les cris, le feu, et enfin la désolation, l’abattement, et la petite mort au bout.

Et puis toujours, quand tu ne crois plus, que tout est perdu dirait l’Aubert barbarisé de Stockholm, on a la joie de découvrir que le jour se lève encore. Alors l’idée qui avait osé nous traverser l’esprit, selon laquelle finalement on exagèrerait à considérer encore et toujours qu’on a (qu’on est !) le meilleur public de France, disparaît honteusement devant l’évidence, belle, éternelle.

- Qu’est-ce qui nous distingue des autres alors ?

- Ben tu vois bien, d’abord ce fracas, ce chaos qui inévitablement accompagne nos chutes là où d’autres s’éteignent en silence.

- Ok, mais en quoi on serait plus exemplaire, collectivement, en tant que public, quand certains sifflent une passe en retrait ? Est-on plus digne que d’autres quand les MF quittent massivement le stade pour ne plus voir ça ?

- Probablement pas, vu comme ça.

Mais ce qui ressort, avant tout, c’est que la relation, notre relation à ce club est d’abord une relation d’amour fusionnelle, où jamais la médiocrité des uns n’amène l’indifférence des autres. Nous ne faisons qu’un, il n’y a pas une équipe sur le pré et des supporters derrière les grillages. Les Green l’ont affiché plusieurs fois ces derniers mois avec la banderole on est nuls, putain. Au delà de l'auto-dérision salvatrice, ce qui compte c'est ce on, il résume tout ce on. En d’autres temps, en d’autre sports, Noah expliquait que quand il gagnait, il était français, quand il perdait il était camerounais. Nous on est Verts for ever. On a gagné, on a perdu, on est nul, on est les rois du ballon…

La petite mort donc… Les cendres sont encore chaudes. Monaco ou Auxerre au printemps, Paris FC ou Rodez à l’automne, Annecy et les boules de Noël, on les a encore bien en tête les étapes de notre chemin de croix. Et puis quelques semaines passent, les perspectives sportives n’offrent aucune promesse, sinon celle d’une place dans le Top 10 de la Ligue 2. Et pourtant … 25 000 supporters viennent voir les Verts contre Niort. Et pourtant, le match précédent contre Amiens, à peine moins nombreux, nous n’avions pas sifflé malgré le résultat nul final. Et pourtant Charlety est envahi aussi bruyamment que l’était Pompidou en 2004.

- Mais pourquoi ?

- Parce que la faim succède à la fin.

Après tant d’années de souffrance, tant d’humiliations, le peuple vert n’est pas résigné, il ne se détourne jamais de son club, il attend, il guette, il est affamé. Il veut de l’orgie, du stade porté à ébullition, de l’atome crochu en fusion. Il ne vit que pour cela. Alors comme ces moteurs parfaitement réglés, il réagit au quart de tour à la moindre étincelle, c’est son ADN. Une victoire, un nul, une équipe qui lutte, qui s’arrache, qui donne tout et tout repart soudain.

A l’extérieur, à la périphérie de notre monde vert, je les entends bien dans la semaine, ces commentaires faussement compatissants et réellement méprisants sur notre déclassement. Je les vois, ces sourires narquois de ceux qui observent nos emballements pour une équipe qui joue le maintien en Ligue 2.

Tous ces supporters en papier de clubs oubliables, je les plains, car je sais que derrière ces sourires se cachent une incompréhension, une admiration et une jalousie aussi éternelles que nos Verts.

Ils ne savent pas, ils ne ressentent pas. Quoi ? Que supporter c’est souffrir avec, longtemps parfois, mais toujours avoir la flamme et souffler très fort dessus pour accompagner et sublimer les résurrections.

- Mais papa, nous allons juste nous maintenir, les entraves à l’avenir sont toujours là, les digues de Dubaï et Pont Salomon tiennent toujours !

- C’est vrai, tout est vrai, rien n’est sûr pour demain.

 

Rien sinon qu’avec les Verts, aucune mort n’est jamais définitive. Le chemin est encore long, mais ce printemps qui se prend pour les étés 98 et 2003 est un avant-goût de promesse tenue aux enfants abattus. Rappelle-toi celle que je t’ai faite en mai dernier : les lendemains chanteront.

D’ailleurs, si tu tends bien l’oreille, ces lendemains, tu les entendras même célébrer notre gloire éternelle : nous serons champions de France car nous sommes les premiers, nous serons champions de France, car nous sommes stéphanois !

- Papa, c’est quoi ce chant ? m’interroges-tu avec la même surprise teintée d’excitation que lorsque je te fis écouter pour la première fois l’album à la banane du Velvet.

Alors suintant le plaisir régressif, je te réponds :

- Toi aussi tu l’auras ton Châteauroux, toi aussi tu l’auras ton triptyque Gueugnon-Valence-Gueugnon ! Toi aussi, tu réaliseras que dans la mort, le meilleur, c’est la résurrection.