Willkommen in der grünen Hölle ! (3)

16/02/2019
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11 Freunde publie dans son édition de février un reportage sur l'ASSE, "mythe français qui fête ses vieux poteaux carrés", "club français le plus riche en émotions." Vous n'avez pas pu vous procurer le numéro de ce réputé mensuel allemand ? Vous ne maîtrisez pas la langue de Roland Wohlfarth ? Pas de panique, le potonaute Ellestin vous propose une excellente traduction. Willkommen in der Grüne Hölle ! Bienvenue dans l'enfer vert ! Troisième extrait.

"Philippe Gastal caresse de ses longs doigts fins la vitre qui le tient à distance des poteaux, environ un mètre. Ils sont sous verre, comme une peinture précieuse. Gastal est un homme mince et élégant, costumé, la raie sur le côté, et une immanquable cravate verte. Seule la description de son job en français rivalise de distinction avec lui : Conservateur du Musée des Verts*. Le musée de l’ASSE est le premier musée consacré au foot en France. Des quatre coins du territoire, des clubs viennent s’en inspirer et recevoir de généreux conseils – sauf Lyon, on l’aura compris désormais. Gastal affiche sur le visage un sourire espiègle comme on n’en voit que chez les directeurs de musée ou les professeurs de mathématiques. Il revient sur l’onéreuse acquisition en provenance d’Ecosse. « Aujourd’hui encore, on raconte que si ces poteaux avaient été ronds, Saint-Etienne aurait battu le Bayern », dit-il. Au cours de la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions 1976, Saint-Etienne frappa à deux reprises les montants, dont la forme angulaire renvoya la balle sur le terrain, au lieu de la laisser entrer dans le but. Le Bayern, comme à son habitude, triompha en toute décontraction : 1-0. Mais l’image des poteaux carrés* s’imprima dans les mémoires, jusqu’à devenir un mythe. Quarante ans après le match, L’Equipe publia un numéro spécial sur la finale. En ville, un restaurant et un bar s’appellent Poteaux Carrés. Aux côtés de la relique conservée dans le musée, un écran passe en boucle les images de la finale perdue. Gastal, qui les a vues des centaines de fois, fixe le téléviseur comme s’il s’agissait d’une retransmission en direct.

Pourquoi, après quatre décennies, Saint-Etienne célèbre-t-il toujours une défaite ? Cela peut s’expliquer en partie par la mentalité française. Ici, on aime chérir les perdants*, les figures de l’échec, encore plus intimement que les vainqueurs. A partir de 1953, le cycliste Raymond Poulidor s’est attaqué pendant de nombreuses années au Tour de France, et a fini par ériger en art le fait de perdre la course dans les instants décisifs. Les fans pourtant n’ont eu de cesse d’honorer le « perdant éternel », un peu plus à chaque coup dur. Tous comme ils passent encore des soirées entières à philosopher sur la défaite malheureuse de l’équipe nationale face à l’Allemagne à la Coupe du Monde 1982. Peu importe que l’Equipe tricolore* ait depuis ce jour plus souvent battu les Allemands que le contraire, en demi-finale de Coupe du Monde ou encore plus récemment lors de la Ligue des Nations. Les Français ont le goût du drame et de la mélancolie.

 La finale perdue de 1976 continue de marquer tout Saint-Etienne au fer rouge pour une autre raison. L’équipe d’alors produisait un football enivrant, avec de froids déménageurs comme Christian Lopez en défense, et des artistes du dribble inspirés en attaque, à l’exemple de Dominique Rocheteau. Ce dernier, actuel directeur sportif, avait sur le terrain des airs de George Best avec ses longues boucles brunes. Les musiciens de la ville chantaient des hymnes pop à sa gloire. A domicile, Saint-Etienne se livrait à d’invraisemblables remontées au score, qui ont inspiré les journalistes jusqu’à aujourd’hui : A Saint-Etienne, tout est possible*.

Le maillot vert de cette époque, orné d’un col aux couleurs du drapeau national français, devint une tunique symbole. Les Verts* acquirent le statut d’équipe nationale non-officielle, tant était partagée la sympathie à leur égard à travers le pays. Le président de la République Valéry Giscard d’Estaing écrivit au maire de la ville : « Merci d’avoir emmené la France jusqu’en finale ». Le directeur de musée Gastal montre les photos de l’époque : « 100.000 personnes ont accueilli l’équipe sur les Champs-Elysées. C’était la première et la dernière fois qu’une telle chose avait lieu pour une équipe de club ». Gastal réajuste fièrement sa cravate. Il n’est pas le seul à être hanté par le passé. Quelques heures au musée suffisent à les rencontrer tous, les nostalgiques et les rêveurs.

Comme cette femme qui a garé sur le parking du musée son camping-car recouvert d’autocollants à l’effigie de Saint-Etienne. Tous les quinze jours, Nathalie Salomon parcourt avec ses trois chats les 400 kilomètres qui séparent Orléans et Saint-Etienne. Elle est abonnée au stade. Ou bien Jason Kirkwood, qui erre dans les allées du musée et nous parle de la générosité des Stéphanois qui lui ont offert le gîte dès sa première visite. Kirkwood vient de Brentford, en Angleterre. Dans une antichambre du musée, on retrouve Elfi Tax, 90 ans, dont le père a entraîné Saint-Etienne dans les années 30 [NdP² : en fait de 1943 à 1950]. « Les gens ici sont gentils. Ce sont des fous de foot, qui ont le cœur sur la main », dit-elle dans son allemand de Vienne teinté d’accent français. A ses côtés a pris place Emile Robert, l’abonné le plus âgé du club : 97 ans. Patrick Guillou, héros de la remontée, est également de la partie. Il fait la traduction en allemand pour nous. Au-dessus du musée, Alex Mahinc nous conduit dans le petit réduit où il entrepose maillots et cassettes vidéo. Et ainsi se déroule notre visite dans ce musée. A chaque instant notre chemin croise celui d’hommes et de femmes, comme si nous assistions à un exposé parfaitement minuté sur le thème : Qu’est-ce qu’un « club historique » ?"

 

* en français dans le texte

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