Dans sa biographie "Platoche, gloire et déboires d'un héros français" parue le 18 mai dernier aux éditions Flammarion, Jean-Philippe Leclaire revient sur les vertes années de Michel Platini. Treizième extrait.

En 1982, le juge Patrick Desmure est encore un inconnu. Il ne figurera que bien plus tard, aux côté d'Eric Halphen ou de Renaud Van Ruymbecke, dans la galerie des "p'tits juges" à l'indépendance farouche, montrés en exemple par une partie de la presse. Chargé de l'enquête sur le financement occulte du RPR, c'est en effet lui qui mettra en examen Alain Juppé, alors secrétaire général du parti néo-gaulliste, le 21 août 1998.

En seize ans, du tribunal de Lyon à celui de Nanterre, de la caisse noire des Verts au financement occulte du RPR, Patrick Desmure a effectué pas mal de chemin, mais n'a jamais rien changé à sa rigoureuse méthode. Le dossier, tout le dossier, rien que le dossier, pourrait être le credo de cet enquêteur infatigable. Grâce ou à cause de Patrick Desmure, le scandale de la caisse noire basculera dans une autre dimension.

Ce qui aurait pu rester à la mise au pilori d'un homme, Roger Rocher, devient soudain le procès de tout un système où dirigeants et joueurs ne sont pas également coupables, mais tous un peu complices. Car Patrick Desmure a acquis très tôt une conviction : les joueurs savaient. Ils savaient non seulement qu'ils jouaient à cache-cache avec le fisc, mais aussi que les grosses enveloppes qui leur étaient tendues contenaient de l'argent pas net. Le p'tit juge, qui se moque pas mal des grands noms, décide d'inculper pour "recel d'abus de confiance et de biens sociaux" Robert Herbin et les onze joueurs ayant perçu plus de 100 000 francs en rémunérations occultes.

Après la mise en détention de Roger Rocher pour quatre mois à la prison Saint-Paul de Lyon, les inculpations de Jacques Zimako, Patrick Battiston, Gérard Farison, Gérard Janvion, Bernard Lacombe, Jean-François Larios, Christian Lopez, Raoul Noguès, Oswaldo Piazza, Michel Platini, Jacques Santini et Robert Herbin provoquent une onde de choc terrible dans l'opinion publique. Le 25 janvier 1984, la foule des grands jours se presse sur les marches du palais de justice de Lyon.

A 10h30, Jean-François Larios, sans avocat, ouvre le bal des convoqués. En long manteau noir, l'ai toujours aussi décidé, le grand Jeff s'engouffre dans le bureau du juge Desmure avant d'en ressortir 45 minutes plus tard. "Ayant régularisé ma situation avec le fisc, je ne me sens coupable de rien" déclare aux nombreux micros qui se tendent celui qui vient pourtant d'être inculpé. Le juge Desmure a accordé à Platoche cette faveur : afin d'échapper au cirque médiatique, le capitaine des Bleus se verra signifier son inculpation deux jours après ses anciens coéquipiers, une fois le calme revenu  sur les marches du palais de justice.

Michel Platini a négocié ce privilège par l'intermédiaire de maître André Buffard. Par un curieux hasard, l'ex-joueur favori de Roger Rocher était devenu ami avec l'inflexible avocat qui allait provoquer le scandale de la caisse noire. Grâce à son ancien partenaire de tennis, Michel Platini peut donc débarquer à Lyon dans un relatif incognito. Il est reçu non pas au palais de justice, mais à l'annexe. L'entretien avec le juge Desmure se passe dans une ambiance détendue. Platini réitère les explications qu'il a déjà fournies un an et deux mois plus tôt aux policiers du SRPJ. Oui, il est coupable, d'une infraction fiscale. Non, il ne connaissait pas l'origine frauduleuse des versements en liquide. Le juge l'écoute et l'inculpe.