Claude Puel s'est longuement confié au Monde avant d'affronter le QSG. Extraits.

"Un jeune performant de suite, c’est rarissime. Il faut le nourrir, l’aguerrir. Et il n’y a pas d’autre solution que lui donner du temps de jeu. Certains verront ça comme une prise de risque. Je suis prêt à le prendre parce que je me fous d’être viré. Avec une équipe, je veux me donner les moyens d’être capable de jouer la Ligue des champions. Or, ce qu’on observe au très haut niveau, c’est qu’avant le physique et l’intensité, il y a la technique, l’anticipation, l’intelligence de jeu et des déplacements. Il n’y a pas d’équipe de Ligue des champions qui vive uniquement de combativité et de solidarité. Pour moi la technique est le préalable à tout. Et la Ligue 1 en manque, car le recrutement repose avant tout sur des dispositions physiques.

La priorité donnée, y compris dans les centres de formation, aux joueurs physiques, percutants mais sans créativité, est le principal problème. Ce sont des choix structurels faits par les recruteurs à la formation, dont découle l’absence de fluidité du jeu en Ligue 1. L’idée qui sous-tend le recrutement de joueurs massifs, bons dans l’impact, c’est la crainte du résultat. La volonté de se sécuriser. Le football passe après. J’ai l’impression qu’on veut se rassurer en prenant des joueurs costauds, en imaginant pouvoir leur apprendre la technique… Mais c’est trop tard pour eux ! Ils ont toujours fait des différences parce qu’ils étaient en avance physiquement. Quand ils arrivent au haut niveau, ils sont en échec, parce que les autres joueurs se sont renforcés et que la culture tactique permet de couper les espaces à ces joueurs qui vont tête baissée et poussent le ballon. A l’inverse, l’intensité, l’agressivité, cela s’acquiert pour les joueurs créatifs.

Dans l’esprit des joueurs qui percent, ils restent un an ou deux en Ligue 1. Ils ne s’investissent pas car ils pensent déjà à l’étranger. Certaines équipes ont quatre joueurs de leur ossature qui partent d’une année sur l’autre. Quand on vend constamment, il y a un temps nécessaire de reconstruction. Dans les quatre grands championnats, le recrutement sert à bonifier l’équipe en place. Chez nous, on doit se contenter d’essayer de remplacer. La bonne politique, ce serait de programmer le départ des meilleurs jeunes. Si l’Ajax Amsterdam vend un joueur, c’est que, derrière, ils ont son remplaçant qui est presque prêt. Ils ont une vision à moyen terme et anticipent. Nous, on est tout le temps dans l’urgence. On met tout l’effectif en vente l’été et ce qui trouve preneur, on vend. On ne prépare rien. Il faut arrêter de « faire des coups ».

Je ne suis pas du tout tenté de sécuriser le résultat à Saint-Etienne. C’est le contraire de ce que je suis. Mais j’arrive dans un club avec un effectif déséquilibré, disparate et trop important, de 32 joueurs. Ce que je veux mettre en place, le liant, la créativité, je l’initie au quotidien, à l’entraînement, mais ça ne peut pas être abouti en match, car beaucoup de joueurs n’en ont pas la possibilité. Certains pourront l’acquérir ; d’autres non. Mais je ne sacrifierai jamais le développement individuel et collectif au profit de la quête du résultat. Je ne sais pas si je verrai le bout de ce processus.

Le projet à Saint-Etienne est très difficile. Au-delà du sportif, il y a une grande marge de progression sur les structures du club. Beaucoup de choses doivent être améliorées pour tendre à la performance. En ce qui concerne l’équipe, tout dépendra des liquidités que l’on arrive à générer. Notre surface financière est nulle. Le club allait dans le mur. Saint-Etienne a fait d’énormes efforts financiers en prenant une direction qu’il n’est plus possible d’honorer. Ce n’est pas une critique, car il y avait un consensus autour de ce projet à court terme qui a permis de retrouver l’Europe. Mais la situation ne pouvait perdurer."