A quelques jours du match Saint-Etienne-Nantes, le journaliste Maxime Cogny vous invite à (re)découvrir la rivalité entre les Verts et les Canaris. Deuxième volet de son étude : "Un point commun... au départ seulement : la formation "


2 - Un point commun... au départ seulement : la formation

Dès le début des années 70, le FC Nantes va vouloir rattraper son retard dans le domaine de la formation pour atteindre un objectif : dépasser l'ASSE. Ce qui se produira au cours de la décennie. La France du foot est alors partagée entre deux clubs formateurs : Saint-Étienne et Nantes. Mais cette évolution est lente. A titre d’exemple, ce n’est qu’en 1977 que le pôle « jeunes », au centre d’entraînement de la Jonelière est inauguré. « Avant, nous, les jeunes du centre de formation, étions logés en centre-ville », raconte Thierry Tusseau. A Saint-Étienne, la personne en charge du recrutement s’appelle Pierre Garonnaire. A Nantes, le créateur du centre de formation s’appelle Georges Boulogne, alors directeur technique national. Celui qui tient les rênes de ce centre n’est autre que l'entraîneur de l’équipe première depuis 1966. Son nom : José Arribas. C’est lui, l’instigateur du beau jeu à la nantaise. Lui, l’entraîneur, est un éducateur et un formateur dans l’âme.

Les deux clubs peuvent alors écrémer le territoire français à la recherche de la perle rare. Il faut dire que les conditions sont beaucoup plus favorables qu’à l’heure actuelle : Nantes et Saint-Étienne disposent de Sochaux et Nancy comme seuls concurrents. « Il arrivait même que l'on s'entraide. J’appelais Pierre Garonnaire et lui demandais : tiens, tu n'aurais pas repéré un milieu offensif chez toi ? Si Saint-Étienne ne recherchait pas de joueur de ce profil, alors il venait jouer ici. Plus tard, ils pouvaient nous demander la même chose pour un défenseur par exemple. Je me souviens d’un jeune joueur originaire de Moselle. En venant à Nantes, il aurait quitté sa famille, traversé la France… C‘était mieux pour lui qu‘il aille chez les Verts », raconte Robert Budzynski, l'actuel directeur sportif du FC Nantes Atlantique. Les propos de Bruno Lautrey abondent dans ce sens : « A cette période, il y avait beaucoup d’échanges entre les centres de formation, pour se donner des informations sur les joueurs ».

Mais à Nantes, au départ du moins, le travail de prospection est plus "collectif" qu'à Saint-Étienne. Le club n'hésite pas à faire appel à ses anciens joueurs, restés dans la région. Du côté des Verts, Pierre Garonnaire parcoure la France entière. Preuve de la qualité des jeunes pousses des deux clubs, les équipes juniors de Nantes et de Saint-Étienne s'affrontent en finale de la Coupe Gambardella (catégorie des juniors) en 1974. Les Nantais s'imposent. Ils rééditeront leur performance l'années suivante.

Extrait de Bossis, par Jean-Marie Lorant, aux Éditions Calmann-Lévy, novembre 83 :

« La force de Nantes a toujours été de privilégier la formation, et dans ce sens, d’être en avance sur son temps. En 1970, la réputation de l’école nantaise n’avait pas d’égale dans le pays, sinon à Saint-Étienne, avec la célèbre école des Verts.
Aussi, les deux clubs accueillaient-ils régulièrement les plus beaux fleurons des sélections de jeunes, épisodes qui mettaient aux prises Pierre Garonnaire et Robert Budzynski, deux chasseurs de talent au flair subtil et à l'oeil aiguisé. Ces deux habiles négociateurs prêchaient chacun pour leur paroisse, en veillant à ne pas transgresser les règles du jeu. La concurrence n'est pas encore ce qu'elle est de nos jours, et l'organisation, le sérieux, et la fiabilité de leurs couleurs leur permettaient d'enlever le morceau assez facilement. Un équilibre s'était installé entre les deux camps et le terrain était suffisamment vaste et riche pour contenter tout le monde. Les générations nantaises valaient les générations stéphanoises, et vice versa. Si l'une d'entre elles, celle des Bathenay, Janvion, Synaeghel, Revelli, Lopez, Santini, Larqué, Merchadier... a éclaté au nez de l'Europe en 1975, créant un phénomène sans précédent en France, c'est en raison de la concordance ayant existé entre un groupe de joueurs de talents, un public, un club dans sa plénitude. Aucune promotion nantaise n'a laissé de trace si profondes pour n'avoir pas bénéficié de ce concours de circonstances, lequel se présentera un jour ». (La meilleure performance du FC Nantes en Coupe d'Europe remonte à 1996, où les Canaris s'étaient hissés en demi-finale de la Ligue des Champions, éliminés par la Juventus de Turin, ndlr).

Si Nantes rattrape Saint-Étienne en matière de formation, les deux clubs vont rapidement se différencier. Car si la maison jaune va poursuivre sa politique de formation, et jouer la carte de la continuité, la maison verte va progressivement l'abandonner, alors qu'elle avait fait sa force jusque-là. « Il y a une cassure vers 80 », expliquait Gérard Farison, le Stéphanois de toujours. C'est donc à cette période que les Verts, contrairement aux Nantais, vont finir par se détacher de leur politique initiale de formation. Ainsi, après la génération des Rocheteau, Lopez, Santini, Sarramagna, Janvion, Lopez... Saint-Étienne va se régénérer en recrutant (processus nouveau dans son ampleur seulement puisque par le passé, seuls Piazza et Curkovic, avaient été recrutés à l'étranger), plutôt qu'en donnant leur chance aux jeunes...

L'équipe stéphanoise, championne de France en 1981, n'a donc plus rien à voir ou presque avec l'équipe vice-championne d'Europe en 76, même si des Farison, Janvion ou Lopez, en font encore partie. Entre-temps, des joueurs tels Johnny Rep, international hollandais, Jacques Zimako, Patrick Battiston, et évidemment Michel Platini, tous les trois internationaux, sont arrivés au club. Si l’ASSE a choisi de changer d'orientation, et d’adopter cette politique de vedettariat (les articles de l'époque comparant l'ASSE au stade de Reims) c'était pour rester au sommet. Le président, Roger Rocher en est le principal initiateur. Robert Herbin, lui, semble avoir un peu subi ce changement. "Le Sphinx" comme on le surnomme (sur le banc, à n'importe quel moment d'un match, son visage reste impassible), l'héritier d'Albert Batteux et de Jean Snella aurait sans douté préféré continuer à incorporer des jeunes, quitte à reculer de quelques places pendant quelques saisons, mal nécessaire pour préparer l'avenir à plus long terme.

Dans un ouvrage intitulé Ils ont tué les Verts - Histoires secrètes (1), Jacques Vendroux est cité à ce sujet : « Les gens n'arrivaient pas à comprendre cette absence de résultats, alors qu'en réalité, c'était presque normal. Roger Rocher a voulu rééditer l'épopée de 1976 avec des joueurs qui n'avaient pas été formés à Saint-Étienne. Ce n'était que des transferts et Robert Herbin n'a jamais eu la mainmise sur des Rep, Zimako et Platini. Robby n'a jamais pu les modeler comme il l'avait fait avec ceux des années 70 (...) L'esprit n'était plus le même ». Pour autant, Saint-Étienne incorporera quelques jeunes au sein de son équipe première, notamment l'année du titre de 81 : Laurent Paganelli et Laurent Roussey par exemple. Le premier, surnommé "le petit Prince de Geoffroy-Guichard" foule les pelouses de Première division à quinze ans et demi. C'est à ce jour le record. Le second avait lui à peine 19 ans.

On ne peut donc pas schématiser. Car si Saint-Étienne, malgré son changement de politique incorpore quelques jeunes dans son équipe professionnelle, Nantes recrute aussi à l'étranger. Et la concurrence existe tout autant chez les Canaris. Les exemples les plus marquants sont le recrutement par le FC Nantes de l'attaquant international polonais Gadocha, alors que Bruno Baronchelli, formé au club, est prêt à éclore. Même chose pour Eric Pécout, la presse à l'époque ne manque pas de le souligner ("Eric Pécout le mal-aimé" titre Football Sélection en 79). Car avant d'être contrariée par les blessures, sa carrière est freinée par la concurrence (recrutement de l'argentin Victor Trosséro, le club double les postes). C'est Jean Vincent, l'ancien rémois, qui lors de son arrivée en 76 à la tête de l'équipe première, va changer la donne, en mettant sur la touche les plus anciens, comme Gadocha et Triantafilos.

Reste qu'à Nantes comme à Saint-Étienne, les greffes ont plutôt bien fonctionné. La comparaison entre Hugo Bargas, le libéro de Nantes et Oswaldo Piazza, le stoppeur des Verts, est intéressante. Les deux sont Argentins. Mais leur style totalement opposé. Piazza, par ses chevauchées sur le terrain incarne à lui seul la puissance du rouleau compresseur stéphanois. Bargas, lui, plus technique, incarne à sa manière la fluidité du beau jeu à la nantaise. Autre recrue sud-américaine du club nantais, Enzo Trossero, homonyme de Victor. Dans les deux cas, le recrutement de joueurs étrangers ne se faisait qu'avec l'assurance que les joueurs s'intégreraient parfaitement. Mais les deux Argentins ne sont pas les seuls à se prêter au jeu de la comparaison. Ainsi, dans L'Equipe, le 16 mai 77, dans un article de présentation du quart de finale de la Coupe de France opposant Nantes à Lens, le défenseur nantais Raynald Denoueix est présenté comme le "Farison jaune", en référence à l'attachement et la longévité du joueur au sein de son club.

José Arribas, qui n'est désormais plus l'entraîneur du FC Nantes depuis trois ans, donnait son avis dans les colonnes de France Football, le 28 août 1979 :
« Je m'insurge contre ces clubs qui se renforcent avec quatre ou cinq joueurs à coups de millions. C'est une partie de poker dangereuse (...). Un entraîneur, c'est celui qui ne pense pas seulement au résultat d'aujourd'hui, mais aussi à celui de demain, de la saison à venir. Son travail, c'est une oeuvre de longue haleine ».

Auteur : Maxime COGNY

(1) : DANET Benjamin. Ils ont tué les Verts – Histoires Secrètes. Solar. 1997.