Kreuzigue, c’est une entrée tonitruante sur Poteaux carrés ! Kreuzigue, c’est un puits de science et d’anecdotes à la demande, notre Jean-Paul Ollivier à nous en sommes ! 42 ans, couramiaud de naissance, origines italiennes, Kreuzigue c’est la montagne en été et la mer en hiver, Chet Baker et Gregor von Rezzori, le minestrone façon goulash, Le Canard Enchaîné, France-Culture, les vélos Bianchi.

 


Pseudo : Kreuzigue

Localisation : Beaune en semaine, Sainté dès que c'est possible.

Premier match à Geoffroy - Guichard ?

C'était à l'été 1977, contre Marseille. J'avais 7 ans, j'étais accompagné de mon père et d'un oncle. J'étais en vacances en France. Mes parents ont habité au Canada entre 1974 et 1982, mon père était ouvrier hautement qualifié dans ce qu'on appelle la mécanique de précision et les salaires nord-américains étaient sans commune mesure avec ceux proposés en France. Nous retournions chaque année à Sainté et en Italie. Le jour du match il faisait très chaud, nous avions apporté de grandes bouteilles d'eau en plastique, ce qui serait impossible aujourd'hui. Nous étions arrivés très tôt pour avoir de bonnes places dans les populaires côté nord, en plein milieu juste au-dessus de la cage -ce qui ne serait plus trop possible aujourd'hui. Les Verts avaient gagné et c'était normal, ils étaient indiscutablement considérés comme la meilleure équipe française. Ce qui ne parait plus du tout possible aujourd'hui.

Premier souvenir de supporter ?
Quelques mois auparavant, dans une banlieue anglophone de l'ouest de Montréal. Un petit voisin de mon âge avait un grand frère qui jouait au soccer en club, chose finalement assez improbable dans le Canada des années 70. Je le prenais pour modèle même si je ne comprenais pas grand-chose à ce qu'il me disait -j'ai oublié d'où ils venaient ces deux-là mais a priori ils ne parlaient pas du tout comme des Nord-Américains. Mes parents se plaignaient à table: "mais qu'est-ce qu'il a dit, là??? Mais comment ils parlent anglais ces gamins?" Quoi qu'il en soit, ils connaissaient, de nom et de réputation, l'équipe de St-Etienne -j'étais assez fier. Seulement, après un certain match de Coupe d'Europe Liverpool-ASSE, les deux kids escortés de leur père m'aperçurent dans la rue et se mirent à se moquer de moi en rigolant "St-Etienne! Ha ha!" -le petit me montrait du doigt un peu comme Nelson dans les Simpsons. J'étais blessé dans ma chair. En tant que supporter des Verts ceci a constitué ma première humiliation publique. La première d'une longue série.

Qui t'a fait découvrir ce club ?
Mon père, donc, arrivé à Sainté avec sa famille d'Italie alors qu'il avait 3 ou 4 ans. Il semble que lui-même ait fréquenté le stade Geoffroy-Guichard assez jeune. En tout cas, il avait vu joué Alpsteg et Rijvers... C'était un passionné et en dehors de ses années en Amérique, d'abord en célibataire au début des années 60 puis en tant que chef de famille, il n'a pas du manquer beaucoup de matches à domicile. Même très loin, il suivait toujours le club, il se faisait envoyer des coupures de presse par mes oncles. Il aimait bien parler des Verts avec moi, cependant il a fallu le tanner grave pour qu'il accepte de m'amener à ce fameux match contre l'OM. J'ai l'impression que le stade c'était son truc à lui, que j'étais un peu un intrus. Je l'ai vraiment supplié... A titre de comparaison il n'avait fait aucune difficulté pour m'emmener voir un match de hockey au forum de Montréal alors que j'avais à peine 5 ans.

Joueurs Verts préférés (toutes époques confondues) ?
Bon, dans les cages je mettrais Beaufreton, loin d'être le meilleur gardien que j'ai vu mais trop souvent le bouc émissaire autour de 1989-90. Je n'arrive toujours pas à croire que So Foot l'ait mis dans le pire onze de l'histoire des Verts. C'est à croire qu'ils ne connaissent pas Robin Huc. Et puis Beaufreton, les gens l'appelaient "beau frelon" à cause de son maillot jaune et noir. Beau frelon, ça classe comme surnom. En défense, en charnière centrale je mettrais deux Messins, Kastendeuch -LA référence- et Mahut que j'adorais. Pour les latéraux, je choisis Kvarme, un seigneur et Farison, natif de Terrenoire, l'homme d'un seul club, dur au mal et persévérant. Tout ce que les footballeurs d'aujourd'hui ne sont pas.
Au milieu, en récupérateur, je mettrais Zanon pour ses origines frioulanes et son mythique coup franc de 30m à Monaco. J'y ajouterais Lubo, évidemment, pour l'ensemble de son œuvre et de l'autre côté Hellebuyck, là encore pas le meilleur joueur du monde mais un exemple de modestie et d'abnégation. Gentil dans la vie et généreux sur le terrain -plus je vieillis et plus j'apprécie les gens gentils et généreux. En meneur de jeu? Ben, Platini, who else?
Devant, deux gars qui dans les faits auraient été totalement incompatibles. Roger Milla qui a illuminé les années de D2 au milieu des 1980's et Wohlfarth qui nous a coûté un bras et est parti comme un voleur mais qui reste tout de même dans mon souvenir un vrai joueur d'équipe et un renard des surfaces des plus rusés. Et quelle émotion quand je l'ai vu obtenir l'égalisation dans les dernières minutes du derby d'octobre 1994.

Autres clubs ou joueurs favoris ?
Un club italien, tout d'abord, l'US Triestina, le club de la famiglia, qui est aussi accessoirement le club de cœur de la famille Maldini et aussi celui de la famille Aubame... J'ai d'ailleurs vu jouer là-bas papa et le grand frère. Sinon, aucun trophée en plus de 90 ans d'existence, et ces jours-ci en liquidation judiciaire -pour la quatrième fois en 15 ans. Repartira probablement de série D comme à chaque fois et reviendra très vite végéter en B, son habitat naturel. Jusqu'à la prochaine faillite.
Et puis, de manière beaucoup moins génétique, un club anglais. Je ne m'intéresse plus vraiment à cette usine à fric qu'est devenu le foot anglais mais dans les années 90, j'étais domicilié au Royaume-Uni et j'allais assez régulièrement au stade là-bas, il faut dire qu'en ce temps-là le prix des places était encore abordable. A 18 ans j'étais parti à Liverpool, théoriquement pour étudier, en fait surtout parce que beaucoup de groupes de musique que j'aimais venaient du nord de l'Angleterre. Je crois que je voulais me promener dans la rue et risquer de tomber sur Ian McCulloch -ça ne s'est jamais produit et de toute façon je ne l'aurais jamais abordé, j'aurais eu trop peur de me faire rembarrer par l'un de mes héros. En tout cas je me suis rapidement mis à travailler dans le coin et je m'y suis même marié. Et bien évidemment je me suis mis à suivre l'équipe locale, la seule la vraie: Everton. Ha ha.

Ton plus grand souvenir avec l'ASSE ?
Novembre 1980, mon père rentre du boulot. Ma mère a été chargée de trouver RFI sur le poste à Ondes Courtes situé au sous-sol et amélioré d'une longue antenne de fil de cuivre, tout ça pour écouter le résultat du match Hambourg-ASSE. Mon père est un peu anxieux, il côtoie au quotidien des collègues d'origine allemande assez grandes bouches. Ma mère dit: "Hambourg:0-Saint-Etienne:5" Mon père lève les yeux au ciel: mais qu'est-ce qu'elle raconte??? Elle insiste. Refusant d'y croire, mon père file au sous-sol, allume le poste et tente de tomber sur les résultats des Coupes d'Europe. Toute la soirée. Sans succès. Mais il parait qu'à l'aéroport de Mirabel, des avions cargo apportent les quotidiens français fraichement imprimés et que ceux-ci sont disponibles dès 6 heures du matin heure locale. Le lendemain matin mon père laisse un message pour prévenir qu'il va être un peu en retard au boulot et avec votre serviteur qui s'est incrusté nous sommes donc à l'aéroport dès 5h45. Achat de L'Equipe. Extase. Je crois que je n'avais jamais vu mon père sourire comme ça. A l'usine certains ont dû en entendre parler.

Ton match des Verts le plus marquant ?
Un match que j'ai vu au stade? Il n'y en a pas vraiment un qui se détache. Peut-être, même si je ne suis pas insensible au nom de Bridonneau, parce qu'il n'y pas eu pour les Verts de véritable grand moment depuis plus de trois décennies. Peut-être le 5-1 contre Marseille, auquel j'ai eu la chance d'assister. Mais aussi la fois où les Verts menaient 3-0 contre Auxerre au bout de 20 minutes, je crois que c'était en 2004. Quelques années plus tôt j'avais payé pour voir une épouvantable déroute à Geoffroy Guichard contre les Auxerrois, 0 à 5... Il faut dire que dans les années 90, je passais peu de temps à Sainté et je ne pouvais aller qu'à trois ou quatre matches par saison -et c'était souvent ignoble. Ce soir de 2004 grâce à Nicolas Marin, je tenais enfin ma revanche sur ces faux modestes bourguignons de mes deux. En fait je crois que je n'ai jamais porté Guy Roux dans mon cœur (euphémisme).

Enfiles-tu un maillot de Saint-Etienne quand tu vas au stade ou quand tu regardes le match à la télé ? Si oui, quel maillot ?
Non, jamais de maillot, au stade je mets une écharpe des Verts quand il fait froid, c'est tout. Devant la télé, ça m'est arrivé quelques fois de mettre le maillot devant une retransmission mais c'était plus de l'autoparodie, pour faire rire les gamins, etc. J'aime bien tout ce qui se rapporte au maillot vert mais je n'en ai acheté qu'un seul dans ma vie. C'était fin 1997, peu après avoir vu la une de L'Equipe "SOS pour les Verts." dans un kiosque à Londres. Ce fut un choc, j'avais peu suivi le début de saison -catastrophique- je savais qu'on était mal financièrement, on était mal depuis des années mais alors là... Dès mon retour à Sainté j'ai foncé à Centre Deux pour acheter un maillot des Verts, comme si ça allait de soi, comme si c'était maintenant ou jamais (?) La caissière de Go Sport m'a dit que je n'étais pas un cas isolé, que la une de L'Equipe avait dopé des ventes jusque-là bien poussives... Comme quoi la pub, même foncièrement négative, ça fonctionne. Quelques jours plus tard, Bompard reprenait le club, on se sauvait péniblement et puis on repartait pour un tour de montagnes russes...
J'ai toujours ce maillot Lotto, d'un beau vert uni, à ne pas confondre avec celui plus connu des deux saisons précédentes, col à lacet et bandes blanches horizontales. Je ne le mets jamais pour jouer au foot parce qu'avec les années je suis de plus en plus mauvais et vous comprenez, je ne veux surtout pas embarrasser mon club. Par contre pour jouer il m'arrive parfois de mettre un maillot de Trieste. Les gens trouvent ça hypercool et au point où en est la Triestina, il en faudrait bien plus pour l'embarrasser...

Connais-tu par cœur les paroles de la chanson mythique ?
Oui bien sûr, je crois que tous les amoureux des Verts les connaissent, qu'ils le veuillent ou non. Je connais également les paroles d'une autre chanson mythique passée à la trappe de l'histoire: la chanson KB Jardin, qui date du début des années 80... Tant qu'il aura des ballons, les supporters chanteront allez les verts, ils sont extraordinaires! Le terrain c'est leur univers allez les Verts! Les plus anciens potonautes sauront de quoi je parle.

Carte blanche (quelque chose qui te tient à cœur ? une anecdote ? un coup de gueule ?....).
Juste pour dire que je suis un fidèle lecteur du site Poteaux Carrés, sérieux sans trop se prendre au sérieux. Les potins permettent de vraiment bien suivre l'actualité des Verts au jour le jour. J'aime aussi le forum, principalement en tant que lecteur. Pour avoir fréquenté toutes les tribunes de GG des "kops" à la tribune présidentielle (grâce à des invitations bien sûr -mon père: "je reviens du buffet, y'avait Bernard Pivot, il portait un polo dégueulasse...") pour avoir croisé dans ma vie des fans des Verts jeunes et vieux, du 4-2 ou de beaucoup plus loin, je peux dire que le forum est finalement assez représentatif. Je ne m'aventure jamais sur le site officiel, tous ces communiqués lénifiants et tous ces machins qui clignotent... En fait je ne suis pas un grand fan d'internet en général mais il faut bien admettre que j'en sais aujourd'hui grâce à vous plus sur ce qui se passe dans le club (particulièrement au niveau des jeunes) qu'à l'époque où je suivais à fond l'ASS et allais tout le temps au stade (1982-90) Aujourd'hui, je me sens moins à fond dedans, parfois un peu blasé par rapport au foot moderne mais les Verts me ramènent toujours à ma région, ils sont toujours importants pour moi et le seront toujours.
Et tout ce temps où j'étais loin de Sainté, à l'étranger, j'aurais bien aimé disposé d'un outil comme P² pour les suivre. Alors, merci et continuez!